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Archives pour 06/2008

Je suis le chat qui fait baw-waw

25/06/2008 3 commentaires

L’un de mes cartoons préférés de Tex Avery est The counterfeit cat, (en français : Chat postiche, 1949), titre à l’ambigüité révélatrice (oxymore), puisque ce n’est pas un chat qui y est en contrefaçon, mais un chien. On y voit en effet un chat qui, comme d’habitude dans ces dessins animés, échafaude le plan le plus saugrenu pour assouvir la pulsion la plus élémentaire – manger. Affamé, il tente d’approcher la cage à oiseau, et pour cela se déguise très grossièrement en chien afin d’amadouer le molosse gardien de la maison, le fameux Spike. Le chat contrefait le chien.

Il répète devant le miroir, fait le beau, bat de la queue, tire la langue, et pousse un aboiement mutant, littéralement inouï, ni un « miaou » ni un « ouah-ouah » : « Baw-waw ! Baw-waw ! » Je suis très sensible à l’étrange et absurde beauté de ce cri qui n’existe pas. Fussè-je chat, j’essayerais sûrement de parler chien, pour voir l’effet. Et certes quand je bafouille maladroit, il m’arrive de ne pas reconnaître mon timbre. Baw-waw ! J’ai l’impression d’être chat chez les chiens, ou vice-versa, cherchant pathétiquement à rentrer en contact, articulant un son chimérique et travesti, qui tant bien que mal mêle ce que l’on attend de moi de ce que mes cordes vocales sont capables de vibrer selon leur nature. Lorsque je dois m’exprimer en tant qu’ « auteur jeunesse », je parle sans me forcer avec l’accent d’un auteur adulte, et réciproquement ; on me tient ces temps-ci pour un « romancier » quand j’ai grandement envie de bâtir tout autre chose que du roman ; mieux : lorsqu’une bibliothèque m’invite en tant qu’auteur, c’est fou comme je me sens obstinément, viscéralement, bibliothécaire (j’ai envie d’aller voir le logiciel qu’ils utilisent, les collègues), alors qu’en ma bibliothèque, face aux livres des autres, aux étagères de salsifis que je prête pour gagner ma vie, il m’arrive brusquement de vouloir ma vie ailleurs et de me réveiller, par défaut, « auteur » ; d’une manière générale, dès qu’on me prend pour un écrivain je suis profondément autre chose (lecteur, peut-être, pour commencer), et c’est lorsque personne ne s’en doute, en secret, devant le miroir qu’est ma page, que j’essaye de balbutier ma propre voix d’écrivain. Baw-waw. Et ainsi j’arrive parfois à refiler des os à ronger, mais toujours pas à choper le canari. Pour qui me prend-on, ces temps-ci ? Pour quoi donc me fais-je passer ? Pour un blogueur ? Pour un éditeur ? Ah, je vous en donnerai, Baw-waw de baw-waw !

Baw-waw : c’est rauque, peut-être disgracieux, certainement à côté de la plaque, orgueilleusement bâtard, c’est de l’entre deux avec un accent étranger, mais sans aucun doute, c’est là ma voix. S’il me fallait un totem, je choisirais volontiers le chat contrefait.

(Post-scriptum : on peut lire également cette sorte de métissage, de croisement fertile chien et chat, dans l’album Flix de Tomi Ungerer, mais avec une visée moins farce, plus politique. J’aime beaucoup Flix, aussi.)

Bilan moral et financier (et un peu écologique)

19/06/2008 4 commentaires

Le Fond du tiroir existe depuis trois mois. Dans un souci de transparence, voici quelques données de type « bilan et perspective » de ma petite entreprise. Et ceci au beau milieu du temps des catastrophes, de la globalisation des violences tribales, du fatal réchauffement de la planète, de l’obligation de résultats du Ministère de la Francisque et de l’Identité Nationale, de l’effondrement conjoint du moral des ménages et du pouvoir d’achat (car le moral est lié intrinsèquement au pouvoir d’achat : voilà où nous sommes rendus), des tensions internationales et de la blingblingation de la France, des communautarismes imbéciles, des mariages annulés parce que l’épouse n’était pas vierge, des ressentiments sociaux évacués dans l’Eurofoot (hélas la catharsis a fait pschittt ! les Français sont éliminés ! ah, les nuls ! il faut par conséquent trouver un exutoire d’urgence : je propose de les lyncher en place publique), des égoïsmes décomplexés, des individualismes forcenés, des mémoires effacées, des politiques de saccage culturel, et des Rafales vendus avec le sourire en Arabie Saoudite. Et qu’est-ce que je fais, moi, au beau milieu de ce temps ? Je redécore le fond de mon tiroir. Il y fait frais. Voici l’état des lieux.

1) Le blog. Je me serai bien amusé tout au long de ce printemps pourrave avec mon joujou, merci beaucoup (grand merci, au fait, à mon webmestre qui préfère demeurer anonyme, son nom de famille étant compromettant). Mais je vais très prochainement le mettre en veilleuse, pour ne le réouvrir que lorsque j’aurai écrit un livre. Je crois qu’au fond du fond, je préfère écrire des livres que des blogs.

2) Mes apparitions publiques. Elles se sont multipliées comme jamais cette année. Hé bien, pour être franc, c’est trop. Comme un blog, c’est excitant, un agenda rempli. Mais ce n’est pas ce qui va me permettre d’écrire ce que je cherche. Par conséquent, pédale douce. En ce qui concerne mes apparitions virtuelles : les polémiques continuent de faire rage (ou plutôt de faire enrager) au sujet de la « littérature ado », chez Blandine Longre ou chez Citrouille et son forum [NDLR : ce lien-ci est pour le moment invalide, Citrouille ayant préféré déconnecté son forum où les échanges s’étaient envenimés…], mais désormais je les lis en me retenant de participer (et pourtant, je suis parfois indigné !) ; et en ce qui concerne mes apparitions physiques : ma dernière prestation de la saison aura lieu ce samedi 21 juin, 18h, à Grignan, et ensuite basta, plus rien jusqu’à l’automne. Je vais disparaître un peu, et si tout va bien j’écrirai. Ou même si tout ne va pas bien. Over and off.

3) L’actualité éditoriale : c’est vrai, au fait, « Le fond du tiroir » est, faute de terme plus adéquat, un « éditeur ». Une structure est née, à seule fin de bricoler des livres désintéressés et intéressants. Un premier livre est paru. Tiré à 260 exemplaires, vendu à ce jour à 84 (il en reste 176, mesdames et messieurs !). Etant donné le prix de revient calculé d’après mes frais d’impression et de graphiste, je récupèrerai ma mise, et par conséquent serai en mesure de programmer une autre publication, lorsque j’en aurai vendu 230 : il me restera alors les 30 derniers pour faire du bénef (parce que je suis un vrai biznessman)… Sauf que ce sera moins de 30, finalement, parce que j’en ai donné quelques uns…

Cet opus vit sa vie et engendre des effets à sa mesure, qui est toute petite. Une conséquence notable, toutefois : c’est fou le nombre de gens qui viennent me raconter leurs rêves (de même qu’à l’époque de TS, ils venaient me raconter leur dictionnaire). J’aime beaucoup ça. Certains même m’avouent qu’ils ne se souvenaient jamais de leurs rêves avant d’avoir lu l’Echoppe, ce qui est trop flatteur pour ne pas être suspect. Si je n’avais que ça à faire, je construirais un blog sur le champ où tout un chacun serait invité à écrire son rêve de la nuit dernière (l’idée me paraît tellement bonne que je suis certain que cela existe déjà…).

L’Echoppe est née de cinq conditions propices : le soin, la joie, la liberté, la grâce (au sens de « gratis ») et plus que tout une déterminante complicité avec le Factotum de première classe du FdT, j’ai nommé Patrick Villecourt. Patrick s’est dépassé sur ce bouquin sui generis à la mine gracieuse, mystérieux, homogène et pourtant fourmillant. Je le lui ai déjà dit en privé, mais je le répète devant tout le monde (ça va ? tout le monde est là ? serrez-vous, au fond) : merci, vieux. Nous avons bien travaillé sur cette Echoppe, MAIS ! MAIS ! MAIS ! on va faire encore mieux la prochaine fois. Parlons peu mais parlons bien, parlons de littérature, et d’avenir : voici le programme de publication 2008-2009 du FdT.

L’Echoppe ne sera jamais réimprimée, quelle que soit la durée nécessaire à l’épuisement du stock. Le caractère évanescent de ce volume fugitif comme une volute participe de la beauté du geste.

– Le deuxième livre à paraître devrait s’intituler Le plus beau pays. Il s’agit d’un projet ancien, ressuscité sur le tard, parce que très beau tout compte fait : bref, le profil idéal pour surgir miraculeux, miraculé, estampillé « Fond du tiroir ». C’est un album pour enfants, dans un format cinémascope et en quadri s’il vous plait. On rêve tout haut, on l’imagine, on ne se refuse rien, on ne vous dit que ça… Le texte est provisoirement-définitivement achevé, mais en revanche Patrick a une masse de boulot à accomplir sur les illustrations, encore plus conséquente que pour l’Echoppe. Donc on peut annoncer sa sortie pour l’hiver prochain, mais seulement pour pouvoir la retarder quand on sera parvenu là.

– Le troisième livre serait La légende du monde. Pour celui-ci, c’est surtout à moi qu’il appartient de turbiner (quoique la mise en page, à nouveau confiée à l’indispensable Factotum, sera croquignolette). Il s’agit de mon projet en alexandrins, ma saga du quotidien, mon chantier à la fois le plus sublime et le plus dérisoire. Lui aussi, il ne pourrait trouver place nulle part ailleurs qu’au Fond du tiroir. J’en ai écrit environ 15%, par conséquent son achèvement n’est pas envisageable avant 2009.

– Je ne voulais éditer au Fond du tiroir que les manuscrits au fond de MON tiroir… Sauf si je trouvais un manuscrit meilleur que les miens. Or, je crois que j’en tiens un. J’ai sous le coude un excellent texte, et encore, excellent dans une version inachevée. Son auteur est prévenu : voilà un roman que j’aimerais éditer ; mais le choix lui appartient : soit il a pour son texte de grandes ambitions, et il le propose à Galligrasseuil, soit il adhère à la démarche FdT (Soin, joie, liberté, grâce et complicité : maison de qualité, fondée en 2008), et il recherche exclusivement l’élégance et la perfection du geste, pour une distribution éthérée et underground. Ceci dit, j’apprends, je progresse, je corrige, pour ce livre-ci je ne ferai pas comme pour l’Echoppe : je ferai un tirage suffisant pour pouvoir dégager une marge adéquate permettant un dépôt en librairie. (Je rappelle que l’Echoppe n’est pas vendue en librairie pour une raison simple : la marge des libraires, environ 30%, m’obligerait à leur vendre ce livre moins cher que ce qu’il m’a coûté).

– Entre temps (mais quand ?) le FdT sera, je le suppose, devenu une association pour accéder à un statut juridique et financier. Plus ça va, plus ça ressemblera à un vrai éditeur. Dingue, non ?

– Reste le cas, sensible, d’un de mes livres publié ailleurs, et épuisé. Je suis très indécis. Savoir ce livre indisponible me brise le coeur et les couilles (excusez mon français). Je ne crois pas que le FdT soit l’éditeur qui convienne à ce livre, qui mériterait une vraie distribution, mais peut-être que je pourrais au moins faire un tirage d’appoint, une grosse poignée d’exemplaires en attendant qu’il trouve un vrai éditeur, afin de vivoter en attendant. Quoiqu’il en soit je ne ferai rien sans l’avis du co-auteur, et bien sûr de l’actuel détenteur des droits.

Voilà ! Toutes ces ambitions doivent être nuancées par les finances. Contrairement à certains éditeurs intrépides et torpillés, je ne veux en aucun cas (EN, AUCUN, CAS) dépenser de l’argent que je n’ai pas. Or, sur ce splendide planning, je n’ai, en l’état actuel, les moyens de financer que la moitié d’un seul livre (Le plus beau pays, a priori). Pour les suivants, il faudra attendre que de l’argent rentre, afin de le faire sortir.

Par ailleurs, j’ai des projets pour d’autres éditeurs, bien sûr. Jean II le Bon, et peut-être L’arbre et le bâton pour Magnier, et, à plus court terme, le bref 1969 pour Pré carré.

Et pendant ce temps, la planète se réchauffe, le moral s’effondre, etc.

Et maintenant, mesdames et messieurs, j’administre la preuve

12/06/2008 3 commentaires

Ah, au fait, je ne vous ai pas raconté ma riche journée de présentation des Giètes, à Lyon, le mardi 20 mai.

J’ai d’abord rencontré des élèves de seconde du lycée Charles de Foucauld, dans la librairie « La marmite aux livres ». Ces jeunes filles et jeunes gens assis par terre étaient extrêmement réceptifs, comme en témoignent leurs compte-rendus. Ainsi la preuve est définitivement faite : Les Giètes est bel et bien un livre jeunesse.

Ensuite, le soir à la brune, Christophe Sacchettini à la flûte, aux percus et au psaltérion, et moi-même livre en main, avons redonné notre lecture musicale du même ouvrage (ah, qu’est-ce qu’on l’aime, notre petit spectacle ! on va le rejouer au moins deux fois, en Savoie en août, en Ardèche en septembre, et plus encore j’espère), dans le salon au parquet luisant et craquant d’un appartement cossu, meublé avec goût, ceci dans le cadre des « Mardis d’Isabelle ». Le public ce soir-là, bien élevé, assis dans de confortables fauteuils Voltaire, et offrant à la vue de qui déclame un âge moyen tout à fait respectable, en est ressorti charmé et conquis (sans me vanter, hein). Ainsi la preuve est définitivement faite : Les Giètes est bel et bien un livre adulte.

Cher Martin

11/06/2008 un commentaire

La librairie la Dérive fêtera ses 30 ans les 3 et 4 octobre prochains. Ils m’ont très gentiment convié à la fête, notamment pour une rencontre conjointe avec ma bonne marraine Jeanne Benameur, et pour une contribution à leur revue, Rives et dérives, où chaque auteur qu’ils ont reçu par le passé est invité à rédiger un texte sur le thème, pas pire qu’un autre : « Emotion de lecture« . J’avant-premièrise ci-dessous mon article, en espérant que cela ne les fâchera pas… Je ne crois pas que le présent blog et leur revue aient beaucoup de lecteurs en commun, de toute façon… Et puis d’ailleurs, avant qu’il paraisse là-bas, je l’aurai sans doute entièrement remanié…

« Mon émotion, ma grande émotion de lecteur en 2008, c’est Martin Eden de Jack London. L’an zéro huit n’est pas terminé, mais je crois que sa tonalité dominante ne bougera plus. Ah, cher Martin ! Pauvre Martin ! Quelle force de la nature, et pourtant quelle simplicité ! Quels tourments, et pourtant quelle joie ! Quelle évidence, et pourtant quel art ! Quelle santé, et pourtant quelle horreur. Quelle vie. Quel livre.
Les grands livres sont des bornes dans notre histoire intime et infime. Même quand nous les relisons périodiquement, et forcément nous les relisons, pour savoir comment ils ont changé, comment nous avons changé, comment en somme ils nous ont changés, leur première lecture a marqué le temps qui nous est imparti.
C’est ainsi qu’il convient de mettre régulièrement à jour son curriculum emotionae. 2008 = Martin Eden, de la même façon que, en vrac, 2005 = Hyvernaud ; 1989 = Céline ; 1999 = Agota Kristof ; 1990 = Perec ; 2002 = Ernaux ; 1994 = Borges ; 1987 = Kafka ; 1992 = Guibert ; 1991 = Leiris ; 2004 = Grégoire Bouillier ; 1997 = Guy Debord ; 1985 = Alan Moore.
Et le tout premier, je crois, 1977 = René Goscinny. Dire que je ne me souviens pas de toutes mes années ! Certaines sont peut-être des années vides. Quel gâchis ! Et nous qui sommes mortels.
Rien à voir avec la chronologie ou l’actualité éditoriale. On lit les livres quand on peut, ou quand on doit. Martin Eden (paru en 1908, à un siècle tout rond d’ici) m’a été placé dans les mains par un écrivain, Jean-Marc Mathis. « Tiens, tu lis ça tout de suite. Quiconque écrit doit lire ce livre. » Or, voilà qu’il avait raison. Tout était là, c’est vrai. Merci, Mathis, merci encore. Je l’ai lu à 39 ans, ébloui, et nostalgique de la lecture que je n’en ai pas faite à 16 ans. Depuis, je le fais circuler. Je le prête, je l’offre, je le place à mon tour entre les mains de quiconque écrit, mais aussi bien de quiconque lit, c’est la moindre des choses. Parfois on me remercie après coup, parfois on me dit : « Ah mais attends, tu débarques, c’est mon livre de chevet depuis 30 ans ! », et on m’en récite une phrase. Les émotions circulent, frémissent, vivent, et sont encore plus belles. »

Nous y trouverons leur poussière (et la trace de leurs vertus)

10/06/2008 Aucun commentaire

Pour des raisons connues, je ne refuse jamais un service à l’Arald. De proposition en invitation, J’en viendrais presque à tenir un agenda mondain, moi qui suis fait pour les cocktails comme un pingouin pour la traversée du désert. Une petite signature dans une librairie ? Naturellement, allons-y, j’allais justement vous le proposer ! Et ne voudriez-vous pas faire partie du jury pour la prochaine attribution du prix du livre Rhône-Alpes jeunesse ? Mais comment donc, bien volontiers, me voici, par élémentaire gratitude autant que par curiosité.

Dernière offre impossible à refuser : on vient de m’inviter à donner une lecture à l’occasion de la sortie du livre Dans les pas des écrivains en Rhône-Alpes. Oh, mais naturellement, à votre service, tout le plaisir est pour moi. L’événement aura lieu, donc, lundi prochain 16 juin, à l’antenne régionale de Grenoble, 2 rue de la Poste. Le principe, c’est que des écrivains vivants rendent hommage à des écrivains morts, en lisant quelques pages que ces derniers (les derniers furent les premiers, comme on sait) ont consacré à la région Rhône-Alpes.

La liste des morts m’a été remise ; je ne connais pas celle des vivants, à part moi, mais je sais au moins qu’il y aura mon excellente camarade Elisabeth Combres.

Ce que je vais lire ? Je n’ai pas encore choisi. Je vais m’efforcer de contourner Stendhal. Sûrement Perec, comme de juste. Peut-être Giono. Peut-être Sade, pour rire. Peut-être Frédéric Dard. On va voir.

Echoppe bonus

06/06/2008 4 commentaires

L’Echoppe enténébrée (70 exemplaires écoulés sur un tirage de 260) comprend vingt-six articles. En voici un vingt-septième, déballé dans l’arrière-boutique.

Rêve de la reformation des Beatles

Vendredi 22 février 2008

Je me trouve dans un centre de vacances en été, comme quand je faisais des colos. Une réunion se prépare, préparation ou débriefing des animations en cours, et je suis tenu d’y assister. Nous nous retrouvons dans une sorte de salle des fêtes un peu délabrée, un peu miteuse, qui ressemble à la salle polyvalente des Saillants du Gua, dans une lumière très crue. Le but de cette réunion est la reformation des Beatles. Un cercle de chaise en plastique a été aménagé, nous nous asseyons, tout le monde est en short, en T-shirt, en sandales, il fait très chaud. Je remarque la présence des deux Beatles survivants, George Harisson et Ringo Starr [dans la réalité les deux survivants ne sont pas tout à fait ceux-là], qui sont là pour recruter les deux nouveaux membres. Je surprends des conversations, et j’apprends que je suis pressenti pour tenir la batterie dans la nouvelle formation. Je suis très embêté, parce que je n’ai jamais joué de batterie de ma vie, mais faire partie des Beatles, c’est quand même une sacrée occasion, ce serait dommage de louper ça, ça ne se refuse pas. J’échafaude des stratégies, je peux toujours leur dire oui maintenant, et ensuite proposer de jouer du tuba à la place de la batterie. Nous faisons un tour de table (il n’y a pas de table). Quand arrive mon tour, je me présente, « Fabrice Vigne, je suis né en 1969 »… Là-dessus Harisson sourit et glisse à l’oreille de son collègue : « Ah, 1969 ! Tu te souviens ? Nous étions en Inde. » Je suis très impressionné, mais je suis apparemment le seul dans l’assistance. Peut-être que toutes les personnes présentes dans cette salle des fêtes étaient elles aussi en Inde en 1969 ?

Soudain, je trouve saugrenu qu’on me propose la batterie alors que Ringo Starr est vivant, et même assis juste à côté de moi. Il semble deviner mes pensées et me donne une tape amicale sur l’épaule en me disant : « T’inquiète pas, tout va bien se passer ». Qu’est-ce qu’il est sympa, ce Ringo Starr. J’espère qu’il va me donner quelques tuyaux, pour la batterie. Je vais essayer de m’asseoir à côté de lui à la cantine.

Je me réveille.

Bons baisers d’Annemasse

01/06/2008 4 commentaires

J’arrive.

J’achève mon mai surchargé, ma tournée VRP littéraire. Je défais mes valises, je recharge mes batteries, j’home sweet home.

Bilan chiffré de ma villégiature au Festival du livre jeunesse d’Annemasse : une semaine d’animations scolaires autour de mon petit Posthume à fond le planning (record absolu pour la journée du vendredi : j’ai fait face à 9 classes en cinq séances, de 8h du mat à 17h, puis table-ronde tout-public le soir, soit environ une dizaine d’heures debout sur le pont – j’explose les préconisations de la Charte allègrement, et de mon propre chef dois-je préciser afin de ne mettre personne en porte-à-faux), 28 classes au total, presque uniquement des 6e et des 5e, sauf des CM1-CM2 le dernier jour, soit un certain nombre d’occurrences de la question « Comment devient-on auteur » m’obligeant sans relâche à trouver des vérités au fond de mes variations, quelques 600 gamins, quelques adultes, des bibliothécaires très pros et charmantes (merci Nadine, Céline, Catherine, etceterine), des documentalistes désabusées, des libraires volubiles, des lecteurs, des non-lecteurs, des enfants épatés, des enfants blasés, de la pluie et du ciel gris et ensuite de la pluie, des tas de kilomètres en voiture pour passer d’un collège à l’autre (les lignes de crête et les paysages autour d’Annemasse sont superbes, alors que la ville est, au mieux, quelconque), quatre nuits d’hôtel et quatre jours de repas en cantine (beaucoup de frites, aucun fruit, le scorbut rôde), une dizaine d’auteurs alentour (collègues et parfois amis, salut Mathis), un débat ludique et étrange où les auteurs esquissent puis abandonnent une discussion sur la matière première des livres (des mots ? des idées ? des émotions ? qu’ai-je à dire là-dessus ? où suis-je ?), et durant lequel Bruno Gibert estime que ces questions sont mauvaises et que les seules correctes à lui poser seraient « Comment allez-vous ? Etes-vous heureux ? », enfin un salon sous chapiteau, presque dix livres vendus et dédicacés en quatre heures s’il vous plait – dont deux exemplaires de l’Echoppe.

Que dire ? J’aime et je sature, ces apparitions publiques m’usent et m’amusent, sont tout à la fois éreintantes et trop faciles. Je raconte aux enfants que ce que je voulais, moi, et dès longtemps, ce n’est pas « être auteur », mais « écrire », et que s’ils comprennent la nuance, ils ont saisi la moitié de ce que je peux leur apporter dans l’heure que nous passerons ensemble ; qu’écrire est difficile, qu’alors je suis tout seul avec mon stylo, ma cervelle et mes nerfs, et qu’il faut gratter et creuser et sculpter et fouailler et formuler et aboutir, et que c’est là l’enjeu, c’est là le but, c’est là l’envie viscérale, le risque de réussir ou échouer ; qu’en revanche « être auteur », c’est seulement ce que je suis en train de faire devant eux, mon show, pas désagréable, mais pas comparable, « être auteur » c’est juste être pris pour un auteur, fastoche, je ne suis pas très inquiet, j’y arriverai presque à coup sûr, même avec la neuvième classe de la journée. J’essaye de nouer un vrai contact à chaque fois, de ne pas me caricaturer, de ne pas réciter. Au bout de la semaine, forcément, c’est moins commode qu’au début.

« Etre auteur » est largement mieux payé qu’ « écrire ». C’est bizarre. Mais peut-être pas anormal, par les tristes temps qui courent.

Des anecdotes, des impressions ? Oui, bien sûr, plein.

Je cherche toujours à identifier, représentation après représentation, ce qui distingue une classe d’une autre, afin de n’avoir pas un souvenir unique, global et flou, qui me ferait croire qu »Annemasse c’est comme ceci » ou « comme cela ». Ainsi j’ai, comme jamais auparavant, perçu la différence entre les 6e et les 5e. J’exprime platement, et peut-être naïvement, ce que j’ai ressenti comme une révélation : au fil du compte à rebours, entre le six et le cinq, c’est tout l’abîme qui sépare l’enfance et l’adolescence. Les 6e sont encore spontanés et curieux, ils emplissent la salle par le premier rang ; les 5e sont déjà soupçonneux et ricaneurs, un peu ailleurs, et ils emplissent la salle en commençant par le dernier rang.

Autre hiatus, et pas moindre : les collèges publics et privés. On a beau se trouver, dans chacun de ces deux mondes, en face d’enfants, et savoir que tous les enfants sont comme le tien, les enfants ici et là n’ont pas le même rapport à l’argent, à la réussite, à l’avenir. Ceux du public rament, ils auront à se battre et se battent déjà ; ceux du privé sont souvent meilleurs élèves, mais sans trop se forcer (mentalité frontalière qu’un documentaliste m’a expliquée : à quoi bon foutre quoi que ce soit à l’école, puisque je peux comme papa et maman gagner ma vie en Suisse, quatre fois mieux qu’en France ?). Du coup, des nuances existent dans leurs réactions : quand je leur explique que « Non, je ne gagne pas ma vie avec mes livres, mais tant mieux, je ne les fais pas pour l’argent, je les fais pour quelque chose de plus important, car à part lorsqu’on a faim (et je n’ai pas faim), l’argent est la pire raison de faire quoi que ce soit, c’est avilissant », certes Je leur parle une langue étrangère des deux côtés de la guerre scolaire ; mais dans le public ils me prennent pour un fou, tandis que dans le privé ils me prennent pour un con.

Lors d’une rencontre avec une 5e, une fille assise au fond du CDI n’a pas dit un mot, et semblait même ne rien écouter. Après la sonnerie, quand tous déguerpissaient vite-vite, elle est passée devant moi et, toujours sans un mot, m’a remis ce qu’elle avait fait de cette heure-ci : un portrait de moi qui, pour ce que je sais de mon apparence, est étrangement ressemblant. Merci Mylène.