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ᏍᏏᏉᏯ

18/04/2014 un commentaire

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ᏏᏉᏯ (ᏍᏏᏉᏯ Ssiquoya ᎭᏫᎾᏗᏢ ᏣᎳᎩ) (ca. 1767 – ᎫᏰᏉᏂ ᎠᎴ ᎦᎶᏂ 1843), ᎤᎾᏅᏛ ᏥᏄᏍᏗ ᏣᏥ ᎢᏰᎵᏍᏗ, ᎠᏓᏩᏛᎯᏙᎯ ᎠᎴ ᎠᎴᏂᏙᎲ, ᏥᏄᏍᏛᎩ ᏣᎳᎩ ᎠᏕᎸ ᎤᏁᎬ ᎠᏥᏅᏏᏓᏍᏗ ᎦᎪ ᎪᎷᏩᏛᏗ ᎯᎠ ᏣᎳᎩ ᏗᎪᏪᎵ, ᎯᎠ ᎢᏴ ᎠᏓᏠᎯᏍᏗ ᎾᏍᎩ ᎠᏍᎦᏯ ᏀᎾᎢ ᏀᎾ ᎯᎠ ᏙᎪᏩᎸ ᎪᎷᏩᏛᏗ ᎠᏃᏪᎵᏍᎬ ᎢᏯᏛᏁᎵᏓᏍᏗ.

ᎾᎥ ᏔᎾᏏ ᏛᏍᎩᏥ ᏙᏧᏙᎥ ᎦᏚᎲ, ᎤᎿ ᎨᏎ ᎤᎨᏓᎵᏴ ᏕᎨᎦᏨᏍᏔᏁ ᎠᏣᎳᎩ ᎤᎬᏩᏳᎯ ᎤᏪᏥ, ᏭᏖ, ᏃᏊᎴ ᏅᏕᏂᎵ ᎩᏍᏗ. ᏗᎦᏁᎦ ᏗᎦᎾᏕᎩ ᎨᏎ ᏅᏕᏂᎵ. ᏭᏕᏁ ᏏᏉᏯ ᎦᎵᏆᏍᎪ ᎦᎵᏆᏚ ᏑᏓᎵ ᎤᏕᏗᏴᏌᏗᏒᎢ.

ᎠᏲᏟ ᏥᎨᏎ ᎤᏓᏂᏰ ᏔᎾᏏ ᎤᎾᎴᏅ ᎠᏂᏲᏁᎦ ᎠᏂᎷᎬᎢ. ᏣᏥᏱ ᏗᏝ ᏭᏓᏅᏎ ᏭᏕᎶᏆᎡ ᏧᎸᏫᏍᏓᏁᏗ ᎪᏢᏅᏍᎬ ᎠᏕᎳ ᎤᏁᎦ ᎢᎬᏗᏍᎬ. ᎠᏍᎦᏯ ᎤᏩᏎ ᎤᏬᏢᏅ, ᎠᏥᏁᏍᏓ ᏁᎴ ᏏᏉᏯ ᏚᏙᎥ ᎤᏬᏪᎶᏗ ᎤᏬᏢᏅᏅ ᎦᎾᏕᎬ. ᎤᏚᎸᎮ ᏚᏙᎥ ᎤᏬᏪᎶᏗ ᏏᏉᏯ. ᎠᏎᏃ Ꮭ ᏯᎦᏔᎮ ᎤᏬᏪᎶᏗ. ᎪᏟᎩ ᎨᏎ ᎤᏪᎿᎢ ᎠᏍᎦᏯ ᏗᎦᎶᎩᏍᎩ. ᏣᎵ ᏧᏙᎢᏓ ᎥᏍᎩᏃ ᎤᏎᎮᎴ ᏲᏁᎦ ᎢᎬᏗ ᏚᏙᎥ ᎤᏬᏪᎳᎾ. ᎾᎯᏳ, ᏁᎳᏚ-ᏐᏁᎳ ᎤᎴᏅᎮ ᎠᏓᏅᏕᏍᎬ ᏣᎳᎩ ᎪᏪᎶᏗ. ᎤᏓᏅᏒ ᎠᎳᏆᎹ ᏗᏝ ᏬᎶᏒᎢ. ᏭᏖᎳᏕ ᏣᎳᎩ ᎠᏂᏲᏍᎩ ᎠᎾᏟᎲ ᎤᎾᏙᏢᏒᎢ. ᎾᎯᏳ ᏓᎿᏩ ᎠᏍᏆᎵᏍᎬ ᎤᏕᎳᎰᏎ ᏂᎦᎥ ᎦᎷᎶᎬ ᏣᎳᎩ ᎪᏪᎶᏗ. ᎬᏩᎵᏨ ᎨᎡ ᏙᏧᏁᏅᏒ ᏗᎪᏪᎵ ᏧᏃᏪᎳᏅ ᏫᏚᏂᏅᏗ ᎠᎴ ᎤᏃᏪᎶᏗ ᏂᎦᎵᏍᏔᏅᏍᎬᎢ.

ᏓᎿᏩ ᎤᎵᏍᏆᏙᎾ ᎤᎴᏅᎮ ᏙᏳ ᎨᏒ ᏚᎸᏫᏍᏓᏁᎲ ᏕᎪᏢᏍᎬ ᏣᎳᎩ ᏗᎪᏪᎶᏗ. ᎤᎴᏅᎮ ᏕᎪᏪᎵᏍᎬ ᏂᎦᎵᏍᏗᏍᎬ ᎦᏁᎬᎢ. ᏁᎵᏍᎪ ᏑᏓᎵ ᎢᏳᏓᎴᎩ ᎦᏁᏍᏗ ᏚᏬᏪᎳᏁᎢ. ᎤᏍᏗ ᎠᎨᏳᏣ ᎤᏪᏥ, ᎠᏲᎦ ᏧᏙᎢᏓ, ᎠᎯᏓ ᎤᏕᎶᏆᎡᎢ ᎤᏬᏪᎶᏗ ᏣᎳᎩ. ᎤᏎᎮᎴ ᏔᎵᏁ ᎠᎾᏟᏅᏢ, ᏣᏥ Lowery, ᏙᏱᏗᏝ ᏭᏎᎮᎴ ᎤᏪᏅᏍᏗ ᎠᏲᎦ, ᏅᏊ ᏅᏛᏛᏁᎢ ᎪᎰᏍᏗ ᏣᏥ. ᏏᏉᏯ ᎤᏬᏪᎳᏁ ᎤᏬᎭᎵᏴᏓ ᏅᏊᎴ ᎤᏛᏛᏁᎢ ᎠᏲᎦ ᎤᎪᎵᏰᏗᎢ. ᎤᏍᏗᏰᏔᏁ ᏣᏥ ᎠᏂᏐᎢ ᏴᏫ ᏧᏎᎮᏗ ᏂᎬᏁᎲ ᏕᎪᏪᎵᏍᎬᎢ. ᏁᎳᏚ ᏌᏊᏦᏁ, ᎤᎾᏠᏯᏍᏔᏁ ᏣᎳᎩ ᎠᏰᏟ ᎤᎾᏤᎵ ᎤᏅᏔᏁ ᏗᏣᎳᎩ ᏗᎪᏪᎶᏗ.

ᏏᏉᏯ ᏃᏊᎴ ᎤᏓᏅᏎ ᏭᏕᎵᎬ ᏗᏝ, ᏲᏁᎬ ᏙᏧᏙᎥ ᏭᎶᏎᎢ. ᎠᎹᎭ ᎠᎹ ᎦᎶᏗᏍᎨ ᎤᏔᎾ ᏧᎳᏍᎩᎢ. ᏳᎧᏲᏌ ᎠᎹ ᎠᏘᏯᏍᎨ ᎠᎹ, ᏃᏊ ᏫᎦᎾᏕᎨᎢ. ᏁᎳᏚ ᏅᎩᏦᏁ ᎤᏕᏘᏴᏌᏗᏒ ᎢᏤ ᎢᏦᏓ ᎢᎬᎾᏕᎾ ᏗᏂᎳᏫᎩ ᎤᎾᏓᏡᎬ ᎤᏃᏢᏁ ᎤᏯᏟᏗ. ᎣᏂᏊᏳᏍᏗ ᎤᏅᎪᏤ ᏗᎦᎴᏔᏅ, ᏣᎳᎩ ᏧᎴᎯᏌᏅ, ᎤᎿ ᎥᏍᏊ ᎦᏚᎲ. ᏁᎳᏚ-ᏧᏁᎵᏦᏁ ᏣᎦᏟᎶᏍᏔᏅ ᎤᏂᏑᏫᏎ ᏩᏒᏓᏂ ᏩᏂᎦᏛ ᏧᏄᎦᏙᏗ ᎨᏥᎢᎸᏍᏗ ᏲᏁᎬ ᎤᎦᎳᎰᎹ ᏗᏝ.

ᎠᏂᏍᏆᏂ ᏗᏁᎲ ᏗᏝ, ᎢᎦᏓ ᎠᏂᏣᎳᎩ ᎤᎿ ᏥᏭᏂᎶᏒ ᏓᏲᎲ ᎪᎱᏍᏗ ᏧᏩᏂ ᏭᏲᎱᏎ ᏁᎳᏚ ᏅᏍᎪ ᏦᎢ ᎤᏕᏗᏴᏌᏗᏒᎢ. Ꮭ ᎩᎶ ᏳᏅᏔ ᎤᎿᎢ ᎦᏂᏌᎲᎢ.

Toute une vie bien terminée

12/04/2014 un commentaire

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On trouve sur le blog de Fabrice Colin un très beau projet qui incite à parler à ses morts. J’ai envie de participer, mais je laisserai sûrement passer la date.

Oh merde, le temps d’écrire ceci, j’ai un mort de plus. À l’âge encore infantile de 64 ans, Pierre Autin-Grenier a fini par succomber ce matin à son cancer – appelons un chat Mistigri, pas la peine d’user de la périphrase pénible longue maladie, ça ne nous portera pas davantage malheur.

J’adorais le bonhomme, j’adorerai encore l’écrivain. Le premier était joyeux, libre et libertaire, chaleureux et désopilant, une voix de titi dans une carcasse de colosse ; le second était tout pareil, mais désespéré en plus. Une élégance folle. Un modèle pour la jeunesse française (enfin, modèle, façon de parler… ne fumez pas jeunes gens, ne picolez pas trop).

Je le voyais chaque année au délicieux salon du livre de Montfroc, on causait de littérature, mais surtout on buvait des coups et on disait plein de bêtises, on riait comme des vivants, on braillait en pleine nuit et en pleine rue Prenez garde à la jeune garde, c’était bien, elle avait une drôle de gueule avec nous la jeune garde.

Condoléances et embrassades et tendresses à Aline.

(J’ai appris la nouvelle de la bouche d’Hervé Bougel, à l’heure d’ouverture du salon du livre de Grenoble, ah ben merci beaucoup Hervé, de quoi plomber le jour. Désormais il nous appartient, en hommage, de causer littérature, d’Aimer boire et chanter, entre vivants – photo de mézigue et RVB ci-dessous prise le jour même sur le salon.)

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Redouble (2/2)

01/04/2014 Aucun commentaire

La modernité, c'est nous.

Quoi, encore un article sur Double tranchant ? Plus qu’un, c’est promis ! Suite-et-fin de celui-ci. Après j’arrête.

Dernier rappel avant décollage ! Le nouveau tirage de Double tranchant est sous presse ! Il était très beau, il sera magnifique ! Commandez-le dès tout de suite ! Vous vous ferez plaisir, et vous nous rendrez service. Comme ce majestueux quoique délicat volume est imprimé en offset, le premier exemplaire est de loin le plus cher à fabriquer. Ensuite, une fois les couleurs calées (surtout le rouge), la machine lancée, les rotatives crachent l’œuvre et les prix de revient décroissent… Toutefois il nous faut atteindre un certain palier afin d’éviter les coûts exorbitants. Ici, le palier est 400. Quatre cents coups, quatre cents coûts. 400 exemplaires de Double tranchant s’entassent bientôt mon garage, par cartons de 40. Peut-être le vôtre s’y trouve-t-il. Ne l’y laissez pas, il a peur du noir.

Hasard (ou pas) du calendrier, le dossier de présentation du spectacle musical Double tranchant et son double est enfin prêt. Vous souhaitez accueillir MM. Pignol, Sacchettini et Vigne dans votre T2 sous les toits, ou dans votre auditorium de 800 places, pour un happening électro-artisanal ? Consultez ce dossier en ligne, puis appelez-moi, qu’on discute.

Que resterait-il à révéler, pour le plaisir de l’anecdote ? Parmi les modifications apportées par cette version revue et corrigée, une nécessaire ; une autre très heureuse.

La nécessaire, c’est une coquille corrigée. Remarquez, elle était mignonne, je l’aimais bien. Mais elle faisait tache. Je vous raconte : au détour d’une phrase, le coutelier narrateur, tripotant son couteau, murmure en lui-même « De mon poing gauche je sers ma lame… » Du verbe servir, troisième groupe. Le gars en somme s’avoue serviteur de son couteau, lapsus loin du contresens, mais tant pis, j’ai préféré rétablir : « De mon poing gauche je serre ma lame », serrer, premier groupe.

La très heureuse, c’est l’apparition au générique du nom d’un des acteurs sinécoinonnes. L’impeccable graphiste qui conçut visuellement ce livre, innombrables trouvailles en prime, avait préféré lors du tirage initial jouer la discrétion… Cette fois-ci, elle a accepté (j’ai insisté) que son nom figure dans le colophon. Justice est enfin rendue à son travail. Elle s’appelle Muriel Truchet. Gloire à elle et mille grâces.

Il n’y a d’autre Dieu que Dieu

30/03/2014 Aucun commentaire

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Dimanche de vote. J’aime bien voter. J’aime bien la démocratie en général. J’aime bien, en général, la France, je m’y promène, je m’y extasie, c’est drôlement beau en fait la France, c’est comme la démocratie, il faut aller la voir pour le croire.

Par exemple je me suis promené il y a quelques semaines à Perpignan. Enchanté, Perpignan. J’avais entendu parler de vous. Je vous trouve charmante.

À Perpignan, j’ai longuement visité le très curieux palais des rois de Majorque. J’y ai vu une chose, je crois, unique au monde. Dans la chapelle haute des rois très chrétiens de cet éphémère (1229-1349) micro-royaume, une frise fait le tour des quatre murs à hauteur des yeux, en petits carrés verts et rouges, mosaïque de trompe l’oeil, ainsi que le rideau peint au-dessous d’elle. Cette frise a longtemps été considérée comme purement ornementale, abstraite, une (bien nommée) arabesque, mais finalement les historiens et archéologues ont fini par reconnaître dans le motif sériel des mots articulés. Du langage commun, et non des traits laissés à l’imagination d’un artiste.

Il s’agissait ni plus ni moins de l’inscription en caractères coufiques, stylisée jusqu’à l’abstraction de la première moitié de la chahada : ašhadu an lâ ilâha illa-llâh. Il n’y a d’autre Dieu que Dieu. La première phrase de la profession de foi des musulmans. Dans un lieu de culte chrétien. Juste ciel, comme qui dirait.

La bizarrerie de cette inscription déplacée n’a choqué personne pendant la courte vie de cette chapelle. Elle s’explique par une notion qui, elle aussi, semble incongrue selon les époques : la tolérance. La culture arabo-andalouse circulait alors des deux côtés des Pyrénées et de la mer, certes au fil des guerres, mais aussi par la grâce des échanges entre les hommes, entre les clercs, entre les souverains, entre les lettrés. On se connaissait, on commerçait, on s’épousait même entre Chrétiens, Musulmans, et Juifs (deux par deux, j’entends, hein). Fatalement, quelqu’un s’est rendu compte que cette phrase, il n’y a d’autre Dieu que Dieu, s’appliquait aussi bien aux trois religions, et que la chahada ferait une chouette déco dans une chapelle dédiée au Christ, que le témoignage de foi mauresque n’allait pas se battre avec le crucifix posé à côté.

Trois religions, un seul Dieu. Les points communs plus importants que les différences.

Ensuite le royaume a été englouti dans les replis du Moyen-âge, le palais a fait la culbute, et pendant les siècles suivants la bâtisse a servi de caserne à des militaires revêtus de divers uniformes. Les soudards n’avaient pas beaucoup d’égard pour les traces du passé. La chapelle leur a longtemps servi de dortoir.

Perpignan fait partie des villes qui courent le risque, aujourd’hui, de tomber dans l’escarcelle du Front National. J’écoute la radio.

20h, les résultats s’égrainent. Le FN n’a pas emporté Perpignan. Mais Béziers, Fréjus, Hayange, Beaucaire, Villers-Cotterêts, Le Luc, Le Pontet et Cogolin.

Cinq strates

27/03/2014 Aucun commentaire

structureL’industrie culturelle de masse fonctionne, à l’image de la grande distribution, du prêt-à-porter ou du fast food, par franchises, par déclinaison des marques connues du public. C’est-à-dire qu’elle produit ses marchandises selon des plans quinquennaux (exemple : Star Wars VII 2015, Star Wars VIII 2017, Star Wars IX 2019) sous la forme de ce que l’on nomme des séquelles, des prolongements d’œuvres antérieures qui, quelles que fussent leurs valeurs propres et notamment leurs qualités d’achèvement ou d’inachèvement, ont marché, ont fait rentrer de la maille. Ainsi sont fabriqués suites, remakes, reboots, spin-off et autres variations, selon un crédo relevant non de l’esthétique mais du marketing : Ce qui a marché marchera. Le résultat est parfois ridicule, parfois terrifiant de nullité, parfois bon, le plus souvent insignifiant… peu importe, pas de règle générale, puisque la nécessité de leur existence ne réside pas dans leur excellence.

Si l’on était aussi courageux que cohérent, on se ferait une règle de boycotter absolument la consommation de toutes ces séquelles. Sauf que les dogmes sont toujours tristes.

Et la curiosité l’emporte. Je viens de lire la gamme de comics Before Watchmen, qui a l’outrecuidance de broder autour d’une œuvre-somme, achevée, parachevée, accomplie, définitive : Watchmen (Alan Moore, Dave Gibbons, 1986), déjà affublée d’une adaptation au cinéma en 2009.

Je n’en attendais rien, je ne suis pas déçu. Quelques bonnes histoires, quelques beaux dessins, mais le sentiment dominant est celui de la paraphrase superflue.

Et pourtant non. Quelque chose m’en reste, une fois le livre refermé. Je repense sans arrêt aux cinq vérités. L’image des couches concentriques, cinq strates d’histoires, comme un plan de coupe géologique, s’enracine et je rumine. L’image est imagination.

L’un des concepteurs du projet, et scénariste de deux des séries, J. Michael Straczynski, a révélé que l’ensemble de l’histoire, des histoires, chacune dévoilant petit à petit le passé d’un personnage, repose sur ce concept, les cinq vérités. Il l’explicite au cours d’une scène, quand un personnage éméché (Hollis Mason) explique à un autre (Dan Dreiberg), juste avant de lui « offrir » un aveu sinistre, que chaque être humain porte en lui « cinq vérités ». Cinq façons de se comprendre, qu’il appartient à chacun de révéler ou non, s’il en a envie, et s’il en est capable. Cinq strates, cinq récits de soi-même ainsi superposés, de la plus publique à la plus intime :
– la vérité qu’il révèle à ses connaissances, à ses relations, à ses collègues, à l’état civil. Enchanté. Pour vous, je suis…
– la vérité qu’il révèle à sa famille, à ses amis. Vous qui me connaissiez à l’époque où je…
– la vérité qu’il révèle à ses amis intimes. Toi qui sais (mais garde le pour toi) que je…
– la vérité qu’il ne révèle qu’à lui-même – par un journal intime, ou la méditation.
– la vérité qu’il n’ose révéler à quiconque, pas même à lui-même – ou alors dans des circonstances exceptionnelles.

Il n’est pas innocent que le personnage qui énonce cette doctrine soit celui qui, dans la trame globale de Watchmen, écrit. Hollis Mason a rédigé ses mémoires, intitulées Sous le masque, pièce importante du puzzle narratif, et incidemment l’on découvre, si longtemps après, comment et pourquoi il les a caviardées. Il a été initié par l’écriture. Il a accompli, écrivant, cette fulgurante découverte : d’où que l’on démarre dans la cartographie, que l’on se situe dans la vérité une, ou deux, ou trois… l’acte d’écrire permet de franchir un palier et d’accéder au cercle suivant. J’adhère sans réserve. J’en ai fait l’expérience. Je me demande aussi, question subsidiaire, laquelle des cinq vérités un blogueur ordinaire (moi, puisque je m’ai comme exemple) donne à ses lecteurs. Jusqu’où vous dire ? Êtes-vous mes relations ? Mes amis ? Mes familiers ? Mes alter ego ? Nous ne sommes pas si intimes, puisque moi je ne connais pas vos vérités.

Et quid de la « vérité » que chacun donne de soi à longueur de journée sur les réseaux dits sociaux ? Milliards de vérités à lire sur la toile…

L’idée des cinq vérités m’a immédiatement frappé par sa force, sa limpidité, sa clarté, son utilité heuristique. Elle m’est apparue si évidente que j’ai supposé spontanément que Straczynski citait une théorie ancienne, sans donner ses sources. Hélas le personnage n’en dit pas davantage, me laissant ignorant de l’origine.  S’agissait-il d’un auteur connu (comme quand on cite « chaque homme est un misérable tas de secrets » et qu’on se dit ah oui, kissékadiçadéjà je l’ai sur le bout de la langue) ? S’agissait-il d’une leçon de sagesse millénaire, bouddhiste ou hindoue ou kabbaliste ou soufie ? De la théorie d’un psychanalyste du XXe siècle, ou de l’un de ses descendants bâtards via la PNL ? De préceptes émis par quelque grand penseur des lumières, où de l’intuition d’un antique ? Des méthodes de travail d’un maître storyteller, conteur ou cinéaste ou romancier, révélant l’agencement d’un de ces mythiques grands romans américains ? D’un occultiste, d’un schizophrène, d’un docteur, d’un poète ? D’un Chinois, d’un Russe, d’un Malien, d’un Toltèque, d’un Français ? S’agissait-il de tout autre chose ?

Après vérification, il s’agit d’une pure invention de J. Michael Straczynski. Je ne dirai plus que Before Watchmen est une vulgaire séquelle superflue. J’en conserverai une idée et quelques questions. Ce n’est pas rien.

En 2014, tout le monde ment

20/03/2014 Aucun commentaire

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Depuis ma brûlante découverte de Martin Eden, sa vigueur, sa profondeur, son actualité, j’ai fait le serment de lire un roman de Jack London par an, comme on fait une cure de raisin pour se purger les entrailles. Je m’y tiens. En 2014 j’ai d’abord lu ceci, excellent livre certes, mais qui ne compte pas, car c’est une adaptation, un produit dérivé.

Mon « vrai » London 2014 date de 1916 : La petite dame dans la grande maison. Or ce roman tombe à point nommé, comme une contribution sur mesure aux débats, sinon sur les genres, du moins sur l’égalité homme-femme, sur l’émancipation des femmes, et autres combats que l’on serait naïf de croire gagnés une fois pour toutes. Le roman s’ouvre sur un portrait du protagoniste, londonien en diable, mâchoire carrée et yeux qui brillent, tout à la fois self made man, aventurier et poète, on imagine Kirk Douglas dans le rôle… Mais très vite le véritable héros du livre se révèle autre, plus original, et plus intéressant : c’est sa femme. Brossant le portrait d’une femme indépendante, choisissant librement sa vie et sa sexualité (l’histoire tourne autour d’un ménage à trois), La petite dame a fait scandale il y a un siècle. Il n’est pas inutile de le lire aujourd’hui.

Parce qu’il y a du boulot, là.

Je côtoie en ce moment des élèves d’un lycée pro au sein d’un dispositif de longue haleine, qui leur permet de rencontrer toutes sortes d’intervenants. Moi d’une part, mais aussi des conseillères conjugales du Planning familial (celui de Grenoble, l’héroïque, le pionnier) – car nous travaillons sur un thème imposé : les rapports filles-garçons. J’ai tenu, la semaine dernière, à assister en simple spectateur à la rencontre entre les ados et les dames du Planning, d’abord pour faire connaissance avant la séance où j’échangerai avec eux à propos de la littérature, ensuite parce que le sujet fille/garçon me titille, l’avouerai-je, davantage que la littérature.

Extrait spécialement marquant de la conversation à bâtons rompus :

– Bon, la contraception, vous savez ce que c’est ?

– Ben, ouais, c’est… comment… un contrat, quoi… C’est tu t’engages à faire quelque chose…

– Non, pas du tout. C’est le moyen d’avoir des rapports sexuels sans faire des enfants.

– Mais, attendez, madame, à propos du viol… Je sais pas si c’est vrai, j’ai entendu dire… Un viol, en fait, c’est pas un viol si on met un capote.

– Comment ? Qu’est-ce que tu veux dire ?

– Ben, si tu mets une capote… Après, y’a plus de preuve. Alors, c’est pas un viol.

– Un viol est un viol, avec ou sans capote ! C’est-à-dire un crime, puni de huit ans de prison. Les prisons sont pleines de violeurs qui ne comprennent toujours pas ce qu’ils ont fait de mal.

– Ben non, c’est pas un viol, puisqu’il n’y a pas de preuves. Je sais ce que je sais…

– Non non non, attends, tu ne peux pas dire ça. Ce serait comme tuer quelqu’un, faire disparaître le corps, et repartir conscience tranquille puisqu’il n’y a « pas eu meurtre ». Capote ou pas, il y a d’autres preuves, à commencer par la parole de la victime. Le témoignage. Ça ne compte pour rien,  la parole ? Une fille qui vient porter plainte pour viol, on ne va pas chercher s’il y a capote ou pas. Il y a viol de toute façon. Prison. Huit ans.

– Mais c’est n’importe quoi, ça… Alors la fille, d’abord elle veut, et ensuite une fois que c’est fait elle veut plus, elle va faire croire qu’elle voulait pas, et elle ira voir les flics ? C’est pas normal, ça ! Elle a pas de preuves !

– Tu crois qu’une fille qui n’a pas été violée va aller voir la police, et se mettre dans la situation humiliante de se plaindre d’un viol pour le plaisir de mentir ?

– Ben ouais, bien sûr ! Eh ! Faut arrêter, là, faut ouvrir les yeux. On est en 2014, tout le monde ment.

Jamais je n’avais reçu, énoncée avec autant de calme, de clarté, de clairvoyance peut-être, la définition du chaos qui nous tient lieu d’écosystème. J’ai bien fait de venir. J’ai froid dans le dos.

Ces mômes vivent dans le chaos, celui qu’on leur laisse, nous, Tapie, Cahuzac, DSK, Sarkozy, etc, le chaos où tout le monde ment, où il est normal de mentir, puisque de haut en bas de la société, des misérables jusqu’aux oligarques, c’est chacun pour sa gueule. Le chaos est là, il est premier, on vient ensuite, on s’adapte, on se conforme, question de survie, ce n’est pas le monde qui s’adaptera pas à nous. La première règle de vie n’est pas respecter les autres et la loi, mais ne pas se faire gauler. Pas de preuve ? Pas de mal. Ces ados sont très bien adaptés. Ils savent, sans même avoir besoin de lire les rapports de la NASA, que la civilisation touche à son terme.

Après, nous discutons, bien sûr. Nous nous trouvons non seulement dans le même monde, mais dans la même salle de classe, alors le contact est possible, nous discutons. C’est long, laborieux, mais nous discutons, et nous arrivons à élever le débat, quelques centimètres au-dessus du chaos.

Je sors du lycée, je jette un œil aux nuages, un peu inquiet, vaguement oppressé. Mais avec une admiration renouvelée, sans bornes, pour l’Education Nationale, pour le Planning Familial, pour tous les travailleurs anti-chaos.

Mise à jour mai 2015 : la preuve rétroactive que le mensonge est normal en 2014.

Redouble (1/2)

19/03/2014 Aucun commentaire

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La réimpression de Double tranchant est lancée. Elle sera prête pour le Printemps du livre de Grenoble en avril, et surtout pour l’anniversaire de la résidence d’auteur-illustrateur de Troyes en juin, qui présentera l’exposition du même nom.

Rappel : Double tranchant, alias Le-Plus-Beau-Livre-du-Fond-du-Tiroir, a été écrit en 2011 par mézigue à Troyes, illustré dans la foulée par l’incomparable Jipé Blanpain (sur la planche, ajoute-t-il, sacré boute-en-train), et imprimé à l’automne 2012 par les Impressions Modernes, Guilherand-Granges. Les stocks étaient modestes. En dépit de son excellent travail, l’imprimeur a commis une fâcheuse boulette qui a amputé le tirage initial (500 ex.) d’un bon tiers, flanqué direct au pilon.

Le reliquat s’est gentiment écoulé, et dix-huit mois plus tard nous frisons l’épuisette. Comme il ne saurait être question que ce fleuron du catalogue FDT reste indisponible, surtout si le spectacle que MM. Sacchettini, Pignol et moi-même en avons tiré (dossier téléchargeab’ ici) est rejoué quelque jour quelque part, il est grand temps de retourner à Guilherand-Granges. Le livre sera-t-il retouché pour l’occasion ? Ben tiens ! C’est un tic, chez moi. Si je relis, je retouche. Fatal. Contrairement au narrateur même de ce livre, je ne crois guère au chef d’œuvre, puisque je ne crois pas à la perfection. Je ne crois qu’au perfectionnement.

Outre moult amendements mineurs du texte, virgules ci et là, laissant peu de pages intactes, c’est l’emballage qui sera le lieu des deux modifications les plus sensibles. D’une part le prix sera désormais mentionné en quat’ de couv’ (Jean-Pierre et moi avions jugé bon ne pas le faire figurer sur le premier tirage… Finalement nous renonçons à cette discrétion de pure coquetterie, malcommode pour les libraires, qui de toute façon ajoutaient le prix à la main). D’autre part, sur le rabat arrière où est énumérée la bibliographie de Mister Blanpain, apparaîtra en médaillon son Autoportrait à la gouge, magnifique linogravure qu’il avait réalisée dans la foulée de celles du livre, mais que seuls les cent premiers souscripteurs avaient eu la chance d’admirer, en tiré à part signé par l’artiste.

En parlant des souscripteurs… D’abord, je les remercie encore et les embrasse sur la bouche un par un, parce que c’est grâce à eux que le budget du tirage initial avait été assemblé sans trop de douleurs. Mais à présent, il me faut lancer un appel similaire. Votre attention, s’il vous plaît.

Je ne puis lever une souscription stricto sensu, et je n’enverrai pas de mail de pub ce coup-ci puisque mon réseau a été mis à contribution dès la première fois. Mais, comme à chaque période où le Fond du tiroir se lance dans la fabrication d’un livre, il engage un argent qu’il n’a pas tout à fait, et il a grandement besoin de liquidités fraîches. Précommandez Double tranchant, l’édition définitive, mesdames et messieurs ! Commandez-le si vous l’aviez loupé, recommandez-le si vous l’avez déjà mais ne vous lassez pas du baiser sur la bouche dispensé aux bienfaiteurs !  Commandez tout le catalogue, tant que vous y êtes !

Tiens, pour fêter ça, je surligne les liens de cet article en rouge-tranchant au lieu du bleu habituel. On s’amuse d’un rien quand on est dans l’humeur.

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17/03/2014 Aucun commentaire

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Je me trouve pour les vacances dans une vieille maison au bord de la mer, avec ma fille aînée. Il fait beau. Manque de chance, les Jeux Olympiques ont lieu juste à côté de chez nous, et engendrent une formidable nuisance sonore, que nous subissons même avec la fenêtre fermée. Renonçant à nous en protéger, ma fille et moi décidons de nous promener sur les lieux des épreuves.

À la suite d’un concours de circonstances (quelque malentendu sans doute, et la défection de dernière minute d’athlètes officiels), nous nous retrouvons à courir l’épreuve du « 300 mètres en pleine rue », entre les voitures, les caniveaux et les panneaux de signalisation. Elle vient juste d’avoir 18 ans, sa majorité tombe pile, elle peut participer à la compétition.

Nous voici alignés sur la chaussée, accroupis, doigts au sol. Si j’avais su, j’aurais changé de chaussures. Un coup de revolver… Nous nous mettons tous à courir, et à slalomer parmi les obstacles, les chiens, les trottoirs, les détritus, les passants. Je m’aperçois que mes enjambées sont courtes, je crois que je lève trop haut les genoux, je perds en amplitude. Je compense en démultipliant la vitesse, comme un dératé, tac ! tac ! tac ! J’ai une démarche très bizarre mais j’avance, j’avance très vite, je distingue à peine mes pieds qui moulinent, on dirait un personnage de cartoon. Contre toute attente, ma fille et moi remportons les épreuves éliminatoires et sommes qualifiés pour les quarts de finale.

Je me repose à présent dans une buvette un peu décatie, Pyrex et Formica, murs jaunasses, je m’assois, et je doute. Je me demande si cela vaut la peine de continuer la compétition à présent que les choses deviennent sérieuses, et que nous allons nous confronter à des sportifs de haut niveau… Dans ce cas, il faut à tout prix que je me prépare sérieusement, sauf que je n’y connais rien. Je suppose que je dois faire des échauffements, surveiller ce que je mange, arrêter de boire et de fumer… Je me demande ce que compte faire ma fille. Je suis un peu inquiet, je l’ai perdue de vue, elle a été engloutie par la foule…

Je me réveille.

Sommes-nous seuls dans l’univers ?

26/02/2014 Aucun commentaire

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Envoyé spécial dans les bistrots. C’était le titre, la mission, le sacerdoce, que revendiquait Jean-Marie Gourio lorsqu’il publiait dans la presse ses Brèves de comptoir, cet irremplaçable compendium perpétuel de la sagesse populaire. Gourio se fondait dans la masse limonadière, salut patron comme d’habitude, buvait un verre afin de rayonner la même couleur que les autochtones, technique du caméléon, et retranscrivait tout ce qu’il entendait. Attention, piliers du bar au coin de la rue : votre voisin est peut-être un envoyé spécial incognito. Vous ne savez pas qui vous écoute. C’est comme les livres que vous écrivez, vous ignorez qui les lit.

Samedi 22 février, j’ai eu le plaisir de donner une représentation du spectacle Double tranchant et son double, en compagnie de Christophe Sacchettini et Norbert Pignol, au Café des voyageurs, bistrot vivant, les Saillants du Gua. Or un envoyé spécial était présent dans le public, Vincent Bocquet. Celui-là même qui jadis, dans une revue qui n’existe plus, écrivit à propos de mon premier livre un compte-rendu parmi les plus délicats, les plus sensibles que j’ai eu la chance de lire, ce petit miracle quand, contre toute attente, on sait finalement qui lit vos livres et comment. C’est dire comme j’étais curieux de connaître l’avis de Vincent sur ma prestation.

Il ne m’a pas donné son avis. Il a fait mieux. Il a rédigé le texte ci-dessous. Je reconnais sans mal ce style, ce fourmillement d’impressions solitaires et de sensations chavirées, cette objectivité impossible comme une mélancolie, cet état second du voyageur déporté, ce reportage gonzo à la Hunter Thompson, cette fleur-de-peau avide et anxieuse du moindre contact. J’ai inauguré IKEA, l’une des deux sources de ce spectacle, avait été écrit ainsi en 2007, ni plus ni moins, autre traversée de l’univers dans l’espoir de n’y être pas seul. Au fond, ce qu’on peut trouver de mieux dans un bistrot, c’est la fraternité. Merci Vincent.

(Sinon, pour avoir d’autres nouvelles d’IKEA, tout aussi intéressantes, c’est ici.)

Une soirée littéraire aux Saillants-du-Gua

Le samedi soir, je regarde la télé. C’est bien.

Mais le samedi 22 février 2014 au soir, on avait chamboulé mon programme. Des voisins m’ont proposé d’aller écouter une lecture de deux textes de Fabrice Vigne au Café des Voyageurs. Dans l’ordre :

Des voisins : Marie est ma voisine depuis dix ans. On se connaît peu, mais c’est quelqu’un d’énergique ; elle était comme destinée à l’organisation de cette soirée. En effet, Marie aime la littérature, particulièrement la littérature américaine, dont elle parle avec simplicité et élégance. Autrefois, avant d’enseigner l’anglais (ce qui est déjà une manière de voyager), elle a travaillé dans l’aviation commerciale. Je m’autorise cette incursion dans le passé de Marie seulement parce qu’elle même y a fait allusion lors de la discussion qui a précédé les lectures. La littérature et les voyages. Plus l’énergie. Il fallait que ce soit elle. Marie a réuni un petit groupe de voisins et d’amis. Nous sommes sept.

Deux textes : un texte est un ordonnancement de mots qui doit un peu à l’intervention d’un auteur (voir plus loin, Fabrice Vigne), un peu à l’inspiration (la critique contemporaine a beaucoup minoré cet ingrédient), et le reste à une combinaison de plus en plus improbable de facteurs sociologiques variés (il y a des thèses en grand nombre là-dessus, il suffit au curieux de se pencher un peu sur la question).  Comme les lapins qui ont chacun leur caractère, les textes, au-delà de ces définitions formelles, ne se ressemblent pas les uns aux autres. Les deux textes que Fabrice Vigne (voir infra, Fabrice Vigne) allait lire pour nous tous et chacun d’entre nous (miracle de la littérature), ces deux textes en effet ne se ressemblent pas. L’auteur, Fabrice Vigne (…), l’a d’ailleurs dit lors de sa brève intervention inaugurale : rien ne rassemble les deux textes, sauf peut-être les objets, qui circulent, qui se fabriquent, qui fascinent et qui dégoûtent. Le premier texte que lira Fabrice Vigne s’appelle « J’ai inauguré Ikéa ». Le second s’intitule « Double tranchant ».

Fabrice Vigne : je connais Fabrice Vigne encore moins que Marie, et c’est la raison pour laquelle je puis m’autoriser à parler de lui plus longuement que d’elle. Fabrice Vigne est un écrivain, même s’il dit sur son blog que là n’est pas son métier. En effet, il faut bien vivre. Toujours est-il que je connais Fabrice Vigne (fort peu, ainsi que je l’ai déjà dit) comme écrivain. Il y a déjà longtemps, j’avais lu un livre de lui qui m’avait fait forte impression. Dont les deux ou trois paragraphes que j’ai relus en vitesse lors de la soirée du samedi 22 février, en piquant à la va-vite le bouquin dans la caisse où Fabrice Vigne avait disposé quelques-uns de ses livres à l’usage de l’assistance, m’ont fait à nouveau forte impression. Quelques flashes colorés de ma vie d’alors m’ont traversé la mémoire. J’avais vraiment aimé ce livre. Depuis, je confesse que je n’ai pas suivi de près la carrière éditoriale de Fabrice Vigne et que je n’avais plus rien lu de lui. Mais c’est parce que je suis velléitaire et dilettante, en aucun cas la marque d’un désintérêt. Comment se désintéresser de quelque chose qu’on n’a pas lu ? Il y a d’ailleurs quelques textes de Shakespeare et de Bernanos que je n’ai pas lus non plus. Et ce bouquin qui trône depuis des mois sur ma table de nuit et qui s’appelle « Sommes-nous seuls dans l’univers ? », une question qui me taraude pourtant depuis mes six ans. Eh ben, pas lu non plus. C’est bien la preuve. J’avais seulement rangé Fabrice Vigne dans la liste des choses que je devais encore faire avant de mourir. Il se trouve qu’on croit toujours avoir un peu de temps devant soi. Extérieurement, Fabrice Vigne est un grand garçon d’à peu près mon âge. Il y a chez lui quelque chose de juvénile et de discret. Je me souviens avoir dîné chez lui autrefois, en compagnie de sa famille et de la mienne, mais je ne sais plus bien comment la chose était arrivée. J’ai gardé le souvenir un peu brouillé d’une soirée d’hiver à la température avoisinant celle du 22 février, d’un intérieur chaleureux dans une maison qui bordait la montagne et la place de la Cascade des Saillants-du-Gua. C’est, bien que lointain, un très bon souvenir. Je me souviens encore que Fabrice Vigne avait servi un vin rouge tout en me confiant, sur le ton d’une confidence gourmande, le nom du magasin où je pouvais l’acheter, moi aussi, si je voulais bien m’en donner la peine. Lorsqu’il m’arrive de croiser Fabrice Vigne par hasard et que nous nous reconnaissons, bien que la longueur de ses cheveux soit extrêmement variable,  je prends plaisir à lui demander des nouvelles de sa vie d’écrivain. Extérieurement, Fabrice Vigne porte souvent une longue veste en cuir qui doit avoir pour lui une valeur sentimentale. Il est souvent habillé d’un jean et il a aux pieds de grosses chaussures qui permettent sans doute d’avoir chaud en hiver. Mais il est possible, il est statistiquement possible, puisque j’ai dit ne croiser Fabrice Vigne que par des intermittences assez éloignées, il est possible qu’en réalité il ne porte de veste en cuir longue et de grosses chaussures chaudes que très rarement.  Intérieurement, je ne sais rien de Fabrice Vigne, sinon ce que j’ai pu lire de lui, de loin en loin. Bien que Fabrice Vigne ait tenu le rôle titre de la soirée du 22 février, il était accompagné de deux musiciens, mais je tiens que le bonhomme serait bien assez généreux, dans d’autres circonstances, pour s’effacer derrière ses comparses et pour, dans une démarche absolument moderne, accompagner leur musique de musiciens de ses mots d’écrivain à lui.

Le Café des Voyageurs : avant la soirée du 22, je ne savais rien du Café des Voyageurs. J’y voyais, derrière les buées, des trognes soudées au zinc par les coudes, lorsque, en transit matin et soir vers mon job de prolétaire tertiaire en milieu urbain, je passais devant ses vitres qui donnent sur la rue principale des Saillants-du-Gua. A mon insu, je radicalisais le toponyme : tellement voyageur que je n’eusse imaginé m’arrêter au café du même nom. Je peux d’ailleurs généraliser. Depuis dix ans que j’habite le village de Prélenfrey, qui appartient bien, administrativement parlant, à la commune du Gua, je ne me suis guère arrêté au chef-lieu, qui devrait pourtant exciter un peu mon patriotisme local. Non, j’ai toujours été en transit aux Saillants, comme d’autres à Amsterdam ou Francfort qui disposent, eux, d’un aéroport international. Utilitaire : j’achète le pain, parfois. Je vais chez le médecin et à la pharmacie (c’est pratique, c’est juste à côté). Je ne suis jamais allé dans aucun des deux bistros des Saillants. Rien ne m’avait effleuré jusqu’alors de leur réputation. Dans le privé pourtant, je professe volontiers des opinions qui devraient me pousser à m’intégrer à la vie locale dans toute sa riche complexité. Ainsi, en entrant ce soir au Café des Voyageurs, je démasque en partie l’hypocrisie qui obscurcit ma conscience depuis dix ans. Des idées confuses se battent à l’arrière-plan de l’attention que je porte à cet environnement inconnu. Tandis que je serre des mains, je pense à la différence entre le touriste et le voyageur, entre celui qui cherche à retrouver ailleurs ce qu’il connaît déjà et celui qui tente de devenir un autre, entre celui qui dit « c’était bien la Thaïlande, mais le robinet fuyait », et l’autre qui dit « Je hais les voyages et les explorateurs », je pense en même temps « c’est désagréable cette odeur de cigarette » et « le nomade est immobile car l’espace qu’il parcourt est à jamais uniforme ».  Après une brève station debout, on nous introduit dans une salle dont je ne soupçonnais pas l’existence. C’est joliment arrangé, je suis immédiatement conquis. Suis-en train de devenir vraiment voyageur ? Fabrice Vigne est là, tout au fond de la salle, juché sur une scène encombrée de micros et de fils. Je le salue, il me reconnaît, nous échangeons quelques mots. Il prend la parole au micro pour nous souhaiter bon appétit, la lecture commencera après que tout le monde aura mangé. Les gens s’assoient, ils discutent, j’attrape des bribes de conversations derrière moi, je peine à saisir ce que disent Marie et les gens qui sont à ma table. C’est comme d’habitude, je suis traversé par des signaux bariolés qui me perturbent, mon esprit vagabonde, je ne peux l’empêcher de faire son petit ethnologue, une station ici, une autre là, cette vieille dame qui parle du maire, si jeune lorsqu’il a été élu pour la première fois, cette jeune femme qui fait une grimace en goûtant la tarte aux poireaux qu’on vient de lui servir, c’est chaud ?, ce quinquagénaire qui parle avec les mimiques des hommes qui pèsent lourd, qui en ont déjà vu beaucoup et n’en pensent pas moins, et c’est pas fini. Je peine à rassembler quelque chose qui est pourtant en moi, et qui se débat.

Finalement, Fabrice Vigne monte sur scène accompagné de ses musiciens, Christophe Sacchettini et Norbert Pignol. Le patron introduit la soirée. Fabrice Vigne prononce à nouveau quelques mots. Il remercie le patron, il cite ses deux musiciens et leurs prochaines apparitions publiques. On peut acheter leur CD. Il cite son illustrateur dont les gravures décorent la salle. Il explique que le monsieur à côté de la table où sont exposés tous les couteaux, de toutes tailles, ouverts, fermés, à pointes et tranchants, adossés, emmanchés, pommelés, à gardes et empreintes, émoulus, le monsieur est le coutelier des Saillants. L’homme de la belle ouvrage, comme bondi tout droit du texte de Fabrice Vigne qui s’intitule « Double tranchant ». Alors Fabrice Vigne commence à lire. « J’ai inauguré Ikéa ». C’est l’histoire d’un pékin qui participe à l’inauguration d’Ikea, le magasin de Grenoble, en 2005, ou 2007 ? Le pékin, c’est Fabrice Vigne, ou Marie, ou moi, et nous déambulons, objets parmi les objets, matraqués par les couleurs de la marque et les voix suaves d’hôtesses enregistrées, glissant sur des tapis roulants humains le long d’autoroutes domestiques, qui nous conduisent inexorablement, après la cuisine, le petit salon et la chambre du petit dernier, vers les caisses avec, pour seule récréation, la possibilité d’une station programmée au restaurant Ikéa, la magie libératoire d’un arrêt clandestin aux toilettes Ikea. Fabrice Vigne ne lit plus son texte, c’est « J’ai inauguré Ikéa » qui joue de Fabrice Vigne, de ses essoufflements, de ses exhorbitations, de ses stupeurs. Nous finissons tous sur un parking, l’estomac tordu, en sueur, une baudruche Ikéa à la main, l’autre main anxieusement fourrée dans une poche chiffonnée à la recherche d’une clé de bagnole perdue dans une allée du Moloch. Ensuite Fabrice Vigne enchaîne « Double tranchant ». Si j’écrivais dans un supplément littéraire du vendredi, ou, affublé d’un prénom moderne de fille, comme Guillemette, ou Sybille, ou Séraphine, dans un magazine culturel de la gauche hebdomadaire, je pourrais commencer comme ça : « une fable coupante : dans son nouvel opus, Fabrice Vigne, l’air de ne pas y toucher, revisite l’histoire de l’humanité depuis l’invention du couteau. Aïe aïe aïe ». Ensuite, avec force démonstrations, je pourrais procéder à de subtils rapprochements, à d’audacieuses lignes de fuite, à de saisissantes perspectives qui montreraient que j’ai fait de bonnes études. Puis je terminerais sur une pirouette qui m’attirerait la sympathie complice du grand public cultivé. Oui, mais ce serait négliger l’essentiel, ce que j’attendais depuis le début de la soirée, et qui se produit en effet, ce déclic : Fabrice Vigne, le Café des Voyageurs, le texte, la scie musicale et les percus et les boucles et les samples, le coutelier des Saillants, tous ces gens attablés devant une assiette paysanne ; tout ceci trouve enfin son unité, sa simplicité, son expression la plus appropriée, tout se rassemble. Art total. Je ne suis plus haché, découpé, lardé de tous les bruits de tout à l’heure. Je me rassemble. Le règne des objets, leur circulation obscène et incestueuse, leur industrielle reproduction à l’identique. Leur indigne prolifération, dans des espaces d’exposition kilométriques ou des pochettes sous cellophanes de couteaux industriels mal fagotés, manches en plastiques, lames suspectes. Ici les Saillants-du-Gua, pas d’entrepôt Ikéa, mais un coutelier, mais un bistro, mais des voyageurs vivants doués d’oreilles qui applaudissent Fabrice Vigne et ses musiciens. Ailleurs, reste du monde, les villes repues et sales, la circulation boursouflée des objets, la fonction intestinale et souillée qui s’appelle commerce. Mais c’est terminé. Fabrice Vigne souffle le point final. Alors, tout le monde se lève, un petit sourire accroché aux lèvres, tout le monde flâne de-ci, de-là. Je vois bien que les textes de Fabrice Vigne ont eu sur les autres le même effet que sur moi. Ils sont tous un peu écrivains, ils prolongent. J’entends quelqu’un qui dit : « t’as vu, au dessus de sa tête, le lustre, ça lui faisait comme une épée de Damoclés ». Et puis, autour de la table où sont exposés les lames, les manches, ivoire, nacre, buis, tout le monde se passionne, on tâte, on compare, on questionne, on se documente, on s’intéresse. La coutellerie, cause nationale en République saillandoue. Le couteau rassemble.

J’ai toujours eu autant de mal à partir qu’à arriver. Dans l’intervalle, en général, je me survis. C’est parce que je suis un timide. Mais ce samedi 22 février au soir, j’ai vraiment trouvé le temps court. Nous remontons dans la nuit blanche vers cette zone non commerciale absolue où nous habitons tous. Un peu par choix, peut-être. On commente la soirée. Ce samedi 22 février au soir, je n’ai pas allumé ma télé. Peut-être que je ne vais pas mourir tout de suite ; je vais devoir m’occuper. Shakespeare, Bernanos, et Fabrice Vigne. Le moteur ronronne, de virage en virage. On se rapproche des étoiles, tout doucement,  et je me sens moins seul dans l’univers.

Le petit garçon tout nu

17/02/2014 Aucun commentaire

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Que de boucan dans Landerneau depuis une semaine pour ou contre ce livre charmant, Tous à poil !

Le milieu de la littérature jeunesse, se sentant attaqué dans sa liberté d’expression, sa mission, et sa dignité, est vent debout. À juste titre. On peut lire avec profit ce qu’en dit par exemple Clémentine Beauvais, ou tout ce qui s’échange sur la page Facebook dédiée.

Pendant ce temps sur le trottoir d’en face, la réaction ne désarme pas. Jean-François Copé en remet une couche dans l’ignominie, prétendant désormais que Tous à poil constitue une dangereuse propagande pour la lutte des classes (et quand bien même ! Là, on ne voit même pas le problème… comme si la lutte des classes, ainsi que l’idée même de classe sociale, étaient de vieilles lunes périmées… Faudrait-il cacher les luttes sociales aux enfants comme un entrejambe, au moment où elles n’ont jamais été si exacerbées, si violemment exprimées ?), tandis que l’impayable Nadine Morano, encore plus bête que méchante, déclare que cet album mignon tout plein est ni plus ni moins qu’une incitation à la pédophilie. On rêve ? Non, on est en 2014. L’obscurantisme avance façon rouleau compresseur, et nous cédons du terrain. Des indices partout-partout. Dans la presse du jour, tiens.

Portant une double casquette, visière devant, visière derrière, je m’affirme solidaire à la fois du communiqué de presse de l’Association des Bibliothécaires Français, et de celui de la Charte des auteurs jeunesse.

Coïncidence : dans le même temps, je découvre avec un plaisir béat quoique tardif l’un des livres préférés de la belle jeunesse française (record absolu des prêts dans les bibliothèques de France, ouvrages qui n’ont pas eu besoin de la publicité copéïste pour être infiniment plus lus et plus influents que Tous à poil), j’ai nommé la saga Dragon Ball d’Akira Toriyama, soit 8000 pages publiées dans leur version originale entre 1984 et 1995 (je ne compte pas les séries dérivées), jamais démodées depuis, pleines à craquer d’aventure et de baston.

Je fais un aveu, histoire de bien établir que je ne suis pas plus que quiconque à l’abri d’idées reçues, de snobisme, de peaux de sauss’ devant les yeux, mais du moins m’arrive-t-il de les déchirer : j’ai résisté vingt ans avant de lire ce manga. Mon peu d’appétence s’explique parce que j’en étais resté à l’écœurement devant les violences stroboscopiques jaillissant du Club Dorothée, quand j’étais pré- puis post-ado. Je lis Dragon Ball aujourd’hui, je m’avale les 42 tomes, et je m’étonne moi-même : je trouve ça excellent, en général et en tant que livre pour enfants en particulier – c’est-à-dire avec la mission d’élévation de la jeunesse en surplus, en cheval de Troie du divertissement.

Certes, l’intrigue est un chouïa répétitive dans la succession mécanique des bagarres (quoique pas davantage que dans les comics de super-héros, où l’on trouve les mêmes décharges telluriques d’énergie pure à la Kirby)… Certes plus on progresse et plus la violence est outrancière (on y fouaille tout de même des corps à main nue – je suis vieux jeu, les coups et blessures exhibés aux regards des enfants me choquent davantage qu’un corps dénudé)… Il n’empêche que le petit bonhomme Sangoku est un vrai chouette personnage, un bon petit gars à la fois innocent et courageux, cœur pur sous queue de singe. Une icône positive, un réceptacle idéal à l’identification des enfants, un peu façon Kirikou : il y va. L’un comme l’autre ne paient pas de mine mais sont plus forts que tout le monde, l’un comme l’autre finiront leur histoire en adultes accomplis (parce que c’est de quête et d’initiation qu’il est question, tout du long), l’un comme l’autre plongent leurs racines dans un fond commun de sagesse ancestrale – le Japonais dans un roman chinois bouddhiste du XVIe siècle, sorte de mythe fondateur des arts martiaux ; l’Africain dans les contes traditionnels d’Afrique de l’ouest.

L’un des attraits de Dragon Ball, comme dans Alice au pays des merveilles, est la métamorphose fréquente des corps. Sans diminuer en rien la grandeur d’âme de la mission spirituelle dissimulée sous les castagnes chroniques, l’auteur rappelle en permanence que chaque personnages a un corps, est un corps, que ce corps est sexué et qu’il change parce que le temps passe (formule magique leitmotiv : « Bâton magique, grandis ! », cligne, cligne). Certains d’entre eux sont d’authentiques obsédés sexuels (la culotte y est un étonnant motif mental récurent), on nage à l’occasion dans la joyeuse scatologie infantile. Est-ce grave ? Est-ce subversif ? Dans le monde que veulent Copé, Morano, et les foules tristes du Printemps français (qui risqueraient par ailleurs un double infarctus s’ils apprenaient que deux des personnages récurrents de la série se nomment Dieu et Satan), hélas oui. Alors que ça n’a pas vocation à l’être : c’est seulement rigolo, défoulement façon touche-pipi et comedia dell’arte. Régulièrement, Sangoku se retrouve tout nu, zizi à l’air, ah, tiens, idem Kirikou comme par hasard. Vive Kirikou. Vive Sangoku. Vivent les livres et les enfants et les corps. Tous à poil, allez hop.