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J’apprends à trotter (Je ronge mon frein)

Je ne connais rien aux chevaux (c’est excusable), et je ne m’y intéresse pas du tout (c’est à peine plus coupable). Je sais pourtant à leur sujet un fait remarquable : ils ont trois allures, le pas, le trot, et le galop. J’ai dû lire un jour quelque part, attendu que le principe de la culture est d’avoir lu un jour quelque part des trucs qui peut-être vous serviront un jour ou bien jamais et en attendant vous les rafistolez dans vos souvenirs et vous leur faites dire un peu n’importe quoi en lien avec à peu près n’importe quoi d’autre au grand hasard des synapses, j’ai dû lire un jour quelque part que leur deux allures les plus naturelles sont le pas (employé lorsqu’ils ont besoin de se déplacer lentement) et le galop (employé lorsqu’ils ont besoin de se déplacer rapidement). Le trot est une invention de la civilisation, une allure intermédiaire artificielle, une allure tempérée, contrainte et disciplinée, un moyen terme inculqué aux chevaux par le dressage humain.

Voici mon état d’esprit depuis le début de l’année 2012 : j’ai l’impression d’apprendre à trotter. Je tempère, je discipline, j’artifice, je suis dressé. Je me demande quels coups de cravache je crains, moi qui orgueilleusement me crois mon propre cavalier. Comment vas-tu ? Oh, j’avance… J’avance, mais à une allure qui me laisse fort perplexe lorsque d’aventure je m’arrête une seconde pour observer mon pas. Je ne suis pas le mauvais sauvage, mais je me sens, comment dire, domestiqué.

Et puis là, sans rapport avec ce qui précède, pour quelques jours je me trouve au beau milieu de l’adorable salon du livre jeunesse d’Epinal, Zinc Grenadine (je n’emploie jamais, je crois, le mot adorable, j’adore peu au fond, mais c’est ainsi, les gens du Zinc sont adorables, les bénévoles étymologiquement autant qu’empiriquement nous veulent du bien). J’aime bien, je suis content d’être là. Je n’en avais pas fait depuis longtemps des salondulivs, alors je me rends compte en y étant (dans un bon) que ça me manquait. L’ingrat boulot de VRP se trouve amplement compensé chaque fois qu’un vrai contact humain se produit. J’ai eu droit à quelques très bonnes rencontres scolaires.

Parmi les souvenirs mémorables : une classe de terminale dans un lycée agricole m’a joué des scènes des Giètes. Or, pour moi, depuis longtemps déjà, Les Giètes n’est plus un roman, c’est un spectacle que je tourne avec Christophe. Ce qui fait que j’en ai oublié, littéralement oublié, des pans entiers, qui ne font pas partie du spectacle. J’ai écouté leurs saynètes, j’ai découvert un dialogue entre Max et M. Tchiapallo qui m’était totalement sorti de l’esprit. Et j’ai ri ! J’ai trouvé ça bien ficelé, enlevé, cohérent, j’étais heureux, merci jeunes gens, joli cadeau.

Autre chose, dans une autre classe : les élèves ont entrepris de dresser mon portrait chinois à coup de question Si vous étiez... C’était rigolo, mais parfois difficile : « Si vous étiez une des sept merveilles du monde ? » Comme si je connaissais la liste par coeur ! Or, personne dans l’assistance ne les connaissait non plus (la jeune fille qui me posait la question pas davantage que les autres), j’ai donc répondu n’importe quoi, j’ai dit « La bibliothèque d’Alexandrie, une bibliothèque ça ne peut pas faire de mal », alors qu’elle ne fait pas partie des sept, j’ai confondu, je viens de vérifier, c’est le phare d’Alexandrie la merveille, pas la bibliothèque, je suis bibliocentré, c’est un fait. J’ai séché plus longuement encore face à une autre des facettes chinoises : « Si vous étiez un personnage de Walt Disney ? » Alors ça… Aucune idée, voilà bien une question que je ne m’étais jamais posée (pas davantage que « Quel membre du gouvernement Sarkozy êtes-vous » ou « Quelle voiture » ou « Quel présentateur de TF1 ».) Mais j’ai joué le jeu, j’ai réfléchi à toute berzingue-grenadine et tâché de donner au pied-levé une réponse qui à la fois les amuse et ne me renie en rien. « Si j’étais disneyen, je serais Goofy, c’est à dire Dingo. C’est un gentil con. Le rôle du gentil con me va. Je préfère être un gentil con qu’un méchant malin, ça préserve du cynisme. »

Bon, des bons moments, tout ça, je ne suis pas le mauvais cheval, mais je trottine, je trotte. J’espère que je n’ai pas oublié comment on galope. Je me demande si la prochaine étape, ce serait l’impression de marcher comme un canard sans tête.

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