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Un ticket de caisse de dix mètres de long

En deux temps :

I – 20 août 2025

Depuis vingt-cinq ans, la sensationnelle Rebeka Warrior (Julia Lanoë à l’état civil) met le feu sur scène avec ses divers groupes, plus précisément trois duos : Sexy Sushy, Mansfield.Tya, et Kompromat.
Elle publie aujourd’hui son premier livre, Toutes les vies (Stock). Serait-elle une banale « chanteuse qui écrit » ? Pas du tout ! Dans une interview on lit même exactement le contraire !

Je suis devenue chanteuse d’abord pour chanter ce que j’écrivais. De nos jours, c’est compliqué de vendre de la poésie, donc la musique était une voie plus évidente, mais écrire est depuis toujours mon plaisir number one.

Mais oui : la chanson, c’est d’abord de l’écriture, de la poésie, sinon à quoi bon. D’ailleurs… À ce propos… Vous a-t-on dit ? Vous a-t-on redit ? Vous a-t-on assez répété ? Vous a-t-on suffisamment asséné que le prochain stage d’écriture de chansons co-animé par Marie Mazille et Fabrice Vigne, aura lieu dans le cadre somptueux des Épicéas, à Méaudre (Vercors) le week-end des 27-28 septembre 2025 ? Les détails surgissent lorsque l’on clique ici

Mais pour revenir deux secondes à Rebeka Warrior, parce que ce qu’elle raconte est très-très intéressant…
Durant la même interview, la journaliste taquine la chanteuse : elle qui a longtemps autodistribué ses disques en sortie de scène pour conchier le grand capital, quel effet lui fait donc de sortir son livre dans une maison appartenant au milliardaire droitard et bigot Vincent Bolloré ?
Elle répond :

De toute façon, qu’il s’agisse des salles de concerts ou des éditeurs, on finit toujours par arriver, en haut de la pyramide, à un enculé quel qu’il soit, tranche-t-elle. La lutte prend corps quand on affronte les gens qu’on déteste, qu’on devient des intrus chez eux.

II – 3 octobre 2025

J’ai évoqué, au moment de sa sortie, le livre Toutes les vies de Rebeka Warrior, juste pour mentionner que j’avais envie de le lire… J’en parle à nouveau, cette fois en connaissance de cause, après l’avoir lu.
Donc oui : c’est bien. C’est sale, vital, brutal et viscéral comme un concert punk. Ce qu’elle raconte est une descente aux enfers, la maladie et la mort de sa compagne. Par recoupement, j’ai compris qu’elle vivait cet enfer-là le soir, voici quelques années, où je l’avais vue en concert. Elle n’avait pas adressé la parole au public mais lui avait donné tout le reste. Brutal, viscéral, etc.
Lorsque j’ai présenté le livre il y a quelques semaines, j’ai constaté que certains de mes amis FB avaient tiqué devant son langage, sa grossièreté… Mais voyons donc, elle a tous les droits à la grossièreté, bordel de merde !
Quand elle écrit que la mort est une salope, comment écrire cette idée-là plus exactement ou plus précisément ? Vieux débat. Qui fait penser à Céline, évidemment. Il m’arrive, en atelier d’écriture avec des enfants, d’expliquer que, parfois, le mot juste est un gros mot, voilà, c’est comme ça. Il ne faut ni s’y complaire ni l’esquiver. Ni, bien sûr, en abuser sinon on prend le risque de délayer l’effet, mais il ne faut pas s’en priver lorsqu’il vient et tombe à sa place. Ou alors, si l’on s’en prive, on écrit comme un petit marquis, ainsi que Dostoïevski disait des Français.
Rebeka Warrior n’est pas une marquise.
Extrait :

Souvent le Yi King me disait que le ravin n’était pas encore traversé.
Qu’il fallait être patiente et accepter les épreuves.
Pourtant, je tombais tous les jours un peu plus bas dans un trou.
Ça allait faire un an.
Je voulais qu’on me dise à combien de mètres était le sol.
Quand est-ce que j’allais m’éclater la tête sur le bitume ?
Quand est-ce que Pauline irait mieux ?
Ou est-ce que Pauline allait mourir ?
Je commençais à avoir des craintes.
Mais ç’aurait été trop simple de savoir.
La vraie torture c’est d’aller chaque jour plus mal.
Et d’être surprise de voir qu’on peut aller encore un poil plus mal le lendemain.
L’âme humaine peut dérailler à l’infini et même au-delà.

Son livre n’est pas qu’un chemin de larmes. C’est d’abord un chemin d’apprentissage, spirituel et culturel. Chaque chapitre est placé sous les auspices d’un livre qui, à un moment donné, l’a nourrie. Ainsi des Pensées pour moi-même de Marc Aurèle, qu’elle présente ainsi :

Marc Aurèle est un empereur romain et un philosophe né en 121 et mort en 180 après J.C.
Un stoïcien, dont la philosophie est proche du bouddhisme.
Son règne s’est plutôt bien passé, il a été aimé du peuple de Rome, a rendu la cité prospère, il a favorisé le commerce, consolidé les frontières, et gouverné selon l’éthique et la vertu.
Malheureusement, ça s’est très mal fini.
Il a eu un fils, Commode, qui l’a empoisonné pour prendre le pouvoir et devenir un tyran sanguinaire.
Conclusion, donner à son fils un nom de meuble n’est pas recommandé.

Le récit, quoique linéaire, est truffé de ce qui fait une conscience : des listes, des citations, des tentatives et brouillons, et des recension de rêves. Ainsi d’un rêve noté en 2022 : comme souvent, elle revoit sa femme morte, qui cette fois-ci lui déroule « un ticket de caisse de dix mètres de long avec des titres de livres à écrire, de films à réaliser, de chansons à chanter ». Entre autres, un titre pour le prochain album de son groupe Kompromat, PlДying/PrДying, et celui d’un spectacle que devait monter son amie Vimala Pons, Honda Romance. L’album de Kompromat PlДying/PrДying est paru en janvier 2025 ; le spectacle de Vimala Pons, Honda Romance, sur une musique de Rebeka Warrior, a été créé le 23 septembre 2025, et joué à Grenoble les 2 et 3 octobre.

Quant au titre du livre lui-même, il finira bien, à un moment ou un autre, par être explicité :

Sur mon poignet droit, je venais de me faire tatouer « Toutes les vies » en référence à Tchekhov. J’ai alors vu mon pouls battre avec beaucoup de délicatesse sur le mot « vies ».

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