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Dick fait non de la tête

Cette nuit il faisait grand jour, c’était encore l’été et j’arpentais une ville espagnole que je ne connaissais pas. J’arpentais les rues bondées, et je passais d’un vieux quartier, en bord de mer, aux rues étroites et aux maisons en briques, à un autre, en hauteur, récent et moderne, de verre, de béton et d’acier.
J’effectuais plusieurs fois l’aller retour entre ces deux mondes, en me disant qu’à force je finirais bien par connaître le chemin par cœur et même comprendre ce que je foutais là. J’étais venu pour accomplir une mission précise, résoudre une énigme, mais pour mener celle-ci à bien encore fallait-il que je comprenne en quoi elle consistait. Deviner l’énigme était une première énigme à part entière et, alors que j’étais de plus en plus perplexe, j’avisais une échoppe de tapas à emporter. Autant manger, je réfléchirais après.
Je m’approche de la fenêtre ouverte par laquelle on passe commande, je survole le menu affiché et je m’apprête à tester mon espagnol mais le cuistot me parle en français avant même que j’ouvre la bouche : « Alors ? Tu as pris ta décision ? Il serait temps, je n’ai pas que ça à faire ! » En fait, il m’attendait. C’était peut-être lui qui était censé me préciser ma mission ? Le cuistot était un agent double ? Mais soudain, je le reconnais… Sous sa blouse blanche et sa toque, derrière son sourire en coin et ses yeux pleins de sous-entendus… C’est bien lui, c’est Dick Rivers ! L’annonce de sa mort était donc un leurre lui permettant de travailler undercover dans un street food en Espagne !
Je tente tant bien que mal de choisir mes mots pour faire comprendre à Dick que je n’ai pas compris ma mission et que j’attends de nouvelles instructions, tout en donnant le change aux oreilles indiscrètes :
« Non, je n’ai pas fait mon choix, tout a l’air délicieux mais j’aimerais être certain de ce qu’il y a dans la pâte… C’est bio, au moins ? »
Dick soupire et me dit à voix très basse, avec un sourire ironique :
« OK, garçon, t’es complètement paumé. Je vais te donner un indice. Pense à ce bouquin de Pinter.
– (je jette des coups d’œil à gauche et à droite pour vérifier qu’on ne nous écoute pas) Hein ? Harold Pinter ?
– (Dick fait non de la tête.) Au polar de Pinter.
– Hein ? Il a écrit des polars Harold Pinter ?
– (Dick fait non de la tête.) À ce roman où on porte des vestes en jeans sur la couverture.
– Hein ? Un roman de Pinter avec du jeans ? »
Dick fait non de la tête puis, excédé par la lenteur de mon entendement, fait mine d’en avoir trop dit, se met à me parler strictement en espagnol et je ne comprends plus un mot, il ne me lâchera pas un indice de plus. Je dois donc me contenter de ce que j’ai et je retraverse une fois encore la ville, je pénètre dans le quartier moderne (acier, béton, verre), il me semble avoir longé une bibliothèque nationale. Avec un peu de chance je dégoterai une édition catalane ou basque d’un roman policier de pinter avec des jeans sur la couverture, et alors tout s’éclairera. Zut, en chemin je réalise que Dick ne m’a rien donner à manger, c’était bien la peine, j’ai faim, je me réveille.

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