Et ton coeur et mon coeur sont repeints au vin blanc
« Il n’y a pas d’éditeur, il n’y a que des preuves d’éditeur ». (C’est de qui, ça, déjà ? Jean Cocteau, je crois, ou Pierre Reverdy, je ne sais plus, ou alors je me goure.) Quand j’ai reçu la plaquette du Printemps de Grenoble, j’ai bien ri en constatant que le Fond du Tiroir était coincé, par ordre alphabétique des éditeurs régionaux invités, entre les éditions du Dauphiné libéré, et la Maison de la poésie en Rhône-Alpes. Ah oui, c’est bien sa place, tiens, juste pile, je le saurai si on me demande.
C’est dingue : le Fond du Tiroir ressemble de plus en plus à un éditeur, puisqu’il tiendra un stand dans un salon du livre. Vous pourrez venir à ce stand, comme pour de vrai, faisons semblant de rien, pour discuter et vous faire dédicacer des livres, par mézigue mais également par Marilyne Mangione, qui a aimablement accepté de faire le pied de grue en ma compagnie (vous allez voir comme nous sommes gracieux en pieds de grue). Nous serons sous le chapiteau du salon de Grenoble, du vendredi 27 mars au dimanche 29, par intermittence, selon arrivage des produits frais, voisinant comme par un fait exprès avec celui qui m’a présenté à Marilyne, Hervé Bougel, autre cowboy solitaire et fringant.
Et le Tiroir, au Fond, comment va-t-il ? Eh bien, pas si fort, pour ne rien vous cacher. J’ai traversé une mauvaise passe, de tristesse et de découragement. Pour certaines raisons déjà évoquées, mais aussi, plus profondément parce que le troisième livre qui vole de ses propres ailes, ABC Mademoiselle, m’a coûté les yeux de la tête (je suis loin d’avoir fini de le payer, j’ai dû faire un emprunt) et ne s’est pratiquement pas vendu. La crise mondiale (et même partout-partout) se fait sentir ici aussi, finalement. Les temps sont durs.
Certains jours je me demandais mélancoliquement si tout ceci valait la chandelle, si cette auto-édition avait un autre sens qu’un caprice à long feu comme certaines bonnes âmes me l’ont susurré dans mon propre intérêt, et je me trouvais fort misérable d’être réduit à cette situation dégradante, douloureuse et vulgaire (vulgaire au sens de sort commun, hélas) : en permanence je pensais au fric – au lieu que de penser en permanence au sexe, comme n’importe quelle personne normale et libre. Merde, je n’avais tout de même pas créé le Fond du Tiroir pour en arriver là… Autant tout laisser tomber… La tentation était grande de fermer le tiroir, placer la clef sous le paillasson et passer à autre chose. Un an à m’amuser, c’était joli.
Mais je prends en main l’ABC, je le feuillette, je le trouve incroyablement beau, mon plus beau, et ça me revient : ah, oui, c’est vrai, c’est pour cette joie-là, que je l’ai créé, le Fond du Tiroir. Pour faire mon plus beau livre à chaque fois. Alors je me remets au prochain ; il est quasi-prêt. Sans blague, ce sera mon plus beau.
Envoyons d’l’avant, nos gens ! Retrouvons l’allant, le printemps, et la curiosité. Tiens, ceci : je note avec intérêt que, tandis qu’à Grenoble le salon du livre choisit d’honorer « les graines de rebelles », celui de Villeurbanne (j’y serai le mois prochain) vient d’annoncer son thème pour 2010 : « Résistances ». Attendez, c’est quelque chose dans l’air, ou quoi ?
Rubrique « Du pain et des jeux », suite : sur le blog dudit salon de Villeurbanne, vous trouverez un concours amusant, 22 trombines à reconnaître, 22 résistants-rebelles qui avancent masqués. Moi, j’ai vu où je suis, mais qui sont les 21 autres ? Sur ce, pardon, mais je vais plutôt faire du pain. Et en cadeau ci-dessous, la Cosa mentale de Marilyne Mangione, c’est beau comme du bon pain.
A mon tour je prends en main (on ne s’en lasse pas) cette coquine d’ABC Mademoiselle et je te le dis franchement, Fab : merci d’avoir édité ce beau livre, de l’avoir pensé, tenu bien au chaud, porté, partagé… j’attends le prochain, t’es prévenu, hein, pas de lapin s’il te plait… s’il te plait… s’il te plait…