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Supporter l’air des sommets

28/10/2025 Aucun commentaire
Illustration :
vertigineuse photo volée sur la page FB de Jean-Marc Rochette

Cette nuit, je logeais dans une maison qu’on m’avait prêtée.
Je me sentais chanceux.
Maison d’altitude en plein soleil et sous le ciel bleu, par conséquent avec très peu de toits au-dessus des pièces, elles-mêmes seulement séparées par des colonnes corinthiennes, les chambres étaient en somme des terrasses, avec vue sur les montagnes.
Ma chambre-terrasse comportait en son centre un bassin-fontaine-jacuzzi carré dont l’eau sortait en continu et à gros bouillons. Le bassin était peut-être bouché, l’eau ne s’évacuait pas, elle débordait, je commençais à avoir les plantes des pieds mouillées, ce dysfonctionnement était une fausse note dans un décor très agréable.
Je me demandais si je ne devais pas en toucher deux mots à la propriétaire lorsque, justement, elle est apparue, un peu plus loin, sur la crête. Mais, bon sang, elle est enceinte ! Et très enceinte, de neuf mois environ. L’eau me monte jusqu’aux chevilles, mais c’est pour elle que je m’inquiète ! Parce qu’au milieu de toute cette flotte, lorsqu’elle va perdre les eaux, elle ne va se rendre compte de rien, et c’est très dangereux de ne se rendre compte de rien ! Je l’appelle ! Hého ! Hého ! Elle ne m’entend pas ! Et j’ai maintenant de l’eau jusqu’aux genoux !
Je me réveille avec une grosse envie de pisser.
Je me lève, je vais faire mon affaire en titubant dans le noir au fond du couloir et je retourne me coucher.
Je ferme les yeux.
La météo est constante, c’est au moins ça de gagné, plein soleil et bleu du ciel, mais le paysage a sensiblement changé. Il n’y a plus sur 360 degrés que les crêtes et les chaînes des montagnes. Ah, oui, ça me revient, j’ai rendez-vous ici avec Jean-Marc Rochette. Il m’a invité, convoqué plutôt, parce qu’il veut que j’écrive le scénario d’un film qu’il veut tourner (un dessin animé ? cette question n’est pas claire, il l’esquive quand je la pose). Mais au préalable, il m’a emmené dans ses montagnes pour me tester, je vois bien qu’il veut savoir ce que j’ai dans le ventre avant de me faire signer un contrat, il me jauge, comment vais-je supporter la vie en altitude, suis-je, littéralement, à la hauteur ?
Je n’ai aucun vertige, j’ai ça pour moi, je trouve le paysage fort plaisant, en revanche j’ai un peu de mal à le suivre. C’est qu’il file à vive allure sur ses skis, de temps en temps je ne vois plus que son bonnet au loin et je cours derrière avec mes grosses godasses d’urbain, je ripe parfois, je trébuche, je me retrouve à quatre pattes, je l’appelle pour qu’il m’attende. Alors il s’arrête, se retourne, accablé, la tête et les épaules lui en tombent, il pousse de gros soupirs, fait finalement demi-tour, ça sent le roussi pour mon scénario.
Il parvient tout ronchon à mon niveau, et grommelle qu’il va faire quelque chose pour moi, il ouvre son sac à dos, il va bricoler des raquettes de fortune sous mes semelles, à partir de deux grosses cuillères en inox et deux ballons de baudruche rouge qu’il gonfle en soufflant fort. Il fixe les cuillères sous les ballons, et ainsi le choc de chaque pas dans la glace devrait être convenablement amorti, je devrais cesser de prendre du retard.J’ai des gros doutes sur l’efficacité de ce ravaudage approximatif, d’ailleurs l’un des deux ballons explose soudain, je couvre le bruit en toussotant dans mon poing. Puis je dis à Jean-Marc : « Avant de m’engager, j’aimerais tout de même rencontrer la romancière qui a écrit l’histoire originale, ne serait-ce que par politesse. »
Il répond du tac-au-tac, de plus en plus agacé : « Alors ça ce n’est pas très compliqué, elle est toujours dans le coin. Tiens, la voilà. »
Apparaît alors entre deux glaciers une jeune femme très pâle, au visage de type asiatique, qui me dit en me fixant de ses yeux inexpressifs : « Alors c’est vous ».
J’ai le temps de dire « Euh ben oui c’est moi, je vais travailler sur vous pendant plusieurs mois » quand je me rends compte qu’elle est enceinte. Et même très enceinte ! Neuf mois environ ! Ah mais okay, je fais le lien à présent, c’était joué d’avance, je comprends tout !
Je me réveille, cette fois définitivement, et je ne comprends à peu près rien.