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Va te faire encravater

27/05/2022 Aucun commentaire
Le « héros » du film est à l’arrière-plan, net. Avez-vous identifié les personnages flous du premier rang, indistincts comme des filigranes, ou comme les petits caractères d’un contrat piégé ? Il s’agit de Marine Le Pen et Florian Philippot.

Vu en DVD de rattrapage La Cravate, film brillant d’Étienne Chaillou et Mathias Théry, hélas passé sous nos yeux à la trappe puisque sorti en salle quelques jours avant le confinement de 2020. Or je tiens ce documentaire unique en son genre pour salutaire politiquement, psychologiquement, sociologiquement, et bien sûr cinématographiquement, tout ceci sans la moindre date de péremption.

Un, politiquement.
La Cravate documente avec précision les rouages du fascisme aujourd’hui, c’est-à-dire de la tentation autoritaire, du déclassement, du ressentiment, de la violence, de l’irrationnel, de l’exaltation, des stratégies de conquête, de la démagogie, de l’opportune faiblesse voire de l’opportune trahison de l’adversaire (la démocratie libérale), de la dédiabolisation et du management.
Pourtant, dans le contexte contemporain, les valeurs fascistes pourraient sembler tout simplement démodées : rappelons que le fascisme est la forme, ou disons le variant, extrême et toxique du nationalisme, vieille lune née au XIXe siècle, illusion fédératrice selon laquelle le pays X, meilleur pays du monde, mis en danger par les pays Y et Z alentour débordant d’étrangers malveillants, doit accéder à son émancipation et retrouver sa grandeur mythique, sa place prépondérante grâce à un régime totalitaire et/ou un homme providentiel qui est parfois une femme et/ou un dogme religieux intégriste à titre d’excipient. Ces billevesées, fussions-nous des êtres sensés, moisiraient dans les bacs à compost de l’Histoire en notre époque où le danger numéro Un est environnemental, par conséquent planétaire, où l’effondrement des ressources, la sixième extinction de masse, l’irrémédiable pollution des écosystèmes, ou les radiations, se foutent comme d’une guigne des archaïques états-nations, de leurs guéguerres, de leurs dérisoires frontières ouvertes ou fermées ou de leurs revendications identitaires sans fin aussi passionnantes que les débats sur le sexe des anges.
Comment, en 2020, le fascisme peut-il se présenter comme une solution moderne ? En enfilant une cravate. Voyez la Cravate.

Deux, psychologiquement.
Ce film est avant tout le portrait d’un jeune homme singulier. Certes les films qui dressent les portraits, et narrent par le menu les itinéraires, de militants d’extrême-droite ne manquent pas, de Lacombe Lucien (Louis Malle) à Un français (Diastème), du Conformiste (Bertolucci) à Chez nous (Lucas Belvaux)… Chacun a ses mérites. Aucun n’a le mérite de la Cravate, qui regarde et écoute sans le moindre surplomb son protagoniste, le jeune Bastien Régnier. « Ni rire, ni pleurer, ni haïr, mais comprendre. » (Spinoza, Traité politique)
Comment, en 2020, un jeune fasciste peut-il s’inventer un destin ? En enfilant une cravate. Voyez la Cravate. Et si comme moi vous le voyez en DVD, ne loupez en aucun cas parmi les bonus l’indispensable épilogue qui parachève le récit, l’intervention dudit Bastien Régnier à la sortie du film, prenant acte du rôle même que le tournage aura joué dans sa propre histoire et redevenant sujet pensant.

Trois, sociologiquement.
Le portrait du jeune homme singulier devient ensuite représentatif de ce qui le dépasse et c’est ici que l’effet devient très, très fort. J’ai vu ce film il y a huit jours, et sur le moment j’ai cru qu’il m’aiderait seulement à comprendre les récentes élections présidentielles, les 41,45% de Le Pen, et que ce serait déjà bien. Mais non. Il a d’autres choses à me dire. Alors qu’il continuait à mûrir dans mon esprit, éclate aujourd’hui à Uvalde, Texas, une énième tuerie de masse américaine en milieu scolaire qui fera encore se lamenter The Onion c’est comme ça qu’est-ce qu’on y peut il n’y a rien à dire nous ne pouvons que pleurer et prier. Et par surprise, ce massacre aussi, je le comprends tragiquement grâce à la Cravate – mais je ne peux en dire davantage sans prendre le risque de déflorer une scène clef du film.
Comment, en 2020, la pulsion meurtrière, la violence armée et retournée contre l’école d’un homme en perdition, en situation d’échec et de haine de soi, en complète rupture familiale et sociale, peut-elle trouver à s’employer/à se canaliser/à se sublimer/à se faire oublier ? En enfilant une cravate. Voyez la Cravate.

Et quatre, bien sûr, cinématographiquement.
Une portion du public ignore (et, je ne nourris hélas aucune illusion à ce sujet, ignorera toujours, la pédagogie n’y fera rien) qu’un documentaire peut être une œuvre d’art – de même, d’ailleurs, que d’autres catégories culturelles une fois pour toutes reléguées au second rang, une bande dessinée, un livre jeunesse, un polar, une chanson pop, une série B…
Or ce documentaire est une œuvre d’art absolue, créant du sens neuf avec les purs moyens esthétiques à sa disposition, audiovisuels. Il invente un dispositif cinématographique inédit et fulgurant, quoique très littéraire puisque certaines scènes capitales filment le protagoniste en train de lire la retranscription de la voix off du film lui-même, très écrite, lettrée et romanesque, qui rappelle aussi bien Hugo ou Balzac que le Modiano de Lacombe Lucien – et soudain une lecture silencieuse devient une brûlante scène d’action cinématographique ; il invente en choisissant de placer caméra et micro ici plutôt que là ; il invente en jouant sur la chronologie, les niveaux de récit, les effets de montage ou de mixage (par exemple, dans un meeting, les mots du discours disparaissent, anecdotiques ou mécaniques par rapport aux visages du public) ; il invente enfin et surtout en façonnant sur le long terme une relation de confiance et de vérité sans précédent entre celui qui filme et celui qui est filmé – relation incluant in fine, par généreux ricochet, celui qui regarde.
Comment, en 2020, un film peut-il vous éclairer en vous racontant une histoire que vous pensiez connaître, mais qui vous avait totalement échappé ? En enfilant une cravate. Voyez la Cravate.

Idéal connard

14/05/2022 un commentaire

Onésime et Élisée commencent alors à me parler
De tous les gens formidables qu’ils ont rencontrés
Bien sûr ils ont aussi croisé quelques salauds
C’était souvent des chefs dans le boulot

Bérengère Cournut, Élise sur les chemins

C’est reparti (ça recommence demain) ! Marimazille et moi-même nous taquinons à coups d’idées de chansons. Marie puise son inspiration dans des infos à la une du web, notamment scientifiques mais exclusivement saugrenues.

C’est ainsi il y a une paire d’années qu’elle m’avait défié d’écrire une chanson sur la découverte sensationnelle des fossiles de spermatozoïdes géants vieux de cent millions d’années… Je m’en suis acquitté et tu peux écouter ce chef d’œuvre en alexandrins à rime unique, –ide.

Puisque nul n’arrête la marche du progrès scientifique, ce coup-ci Marie me transfère une autre révélation fracassante qui vient secouer le milieu académique international : la formule du connard idéal (de l’asshole, en VO) vient d’être mise au jour par une équipe de chercheurs de l’université de Georgie. Certes, cette définition rigoureuse et méthodique du connard manquait à chacun de nous, qui employons cette insulte de façon si désinvolte ; une chanson pour chroniquer l’événement, aussi. OK, je m’y colle, je sens bien que si je n’écris pas cette chanson personne ne le fera et on ne saura pas ce qui nous manque. À nouveau en alexandrins à rime unique, -ard, comme Fond du Tiroir, par exemple.

De la vulgarisation ? Oui, mais de la vulgarisation de mirliton !

Intro
Les progrès de la science sont tellement rapides
(ah non au temps pour moi, mon erreur est stupide !
J’ai confondu avec une chanson en “-ide”
Désolé, je reprends pour éviter le bide…)

1
Les progrès de la science sont tellement bonnards
Qu’on a élucidé dans un laboratoire
Grâce à des savants fous et à tout leur bazar
Éprouvettes, cornues, alambic et sonar
Le vrai portrait-robot en mode opératoire
La formule chimique du parfait connard !
(gare au connard ! gare au connard ! gare au connard !)
2
Tu m’as bien entendu ! C’est pas un canular
Si tu ne me crois pas attends que je te narre
Quand j’aurai terminé tu seras moins ignare
Enfin tu pourras dire “Je sors du brouillard”
Sans même avoir besoin de brancher ton radar
Tu sauras repérer le plus parfait connard !
(gare au connard ! gare au connard ! gare au connard !)
3
Hommage soit rendu à ces brillants thésards
Qui consacrent leur vie à des questions bizarres
Et grâce à leur recherche augmentent le savoir
Universel car oui la science est un art
Venons-en au sujet : au fait et pour mémoire
A quoi ressemble-t-il notre fameux connard ?
(gare au connard ! gare au connard ! gare au connard !)
4
Selon les statistiques, sources contradictoires,
Le profil idéal serait multistandard :
Ton ex qui t’a déçu en quittant ton plumard
Ou bien ton actuel qui manque encor’ d’égards
Ou bien un harceleur qui te suit dans le noir
En bref il est tout près, derrière toi un connard !
(gare au connard ! gare au connard ! gare au connard !)
5
Quoi d’autre ? Un chefaillon qui t’en aura fait voir
En jouissant d’exhiber son infime pouvoir
Un gougnafier sans gêne, un mesquin, un avare
Un gros bâtard qui a forcé sur le pinard
Ou un ancien ami qui te plante un poignard
En répétant partout que c’est toi le connard
(gare au connard ! gare au connard ! gare au connard !)
6
Un dépressif qui t’a pris pour son déversoir
Un religieux qui te bénit à l’ostensoir
Un omniscient et ses maudits airs péremptoires
Un cruel qui fait mal pour rien et puis se marre
Un bavard, un tocard, voire un raton-lavoir
Alerte on est cernés, au secours, des connards !
(gare au connard ! gare au connard ! gare au connard !)
7
T’en veux encore ? L’escroc qui t’aura pris pour poire
Ou un voisin bruyant, sa femme et ses moutards
Un manipulateur et son art oratoire
Cousin relou, beau-frère réac, tonton Gérard
Enfin tu m’as compris, panel aléatoire
La conclusion s’impose, partout est le connard.
(gare au connard ! gare au connard ! gare au connard !)
8
Mais attention car tout le monde (ou la plupart)
Est susceptible un jour, de l’enfant au vieillard
De correspondre peu ou prou à ce lascar
Toi-même tu devrais vérifier tôt ou tard
Si un de ces matins et comme par hasard
Il n’apparaîtrait pas au fond de ton miroir
(gare au connard dans ton placard ! gare au connard dans ton placard !)

Kirby Krackles

07/05/2022 Aucun commentaire

Il me restait un seul film de Terrence Malick à voir, Voyage of time (titre français : Au fil de la vie, 2016). Voilà qui est fait, ce soir.

L’opus a beau être étiqueté documentaire, on aurait quelque peine à identifier la moindre différence avec ses fictions. En effet, l’expérience est familière. Ce que l’on voit est splendide comme du Terrence Malick, les plans cosmiques contemplatifs (coucou l’ultimate trip de 2001 l’Odyssée de l’Espace, inépuisable source d’inspiration) délivrant au spectateur le contractuel vertige devant les espaces infinis ; et ce que l’on entend est barbant comme du Terrence Malick, la voix off (ici ânonnée par Cate Blanchett), prêchi-prêcha new age et niaiseux digne d’une scène ouverte de poètes amateurs, soulignant en permanence à l’attention dudit spectateur ledit vertige devant lesdits espaces infinis.

Alors que zut, il suffit d’une seule pensée de Pascal pour se remémorer la notion qui manque cruellement à Malick :

Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie.

… notion qui n’aura échappé ni à Kubrick évidemment (2001 est quasiment un film muet), ni à Baudelaire :

Pascal avait son gouffre, avec lui se mouvant.
– Hélas ! tout est abîme, – action, désir, rêve,
Parole ! Et sur mon poil qui tout droit se relève
Maintes fois de la Peur je sens passer le vent.
En haut, en bas, partout, la profondeur, la grève,
Le silence, l’espace affreux et captivant…
Sur le fond de mes nuits Dieu de son doigt savant
Dessine un cauchemar multiforme et sans trêve.

J’en étais là de ce film sublime et fastidieux, émerveillé par le lyrisme des travellings de l’espace tout en songeant distraitement à Baudelaire, lorsque soudain une révélation m’a fait écarquiller les yeux et presser le bouton pause. Sur l’écran, quelque chose se passait. Une éruption volcanique sous-marine. Et j’y ai vu autre chose, d’encore plus grand et de plus abstrait.

J’ai été foudroyé par l’évidence : ce si puissant spectacle naturel était la représentation la plus proche des « Kirby Krackles » que l’on pourrait jamais espérer rencontrer dans le monde réel.

Pour qui l’ignorerait encore, Jack Kirby (1917-1994) est un immense créateur, d’un calibre que nous croisons dix ou douze fois durant notre existence si nous avons beaucoup de chance, à même de repeindre l’intérieur de notre œil pour nous préparer à regarder le reste du monde, et ses visions seront les nôtres, en surimpression. De fait, je pense à Kirby (ou à Kubrick ou à Pascal ou à Baudelaire) en regardant Malick alors que je n’ai jamais convoqué Malick en lisant du Kirby, par conséquent il me faut conclure que Kirby est un plus grand artiste que Malick, CQFD.

L’art de Kirby est un art populaire et démocratique, sur papier journal et quadrichromie, accessible aux enfants dès 5 ans, puisque Kirby est un artiste de comic books, opérant essentiellement dans le registre de la science-fiction. Sa qualité démiurgique fait, par exemple, que lorsque j’ai vu pour la première fois la skyline de New York j’ai immédiatement reconnu qu’elle était dessinée par Jack Kirby (où est le Baxter Building ?) ; lorsque j’assiste à un combat de rue j’ai envie de crier aux pugilistes Montrez-moi vos poings, les gars, que je les vérifie s’ils sont dessinés comme chez Kirby ! ; lorsque je rêve, allongé sous la voûte céleste une nuit d’été, je reçois non seulement mon content d’étoiles mais aussi d’histoires, je médite sur les dieux cosmiques de Kirby et je comprends la naissance de toute religion ou mythologie.

Et puis, bien sûr, devant n’importe quelle source d’énergie, une flamme ou une centrale électrique qui bourdonne, ou même un cœur qui palpite, je vois distinctement autour d’elle les ondes, frémissements, crépitements, grésillements, vibrations ! Les Kirby Krackles.

Les Kirby Krackles, l’une des inventions graphiques les plus célèbres et les plus reconnaissables de Kirby, son indiscutable signature, consistent en amas de taches rondes et noires, de taille et de concentration variables, qui par convention permettent de représenter sur un support en deux dimensions la manifestation d’une énergie quelconque, organique, mécanique, nucléaire, magique. Tournoiement des atomes et des planètes ! Cosmogonie et cosmologie ! Bouillonnement des particules et des désirs ! Magnétisme animal ! Orgone ! Force de l’Od ! Chi ! Radiation atomique ! Dans tous les cas, soupe primordiale en ébullition, magma remué par un dieu démiurge.

Un bel échantillon de Kirby Krackles
Un autre, pour le plaisir
et, à titre d’intéressante comparaison, une projection de Mollweide du rayonnement fossile (Fond diffus cosmologique) de notre univers, assemblée des décennies après les chefs-d’œuvre de Kirby.

Revenons à ce Voyage of time arrêté sur l’image. Une éruption volcanique sous-marine ! Devant mes yeux les forces primitives contradictoires, telluriques et océaniques, s’entrechoquent, crépitent et explosent au contact l’une de l’autre comme le feraient matière et antimatière… Le solide se transforme en liquide, le brûlant se transforme en glacé, le bleu se transforme en rouge qui se transforme en noir, la roche se transforme en feu qui se transforme en eau, l’ordre se transforme en chaos puis en un tout nouvel ordre, entre chaque état la métamorphose engendre des lignes mouvantes de craquements et de bulles, et je vois, je jure que je vois les flux et les flots de krackles dessinées par Kirby, jets d’énergie pure promettant et léguant la vie elle-même. C’est la scène primitive définie par Freud, à la fois fascinante de vérité et insupportable d’obscénité, mais étendue de la chambre à coucher à l’échelle des galaxies, révélant l’origine non de notre dérisoire personne née d’organes génitaux, mais du cosmos tout entier. Si poétique et si violent, si immense et si beau, la terreur et l’extase. Kirby et la nature sont deux merveilleux artistes. Les contempler offre une idée de la façon dont un monde peut naître.

Terrence Malick aussi, parfois, quand il la boucle.

Le paradoxe, pour revenir à la notion de silence, est que Kirby était lui-même verbeux à la limite du tolérable quand il écrivait ses histoires, et qu’il avait même réussi le contre-exploit de rendre bavard 2001 l’Odyssée de l’espace. Mais on a le droit d’admirer l’œuvre de Kirby sans lire les phrases qui l’accompagnent.

Pour rendre hommage à Kirby, un détour par Stendhal, car le Fond du Tiroir n’a peur de rien :

Stendhal (1783-1842) : « Eh, monsieur, un roman est un miroir qui se promène sur une grande route. Tantôt il reflète à vos yeux l’azur des cieux, tantôt la fange des bourbiers de la route. Et l’homme qui porte le miroir dans sa hotte sera par vous accusé d’être immoral ! Son miroir montre la fange, et vous accusez le miroir ! Accusez bien plutôt le grand chemin où est le bourbier, et plus encore l’inspecteur des routes qui laisse l’eau croupir et le bourbier se former. »
Jack Kirby (1917-1994) [répondant à la question « Les bandes dessinées reflètent-elles la réalité ? »] : « Non, les bandes dessinées transcendant la réalité. Madame, si vous cherchez à refléter la réalité, vous ne réussirez qu’à la représenter à l’envers. Mais si vous parvenez à la transcender, alors vous avez une chance de comprendre ce qui se passe. »

Illustration ci-dessous : Frank Zappa et Jack Kirby, bras dessus, bras dessous, circa 1980. Ils étaient voisins en Californie et sont morts à trois mois d’intervalle.
Sources :
Citation Stendhal, Le Rouge et le Noir, II, XIX.
Citation Kirby, Jack Kirby, King of comics, biographie par Mark Evanier.
Photo, https://zappainfrance.blogspot.com/2009/12/et-frank-zappa-rencontra-jack-kirby_07.html

PS : Je suis en train de lire, ce que je n’avais jamais fait dans son intégralité et sa continuité, le chef-d’œuvre de Kirby, le Quatrième Monde (Fourth World), et cela me prendra, oh oui pas de verbe plus exact, cela me prendra jusqu’à la fin de l’été. Ou de l’année. Chef-d’œuvre fleuve, inégal, bancal, délirant, mal fichu, incohérent, compromis (oui, le qualificatif qui convient est davantage compromis que plein de compromis), inachevé… mais chef-d’œuvre tout de même, on gravira au fil de la saga maints sommets épiques et mythologiques, parmi lesquels l’épisode culte des New Gods intitulé The Pact, où Kirby tutoie Shakespeare, les Atrides grecs ou le Mahabharata. Sans déconner.
Pourquoi Quatrième au fait ? Kirby n’a jamais donné d’explication à cette numérotation qui semble arbitraire… Soit c’était juste qu’à l’époque l’expression « tiers-monde » était déjà prise et que Kirby poussait toujours le curseur au minimum 25% plus loin que les autres ; soit c’était une mention du groupe de latin jazz de Flora Purim (groupe fondé dans les années 1990… quel visionnaire ce Kirby d’en parler dès 1970 !) ; soit il s’agissait d’une allusion cryptique à certains mythes amérindiens (pour en savoir plus sur le concept de Quatrième monde chez les Hopis, lire Ainsi parlait Nanabozo).
Par ailleurs, pourquoi le lire maintenant ? Parce qu’Urban Comics vient de le rééditer en quatre beaux volumes ? Certes. Mais également, et je viens seulement de le comprendre, parce que Kirby s’est lancé dans cette histoire en 1970, à l’âge de 53 ans, au sommet de sa créativité et de la maîtrise de ses moyens. L’âge que j’ai aujourd’hui. Bon sang ! Il a fait ça, lui, à 53 ans ! Et moi ? Rien ! Rien du tout ! (Bon, au moins suis-je toujours vivant, contrairement à la cohorte des débarqués de la 53e borne, Philip K. Dick, Tchaikovsky, Tocqueville, Bourvil, Pier Paolo Pasolini, George Michael, Fred Chichin, Daniel Darc, René Descartes, Mary Shelley, Maria Callas, et même Lénine. Que faire ! Sinon jouer ce petit jeu maniaque chaque année !)

Marchons, marchons, mais dans une autre direction

01/05/2022 Aucun commentaire

Les éditions phonographiques EPM viennent de publier Gaston Couté, jour de lessive, qui déploie en deux CD quelques-unes des chansons du grand poète anarchiste, entonnées par ses héritiers du XXIe siècle : Gérard Pierron, Laurent Berger, la Bergère, Marc Ogeret, Loïc Lantoine, Coko, Danito, etc.

Et puis bien sûr il y a La paysanne, chantée par Marie Mazille et nous autres, vibrante comme si elle avait été écrite ce matin, hymne national officieux qui aurait de quoi faire rougir de honte la Marseillaise – elles n’ont guère en commun que le « Marchons ! Marchons ! » volontariste, mais il suffit de se souvenir que n’importe quel parti, et pas le moins vulgaire, peut s’intituler « En marche » pour négliger ce lieu commun si facilement récupérable (ledit parti vient du reste de changer d’enseigne comme on retourne sa chemise et répond (?) désormais au nom de Renaissance alors même que le quattrocento ne lui appartient pas davantage que la marche à pied).

Écoutons, réécoutons cette chanson. « Eh bien, j’en suis ! », comme dit la Canaille : je suis là, quelque part dans les chœurs qui grondent.

S’agit-il d’une consigne de vote ? En quelque sorte.

Les détails ici : Michel Kemper en personne présente la collection Nos enchanteurs inaugurée par ce double album Couté.

Et puis, pour une autre exégèse, une rediffusion au Fond du Tiroir.