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21/04/2022 un commentaire

Comment ? Il paraît qu’un événement national aura lieu ce dimanche 24 avril ? Attendez, je ne vois pas de quoi vous parlez… Laissez-moi réfléchir… Ah, mais oui, bien sûr ! Le début du stage de printemps à Bourgoin-Jallieu ! Avec notamment l’atelier « Ecriture de chansons » par MMMM (Marie Mazille et Mézigue pour Mydriase) !

Et voilà que, dommage collatéral, cette nuit je participais avec ma fille à un atelier d’improvisation théâtre-clown, dirigé par François Raulin (qui dans le monde réel dirige un orchestre où j’improvise au trombone).
Avec son énergie et sa vitesse habituelles, François lance les thèmes et pousse les gens sur la scène. Il nous désigne, ma fille et moi, en deux coups d’index : « Allez, on y va, hop-hop, vous deux, vous tournez dans une émission de téléralité, il y a le présentateur qui retrace la carrière de son invité et appelle à monter sur scène successivement sa famille, ses amis et son chat. Vous avez deux minutes pour vous préparer. »
Immédiatement j’empoigne un papier et un stylo, je commence à écrire à toute vitesse et je dis à ma fille : « Alors… c’est moi qui tiens le micro, je te présente tout mielleux tout sourire, attends j’ai une super idée, je me fous en caleçon et je te dis comme si de rien n’était : Merci beaucoup d’être venue, nous sommes ravis de vous recevoir, nous avons envie de tout savoir de vous, y compris votre inconscient, vos cauchemars récurrents, par exemple, racontez-nous : cela vous arrive-t-il de rêver que vous apparaissez en public en sous-vêtements, pas du tout préparée ? Ah ah, trop marrant, non ? »
Et en riant je commence à me dessaper. Ma fille lève les yeux au ciel et me dit en soupirant : « Mais arrête, qu’est-ce que tu fous, rhabille-toi, et d’ailleurs arrête d’écrire tout à l’avance, c’est un atelier d’improvisation, pas d’écriture… »
Je me réveille, et je recommence illico à cogiter à notre stage de chansons qui commence dans quatre jours.

Chronique colibri, en trois actes

11/04/2022 Aucun commentaire
Vénus de Willendorf, Musée d’histoire naturelle de Vienne (Autriche)

Comment faire de la politique ? Je veux dire au-delà de voter, pour ce que ça sert. En ce jour de gueule de bois électorale, nous faisons mon Doliprane et moi le tour de la presse en ligne, je cueille Le premier tour, et après ? Constance Debré : “Le pouvoir politique n’est pas tout. La politique c’est nous, c’est chacun de nous”, je suis bien d’accord, mais comment faire ?

Dans une époque lointaine, à une bonne décennie d’ici, mes livres me valaient des sollicitations, notamment scolaires, et je savourais la bonne fortune d’être un auteur qui rencontre des classes : parfois des primaires, beaucoup de collèges, quelques lycées. Bien sûr, j’adorais dans cet exercice l’opportunité de faire mon show, j’étais comme sur scène et je m’en donnais à cœur joie ; mais pas seulement. Pas gratuitement. Je prenais au sérieux la responsabilité, la dimension sociale et politique du job. Je causais avec des jeunes, j’étais avide de leurs interrogations, et j’en retirais le sentiment, tout aussi gratifiant que mon pur plaisir cabotin, de faire œuvre utile. J’offrais ici et maintenant une contribution au débat, à l’éveil des consciences, carrément une bonne action de colibri. Je partageais directement, joyeusement mais humblement (je réfléchis juste devant vous, avec vous, mais je ne détiens pas la Vérité), ma culture plus ou moins générale, mes idées humanistes, le témoignage personnel de ma quête de beauté (un peu subversive, comme le sont toutes les quêtes de beauté), une parole libre surgie au beau milieu de la routine scolaire. Je faisais de la politique.

Puis le monde a changé et moi aussi. Durant les années 2010 mes livres sont passés de mode, et le contexte global s’est durci (a priori, aucun lien de cause à effet entre les deux événements). J’ai cessé d’être invité à rencontrer des classes. Comme le désastreux quinquennat Hollande avait vu (avait laissé) la laïcité devenir un problème, je m’étais dit naïvement que sur ce sujet je pouvais, que je devais, aller au contact des jeunes, discuter, débattre, pour réfléchir ensemble, avec ou même sans le prétexte de mes livres (notamment celui que j’ai publié le 7 janvier 2015). Ces rencontres auxquelles j’aspirais n’ont pas eu lieu (cf. un lamentable bilan dressé deux ans plus tard, en 2017).

Ensuite, pétri de doutes mais aussi d’ambitions, j’ai consacré quatre ans à l’écriture d’un volumineux roman que je me figurais très politique. Aussi, dès sa sortie en 2021, je me calais dans les starting-blocks, impatient d’en parler, d’en découdre, à moi les rencontres ! Malheureusement, le roman n’a fait aucun bruit sinon flop, seuls mon éditrice et moi-même savons que ce livre est ce que j’ai écrit de meilleur, et je n’aurai connu aucune occasion d’en discuter avec de jeunes lecteurs. Encore raté.

Par conséquent, ne me reste que mon autre métier. Pour l’heure ce n’est plus que durant mon activité salariée de bibliothécaire que j’ai, parfois, l’opportunité de discuter avec de jeunes lecteurs, de jouer mon rôle de colibri, ma mission automissionnée d’éveilleur politique. Voici une brève chronique professionnelle de mes joies maïeutiques, en trois actes, en trois anecdotes qui n’ont que la valeur des anecdotes – c’est-à-dire celle qu’on leur donne.

Acte I (niveau élémentaire) – La Vénus de Willendorf, janvier 2022

Je reçois en ma médiathèque une classe de CM1 à qui je dois présenter une série de petits romans pour lecture suivie à l’école. L’un de ces romans, mi-chronique sociale, mi-fantaisie, raconte les pouvoirs magiques d’une figurine préhistorique exhumée dans un chantier de fouille à côté d’une école.
Je raconte, je résume, je lis le début, je mets le ton pour les amuser, les inciter et les exciter… Et soudain, je pars en roue libre. Alors que ce n’était pratiquement pas prévu, je me mets à broder au sujet de la fascinante figurine en question. J’improvise sous leurs yeux.

« D’après la description du roman, cet objet, statuette qui représente une femme avec des grosses fesses et des gros seins (rires dans l’assemblée) a pour modèle une Vénus paléolithique telle que la Vénus de Willendorf. Vous savez ce que c’est, une Vénus paléolithique ? C’est un genre de trouvaille archéologique, l’une des plus vieilles représentations humaines faite par des humains, et ça date de 20 ou 30 000 ans, tiens, regardez, je vous en ai imprimé une photo (grosses fesses, gros seins, rires dans l’assemblée).
Ces objets sont émouvants parce qu’ils sont extrêmement vieux, mais ils sont très mystérieux. On ne sait pas au juste à quoi ils servaient, on n’a pas de mode d’emploi puisqu’ils viennent de la préhistoire, donc d’avant l’écriture. On suppose qu’ils avaient une valeur religieuse, parce qu’à quoi bon mettre autant de soin dans un objet s’il n’est pas sacré, hein ? C’est pour ça que faute de mieux, on les appelle des Vénus, par allusion à la déesse de l’amour chez les Romains. Oui, on peut supposer qu’il s’agit d’une déesse. La déesse-mère, ou la déesse de la fertilité, de la maternité, de la protection, etc. Ce qui laisse rêveur, enfin je ne sais pas vous, mais moi je suis drôlement rêveur, c’est que cette archaïque représentation d’une divinité à l’allure humaine, c’est une femme. Ce qui voudrait dire qu’il y a 20 ou 30 000 ans, Dieu était une femme. Dieu en tout cas pouvait être une femme. Les religions récentes, celles qui sont à la mode, là, les monothéismes qui ont 4000 ans à tout casser, voire à peine 1400, soit de vrais gamins par rapport à ce témoignage d’il y a 20 ou 30 000 ans, ne parlent jamais que d’un Dieu, masculin, même pas de point médian Dieu*esse. Ce n’est qu’avec l’invention du monothéisme, que l’on subit encore, que nous sommes partis du principe que Dieu était un bonhomme, souvent vieux et barbu, à l’image de son chouchou l’humain mâle, rien à voir avec l’autre moitié femelle de l’humanité, avec grosses fesses et gros seins (rires) considérée au mieux comme un mal nécessaire. Et c’est ainsi que la religion institutionnelle est l’alliée objective du patriarcat. Comment ça, vous ne panez pas un mot de ce que je vous raconte depuis 5 minutes ? Mais enfin, vous êtes grands, vous avez déjà 9 ans, vous devez savoir ce qu’est le patriarcat, tout de même, non ? Qu’est-ce qu’on vous apprend à l’école ? Bon, okay, je vous explique en deux mots ce qu’est le patriarcat… Mais vite fait parce qu’on a encore cinq romans à voir… »

Je me suis emballé, je l’avoue, mais ça va, c’est passé. Du reste ce n’était pas gagné, je me souviens d’une autre fois où j’avais évoqué les religions… J’ai attendu quelques jours, redoutant un possible retour de bâton, une plainte d’un parent d’élève indigné, ou d’un instite me rappelant qu’il a un programme à traiter… Et puis rien. C’est passé, crème. Donc on peut.

Acte II (niveau collège) – Contrefeu, décembre 2022

Tiens ? Me voilà bombardé tuteur de deux stagiaires de 3e qui viennent effectuer leur stage en entreprise à la médiathèque. Leur semaine a commencé par une entrevue où nous avons fait connaissance (Alors, ça vous intéresse, la médiathèque ? Euh ben euh oui mais surtout y’a qu’ici qu’on nous a pris…) et je leur ai présenté le métier. Ils m’ont lu à haute voix les questions préparées à leur attention dans une grille clefs en main, un beau tableau Excel.
« Quelle est l’activité de l’entreprise ? »
« Quelles sont vos relations avec la clientèle ? »
etc.
J’ai lâché un discret soupir et je me suis lancé dans le contrefeu, prompt à endosser mon sacerdoce pédagogique.
« Okay, les gars, vous êtes là pour découvrir le monde du travail, pas vrai ? Alors on va tout reprendre à zéro. Pour des raisons statistiques mais aussi idéologiques, « l’entreprise » se fait passer pour le seul modèle de cadre professionnel, alors qu’il en existe de nombreux autres dans le monde merveilleux du travail. Une entreprise, au fond, n’a qu’une seule fonction, voire un seul métier : gagner de l’argent. En vendant des pneus neige, des ordinateurs, des actions, des leçons de coaching en développement personnel, en vendant ses muscles ou bien son cerveau, peu importe, le métier reste en gros le même, gagner de l’argent. Toutes les autres formes de métiers, dont la fonction n’est pas de gagner de l’argent, sont discréditées, dénoncées comme peu sérieuses et parasitaires, ou tout simplement oubliées sur les questionnaires qu’on fournit aux stagiaires de 3e… pourtant elles existent, vaille que vaille. Il y a les emplois dans les associations, par exemple. Il y a aussi le bénévolat. Il y a surtout le service public. Vous savez ce que c’est le service public ? »
Ils me regardent, perplexes, stylo figé, ce que je suis en train de raconter ne rentre pas dans leur grille.
« Le service public est un ensemble de métiers extrêmement variés puisqu’il se déploie autour de nombreuses fonctions essentielles, vitales, accessibles théoriquement à tous… mais souvent gratuites, et pour cette raison même distinctes du métier unique de l’entreprise qui est, pour rappel, de gagner de l’argent. Par conséquent, ces métiers sont un peu méprisés, ils ne valent rien. Éduquer, soigner, assurer l’entretien des espaces communs, la protection des citoyens, et aussi mettre la culture à disposition de tous, comme ici à la médiathèque. Vous voyez le truc ? Nous n’avons pas de clients parce que nous n’avons rien à vendre, seulement des services à offrir et le public à servir, comme l’indique le nom service public… J’ai donc un peu de mal à répondre à cette question sur ma clientèle. Bon, question suivante ? »
« Heu… Quel est le salaire moyen dans l’entreprise ? »

Acte III (niveau lycée) – La Vie ne vaut rien, novembre 2021

Hier : j’étais en grève pour la cinquième fois en deux mois – des collègues, ailleurs, cumulent trois fois plus de jours de lutte, dans l’indifférence absolue des pouvoirs publics. Pourquoi ? Pour protester contre le contrôle du pass sanitaire au seuil des bibliothèques, ces lieux de savoir et de loisir ouverts à tous gratuitement et qui, conséquence de cette gratuité, malgré les 15000 signatures de la pétition en ligne, n’ont pas de valeur, n’ont pas le moindre poids économique comparé aux hypermarchés où l’on peut s’entasser par centaines sans avoir à présenter de QR code, mais seulement sa carte bleue (véritable pass universel en ce monde).

Le seul poids économique de la grève est privé, sur mon bulletin de salaire. Aussi, pour limiter la casse, en réalité je n’étais hier qu’à moitié en grève, dans la manif devant la mairie l’après-midi, mais fidèle à mon poste de prêt le matin, injectant des doses de Virginie Grimaldi et d’Amélie Nothomb à des lecteurs masqués et opportunément munis de leur attestation vaccinale.

C’est alors qu’une adolescente est venue me demander un renseignement, puisque nous sommes là aussi pour elle. « Je peux vous poser une question ? » Elle avait en main un bloc et un stylo. Ben oui, bien sûr, vas-y pose. Je me préparais à lui indiquer le rayon où elle trouverait de quoi préparer son exposé sur la construction européenne, le réchauffement climatique ou la mythologie grecque. Mais non, il s’agissait de tout autre chose.

« Que vaut la vie ? »

J’ai écarquillé les yeux et par réflexe je les ai détournés vers la fenêtre, comme si la réponse était dans le ciel. J’aurais voulu vous y voir. Les bibliothécaires sont là pour répondre à toutes les questions. D’où qu’elles viennent, il faut les prendre au sérieux, cela fait partie du métier, un petit effort.

Après quelques longues secondes de silence, mes yeux sont revenus sur les siens, j’avais fini par trouver quoi dire, j’ai prononcé une citation qui est un peu d’André Malraux et un peu d’Alain Souchon : La vie ne vaut rien, mais rien ne vaut la vie. Je lui ai même fredonné la mélodie, en précisant qu’il était bien normal qu’elle ne la connaisse pas, cette chanson a une vingtaine d’années, nettement plus vieille qu’elle, une chanson de daron. Je me suis bien sûr abstenu de lui chanter en entier le refrain car il y est question d’une paire de jolis petits seins, il ne manquerait plus que je me fasse traiter de pédophile.

Elle a hoché, a paru à moitié satisfaite de mon plaisant paradoxe mais l’a tout de même noté sur son bloc, et moi j’ai repris ma tâche, remettant des doses de Marc Levy ou de JK Rowling entre des mains frottées au gel hydroalcoolique. Pourtant, deux minutes plus tard, profitant d’un creux dans la file, je l’ai rappelée pour développer un peu :

« Les citations sont très pratiques lorsqu’on est pris de court, elles nous permettent de commencer à penser, mais ensuite, à partir d’elles, on peut creuser tout seul. Comment creuser à partir de La vie ne vaut rien mais rien ne vaut la vie ?
Eh bien, on peut poser une question à ta question, d’où viennent les mots qui la composent ? On peut réfléchir sur le verbe valoir, sur la valeur. Je crois que nous sommes tous, globalement, sous l’influence d’une certaine manière de penser, manière de penser consensuelle qu’on peut appeler idéologie, et qui nous fait formuler les questions, et les réponses, avec certains mots et pas d’autres.
L’idéologie dominante, ici et maintenant, nous force à estimer la valeur des choses, y compris la valeur des gens, de façon comptable : c’est en euros que l’on estime. Nous ne cessons jamais de poser des questions dont la réponse est exclusivement numérique, numéraire, tarifée : Combien ça coûte ? Quel métier rapporte ? Combien tu gagnes ? Combien tu dépenses ? Qu’est-ce que j’y gagne ? Quel est la fortune de tel people ou d’Elon Musk, et par conséquent quel est le prestige et le sérieux de ladite personne ? etc. Bref, nous en venons à penser en permanence comme des comptables, en cohérence avec l’idéologie comptable qui prévaut.
C’est ici que le paradoxe La vie ne vaut rien mais rien ne vaut la vie est très utile, pour briser, ne serait-ce qu’une petite seconde, cette pensée en nous, pour protester contre les excès de cette idéologie qui prétend tout quantifier en termes de profits et de dépenses, tout acheter et tout vendre, y compris la vie elle-même. Que vaut la vie est une question que pourraient poser des compagnies comme Monsanto dont le projet est de privatiser la vie, et donc d’accumuler plus de vie que les autres dans leurs coffres. Or c’est une aberration. Parce que les choses les plus importantes de la vie… Je ne sais pas, moi, euh, attends, par exemple…

Je lui laisse le temps d’intervenir. Elle intervient.

– Tomber amoureux ? »

Mon index a tranché l’air en signe d’approbation, j’étais épaté du répondant. Cette jeune fille avait déjà beaucoup vécu, n’avait nul besoin du prêche intégral pour pressentir d’elle-même les tenants et aboutissants.

« Exactement ! Excellent exemple, merci. Combien ça vaut, l’amour ? Deux euros cinquante ou dix milliards d’euros ? Aucun des deux. Donc, a priori, l’amour ne vaut rien. De quoi faire enrager les comptables, y compris le mini-comptable qui squatte notre cerveau. Et pourtant, rien ne vaut l’amour. Tu comprends le truc ? »

Bien sûr, elle comprenait. Elle m’a remercié et elle est repartie avec son bloc et son stylo, et moi j’ai continué à prêter du Max et Lili et du Eric Zemmour à des citoyens dûment vaccinés. Mon métier est assez beau, parfois. J’étais à présent suffisamment remonté pour le défendre au point de me mettre en grève l’après-midi même.

Dans ce millénaire

05/04/2022 Aucun commentaire

Hier, « éclats de lecture » dans une maison des habitants à Grenoble, atelier participatif « création de chansons » avec Marie Mazille. Thème imposé, politiquement correct et cependant nécessaire : Grenoble capitale verte, l’environnement, l’écologie…

En une heure et quelque a surgi, sur le tableau, autour des langues et dans l’accordéon, la chanson ci-dessous, très enlevée, très anxiogène (je crois que c’est râpé en tant qu’hymne officiel de Grenoble Capitale Verte…), sur une seule rime : -ert (comme vert).
Pas tous les jours que je rends public un simple travail d’atelier… Une fois n’est pas coutume, je trouve cette chanson-ci particulièrement bien troussée. Et encore, vous n’entendez pas la musique.

Dans ce millénaire
Montée de l’Isère
Grenoble sur Mer
Station balnéaire
Tout va de travers
C’est pas c’qu’on espère ?
Mystère, mystère, mystère…

Dans ce millénaire
La terre en jachère
Grenoble désert
Kif-kif Le Caire
Qui sera le maire ?
Sera-t-il berbère ?
Mystère, mystère, mystère…

Dans ce millénaire
Tout va de travers
Grenoble à l’envers
Par manque de flair
Vivrons-nous sous verre ?
Ou sous terre ? Ou sous serre ?
Mystère, mystère, mystère…

Dans ce millénaire
Canicule en hiver
L’été en chaudière
Grenoble se terre
Brûle dans sa chair
Vers quel cimetière
Mystère, mystère, mystère

Dans ce millénaire
Toujours accélère
Tout droit dans l’ornière
Aucune barrière
Changer ou se taire
Retiens tes sphincters
Mystère, mystère, mystère

Dans ce millénaire
La vie est précaire
L’énergie solaire
Ou le nucléaire ?
Quelle poudrière
Pour la der des ders ?
Mystère, mystère, mystère…

Dans ce millénaire
Faudra-t-il s’y faire
Ou croiser le fer ?
Grenoble est en guerre
Qu’en dis-tu, mon frère ?
Est-ce que j’exagère ?
Mystère, mystère, mystère…

Dans ce millénaire
Ça chauffe, c’est l’enfer
Laisse Grenoble derrière
Faut-il quitter la terre
Direction Jupiter
Au fond de l’univers ?
Mystère, mystère, mystère…

Dans ce millénaire
On perd nos repères
Champs de primevères
De l’eau dans nos verres
Dans nos poumons de l’air
C’était le monde d’hier
Ça m’atterre, sans ma terre, ça m’atterre…

Dans la nouvelle ère
Changer d’atmosphère
De la rue Ampère
Jusqu’au Taillefer
Tout repeindre en vert
Enfin tout s’éclaire
C’est clair ! C’est clair ! C’est clair !

« La Confine », un poème inédit de Victor Hugo

01/04/2022 Aucun commentaire

Les amis du Fond du Tiroir, esthètes ou mécènes qui firent preuve, à l’automne dernier, d’assez de bon goût pour souscrire au livre-DVD Au premier jour de la Confine augmenté de ses nombreux bonus exclusifs, connaissent déjà ce qui suit. Sans rancune, mais avec au contraire une saine et naturelle générosité, avec surtout la conviction qu’il serait indécent de conserver au seul usage des happy few ce qu’il faut bien appeler un scoop littéraire, le Fond du Tiroir offre aujourd’hui, 1er avril 2022, à tout un chacun, et, tout humblement, au monde entier, cet inestimable trésor.

C’est à la faveur d’un vide-grenier clandestin, durant le premier confinement de 2020, que nous avons eu la chance exceptionnelle de mettre la main sur un poëme inédit de Victor Hugo, intitulé La Confine. Nous avons découvert le précieux manuscrit, signé du poëte lui-même, en farfouillant, les doigts baignés de gel hydroalcoolique, parmi des monceaux de papiers froissés et jaunis, correspondances privées, registres comptables, photos sépia d’inconnus, autorisations de déplacement auto-signées et autres passeports vaccinaux à validité échue, sans grand intérêt sinon, peut-être, historique. Quoique non daté, le poëme, si l’on se fie à son titre, a selon toute vraisemblance été écrit par Victor Hugo à l’époque où celui-ci, exilé, était confiné dans sa maison de Hauteville House (Guernesey), entre 1854 et 1870. Nous ne pouvons que spéculer sur ce que furent les aventures de ces quelques feuillets durant 160 ans, rêver aux mains qui les ont tenues, celées ou transmises, aux yeux qui les ont déchiffrées, aux esprits qui s’en sont régalés, aux gougnafiers qui les ont négligées, avant de parvenir enfin jusqu’à nous ! Il va de soi que, grâce à un sang froid extravagant, nous avons pu cacher notre émoi devant le vendeur, et acquérir sans trembler le manuscrit pour une bouchée de pain (Combien pour ce vieux torchon illisible et friable ? Quoi, deux euros, vous vous moquez ? Allez, je vous en offre 50 centimes mais j’emporte en sus cette croûte bariolée signée d’un certain Gustave Courbet, et j’y perds).

De quoi parle au juste ce poëme ? Avouons-le, son sens global nous apparaît quelque peu obscur. Toutefois, on peut tenter une exégèse en remarquant la répétition du mot grondement à deux moments clef, au début et à la fin de la pièce, comme s’il s’agissait de réagir face à la rumeur du monde. Ainsi nous sentons-nous autorisés à lire entre les lignes une allégorie du peuple, ce héros hugolien par excellence, qui chute dans la première partie du confinement (La foule, cette grande et fatale orpheline/S’évanouit devant l’horrible grondement) puis se relève, grandi et fier, plein d’espoir lors du déconfinement si patiemment attendu ([L’or] condamne la Nuit à l’éblouissement !/Ces temps sont revenus. La géante féline/Se réveille ; et voilà qu’au premier grondement/ Apparaît l’archipel […]).

En tout état de cause, la puissance du style et des images, la beauté des paradoxes, les fulgurances lyriques et la majesté métrique, presque hypnotique, des alexandrins de Victor Hugo y sont reconnaissables sans l’ombre d’un doute. On notera pourtant une singularité : alors qu’Hugo pratiquait systématiquement, dans ses grands recueils, les rimes plates (AABB), il a fait ici le choix étonnant des rimes alternées (ABAB), sans doute afin de mieux imprimer en son lecteur la lancinante alternance des rimes en –ine et en –ment, étirant indéfiniment un temps bloqué et répétitif vers une échéance sans cesse remise, perdue dans d’abstraites chimères. Car oui, notre grand poëte national, tel un peintre s’astreignant à réduire sa palette à deux couleurs seulement pour mieux faire surgir la splendeur confinée du monde, a ici choisi de n’utiliser que deux rimes. Émules de cet indépassable pionnier des formes poétiques, nous saurons nous montrer dignes de son inépuisable génie.

Le Fond du Tiroir a pu, grâce aux ventes pléthoriques d’Au premier jour de la Confine, faire récemment l’acquisition d’un coffre-fort à triple combinaison avec température et taux d’humidité modulables, afin de protéger durablement le manuscrit. Nous envisageons à présent un don à la BNF. Ou alors une vente aux enchères au marché noir, nous n’avons pas encore tranché. Faire offre en message privé.

« La Confine », un poème inédit de Victor Hugo 

L’Éden pudique et nu s’éveillait mollement
Le jour où tu naquis sur la plage marine.
Une immense bonté tombait du firmament ;
Ces douves-là nous font parfois si grise mine, 
Les oiseaux gazouillaient un hymne si charmant, 
Qu’il faut recommencer à l’heure où l’on termine ! 
Le même séraphique et saint frémissement 
Encor tout ruisselant de poix et de résine 
Unissait l’algue à l’onde et l’être à l’élément ; 
L’audace avec le souffle entra dans ta poitrine 
Les anges y volaient sans doute obscurément. 
Le cliquetis confus des lances sarrasines 
Se fixait, plus pensif de moment en moment, 
Et que nous entendions dans les plaines voisines 
Les monstres, hérissant leur crinière, écumant 
Leurs ongles monstrueux, crispés sur des rapines. 
« Je suis trop près ! » dit-il avec un tremblement, 
« Des geysers du pôle aux cités transalpines, 
« Pourquoi ce choix ? Pourquoi cet attendrissement
« Regarde par-dessus l’épaule des collines ? » 
Car on voyait passer dans la nuit, par moment, 
Des actéons cornus et chaussés de bottines 
Et qui le regardaient dans l’ombre fixement. 
Sur une vasque d’or aux anses florentines 
Les grelots des troupeaux palpitaient vaguement. 

II 

Quelle est cette merveille effroyable et divine ? 
Quelle est donc cette loi du développement ? 
C’est pour cela qu’on a lutté, creusé des mines, 
Dans ce néant qui mord, dans ce chaos qui ment, 
Rompu des ponts, bravé la peste et les famines ? 
Quoi ! ces coups de canon battant ces murs fumants ! 
Le tambour bat aux champs et le drapeau s’incline, 
Ce que l’homme finit par voir distinctement. 
La foule, cette grande et fatale orpheline 
S’évanouit devant l’horrible grondement 
Et cette Jeanne d’Arc se change en Messaline. 
Pourras-tu supporter l’immense brisement 
Où, dans l’éden qu’on voit, c’est l’enfer qu’on devine, 
Un de ces monstrueux et noirs rugissements  
Ô France ! un coup de vent dissipe en un moment 
De la Bastille au pied de la morne colline 
La malédiction, le mensonge inclément ! 
Changer le jour en nuit, changer l’Europe en Chine ! 
Vos aïeux n’ont semé que de grands ossements. 

III 

Oh ! Les lugubres nuits ! Combats dans la bruine !
La splendide rondeur de l’astre, par moments, 
Apparaissait ; c’est là qu’étaient les Feuillantines. 
Son rayon dore en nous ce que l’âme imagine, 
Mais elle n’en sait rien, et d’ailleurs c’est charmant. 
Ce Dieu qui du chaos tire son origine 
Semble un tronc d’arbre à terre et dort affreusement. 
Continuons, la chance étant une coquine. 
Et comme un imbécile est féroce aisément ! 
Oui, vous avez voulu corriger, j’imagine, 
Vos clartés, vos rumeurs, votre fourmillement, 
Un peu comme un larron, presque comme un amant 
Parce qu’il fut un ours appelé Rostopschine !
A la nuée, aux fleurs, aux nids, au firmament, 
Pris d’un vieux rhumatisme incurable à l’échine, 
Le sinistre vieillard sourit superbement. 
Il écoute, un peu sourd, la cloche sa voisine 
A l’immense nature un doux gazouillement, 
Le passé devant lui, plein de voix enfantines. 
 

IV 

Les mâchoires de l’hydre, ouvertes tristement, 
Sont pâles ; on y lit : Foi, Courage, Famine. 
Que vous seriez hardis d’y toucher seulement ! 
Avoir un bon lapin savant qui tambourine ! 
Dans les cœurs gouvernés par le prêtre qui ment, 
Il ne me reste plus à gagner que le quine. 
L’or se fait dans la terre et l’aube au firmament ! 
Il luit ; parce qu’il brille et qu’il les illumine,
Il condamne la Nuit à l’éblouissement ! 
Ces temps sont revenus. La géante féline 
Se réveille ; et voilà qu’au premier grondement 
Apparaît l’archipel ténébreux des doctrines 
Qui, dans l’hiver fameux du grand bombardement,  
Se laisse dévorer vivant par la vermine.
Si quelque prêtre dit que Dieu le veut, il ment ! 
Il fait joindre les mains aux passants, il fascine, 
Le genre humain gravite autour de cet aimant. 
Un pêcheur de corail vogue en sa coraline,
Les siècles sont au peuple ; eux, ils ont le moment. 
Nous en aurons bientôt marre de la confine 
Ô bientôt marre hélas de ce confinement ! 

(Les lecteurs hugoliens les plus avertis auront peut-être identifié, au fil de ce poëme, certains vers que Victor Hugo, dans un geste écolo avant l’heure, a littéralement recyclés, les refourguant sans vergogne dans quelques-uns de ses grands recueils écrits à la même époque : La légende des siècles, L’Année terrible, L’art d’être grand-père, Religion et religions ; à l’exception des deux derniers vers, apparemment inédits puisque, malgré nos recherches bibliographiques, ils restent introuvables dans le reste de l’œuvre – ce ne sont pas ses meilleurs, ceci dit.)