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La putain de ta race

09/06/2014 4 commentaires

Sans titre-1

Le débat politique de la semaine : Le Pen senior lâche, débonnaire, une de ses vannes dégueulasses, racistes, antisémites ; Le Pen junior répond c’est pas bien allons papa c’est une faute politique, c’est pas avec tes conneries que je deviendrai Présidente ; Le Pen daron réplique Faute politique toi-même petite merdeuse, je vais te réexpliquer les fondamentaux du Parti, il n’y a pas si longtemps je te flanquais des fessées pour t’apprendre à respecter ton père. Le sketch a l’air écrit d’avance.

Résumé : l’attaque, c’est le FN. La défense, c’est le FN. Deux jours de suite dans les journaux. Question et réponse, alpha et oméga, thèse et antithèse, majorité et opposition. Et le plus fort c’est que ça nous occupe et qu’on éditorialise à qui mieux mieux. Toute la politique désormais, dans les médias, dans les pensées, est occupée par le FN. En face : rien. Droite et gauche ont mieux à faire, aussi empêtrées l’une que l’autre dans leurs affaires et mensonges. Le FN seul dans la place orchestre le débat, sa question du jour est LA question du jour : faut-il ou ne faut-il pas assumer les positions archéo-facho qui ont fait la première gloire du Parti ? Une blague pateline antiyoupin va-t-elle nous faire perdre ou gagner trois voix ce week-end ? Le public en serait-il encore à s’offusquer, ou bien est-il déjà prêt à l’entendre en pouffant, comme une parole libérée, iconoclaste, anti-système, anti-pensée unique, anti-tout ce qui est supposé entraver le bonheur de M. Français-Moyen ?

(Ici : une interview croisée d’Hervé Le Bras et Riad Sattouf, qui notamment rappelle que l’électeur FN n’est pas un fasciste, mais un Français moyen frustré – donc un Français moyen tout court. Sattouf dixit : « Je regarde souvent, sur NRJ12, l’émission Tellement vrai. C’est une sorte de reportage dans la France profonde sur des gens qui se heurtent à un problème existentiel – par exemple le type très moche amoureux de sa coiffeuse et qui veut lui déclarer son amour. Cette émission de divertissement propose en fait une galerie de portraits en théorie ­représentatifs de la société française, et de toute évidence dans une situation de pauvreté, économique et psycho-­sociale, ahurissante. Plutôt que Superdupont, c’est à travers ces personnages que je représenterais aujourd’hui l’électeur du FN. Ni racistes ni forts en gueule, simplement écrasés par le destin. »)

Dans ce paysage républicain redessiné par la crise financière et mentale, le racisme a cessé d’être un tabou, pour redevenir, comme dans les années 30, une « idée politique » (les guillemets n’ont pas l’air ici assez épais pour encadrer une telle énormité). Et, moi qui étais prompt autrefois à moquer le politiquement correct, maintenant qu’il est à l’agonie, je change mon fusil d’épaule : à tout prendre, le politiquement correct valait mieux que le politiquement incorrect. Mieux vaut, mille fois, lire un poème antiraciste de Mahmoud Darwich, médaillé de l’ordre du mérite des arts et lettres, mieux vaut lire et réciter Tous les cœurs d’hommes sont ma nationalité, que de s’exposer aux poisons de Dieudonné ou Soral, ordures qui passent pour des rebelles, des subversifs cool, presque des Anonymous. Je suis plus inquiet de jour en jour.

Passeport

Ils ne m’ont pas connu dans les ombres qui
Absorbent mon teint sur le passeport
Ils exposaient ma déchirure aux touristes
Collectionneurs de cartes postales
Ils ne m’ont pas connu… Ne laisse donc pas
Ma paume sans soleil
Car les arbres
Me connaissent
Toutes les chansons de la pluie me connaissent
Ne me laisse pas aussi pâle que la lune

Tous les oiseaux qui ont poursuivi
Ma paume à l’entrée de l’aéroport
Tous les champs de blé
Toutes les prisons
Toutes les tombes blanches
Toutes les frontières
Toutes les mains qui s’agitent pour l’adieu
Tous les yeux
M’accompagnaient, mais
Ils les ont retirés de mon passeport

Peuvent-ils me dépouiller du nom, de l’appartenance
Dans une glèbe que j’ai élevée de mes propres mains ?
Jonas a rempli aujourd’hui le ciel de son cri :
Ne faites pas encore de moi un expemple !

Messieurs, messieurs les prophètes
Ne demandez pas leur nom aux arbres
Ne demandez pas aux vallées leur génitrice
La glaive de lumière se détache de mon front
Et de mes mains jaillit l’eau du fleuve
Tous les cœurs d’hommes sont ma nationalité
Voilà, je vous laisse mon passeport !

Mahmoud Darwich
Traduction : Abdellatif Laâbi

Une Nation en exil.
(barzakh) Actes Sud. Mars 2010