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Archives pour 01/2014

L’âge du capitaine

31/01/2014 Aucun commentaire

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Encourageons les jeunes artistes émergents ! Je viens de voir coup sur coup Passion, dernier film de Brian De Palma (74 ans), et Killer Joe, dernier film de William Friedkin (79 ans).

Le De Palma m’a paru un exercice de fantasme sur papier glacé, parsemé de couleurs (la brune, la blonde, la rousse) qui sont autant d’idées, d’idées qui sont autant de coups de pinceau ou de caméra, de coups de caméras qui sont autant de citations voire d’autocitations… mais tout ceci désincarné, dévitalisé comme une dent qui ne ferait plus souffrir – un désir qui n’aurait plus mal aux dents. L’histoire n’a aucune consistance, aucun lien avec la moindre émotion vécue, si ce n’est celle, trop rabâchée, trop fabriquée pour être trouble, du voyeur qui surprend deux jolies jeunes femmes se rouler un patin, et de se demande laquelle prendra le pouvoir sur l’autre. L’un dans l’autre, joli, poussif et un brin rasoir. Je me suis dit, « Bof, œuvre tardive typique, redite en moins bien, film de vieux monsieur au bout du bobinot, qui n’a plus rien à prouver, qui veut bander encore un peu derrière la caméra ». J’ai même évoqué par-dedans moi, à titre de comparaison, la navrante dernière période érotico-soft-et-sénile d’Antonioni, naufrage de sinistre mémoire, c’est dire si j’ai baillé.

Le Friedkin est un putain de coup de poing dans la gueule, qui me lance encore la mâchoire. Killer Joe est un film d’une radicalité, d’une incarnation, d’une crudité, d’une noirceur, d’une violence, d’une ambiguïté, d’une santé, d’une férocité, d’une empathie… Un film subversif, nécessaire pour son auteur et pour son public, un film… tiens, je ne sais pas dire mieux : un film de jeune homme. Friedkin cependant est de cinq ans l’aîné de De Palma. C’est à n’y rien comprendre. Mieux vaut ne pas être sûr de nos certitudes.

Pendant ce temps, De Palma, qui n’a peut-être plus grand chose à filmer mais continue d’en parler avec une grande intelligence, affirme dans une interview, quoique sans étude statistique à l’appui : « La plupart des réalisateurs ont fait leurs meilleurs films entre 40 et 50 ans ».

Ah, bon, je le note. D’ailleurs j’ai 45 ans. D’un autre côté, je ne fais pas de films.

Ne vous en faites pas, je vais de mieux en mieux

23/01/2014 2 commentaires

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Les quatre portraits flatteurs de ma personne ci-dessus, respirant la santé, la fraîcheur, le bon air, l’équilibre mental et cinq fruizélégumes par jour, furent saisis durant la représentation de Fais-moi peur saison IV, palpitant morceau de musique live, mardi 21 janvier à l’Odyssée (fervents remerciements à mes partenaires, Olivier Destéphany, Christine Antoine, Mathieu Tomasini, et tous les musiciens, que Nyarlathotep vous encaustique, paix, amour, et combustion lente), et non pas, comme on aurait après tout le droit de le supposer, au moment précis où, quelques heures plus tard, je découvrais stupéfait, écarquillant pareillement les lotos, un autre indice de la mort du disque.

Je viens de changer de voiture. Comme mon goût pour ces engins est pour ainsi dire nul, je ne me suis guère documenté sur l’offre, et j’ai commandé le modèle que je porte déjà, ainsi que je pratique avec mes paires de chaussures. Après tout je suis content de ma vieille bagnole, elle m’a donné de l’usage, onze ans pensez, onze ans déjà que cela passe vite onze ans, je ne peux pas me tromper sur la date, je me souviens que je l’avais en partie payée avec mes premiers droits d’auteur. De onze ans en onze ans je ne verrais aucun inconvénient à conduire le même véhicule jusqu’à ma mort.

Bref – je réceptionne aujourd’hui la caisse neuve, que j’imagine à l’image fidèle à son ancêtre. Las ! Pas tout à fait. Outre quelques retouches cosmétiques que le commercial du magasin me présente comme d’époustouflants progrès, je constate que l’autoradio n’a plus de fente mange-CD mais, en lieu et place, une prise USB. Le CD, ex-produit d’appel des supermarchés et des garagistes, n’existe plus, à quoi bon un appareil pour les entendre résonner au sein des habitacles ? J’en tombe mélancolique à un point difficile à exprimer, comme si j’étais moi-même bon pour le rebut. Que faire de mes piles de compacts, tant d’années de joie laser ? Les écouter chez moi, certes je peux encore. Mais en roulant ? N’aurais-je d’autre expédient que l’USB, et faudra-t-il me résoudre à plier mes oreilles à l’infâme format MP3 ?

Je lance ici un appel solennel. Annonce sérieuse. Quelqu’un dans la salle connaît-il un modèle de lecteur CD externe qu’on brancherait sur la clef USB d’un autoradio ? Ou sur allume cigare ?

Ma mélancolie se prolonge, se diffuse, je médite, c’est un tic, sur les mentalités… et j’en viens à songer que la fatale dématérialisation des biens culturels, musiques, films, livres, idées, ne s’accompagne paradoxalement pas du moindre détachement envers les valeurs matérielles. Seules les œuvres de l’esprit s’évanouissent dans l’éther. Pour le reste, jamais n’avons-nous été si rageusement matérialistes, ni si obsédés des biens de ce monde. Tiens, pendant ce temps à Davos

J’ai retrouvé Steve Ditko

21/01/2014 3 commentaires

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Tiens ? Je suis de retour à New York.

Il fait très beau, c’est toujours l’été. Je crois me souvenir que je suis en voyage d’étude : suite à la réforme de la Fonction publique territoriale, mon employeur a décidé d’appliquer certaines méthodes américaines de management, et nous nous abreuvons à la source, nous sommes à New York afin de nous habituer à travailler en open space, tous ensemble dans des locaux « panoptiques ». Cependant, nos formateurs sont introuvables, la formation est sans cesse remise, et pour tuer le temps je déambule dans les rues de Manhattan en compagnie d’un collègue.

Nous avisons sur le trottoir une petite borne contenant des journaux gratuits. Nous en soulevons le couvercle transparent et en prélevons un exemplaire. Mon collègue et moi feuilletons les petites annonces. Il attire mon attention sur celle-ci :

Cède lit pliant, peu servi, 20 $. Demander Steve Ditko.

Suit une adresse, une rue, un numéro. Nous n’en revenons pas.

« Tu te rends compte ? L’occasion unique de rencontrer Steve Ditko, le premier dessinateur de Spiderman en 1962, l’inventeur de Doctor Strange en 1963 ! Alors qu’il est le type le plus discret de l’industrie des comics, qu’il refuse toute interview, toute apparition publique, toute photo, un genre de Salinger de la bande dessinée. On le dit reclus… Misanthrope… Un peu facho sur les bords mais the american way, archi-individualiste manichéen, intransigeant seul contre tous, objectiviste à la Ayn Rand… Invisible, estimant que seule son oeuvre doit parler… Même sur Wikipedia, pour son portrait, ils ne disposent que d’un dessin. Selon la légende, chez lui il n’y a qu’une seule chaise, celle où il s’assoit pour bosser, afin que les visiteurs comprennent qu’ils sont importuns. Et là, nous tenons la chance exceptionnelle de le débusquer, de découvrir qui il est vraiment, grâce à un lit pliant ! Pas le genre à avoir une chambre d’ami ! Tu as 20 dollars sur toi ? »

Plan de Manhattan en main, nous tâchons de rejoindre l’adresse indiquée. Tout en marchant je me demande si j’ai vraiment besoin d’un lit pliant, que diable ce que je vais en faire de retour chez moi, et surtout comment je vais me débrouiller pour le transporter dans l’avion. Pourra-t-il être enregistré en tant que bagage à main ?

Nous trouvons l’endroit. Nous montons les quelques marches du perron, sonnons à la porte. J’avale ma salive. Après quelques secondes, une dame d’âge mur vient nous ouvrir. Petite, un rien potelée, brune coupée court, lunettes. Je me dis qu’elle ressemble drôlement à une libraire que je connais, à Lyon.

– Hello, we are here for the folding bed. Because we need a folding bed. Is Steve Ditko here ?
– I am Steve Ditko. Please come in.

Comment ? Steve Ditko est une femme ? Et, en plus, sosie d’une libraire lyonnaise ? Nous pénétrons chez elle, l’intérieur est propret, de beaux meubles en bois vernis et des rideaux, lumière tamisée, orange. Mon collègue et moi échangeons un regard circonspect. La dame nous fait traverser un couloir, sort le lit d’un placard. Pendant qu’elle nous en explique le fonctionnement, qu’elle joue sur les ressorts et les loquets, déplie, replie, tout en grommelant « Long time no use… But it’s fine, it’s fine… Twenty bucks is a good deal for you, believe me, seize your luck or go to hell… » je me perds en hypothèses. A-t-elle toujours été une femme ou s’est-elle fait opérer récemment ? Poser la question serait inconvenant. Pour prendre le temps de réfléchir, j’improvise une question sans intérêt, je lui demande distraitement si beaucoup de personnes ont dormi sur ce lit. Peut-être que son identité sexuelle est la raison de sa réclusion, son secret bien gardé (moi qui croyais que c’était son usage de drogue) ? Ou alors, peut-être qu’elle a toujours été une femme et qu’on n’en savait rien en France, et que d’ailleurs Steve est un prénom mixte comme Stéphane chez nous ?… Je fouille ma mémoire à toute vitesse à la recherche d’exemples de Steve… Steve Jobs était une femme ? C’est possible, il y a eu plein de femmes pionnières de l’informatique qui sont passées sous silence dans l’histoire officielle. Steve McQueen était une femme ? Non, ce n’est pas possible, quand même pas Steve McQueen ! Ou alors c’était un énorme secret aussi ! Je viens de lever un lièvre qui pourrait faire trembler Hollywood ! Attends, on avait un indice sous les yeux depuis le début, le pseudonyme de l’acteur était un discret aveu, tout s’éclaire, « Queen »…

N’y tenant plus, je me décide à lui demander :

– Excuse me… Are you THE Steve Ditko ? The original Spider-man artist ?
– Oh yes, that sure is me. Spider-man, if you ask me, is nothing but crap, it’s a disgrace… Who cares about Spider-man ? (moue, hochement de menton, yeux au ciel)

– But… How come… If you’re the man, I mean, if you’re the one, you must be very rich ! With the movies and so on… And… you need to sell your old folding bed ?

– Rich, me ? Ah ! I’m broke as hell ! My ex-husband is a very greedy man, you know, and my ex-publisher too, you know nothing ’bout these sharks… And I sure could use a twenty bucks right now. So… Will you take the damn’ bed or not ? I’m in a hurry, young men !

Son oeil se fait plus menaçant. Son secret nous met en danger.

Je me réveille.

Ailleurs et en plein jour au Fond du tiroir : une étude politique sur Steve Ditko.

Traité du Loup des steppes (Pour les fous seulement)

11/01/2014 un commentaire

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Je lis, j’écris. J’écris parce que j’ai lu, je lis parce que j’ai écrit, ainsi de suite. Inspiration, expiration. Mais si je fais le compte, je suis beaucoup plus lecteur qu’écrivain.

Je suis « écrivain » de façon intermittente, et fragile, les moments où j’écris étant justement ceux où je réalise que je ne sais pas écrire. En revanche je suis « lecteur » ah ça oui, aucun doute, chaque jour. Je lis, et tout s’éclaire. Je viens de lire Le loup des steppes de Hermann Hesse. Mon premier roman lu en 2014 date de 1927. L’année commence bien.

C’est l’histoire d’un certain Harry Haller, érudit marginal, qui se figure coupé en deux, moitié homme, moitié loup. Harry est un champ de bataille perpétuel, dont les deux personnalités prennent tour à tour le contrôle. Il est bipolaire comme on dit de nos jours, asocial en tout cas, incapable de vivre parmi le commun des mortels. Déclassé en perdition, joyeux mélancolique, odieux et attachant, complexe et tête-à-gifles, Haller est une création romanesque originale – or comme l’estime Houellebecq, la réussite des personnages est le premier critère qui vaille en matière de romans. Mais il y a davantage, il y a l’histoire : un beau jour, ou plutôt une nuit d’errance, une nuit onirique et scintillante, il croise au coin d’une rue mal famée un camelot qui lui vend une brochure intitulée Traité du loup des steppes. Cette brochure semble n’avoir été rédigée que pour l’égaré Harry Haller, et lui révèle tout de sa propre vie, par une analyse psychologique froide et détaillée.

La mise en abyme de l’expérience romanesque est transparente… Tôt ou tard, vous aussi vous tomberez sur un inconnu qui vous collera entre les mains le livre, le miroir, qui éclairera votre existence.

Cette fois-ci, voilà comment ça s’est passé pour moi : au coin non d’une rue mais d’un mail.

Je cherche depuis six mois à faire publier mon dernier roman, me pliant humblement à la méthode traditionnelle : j’envoie des manuscrits par la Poste, puis j’attends à côté du téléphone (par lequel viendra peut-être la bonne nouvelle) ou de la boîte aux lettres (par laquelle vient sans faillir la mauvaise). Je reçois donc en cascade, comme de juste, les lettre types « cher manuscrit n°8765 malgré toutes ses qualités votre manuscrit n’a pas fait l’unanimité dans notre comité de lecture mais nous vous remercions pour l’intérêt  que vous avez manifesté pour notre maison nous tenons votre machin à votre disposition dans nos locaux si vous ne le récupérez pas sous quinzaine il nourrira nos cochons ».

Rompant soudain cette monotonie tiède dont on se console comme on peut, je reçois pourtant un refus singulier, personnalisé. Enthousiaste, même. Un éditeur charmant, un gentleman, même (je vous donnerai son nom si vous me le demandez gentiment) me refuse tout en me recouvrant de compliments – expérience inédite dans le genre double bind. Se faire refouler ainsi est presque un plaisir masochiste (et quoi qu’il en soit, je suis résolu à proposer autre chose un de ces jours à sa maison d’édition). Plein de tact, il prend la peine de m’expliquer qu’il n’a pas envie de publier mon roman mais qu’il l’a trouvé « remarquable, beau, sensible, intelligent », plein de « moments poétiques et forts, d’instants de folie stylistique et visuelle ». Il ajoute : « J’ai songé plusieurs fois au Loup des steppes de Hesse, souvenir de lecture lointain mais vivace ».

Or je n’ai jamais lu ce livre. L’occasion ? Le larron ! Je m’y plonge. Je ne vois pas trop le rapport avec mon propre livre, mais peu importe, je l’aime.

Depuis que j’ai lu Le loup des steppes, j’en parle avec enthousiasme autour de moi. Et je reçois le même genre de réactions que lorsqu’en 2008, je découvris Martin Eden et tâchai de le faire lire à tout le monde : « Ah, oui, ça me dit quelque chose, je l’ai lu quand j’étais ado, je me souviens que j’avais aimé ». Encore un livre que j’aurai loupé dans mon adolescence. C’est vrai : ce roman est de la catégorie qui peut marquer pour la vie à un certain âge tendre, mais semblera seulement intéressant plus tard. Peut-être n’ai-je pas terminé ma néoténie. Il me reste des romans d’apprentissage à lire, et sans doute des apprentissages à accomplir. Je me demande si je vivrai assez vieux pour combler toutes les lacunes de mon adolescence.

Comme en 14

04/01/2014 2 commentaires

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Saint Janvier ! « Pour la nouvelle année. — Je vis encore, je pense encore : il faut encore que je vive, car il faut encore que je pense. »

Le Fond du tiroir vous souhaite pour l’an 14 qui revient avec son cortège de fantômes, de bonnes lectures et de bonnes écritures, et à défaut de bons n’importe quoi qui vous rendront heureux. Le Fond du tiroir ajoute ainsi ses voeux à la cacophonie bonanée, tintamarre traditionnel, convenu et inepte à 99%, mais merveilleux et réellement fortifiant, lumineux, à 1%. Le Fond du tiroir retient et se récite pour lui-même, parmi ce 1%, les voeux d’Ariane Mnouchkine, au moins pour cette phrase :

… Et surtout, surtout, disons à nos enfants qu’ils arrivent sur terre quasiment au début d’une histoire et non pas à sa fin désenchantée.

Voilà ce que toujours devraient être les voeux de bonanée : un rappel que la vie continue. Et commence. Pour ceux qui continuent, ceux qui commencent, pour ceux que nous devons aider à continuer, à commencer.

Le Fond du tiroir vous signale au passage, parce qu’il ne peut s’empêcher d’être frivole, que s’il était facile de trouver une rime aux meilleurs voeux précédents, « 2012 l’année de la lose ou du blues ou de l’épouse jalouse ou de l’anacrouse », « 2013 l’année de l’ascèse ou de la fraise ou de la catéchèse ou de la baise »… en revanche quatorze est un mot sans rime (du moins en français – en franglais on pourrait toujours décréter 2014 l’année des Doors). Bon ou mauvais présage, chacun avisera.