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Archives pour 04/2013

Vironsussi mon beau souci

22/04/2013 un commentaire

Il semble que mon prochain livre sera Vironsussi, co-écrit par Olivier Destéphany, roman d’épouvante, extension, réinvention, explosion et implosion du spectacle intitulé Du sang sur l’archet que nous donnâmes ensemble et en musique au début de cette année. Je ne me serais pas cru capable d’écrire en duo, ni, surtout, d’y puiser autant de plaisir. Voici, en gros, comment le travail se déroule.

« Vomir un doigt ».

Olivier se pointe, sautillant, l’oeil brillant, il se penche un peu en avant comme un comploteur et il me dit ça, sûr de son effet : « Vomir un doigt ». Puis il se redresse et développe : « Je ne sais pas d’où me vient l’image, je préfère ne pas savoir, mais je la vois comme si j’y étais : le gars, il vomit, mais alors, il vomit grave, toutes ses tripes, beuââârk, et il vomit quoi ? Il vomit un doigt humain. T’imagines ? C’est dégueu, non ? » Il est tout content, l’Olivier. Il a un spasme, il vomit un doigt dans sa tête.

Ah certes tu m’étonnes c’est dégueu, c’est baroque, c’est monstrueux, c’est surréaliste au sens premier, vomir un doigt c’est un peu comme trancher un oeil avec le fil d’un rasoir, c’est fort et brutal et onirique et inouï, mais ça n’est pas encore une histoire. Alors on se monte le bourrichon, on te l’invente l’histoire, on s’y met à deux, l’un surenchérit l’autre modère puis réciproquement, on tisse la trame, on ajoute des détails, ce sera un doigt féminin, avec un ongle manucuré rouge-rouge, et puis tiens, même, on lui enfile une alliance en argent, l’un a trouvé ça, immédiatement l’autre trouve pourquoi : c’est peut-être l’alliance l’élément indigeste, mais oui, tu penses, l’argent, on empile, on bouche les trous, ça y est, on y est, tout s’explique, on comprend ce qui s’est passé, et ça ne pouvait plus désormais se passer autrement, notre héros était obligé de finir par vomir un doigt le malheureux, c’était fatal, horrible et triste, sans rédemption.

Reste à écrire. Olivier écrit, me donne le texte. Je le désécris et le réécris, je vérifie la tenue générale par rapport au reste de l’ours, le lui rends, il commente, je remets une couche, on ajoute qui une angoisse qui une obsession, on en rit, et de fil en aiguille on a bouclé un chapitre. Le chapitre-clef où le vironsussi vomit un doigt. On passe au suivant, qui se situe bien très en amont dans l’intrigue. Justement, pour celui-ci j’ai une idée. À moi de servir. Je raconte à Olivier, un peu penché en avant, comploteur.

Dans quelques jours, je dirais, vu d’ici, deux ou trois semaines max, à force de chapitres nous aurons écrit un livre. Il nous faudra alors décider qu’en faire. Je me voyais lancer immédiatement sa production au Fond du tiroir, un bon gros pavé illustré avec, derrière son rabat arrière, un emplacement réservé pour insérer le CD de la bande originale… Mais là,  je redescends aussi sec sur terre parce que je me fais engueuler par madame la Présidente du Fond du tiroir : « Tu arrêtes un peu de fabriquer des nouveaux livres avant de vendre les précédents, le garage déborde de cartons, alors celui-ci, tu commences par le proposer à des éditeurs ! »

Bon, admettons. Je ne l’éditerai au FdT que lorsque ils l’auront tous refusé. On ne sait jamais, après tout. Je pourrais bien tomber sur un éditeur qui n’attendrait qu’une chose, publier un roman où l’on vomit un doigt.

Lonesome Djowdje in New York

19/04/2013 3 commentaires

Avertissement : la phrase qui suit est outrageusement-archi-ultra-hyper-trop snob.

Figurez-vous que l’amie d’une amie expose dans une galerie new-yorkaise, la galerie Slag, en plein Brooklyn, vous voyez où je veux dire ? Son expo débute aujourd’hui même, malheureusement j’ai un empêchement pour le vernissage, le CA de copropriété tombe pile en même temps, c’est ballot, si vous y allez n’oubliez pas de l’embrasser de ma part.

Elle s’appelle Molly Stevens, je ne la connais pas, mais nous avons deux amis communs tellement le monde est petit : Marilyne Mangione, qui m’a transmis l’info, et Lonesome George, le malheureux pépère chélonien, inspiration et titre de son travail, comme du mien.

Les petites soeurs de l’ouvrier

14/04/2013 Aucun commentaire

Georges Brassens ne croyait pas en Dieu (« hélas », précisait-il) mais aimait beaucoup les rituels chrétiens. Le refrain Sans le latin la messe nous emmerde/Le vin du sacré calice se change en eau du boudin/Sans le latin, et ses vertus faiblissent est drôle mais nullement ironique, il est à prendre au premier degré.

Moi-même, athée incurable mais cependant non hermétique aux mythes et symboles, musiques et spiritualités chrétiennes (ou émanant d’autres confessions, tout aussi bien), c’est avec enthousiasme, soit, étymologiquement, avec Dieu en moi, que je relaie l’information suivante.

Catherine Page et Alain Massonneau présenteront leur dernier film L’Amour qui meut le soleil et les autres étoiles à la cinémathèque de Grenoble le vendredi 19 avril à 19h. Détails ici.

Il s’agit d’un documentaire qui interroge et observe, pendant 3h45, des bonnes soeurs…

Enoncé ainsi, le « pitch » pourrait vous donner envie de fuir. Vous auriez tort.

Le film est non seulement instructif (vous saviez que cela existait, vous, cet ordre, « les petites soeurs de l’ouvrier », ces nonnes qui vivent sans cornette et travaillent avec les prolos ? moi, non), il est émouvant. J’ai eu la chance d’en voir une copie de travail, il y a près de deux ans. C’est ainsi que j’ai passé 3h45 en compagnie de femmes lumineuses et attachantes, qui certes sont un brin anachroniques (le film parle notamment de cela, du vieillissement de leur ordre, de la disparition de leur mode de vie, de la mort pure et simple aussi), certes ont la foi (et alors ça c’est le gros mystère), mais sont bigrement vivantes, et ont des choses à raconter. Juste raconter, se raconter, sans faire de prosélytisme, ce n’est pas la question. Je vous assure que c’est beau.

Pour ma part je ne prie pas pour vous, mais je pense à vous, ce qui revient un peu au même, chacun faisant comme il peut.

bete-immonde 2.0

06/04/2013 4 commentaires

Je vois déjà tout ça et on a le brave culot d’oser me demander de ne plus boire que de l’eau, de ne plus trousser les filles, mettre de l’argent de côté, d’aimer le filet de maquereau et de crier vive le roi ? Ah! Ah! Ah! Ah! Ah! Ah! Ah!
Jacques Brel, ‘Le tango funèbre’

Déjà, je lis Le Monde d’hier de Zweig, alors pour l’optimisme merci bien, la civilisation repassera, salut les barbares.

Et puis ensuite, je repense au 1er mai 1993, vingt ans révolus, tout ronds. J’étais barman ce jour-là, car les bars sont ouverts le 1er mai, il faut bien que quelqu’un turbine et serve des coups à ceux qui fêtent le jour sans turbin. J’étais derrière mon comptoir, j’ai allumé la radio, et j’ai appris qu’un Premier Ministre socialiste s’était donné la mort. Un homme de gauche, et du peuple, fils d’un tenancier de café-épicerie (ah, tiens, point commun avec Annie Ernaux), devenu chef du gouvernement à force de travail, d’intégrité, d’éthique, de rigueur, parangon presque trop beau pour être vrai de méritocratie républicaine. Trop beau, ouais, parce que soudain elle tourne mal l’histoire édifiante, elle se transforme en conte d’avertissement. L’ex-premier ministre se fait péter le caisson le jour-symbole, laminé par un milieu où la corruption règne, où le conflit d’intérêt entre le bas-de-laine perso et le bien public rend cynique ou schizophrène, où il est normal de se goinfrer avant le déluge, c’est-à-dire avant le changement de gouvernement, avant la crise partout-partout et la dette souveraine remplaçant le peuple souverain – la corruption, qu’elle l’ait seulement sali ou réellement pourri, la corruption aura détruit cet homme-ci.

Je sais bien pourquoi je me remémore ce 1er mai aujourd’hui. Où en est la gauche et son éthique ? On ne se suicide plus trop, mais on ment pour vivre, et ensuite quand c’est trop gros on avoue et on regrette. L’affaire Cahuzac est une verrue qui, une fois arrachée, laisse la gangrène en souvenir. La ploutocratie est avérée, fin de la démocratie.

Là-dessus, je referme Le Monde d’hier, je le repose avec le marque-page qui dépasse comme une vague menace, et je feuillette la presse, le monde d’aujourd’hui, comme si ça allait me changer les idées. Je lis cette interview de Bernard Stiegler dans les Inrocks. « Aux yeux de la population, le mensonge permanent apparaît comme une méthode de gouvernement ». Et, une idée entraînant une autre, « Si la gauche n’ouvre pas très vite une perspective nouvelle, l’extrême droite sera au pouvoir dans quatre ans ». Tous pourris, répète-t-on affaire après affaire ? Vite, jetons-nous dans les bras de l’homme providentiel fasciste ! Des précédents existent.

Je referme la presse, aussi plombante que Zweig finalement. Je vais m’oublier un peu dans le consumérisme, je m’en vais acheter un livre ou deux, que je lirai peut-être. Je me cale sur la page d’accueil d’un site de ventes de livres d’occase. Je fais défiler, le moteur du bazar classe les livres sans état d’âme politique, c’est-à-dire les titres les plus demandés par les clients en tête. Le doigt sur la souris, je descends distraitement, le dernier roman de Marc Lévy a le maillot jaune, suivi par le dernier Musso, okay tout est normal, puis tous les tomes de Cinquante nuances de traces de pneu, puis le dernier Stephen King, le dernier Jean Teulé, puis vient… Hein ? Mon sang s’arrête et repart à l’envers,  les veines à rebrousse-chemin. Puis, vient un fameux long-seller, seul essai parmi toutes ces fictions : Mein Kampf d’Adolf Hitler. Hitler d’occase, presque aussi haut dans le top ten du désir que Lévy et Musso ? Quelle sale journée, décidément ! [J’ai vérifié ce matin, ce livre n’est plus affiché sur la page d’accueil, il ne figure plus dans le palmarès… Je ne l’ai pourtant pas rêvé hier, je l’ai parfaitement reconnu, j’ai la même vieille édition, celle avec les rayures rouges et noires… Il s’en écoule, c’est le climat paraît-il…]

Là, je ne sais plus, je ne vois plus, il faut vite que je parle d’autre chose. Vite, vite, une association d’idée.

Ah, voilà. Oui : je l’avoue au passage, je suis le premier à regretter l’agonie des petits libraires, mais cela ne m’empêche pas d’acheter des livres d’occasion sur Internet. Alors je repense à une chronique écrite par un « petit » libraire lyonnais, et que j’ai reçue par mail il y a quelques mois. Je la retrouve dans ma messagerie, je la relis, je demande a son auteur l’autorisation de la reproduire, et je la copicollillico, parce que ce texte est très instructif, sans être ni dépressif, ni culpabilisant, donc il donne seulement à réfléchir. Lisez-le. Peut-être qu’il vous changera les idées, à vous.

Sur ces lieux de vie que sont les petites librairies

Entre libraires, nous nous disons parfois que nous ne parlons pas assez de notre vécu à nos partenaires, nos amis, qui sont aussi – situation complexe – nos clients, et qui ont l’immense mérite de nous faire vivre.
Ce qui nous retient ? Sans doute la menace d’être taxé de poujadistes, de corporatistes Et de briser le mythe du libraire, passeur désintéressé, pour rappeler la face, moins glorieuse, du commerçant, du chef d’entreprise.
Si libraire est nécessairement une passion, un choix de vie, un engagement, une œuvre de conviction et de dévouement, qui implique une croyance presque naïve en la magie du papier, la force des mots et la transmission humaine, la gestion d’une entreprise implique aussi des calculs, des contraintes, des choix ; et des inquiétudes ; des heures de travail nombreuses ; une certaine précarité, ou fragilité ; matérielle, pour certaines libraires ; davantage psychologique, en ce qui me concerne.
Parfois des comportements viennent en effet attenter à mon bon moral. Atteintes qui, je dois le constater, se multiplient. Le plus souvent, en toute bonne foi. Par inadvertance, si l’on peut dire.
Que l’on me pardonne ces quelques exemples :
Un universitaire insiste pour que l’on ait ses ouvrages en rayon – mais lâche incidemment qu’il n’achète plus que sur Amazon.
Un militant crie haro sur les conglomérats, et ne voit pas de contradiction à les enrichir…
Un poète que nous accueillons… à qui nous rendons tel service personnel… avec lequel nous imaginons peut-être avoir noué une relation de complicité, de soutien mutuel… acquiert à la Fnac la dernière œuvre de cet auteur que tous deux plaçons très haut.
Tel jeune auteur du quartier qui passe nous présenter son livre mais n’a pas la curiosité de tourner un œil sur nos tables
: génération Internet…
Un proche – eh oui, un proche ! – qui nous demande quelques pochettes-cadeaux supplémentaires, pour des livres achetés en ligne.
Un partenaire se présentant à une rencontre, un sac de livres provenant d’une grande enseigne en main …
Et j’en passe… et des meilleurs !
J’admets : de tels comportements ne devraient pas m’affecter. Force m’est néanmoins de constater qu’ils ne me laissent pas insensibles. « Votre libraire aussi a un cœur », dirais-je bien naïvement.
Et je m’interroge : irait-on demander à son pâtissier des emballages pour des millefeuilles achetés chez Auchan ? A la Fnac, de l’aide pour remplir un formulaire administratif ? A Amazon, de prêter une salle pour tenir une AG ?
Il n’est pas léger, pour moi, d’entendre de vibrants : « Bravo ! C’est super ce que vous faites ! Continuez ! Mille mercis de nous ouvrir l’espace de votre librairie ! », et de constater dans le même temps, et notamment vis-à-vis des rencontres que j’accueille, un comportement de plus en plus consommateur. Au point où il semblerait – simple hypothèse – qu’une frange de lecteurs a tellement perdu l’habitude des librairies qu’elle n’ose plus en user comme de lieux où flâner, rêvasser, parcourir un livre, éprouver la qualité d’un papier, lire une quatrième de couverture – ce qui est pourtant leur destination première, et demeure leur atout fondamental face aux livres dématérialisés et aux achats en ligne. (1)
Que la plupart des rencontres à Terre des livres en huit années aient été « anti-rentables », j’en suis fier ! Je me suis fait plaisir, et je continue ! La rentabilité à tout crin fabrique un monde où l’on s’ennuie.
Et que l’on me comprenne bien : il ne s’agit pas d’un plaidoyer pro domo. Quand on a la chance de bénéficier, à Lyon, d’un réseau incroyable de petites librairies aux personnalités aussi fortes que variées, au personnel très souvent souriant et qualifié, et accueillant envers les associations, les petits éditeurs, les revues faites main, les flyers, les initiatives individuelles – des structures qui font l’impossible pour faire exister une vie culturelle riche et variée –, je ne comprends tout simplement pas que l’on se tourne, pour le facile, le rentable vers les grosses structures impersonnelles. Celles-là même que l’on sait moins menées par l’amour du livre que par le souci de la marge de rentabilité.
Alors ? Peut-être que nous, libraires, ne discutons-nous pas assez avec notre clientèle, nos amis, nos partenaires ? Peut-être ces derniers ignorent-ils que dans un monde qui change à toute vitesse, une mutation du monde du livre est en cours ?
Ce qui ne laisse pas de m’étonner, c’est que le mouvement de fond que l’on observe aujourd’hui dans le commerce équitable, le circuit court, le bio, les AMAP, qui traduit une vraie attention aux circuits de distribution, et aux conséquences de nos comportements de consommation, ne s’observe nullement dans le domaine de la culture. Mythifiée, la culture ? En dehors du monde social, le livre ?
Dit autrement, commander en ligne ou se rendre dans une grande surface plutôt qu’auprès d’un commerce de proximité, change la forme de nos villes, et de nos vies. On sent bien que la fermeture progressive de ces lieux de convivialité entraîne une perte sèche pour notre qualité de vie.
Pour finir je voudrais m’excuser de la brutalité de ce propos. Mon intention n’est pas de stigmatiser ou de moraliser. Puisse ce texte, qui m’a beaucoup coûté, favoriser quelque prise de conscience, quelques échanges, des court-circuits et des circuits courts…
[Et afin de contrer une aigreur et un ton alarmiste et sermonneur que je n’ai su éviter (désolé !), et qui semble malheureusement relever d’un usage dans la profession, je me permets de préciser que Terre des livres, petite librairie de quartier de huit ans d’âge, artisanale et conviviale, n’est pas particulièrement affectée par « la crise ». La « belle équipe » – deux temps partiels et moi-même –, se démène et se fait plaisir. Puisse cela continuer ainsi !]
Amicalement vôtre

Fabien, de la librairie TERRE DES LIVRES

(1) – Ou peut-être ignorent-ils qu’en France le prix des livres est le même partout, grâce à la loi sur le Prix unique du livre de 1981 ? Et que, si de petites librairies telles que Terre des livres existent, c’est bien du fait de cette exception qui contrecarre l’idée selon laquelle « plus c’est grand, moins c’est cher. »

Contribution au débat sur la réforme des rythmes scolaires

01/04/2013 un commentaire

 « Je rêvais. Et alors, dans ma chambre, s’étiraient ces interminables et délicieuses plages d’ennui, ces heures de vide que mes parents ne comblaient pas d’activités extrascolaires, ni de télévision. Avec le recul, je me rends compte du privilège de ces moments où l’on sent presque pousser ses os. On mesure, dans la lenteur du rêve et l’épaisseur du silence, la densité du temps qui s’écoule. Les heures d’ennui de l’enfance sont les jardins du temps, bêchés d’exaspérations, labourés d’éternités ralenties, hantés de futurs lointains… J’y vagabondais, le corps prisonnier de ma chambre et des mercredis d’hiver. J’y élaborais mes désirs et des images. Je me précisais, je m’apprenais par coeur et surtout, j’établissais d’inépuisables plans d’évasion. »

Hélène Grimaud, Variations Sauvages, Pocket, 2004, p. 28