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Archives pour 03/2013

Tout ne s’apprend pas dans les livres, comme je l’ai lu dans un livre

27/03/2013 un commentaire

Mardi 26 mars

Descendre d’un train, sortir d’une gare, et marcher dans les rues d’une ville inconnue, est l’un des plus grands bonheurs de mon existence, un délice, un privilège, un luxe exorbitant. Je marche, je me perds, j’écarquille les lotos, je me repère, je reprends le pâté à l’envers, oh comme c’est joli, les filles sont jolies, les lampadaires sont jolis, les tramways sont jolis, je suis sûr que les autochtones ne s’en rendent pas compte, mais moi oui, je marche, je suis content. J’aime aussi passionnément marcher dans la forêt, mais ce n’est pas la même chose. Pour que je comprenne la différence, il faudrait que j’essaye de l’expliquer à quelqu’un. À vous, peut-être ? Disons provisoirement que marcher dans la forêt, c’est bien parce que c’est toujours pareil même si c’est toujours différent, tandis qu’au contraire marcher dans les rues d’une ville inconnue, c’est bien parce que c’est toujours différent même si c’est toujours pareil.

Je me suis donc offert ce suprême plaisir hier, j’ai arpenté pour la première fois de ma vie les rues de Bordeaux, fière ville bourgeoise ayant, comme son nom l’indique, prospéré grâce à l’alcoolisme, vice national. C’est très joli, Bordeaux. Oh, là, voyez, à gauche, à droite, des filles, des réverbères et des tramways, tels que nulle part ailleurs. Et une plaque qui dit que Victor Hugo, député de la Seine, a habité cet immeuble un peu moins de deux mois en 1871, quand, à la suite de la débâcle de Sedan, le Parlement en exil siégeait dans le Grand Théâtre de Bordeaux, et que c’est ici aussi que son fils Charles est mort d’une apoplexie, oh, c’est bien triste, mais c’est joli. Je suis le seul à m’arrêter devant cette plaque, tout le monde je vous jure passe devant, dessous, remonte son col et presse le pas comme si de rien. À l’autre bout de mon errance ou de ma journée j’avise la sévère statue de Francisco de Goya, mort ici en 1828 parce qu’il fuyait le régime totalitaire espagnol. Les gens traversent Bordeaux, ils y vivent, parfois il y meurent. Quand je vous disais que c’est exactement comme ailleurs quoique très différent.

Une inquiétude, tout de même : le logo de la ville est un peu anxiogène. On le confond facilement avec un autre, et cheminant on se demande sourdement si toute la ville ne serait pas contaminée chimiquement.

Au reste, j’ai passé l’essentiel de la journée à l’abri, non sur le pavé toxique mais dans une médiathèque, parce que je ne suis pas là que pour faire le ravi. Médiathèque où j’ai constaté, dans le rayon CD, que Noir Désir était rangé dans le bac « Scène locale ». Soupesant un album digipack, je me demandais, perplexe, si à l’étage en-dessous Montaigne, Anouilh, Sollers ou Mauriac se voyaient classés sur une étagère à part, « Auteurs régionaux ». Bien sûr, il faut être de quelque part. Victor Hugo était bien de Besançon, et Goya d’Aragon.

Ensuite, j’ai passé la soirée chez deux auteurs régionaux, et des meilleurs, qui me font l’honneur de m’héberger : les frères Coudray, Jean-Luc et Philippe, toujours aussi charmants et originaux, toujours nés jumeaux à Bordeaux, mais l’un des deux a le bon goût de se laisser pousser la barbe, ce qui fait qu’on ne se trompe jamais sur celui auquel on s’adresse. Forcément, nous avons longuement évoqué ce qui nous lia en premier chef, c’est-à-dire l’aventure tragi-comique des éditions Castells, où nous publiâmes deux livres chacun (pour moi, suissi et suila) vers 2006. Philippe Castells, dont j’ignore le lieu de naissance, était un drôle de type. Un tiers flambeur, un tiers menteur, un tiers magouilleur, un tiers dandy, un tiers clochard. Ah, et puis un tiers escroc, aussi. Ça fait beaucoup, mais comme on dit à Marseille tout dépend de la taille des tiers. En tout cas tout ces tiers mélangés ne faisaient pas un éditeur, finalement. Les Coudray et moi-même en sommes convenus, observant cependant que le temps avait passé, que nous n’avions plus de rancune à son endroit, qu’avec le recul des années même de lui nous pouvions ne garder que les bons côtés (il publiait de beaux livres, ce salaud) et que nous pouvions même changer de sujet (alors les Coudray m’ont narré en riant certains actes d’innocent terrorisme qu’ils commirent tous deux nuitamment dans les rues de cette même Bordeaux).

Nous changions de sujet et nous parlions de logo des dangers biologiques, lorsque sur ces entrefaites un de leurs amis est entré qui, muni d’un gâteau (c’était justement l’anniversaire des Coudray : il convient, en plus de naître quelque part, de naître un beau jour) et de diplômes en biologie, m’a appris la stupéfiante chose suivante. Du pur point de vue de la logique génétique, le chromosome « X », majestueux, galbé, redoublé en « XX » chez la femme, est la norme, le point de départ. Tandis que le chromosome « Y », nettement plus rabougri et moche, le pauvre ressemble à une crotte de nez, semble n’être ni plus ni moins qu’une altération survenue dans un second temps de l’Évolution, une dégradation programmée, un mal nécessaire permettant la reproduction sexuée de l’espèce, non mais regardez-les côte à côte, Madame X et Monsieur Y, remontez en haut de cette page, on jurerait un couple dessiné par Dubout. Par conséquent nous ferions bien d’admettre une fois pour toutes que nous sommes tous des femmes, et qu’une femme sur deux (celle avec le chromosome dénaturé tout rabougri) est un homme. Quitte à ré-écrire toutes les cosmogonies : manifestement le job de Dieu le 6e jour à consisté à créer Eve, puis à lui prélever un chromosome, dans la côte admettons, pour ensuite le chiffonner mâchouiller rouler en boule rabougri crotte-de-nez, et qu’à partir de ce « Y » mutant il a conçu Adam. On en apprend des choses à Bordeaux.

Mercredi 27 mars

Mardi soir, pour mon plaisir susdit, j’ai arpenté Bordeaux pendant plus d’une heure. J’ai vu un beau coucher de soleil sur la Garonne. Puis un événement est survenu comme pour apporter sa contribution à mes réflexions « il faut bien être né quelque part » .
À un moment, je me suis assis sur un banc pour regarder couler le fleuve, et j’ai sorti un livre de ma poche. Au bout de quelques minutes un gars nonchalant est venu s’asseoir à côté de moi, un Noir habillé en rouge avec un grand bonnet vert-jaune-rouge qui enveloppait des dreads, un bouc au menton et une canette de bière à la main, qui m’a demandé ce que je lisais. Sans attendre la réponse il s’est présenté comme rastafari et comme Sénégalais. Troisième identité manifeste, il était bien défoncé, les yeux dans le vague, mais amical.
Il vivait à Bordeaux depuis six mois. Je lui ai demandé s’il aimait ça, il a répondu à côté, parlant très lentement :
« You know Dakar ? Tu es déjà allé au Sénégal ?
– Non.
– Vas-y. Tu dois y aller. C’est beau, là-bas. Ici, rien à voir. Bordeaux n’est pas belle, elle est plus que ça. Bordeaux est une ville sacrée ! A holly town, man. C’est ici, place des Quinconces, que vos grands parents débarquaient nos grands-parents, et nos grands-parents descendaient du bateau la tête baissée et des chaînes autour des mains et des pieds, comme ça, man (il fait le geste, croise ses poignets, quelques gouttes de bière s’échappent de sa canette), c’est comme ça que nos grands-parents ont découvert la France, à Bordeaux. Et c’est comme ça que Bordeaux est devenue une grande ville. Tu es de Bordeaux ?
– Non.
– Ah. Tu m’avais dit hier que tu étais de Bordeaux. Why did you lie to me ? Or do you lie today ?
– I don’t. Don’t tell me I’m a lier. I’m not from Bordeaux, I wasn’t even here yesterday and I see you for the first time in my life.
– Ah. Tu es de la banlieue de Bordeaux, alors ?
– Non. Je suis de passage, je rentre chez moi demain.
– Ah. (pensif) Alors ce n’était peut-être pas tes grands-parents.
– Mon grand-père n’était pas français.
– (geste de la main) Peu importe. Tout ça c’est le passé. Moi, you know, je suis rastafari, je suis pour la paix. You know, 77%… (il s’interrompt une minute, comme s’il recomptait les pourcentages dans sa tête) 77% des Africains ne pensent qu’à ça, à ce passé d’esclave, ces chaînes aux mains et aux pieds, ils les ont encore dans la tête. Mais moi, non. Moi je suis rastafari, je suis pour la paix. Le cœur, man, le cœur, il n’y a que ça de vrai. »
Il s’est alors frappé le cœur de la main droite. J’ai fait de même, et je lui ai serré la main, on s’y est repris à plusieurs fois, pas tellement parce qu’il visait à côté, plutôt parce qu’il voulait faire comme ceci, et comme cela, puis finir par le cœur. Ensuite je suis parti.
C’était ma carte postale, « Bons baisers de Bordeaux » .

« On verra bien »

16/03/2013 Aucun commentaire

Yann Fastier est un auteur avec une attitude sur la littérature jeunesse. Il fait et il cause, son avis est donc averti comme son oeuvre est réfléchie. Il a signé, d’une part de nombreux livres, que je lis de longue date (j’étais même abonné à la préhistorique revue Flblb, pour avouer mon âge) ; et d’autre part, plusieurs blogs, dont celui-ci que j’ai lu intégralement, du premier au dernier article, commentaires inclus (rarissime, ça ! lire de A à Z, comme on ferait d’un livre, rien à voir avec l’usage ordinaire d’un blog… Sondage express, quiconque ici aurait-il lu tout ce blog depuis le début ?), blog anti-langue de bois, pas piqué des mites, intitulé Le cimetière des lénifiants, où, explicitement, il s’agissait d’enterrer les livres jeunesse que monsieur Fastier jugeait médiocres – ou, par un contraste d’autant plus éclatant, d’encenser ceux qu’ils admirait. J’aimais beaucoup son ton iconoclaste, vachard mais toujours argumenté, tellement bienvenu dans le milieu « littérature jeunesse » sclérosé par son obligation d’être sympa et ses prescripteurs de bon goût.

Yann Fastier a fermé ce blog, mais il en ouvre un autre, et de là lance une nouvelle structure d’édition (d’auto-édition) appelée On verra bien. J’aime les auteurs qui, ayant publié hadroitagauche, délaissent, fugitivement ou durablement, leurs éditeurs, leurs habitudes, leur distribution, leur visibilité, leurs droits d’auteur, en somme leur carrière, et remettent leur compteur à zéro en auto-publiant ce qui leur chante, je les aime tendrement, fraternellement. Ils sont plus nombreux que l’on croit. Une jolie petite armée mexicaine. Je donne à l’occasion des exemples, comme ici, ou ici, ou même ici, ou comme là – ou naturellement comme Benoît, je cite Benoît à tout bout de champ parce que sa démarche héroïque a été le vrai déclic pour moi, peut-être pour d’autres aussi, vive Benoît ! Benoît Président ! Benoît pape ! (Allez hop, Benoît XVII, fumée blanche et on n’en parle plus.) Ou encore, comme Larcenet qui, ah ben tiens regarde comme c’est curieux la coïncidence, co-fonda en 1997 la maison d’édition Les Rêveurs, dont la toute première collection fut baptisée en 1997 On verra bien. Déjà à l’époque cette injonction circonspecte mais confiante formait une roborative enseigne.

Bref. La note d’intention d’On verra bien, les nouveaux, les prochains rêveurs, m’a enchanté, et j’ai souscrit à leurs futures parutions les yeux fermés. Je vous enjoins à faire de même : souscrivez, les amis, 9 ou 20 euros c’est bien peu pour encourager celui qui fait, et pour se laisser surprendre par un objet introuvable ailleurs. Je suis attentif, depuis, aux péripéties, à leurs lents fignolages de leur premier livre (signé par un blogueur du nom de dOg), à leur joie égoïste et sublime de la beauté du geste, à leur plaisir de recevoir leurs numéros d’ISBN, ah, ça me rappelle ma jeunesse. Tous mes vœux, les gars.

Caillou un peu, mais surtout papier et ciseau

12/03/2013 2 commentaires

Une fois pas coutume : Hervé Bougel est prophète en son pays. Les bibliothèques de Grenoble célèbrent son inlassable travail d’éditeur par une exposition et une série de rencontres, sous l’intitulé général La poésie cousue main, qui rend justice à sa triple casquette de poète, d’esthète, d’arpette. Le défilé sur podium, à moins que ce ne soit le vernissage de l’expo, aura lieu le vendredi 22 mars prochain à partir de 18h30, à la Bibliothèque d’Étude de Grenoble. Je serai présent, puisque non seulement Hervé et moi co-éditâmes une Racontouze, mais surtout j’ai la joie l’honneur et l’avantage de me compter parmi les auteurs des éditions pré#carré, où j’ai publié en 2011 une lettre morte, une plaquette bleue reliée à la main d’un brin de raphia, oui messieurs-dames, noué par les mains mêmes du taulier figurez-vous, intitulée Dr. Haricot de la Faculté de Médecine de Paris.

Depuis quinze ans peut-être qu’il anime à bout de bras son atelier carré de poésie qui dit bonjour, en tout état de cause depuis sept ans que je le côtoie, Hervé passe par des phases de doute et de lassitude, du type : « Cette fois ça suffit, pré#carré me pompe toute mon énergie, je jette l’éponge, j’ai des choses à écrire au lieu de me consacrer à l’écriture des autres… » Mais tout aussi régulièrement, il tombe sur un manuscrit qui fouette son enthousiasme, remonte son ressort, et c’est reparti mon kiki. Lisez donc ce vieux post sur son blog, entendez comme il parle bien d’un texte qu’il veut défendre, et en filigrane, de son métier d’éditeur. Il va de soi que je ne lui jette pas la pierre, cyclothymique moi-même, je comprends les pétages de feu aussi bien que les pétages de durite.

Aujourd’hui, toutefois, il semble que le pré#carré pourrait toucher pour de bon à son terme, et que cette belle expo soit bouquet final, fête d’enterrement (de première classe)… Quelques indices de liquidation : aucun signe de vie sur son blog-très-intéressant depuis six mois… Certes on peut toujours lire les archives, qui seront stimulantes longtemps (je reconnais sans rechigner que son blog, tutti-frutti des travaux et des jours, des humeurs et bonnes et mauvaises fois, des livres qu’on fait et de ceux qu’on lit, me fut une source d’inspiration directe).

Bah. Même si vraiment le glas d’un cycle a retenti, on retrouvera RVB ailleurs. Il suffira de le chercher là où il se trouve – il est très actif sur Facebook où il a inventé la Photo qui bouge (ici l’émission de radio qui a fait le renom de ce gang de maniaques), et ses prochains livres, cousus par d’autres, feront forcément parler.

Aménagement du territoire

08/03/2013 Aucun commentaire

(L’aimable illustration ci-dessus est sans lien avec ce qui suit. C’est juste qu’entre temps le 8 mars nous tombe dessus, et que je souhaite contribuer, ne serait-ce que d’un geste, à la Journée de la femme.)

Madame, monsieur, chers administrés.

C’est dans un contexte de crise partout-partout, tel qu’il touche aujourd’hui chacune et chacun, qu’il nous revient d’aller de l’avant avec détermination. Aussi, dans le cadre d’un partenariat programmé de territorialisation des axes prioritaires, favorisant la mise en valeur des talents et aspirations légitimes des populations rurales, et du projet innovant de démocratisation participative doublé du développement citoyen, impactant fortement le réseau social riche de ses différences en dépit d’implications accusant de fortes disparités régionales, MAIS, naturellement, sans la moindre langue de bois, que le Fond du tiroir s’est brusquement souvenu qu’il habitait quelque part. Il a donc décidé qu’il s’ancrerait dans la proximité, et qu’il tiendrait stand lors de la prochaine fête de son village, dite Foire aux escargots, le samedi 16 mars prochain.

Charabia de côté, la perspective est plaisante : un stand juste à côté de chez moi. Comme si je changeais seulement de pièce. J’irai à pied, tiens, empreinte carbone zéro, simplement muni de ma valise à roulettes chargée de livres. J’espère qu’il fera beau. Je siffloterai sur le chemin, transportant, pieds ailés, le fruit de mon petit artisanat. J’aurai aussi fière allure que, je ne sais pas, mettons, me vient une autre image épique et poétique de l’aménagement du territoire culturel, un bibliothécaire dans une pirogue.

D’après le programme, je ferai stand commun avec Stéphane Girel, illustrateur invité par la bibliothèque. Je ne connais point l’homme, mais j’apprécie de longue date les livres, notamment ceux qu’il a faits avec Rascal.

Et dans le même mouvement, pour mieux faire connaissance avec les autochtones, le journal local intitulé Le Bruyant m’a commandé un petit texte de présentation de la singulière association loi-1901 sise sur la commune, Le Fond du tiroir, et de ses activités. J’ai écrit ceci, qui ne devrait être pour vous qu’un résumé des épisodes précédents :

J’ai publié mon premier livre en 2003 (TS, éditions l’Ampoule).
Ont suivi quelques autres titres ici et là (Jean Premier le Posthume ed. Magnier 2005, Voulez-vous effacer/archiver ces messages ed. Castells 2006…).
Le tournant a été Les Giètes (ed. Magnier, 2007), photoroman écrit à partir de photos d’Anne Rehbinder, qui a connu un certain retentissement. Il a reçu le prix Rhône-Alpes du livre jeunesse 2008, et cette reconnaissance a eu au moins deux conséquences : primo les projecteurs braqués sur mon roman m’ont donné envie de le faire vivre autrement, et je me suis lancé dans le spectacle vivant, avec un ami musicien, Christophe Sacchettini. Depuis tantôt cinq ans nous tournons le spectacle adapté du roman, et je me suis entre temps diversifié en donnant des lectures, musicales ou non, de divers autres de mes textes.
Secundo, le fameux Prix Rhône-Alpes du livre était doté d’une forte somme, que j’ai décidé d’engloutir en 2008 dans la création d’une maison d’édition associative, au sein de laquelle je publierais ce que bon me semble, comme bon me semble. Depuis, ce terrain de jeu nommé Le Fond du tiroir et doublé d’un blog du même nom, est presque devenu mon unique éditeur (dix titres actuellement au catalogue, soit deux parutions par an).
Même si le Fond du tiroir est un projet très personnel avant tout destiné à donner forme à mes propres textes, il est loin d’être autiste : il est avant tout un lieu de rencontres où je m’épanouis dans le jeu et la collaboration avec diverses personnalités choisies, qu’elles soient poète et éditeur (Hervé Bougel), photographe et graphiste (Patrick Villecourt), dessinateur de bande dessinée (Philippe Coudray), artiste-graveuse (Marilyne Mangione), ou illustrateur tout-terrain (Jean-Pierre Blanpain, pour les deux derniers livres parus en 2012 : « Double tranchant » et « Lonesome George »).
Mon projet en cours : un roman d’épouvante intitulé Vironsussi qui est aussi un spectacle, réalisé en compagnie du musicien Olivier Destéphany et du dessinateur Romain Sénéchal.

Saint Père intérimaire

04/03/2013 Aucun commentaire

Cela pourrait avoir un lien, peut-être, avec la récente défection de Ben Sixteen (on ne sait jamais, s’il prenait l’envie à la curie de me filer le job). Plus sûrement s’agit-il d’une réminiscence d’un souvenir : il y a quelques années, pour l’enterrement de ma grand-mère, j’ai pris la parole face à une église bondée. Sans m’en rendre compte sur le moment, moi qui suis laïcard en diable-dans-un-bénitier et qui souhaitais un laïus le plus détaché possible des rites catholiques, je comparais la défunte à Marie, alléguant qu’elle avait traversé le plus grand chagrin qui soit, celui de voir mourir son fils.

Bref, sans savoir au juste pourquoi, cette nuit j’ai rêvé ce qui suit.

Un enfant est mort. La messe d’enterrement doit avoir lieu. Je remplace au pied levé le curé, qui s’est défaussé, prétextant qu’une mort d’enfant lui est insoutenable et le ferait même douter de sa foi. Pourtant il faut bien que le spectacle ait lieu puisque le public est assemblé dans la salle. Il se trouve que je connais les circonstances de la mort du garçonnet, j’étais présent, j’ai assisté à ses derniers spasmes, j’ai vu son agonie, son dernier hoquet et son vomi. Il faut bien que quelqu’un fasse le sale boulot, je me dévoue, je monte en chaire, c’est moi qui vais dire la messe. Le silence se fait, on n’entend que mes pas sur le marbre. Je me racle la gorge. Je déploie sur un pupitre les notes que j’ai prises. Enfer ! Il ne s’agit pas du brouillon de mon homélie, mais de toutes les notes qui doivent me servir à la préparation de la reprise du spectacle Du sang sur l’archet à l’automne prochain. J’essaie à toute vitesse de comprendre les liens possibles entre les deux affaires interverties… Les rapports entre ces deux choses comme entre toutes les choses me paraissent évidents, limpides, analogies à l’infini, mais je ne parviens pas à mettre de mots dessus, j’en suis désespéré, je ne peux que me concentrer sur les apparences, le concret, la couleur claire du bois de mon pupitre. À force de concentration, il me semble que ce garçon devait assister au spectacle, nous en avions parlé ensemble, c’est ça, je le tiens le rapport, il n’y sera pas, c’est triste, mais que dire de plus ? Il ne me reste qu’à improviser. Je prononce dans mon micro-casque : « La grand-mère de ce pauvre petit garçon disait souvent, et elle aurait pu vous le dire à ma place aujourd’hui même si elle n’était pas morte… » J’entends alors une voix s’élever des rangs de la nef : « Mais qu’est-ce qu’il raconte, ce con ? Ce n’est pas vrai, je suis vivante ! » Je panique, je transpire, je ne sais pas comment enchaîner, je suis dans de beaux draps, heureusement je me réveille.