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Archives pour 05/2010

Battre le fer tant qu’il est froid

28/05/2010 5 commentaires

Fais péter du Flaubert ! « Je me suis remis à travailler. Car l’existence n’est tolérable que si on oublie sa misérable personne. » (Lettre à George Sand, 29 avril 1872)

Et retournons sur le métier.

Je viens de recevoir un coup de téléphone de mon éditrice chez Magnier. Le texte de mon Jean II le Bon ne convient toujours pas. Ce roman est trop long, trop savant, trop répétitif, elle décroche.  Il me faut en remettre une couche, affiner derechef le bazar. Je soupire. Je me retrousse les manches de la tête. Verbatim :

– Ah, et au fait, je reviens d’une réunion avec Thierry et les commerciaux… Jean II le Bon séquelle est décidément un titre impossible, ça a fait rire tout le monde…
– Rire ? Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle. C’est un très bon titre,
séquelle. Un jeu de mot franco-anglais qui a du sens…
– Oui, sauf que personne ne le comprend, ton jeu de mot. On ne sait pas ce que c’est une « sequel », tout le monde n’y entend que la « séquelle » médicale, ça ne donne pas envie…
– Eh ben ils n’ont qu’à lire le livre, ils comprendront !
– Ah, Fabrice, ça ne marche pas comme ça… Ils faut comprendre le titre avant de lire ! Sinon le livre ne se vend pas… Et ce serait bien qu’il se vende un peu, ce livre…
– Hon-hon, ah ouais, d’accord, je vois le genre, bonjour l’argument oiseux… « Vendre le livre », bien sûr, je n’avais pas envisagé les choses de cette façon… On n’est pas au Fond du tiroir, ici… Bon, puisque ces messieurs du commerce ne veulent pas de
séquelle, on se rabat sur réplique, tant pis.
– Eh, non :
réplique, ils n’en veulent pas non plus.
– Hein ? Mais pourquoi ? ça les fait marrer, ça aussi ? Ils ont un drôle d’humour, les commerciaux.
– Allez, courage. Tu as une semaine pour me trouver un nouveau titre. Et revoir ton texte, aussi.

Étrange salto arrière du destin : ce livre qui n’en finit pas de finir n’a d’abord existé que par son titre, aboli in fine. En 2005 ou 2006, lors de mes premières rencontres scolaires en service après vente du Posthume, les mômes me demandaient : « Tu vas écrire la suite ? » Ah, sûrement pas ! Jamais de la vie ! J’ai horreur des suites ! Mais si jamais je l’écrivais, j’aurais un titre tout trouvé, l’évidence même, la bonne blague : Jean II le Bon, séquelle. Lorsque je m’y suis mis en joyeux renégat, j’ai empilé tout le livre sur ce socle. Cinq ans plus tard, le livre est écrit, et on sape sa base. Est-ce grave ? Je ne sais pas. (1)

Dans le fil de la conversation, j’ai appris en outre la date de sortie de ce livre innommable : 15 septembre. Plus tôt que je croyais. Très bien. Ainsi, je publierai deux livres cet automne : Jean II le bon whatsizname chez Magnier, mon opus 11, et peu de temps après, La légende du monde au Fond du tiroir, ouvrage qui marquera son statut d’opus 12 en étant entièrement rédigé en alexandrins. Parfaitement mesdames messieurs. Et il ferait beau voir que les commerciaux qui distribuent les livres du FdT réunis en conclave (uh ! uh ! uh ! le tableau ! mon tour de rire !) tentent de m’en empêcher.

Voilà pour mon pain sur la planche. Et à part ça ?

Et à part ça, je viens, toute pudeur bue, de pleurer à chaudes larmes en regardant cette vidéo, est-il possible d’être aussi sentimental.

L’idée que d’un seul coup, par magie, surgisse dans la vie ordinaire un moment où l’on chante (juste) et où l’on danse (en mesure), un moment de pure joie et de délire et de cohésion, me bouleverse, aux larmes, je vous jure. J’en tire exactement le même type d’émotions que des comédies musicales, qu’elles viennent d’Hollywood ou de Bollywood. Une comédie musicale est une utopie, un rêve d’harmonie sociale, il y a sûrement quelque chose de politique, au fond de ces larmes.

(1) – Et voilà que je lis une interview avec Jean-Luc Godard dans Les Inrocks, juin 2010 : « J’ai toujours des titres d’avance, qui me donnent une indication sur des films que je pourrais tourner. Un titre précédant toute idée de film, c’est un peu comme un la en musique. J’en ai toute une liste. »

Ceci n’est pas une pipe, mais un cigare est un cigare. (Fume, c’est du belge.)

18/05/2010 2 commentaires

L’autre jour, mains ouvertes et yeux fébriles, porté par je ne sais quel sublime enthousiasme ou je ne sais quel apéro géant, je me suis, à mon propre étonnement, retrouvé en train de résumer à mon interlocuteur, en trois quasi-maximes concises et compactes comme autant de diamants, le projet éthique et esthétique non seulement du Fond du Tiroir, mais de toute littérature. Je vous en fais profiter, ce serait dommage de laisser perdre.

En tant qu’écrivain et éditeur, j’affirme qu’écrire et éditer sont deux tâches diamétralement distinctes, et peut-être même antagonistes, pour la raison ci-après énoncée.

1 – En littérature, l’on écrit ce que l’on peut.

2 – Et c’est déjà beaucoup (cf. Romain Rolland : « Un héros, c’est celui qui fait ce qu’il peut. Les autres ne le font pas. »)

3 – Mais l’on publie ce que l’on veut.

(Post-scriptum pour consoler ceux qui en lisant le titre s’attendaient à un article plus olé-olé : ceci est une pipe.)

Ça me fait quelque chose

10/05/2010 2 commentaires

(Le 5 décembre 1360, les premiers francs sont frappés à Compiègne, pour aider à payer la rançon du roi Jean II le Bon, capturé par les Anglais le 19 septembre 1356 à la bataille de Poitiers. Dénommé franc à cheval, il s’agit en fait d’un écu tiré à 3 millions d’exemplaires, pesant 3,87 grammes d’or fin et valant une livre tournois ou 20 sols. Le roi y est représenté sur un destrier, armé d’un écu à fleur de lys et brandissant l’épée, avec le terme « Francorum Rex » (Roi des Francs). Bien que le mot « franc » signifie « libre », il est plus probable que le nom de la monnaie vienne tout simplement de cette inscription. Source : Wikipedia)

Bref : Jean II le Bon, c’est de la thune. Mon prochain livre est à paraître ailleurs qu’au Fond du Tiroir, par conséquent il me rapporte.

On peut jeter un œil au projet de couverture, pour constater que ce foutu bâtard de roman s’intitule, sous la pression de l’éditeur, Jean II le Bon, réplique au lieu de séquelle, comme je l’avais prévu. Réplique est nettement moins bon que Séquelle – on perd au change un intéressant jeu de mot franco-anglais et l’idée subliminale que c’est celui qui a survécu qui écrit. Toutefois je ne désespère pas de persuader Thierry Magnier du bien-fondé du titre sous sa forme initiale, rien n’est fait. À force d’éditer mes livres au fond de mon tiroir, j’avais fini par oublier que les relations auteur-éditeur, autrement dit employé-employeur, sont d’âpres négociations et compromis(sions)… Encore négocier, toujours argumenter… Et c’est ainsi, au fil des marchandages entre les « partenaires sociaux », que l’on gagne sa vie, sinistre métonymie signifiant que l’on gagne de l’argent.

Je viens de recevoir coup sur coup une moitié de mes à-valoirs, réglés par les éditions Magnier pour mon Jean II Machintruc (somme modeste) ; et l’avis positif du CNL, prêt à me verser une bourse d’écriture pour le même livre (somme pharaonique, vingt fois supérieure à la précédente).

En somme(s), vous me trouvez ce matin virtuellement riche (ce qui est proprement indécent, en pleine crise en Grèce en Europe et partout-partout), et tout étourdi par la disproportion entre les deux sources de revenus, les droits d’auteur réels et le soutien public – mais après tout, c’est ce que préconise Schiffrin. L’aide à la création littéraire fonctionne encore un peu en France : on reçoit des subsides d’un centre national et pendant une seconde on a envie de cesser de dire du mal de son pays, on se sent tout attendri par la reconnaissance, on ne voudrait pas cracher dans la soupe. Mais ensuite, on repense à Sarkozy, Besson, Hortefeux, ou même Frédéric Mitterrand, et l’effet s’estompe on peu, on n’ira pas jusqu’à crier Vive la Patrie. Merci beaucoup pour le soutien, France, du fond du cœur, mais fais gaffe à toi, hein.

Du fond du cœur, et du tiroir aussi, puisque cette manne bienvenue, récompensant un livre ambitieux mais mainstream, sera sans vergogne dilapidée pour permettre la fabrication locale et artisanale d’ouvrages également ambitieux mais résolument souterrains, et permettra au FdT de garantir son programme initial : publier deux livres par an. Les livres qui me rapportent financent les livres qui me coûtent, le visible mécène du caché… mais le lecteur du présent flux a depuis longtemps compris le principe. Sinon, reprendre à la page 1 du blog.

Quoiqu’il en soit, cette bourse ne me sera versée que si, dans le cadre de mon emploi salarié, je passe à mi-temps (comme dit le proverbe : le mi-temps c’est du mi-argent), ce qu’il va falloir négocier avec mon employeur… Toujours convaincre, encore argumenter… Parlementer avec tous ses employeurs au long de la vie et de la journée… Moi qui ai fondé le FdT, si je me souviens bien, pour n’avoir pas de comptes à rendre…

Autre obligation conditionnant le versement de la bourse : il s’agirait de le terminer, maintenant, ce roman pré-payé. Je viens de passer des heures et des semaines à le corriger, et cette phase me fut, comme toujours, tant exaltante (là, au moins, j’écris) que déprimante, puisque m’apportant la preuve page après page que je ne sais pas écrire. Dingue le nombre de répétitions, de mots faibles, de tournures nulles, de phrases sans relief. Et c’est à ça que le CNL refile le pognon de vos impôts ? Si j’étais vous, je manifesterais.

Ne vous méprenez pas, il ne s’agit pas d’une pose faussement modeste, je trouve très sincèrement que j’écris mal, et les versions successives des manuscrits consistent pour l’essentiel à traquer les scories, amender vers le potable, cheminer vers la lumière. Je ne vous montrerai pas mes brouillons pleins de ratures, mais je suis par exemple consterné par mes tics de style, mes trop nombreux adverbes, mes parenthèses superflues, surtout l’insigne pauvreté de mon vocabulaire. Ainsi, j’abuse tant et plus du verbe « faire », le plus pâle de la langue française ; du pronom indéféni « quelque chose » (Que quelque chose arrive !) ou du simple substantif « chose », indéniables symptômes de platitude et de fragilité rhétorique ; enfin de l’indistinct pronom démonstratif « ça », d’une vulgarité sans fond, et dont je farcis toutes mes phrases lorsque je ne me surveille pas.

Oh oui, je peux le dire, constater que mon style est aussi indigent, ça me fait quelque chose. Ah, zut, encore tombé dedans, deux pieds joints.

Et puis baste ! Des précédents existent. « La belle chose que de savoir quelque chose », comme le pérore M. Jourdain. Et Céline préfaçant la réédition de Voyage au bout de la nuit en 1949 : « Ah ! on remet le « Voyage » en route. Ça me fait un effet. (…) Si j’étais pas là tout astreint, comme debout, le dos contre quelque chose… Je supprimerais tout. »