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Ça me fait quelque chose

(Le 5 décembre 1360, les premiers francs sont frappés à Compiègne, pour aider à payer la rançon du roi Jean II le Bon, capturé par les Anglais le 19 septembre 1356 à la bataille de Poitiers. Dénommé franc à cheval, il s’agit en fait d’un écu tiré à 3 millions d’exemplaires, pesant 3,87 grammes d’or fin et valant une livre tournois ou 20 sols. Le roi y est représenté sur un destrier, armé d’un écu à fleur de lys et brandissant l’épée, avec le terme « Francorum Rex » (Roi des Francs). Bien que le mot « franc » signifie « libre », il est plus probable que le nom de la monnaie vienne tout simplement de cette inscription. Source : Wikipedia)

Bref : Jean II le Bon, c’est de la thune. Mon prochain livre est à paraître ailleurs qu’au Fond du Tiroir, par conséquent il me rapporte.

On peut jeter un œil au projet de couverture, pour constater que ce foutu bâtard de roman s’intitule, sous la pression de l’éditeur, Jean II le Bon, réplique au lieu de séquelle, comme je l’avais prévu. Réplique est nettement moins bon que Séquelle – on perd au change un intéressant jeu de mot franco-anglais et l’idée subliminale que c’est celui qui a survécu qui écrit. Toutefois je ne désespère pas de persuader Thierry Magnier du bien-fondé du titre sous sa forme initiale, rien n’est fait. À force d’éditer mes livres au fond de mon tiroir, j’avais fini par oublier que les relations auteur-éditeur, autrement dit employé-employeur, sont d’âpres négociations et compromis(sions)… Encore négocier, toujours argumenter… Et c’est ainsi, au fil des marchandages entre les « partenaires sociaux », que l’on gagne sa vie, sinistre métonymie signifiant que l’on gagne de l’argent.

Je viens de recevoir coup sur coup une moitié de mes à-valoirs, réglés par les éditions Magnier pour mon Jean II Machintruc (somme modeste) ; et l’avis positif du CNL, prêt à me verser une bourse d’écriture pour le même livre (somme pharaonique, vingt fois supérieure à la précédente).

En somme(s), vous me trouvez ce matin virtuellement riche (ce qui est proprement indécent, en pleine crise en Grèce en Europe et partout-partout), et tout étourdi par la disproportion entre les deux sources de revenus, les droits d’auteur réels et le soutien public – mais après tout, c’est ce que préconise Schiffrin. L’aide à la création littéraire fonctionne encore un peu en France : on reçoit des subsides d’un centre national et pendant une seconde on a envie de cesser de dire du mal de son pays, on se sent tout attendri par la reconnaissance, on ne voudrait pas cracher dans la soupe. Mais ensuite, on repense à Sarkozy, Besson, Hortefeux, ou même Frédéric Mitterrand, et l’effet s’estompe on peu, on n’ira pas jusqu’à crier Vive la Patrie. Merci beaucoup pour le soutien, France, du fond du cœur, mais fais gaffe à toi, hein.

Du fond du cœur, et du tiroir aussi, puisque cette manne bienvenue, récompensant un livre ambitieux mais mainstream, sera sans vergogne dilapidée pour permettre la fabrication locale et artisanale d’ouvrages également ambitieux mais résolument souterrains, et permettra au FdT de garantir son programme initial : publier deux livres par an. Les livres qui me rapportent financent les livres qui me coûtent, le visible mécène du caché… mais le lecteur du présent flux a depuis longtemps compris le principe. Sinon, reprendre à la page 1 du blog.

Quoiqu’il en soit, cette bourse ne me sera versée que si, dans le cadre de mon emploi salarié, je passe à mi-temps (comme dit le proverbe : le mi-temps c’est du mi-argent), ce qu’il va falloir négocier avec mon employeur… Toujours convaincre, encore argumenter… Parlementer avec tous ses employeurs au long de la vie et de la journée… Moi qui ai fondé le FdT, si je me souviens bien, pour n’avoir pas de comptes à rendre…

Autre obligation conditionnant le versement de la bourse : il s’agirait de le terminer, maintenant, ce roman pré-payé. Je viens de passer des heures et des semaines à le corriger, et cette phase me fut, comme toujours, tant exaltante (là, au moins, j’écris) que déprimante, puisque m’apportant la preuve page après page que je ne sais pas écrire. Dingue le nombre de répétitions, de mots faibles, de tournures nulles, de phrases sans relief. Et c’est à ça que le CNL refile le pognon de vos impôts ? Si j’étais vous, je manifesterais.

Ne vous méprenez pas, il ne s’agit pas d’une pose faussement modeste, je trouve très sincèrement que j’écris mal, et les versions successives des manuscrits consistent pour l’essentiel à traquer les scories, amender vers le potable, cheminer vers la lumière. Je ne vous montrerai pas mes brouillons pleins de ratures, mais je suis par exemple consterné par mes tics de style, mes trop nombreux adverbes, mes parenthèses superflues, surtout l’insigne pauvreté de mon vocabulaire. Ainsi, j’abuse tant et plus du verbe « faire », le plus pâle de la langue française ; du pronom indéféni « quelque chose » (Que quelque chose arrive !) ou du simple substantif « chose », indéniables symptômes de platitude et de fragilité rhétorique ; enfin de l’indistinct pronom démonstratif « ça », d’une vulgarité sans fond, et dont je farcis toutes mes phrases lorsque je ne me surveille pas.

Oh oui, je peux le dire, constater que mon style est aussi indigent, ça me fait quelque chose. Ah, zut, encore tombé dedans, deux pieds joints.

Et puis baste ! Des précédents existent. « La belle chose que de savoir quelque chose », comme le pérore M. Jourdain. Et Céline préfaçant la réédition de Voyage au bout de la nuit en 1949 : « Ah ! on remet le « Voyage » en route. Ça me fait un effet. (…) Si j’étais pas là tout astreint, comme debout, le dos contre quelque chose… Je supprimerais tout. »

  1. 10/05/2010 à 16:31 | #1

    Ouh la, une déprime post-naissance. Rien de grave docteur ? Je vous rassure cher Fabrice, lorsqu’on vous lit, on ne pense pas aux brouillons et au travail laborieux de relecture et de correction que vous fîtes précédemment. Chez certains, le labeur se sent et en est gênant, mais point chez vous évidemment. Votre style est simple ? Et alors, s’il était compliqué, ampoulé, qui le comprendrait ? J’aime bien de temps en temps un Gracq ou un Michon au style pas forcément facilement -oh les adverbes moi aussi !-abordable, mais revenir à des livres moins difficiles -mais pas « faciles » pour autant- me fait un bien et un plaisir fous. Persévérez, je compte bien le lire moi, ce Jean II. Ca me rattrapera de mon inexcusable omission de lecture de Jean Ier.
    Bon courage à vous.

  2. Raoul
    13/05/2010 à 09:25 | #2

    Je ne songeais pas à Rose
    Rose au bois vint avec moi
    Nous parlions de quelque chose
    Mais je ne sais plus de quoi.
    Victor Hugo

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