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Saint-Paul-Trois-Histoires

02/02/2009 8 commentaires

Simple et subtil : signé Sara

Je rentre fourbu et bienheureux de mes cinq jours à Saint-Paul-Trois-Châteaux. Lors de ma première participation à SP3C, en 2006, j’avais conclu qu’il s’agissait du meilleur salon du livre du monde. Or j’avais une solide expérience qui autorisait les comparaisons : des salons du livres, j’en avais déjà faits au moins deux. SP3C m’a réinvité en 2009, et je suis ravi de constater qu’il s’agit toujours du meilleur salon du monde. Or je peux en parler avec autorité, car entre temps mon expérience n’a fait que croître : des salons, aujourd’hui, sans me vanter, j’en ai faits au moins huit.

SP3C a trouvé la formule magique, l’équilibre parfait. L’équilibre entre la fête et le sérieux (ah, être pris au sérieux, pour un écrivain « jeunesse », ça n’a pas de prix), entre les agapes où l’on est reçu comme un prince et les débats où l’on peut vraiment s’exprimer sur son travail (les gens écoutent ! c’est dingue !), entre les rencontres scolaires et les retrouvailles professionnelles, entre le commerce et l’échange l’humain (car l’on est en droit de coller une tarte à quiconque déclare ou seulement pense que l’un est réductible à l’autre), entre le cerveau et le cœur. Comme le dit Susie Morgenstern (ma voisine de stand –  j’avais du bol) : « Dans le milieu de la littérature jeunesse, lorsqu’on entend pour la première fois un auteur dire « Je suis invité à Saint-Paul-Trois-Châteaux », on répond : « C’est où ? »… Mais ensuite, une fois que l’on sait, on répond : « Veinard ! »

J’ai vécu ces jours auprès de personnes que j’aime et/ou que j’admire (et que même, parfois, je connais), Jeanne Benameur, Philippe-Jean Catinchi, Mathis, Sara, Susie Morgenstern, Kochka, Jean-Philippe Blondel, Bruno Heitz, Hubert Ben Kemoun, Lucie Land… et au fin tréfonds des choses et des illusions et des ambitions et des alouettes littéraires, je ne sache pas qu’il y ait mieux à espérer d’un salon ou de la vie, que de passer un peu de temps en compagnie de personnes que l’on aime et/ou que l’on admire (et que même, parfois, l’on connaît).

Pour remercier Saint-Paul depuis mon Tiroir en chambre d’écho, ci-dessous trois histoires que j’en ai retirées, en échange de celles que j’y ai laissées : élémentaire échantillon d’émotions advenues, sur place et à emporter. J’aurais pu en choisir trois autres, je n’avais que l’embarras, mais ce sont ces trois-là.

Un récit qu’on m’a offert ; un conte que j’ai choppé au vol ; et un morceau de vie qui m’est tombé sur le coin de la figure.

Première histoire

Le premier matin, après la nuit dans l’hôtel où je dormais assez mal (seule occasion dans ma vie de dormir jamais dans un hôtel quatre étoiles, et je dors mal ! quel snob je fais !) je pénètre chiffonné dans la salle du petit déjeuner. Je m’assoies à la table de Kochka, que j’ai déjà rencontrée ailleurs, qui me touche beaucoup par sa douceur et sa fragilité. Nous bavardons. Au fil du bavardage, surviennent des paroles tout sauf anodines : elle me parle de l’un de ses enfants, autiste. Les anecdotes qu’elle me tend me bouleversent par surprise. Celle-ci :

« Quand Mathieu était petit, il n’y avait que le bruit de la pluie qui le calmait. Alors, dans les moments de stress, il faisait la pluie : il attrapait tout ce qui lui tombait sous la main, le jetait en l’air, et le regardait tomber. Il le faisait très souvent dans sa classe. Sa maîtresse a fini par trouver comment réagir : elle a confectionné un « costume de ramasseur de pluie », ciré jaune et chapeau, qu’elle a attribué tour à tour aux élèves. Le ramasseur de pluie était chargé de tout remettre en ordre après l’averse… »

J’ai traversé toute la journée en résonance de ce récit du matin, qui m’avait donné le la. Tous les contacts humains qui ont suivi ont vibré à l’aune de cette exemplaire délicatesse. Y compris la grève nationale qui commençait de gronder, et les manifs partout dont nous entendions l’écho : savoir qu’une maîtresse aussi géniale existe, reprendre espoir grâce à elle dans le genre humain, et regarder le gouvernement laminer l’Education Nationale ?

Merci Kochka.

Deuxième histoire

L’un des invités de SP3C était le conteur libanais Jihad Darwiche. J’ai assisté au spectacle qu’il donnait en duo avec sa fille. Je me suis laissé bercer par leurs deux jolies voix, mais j’avoue que je n’ai pas reçu semblablement chacun de leurs contes, j’ai bien souvent décroché au cours de la soirée. J’ai retenu au moins, et je retiendrai longtemps je l’espère, cette histoire-ci, tellement simple et tellement sage :

Il était une fois un vieux derviche que tous ses disciples révéraient pour son calme, son détachement, et sa sérénité. Il ne haussait pas la voix, ne semblait jamais inquiet, et endurait les joies et les malheurs avec la même patience, comme s’il pesait de très haut, de très loin, l’importance et la futilité des choses et des existences.

Une famine survint, qui fit de nombreux morts ; le derviche resta serein. Un séisme survint, qui dévasta le pays ; le derviche resta serein. La guerre survint, qui déchira les hommes et les peuples ; le derviche resta serein.

Ses disciples interloqués cherchaient à pénétrer son secret : « Comment fais-tu, ô maître, pour conserver ton calme en toutes circonstances ? » Le derviche répondit : « Je puise mon calme dans ce qu’il y a entre les pages du Saint Coran ».

Les disciples, très impressionnés, tentèrent d’appliquer cette leçon à leur propre vie. Ils lirent et relirent leur Saint Coran, jusqu’à le savoir par cœur. Mais le jour où survint une nouvelle famine, un nouveau séisme ou une nouvelle guerre, cette leçon s’évanouit instantanément et les disciples s’abandonnèrent aux affres, aux angoisses, à la lutte, au désespoir. Le secret du derviche, qui demeurait inébranlable, leur échappait. Lisait-il le Saint Coran mieux que les autres mortels ?

Le jour où le sage derviche mourut, très vieux, très calme, et très serein, ses disciples le pleurèrent à chaudes larmes. Ils lui rendirent hommage, et voulurent, pour son enterrement, lire quelques pages du Saint Coran. Il s’emparèrent du Coran du derviche, l’ouvrirent, et il s’en échappa une fleur séchée, qu’autrefois sa bien-aimée lui avait offerte.

Merci Jihad.

Troisième histoire

Jeudi après-midi, la classe de CM2 que je rencontrais se trouvait à Malataverne, un village à 30 kms de Saint-Paul. La rencontre était consacrée à La Mèche, fait exceptionnel étant donné que ce livre est introuvable (la classe avait travaillé sur tirages papiers du PDF…), et cela me faisait grand plaisir, j’étais drôle, volubile, énergique, énergétique.
Fin de la séance, 16h30, sonnerie, heure des mamans, brouhaha… Une petite fille enjouée, épanouie, se lève pendant que les autres rangent leurs affaires, elle vient me voir et me dit : « Au fait, c’est moi qui vous remmène à Saint-Paul en voiture…
– Ah bon ? Tu as le permis ?
– Meuh non, c’est ma maman… (et elle rit). »
Je sors avec elle sur le trottoir. Sa mère est bien là. Elle pleure, consolée par des amies.
Je suis emmerdé. Je ne sais comment réagir. Je n’arrive pas à poser de questions, sinon un plat et décalé : « Ça va ?
– Qu’est-ce qu’il y a, maman ? Pourquoi tu pleures ?
– C’est rien, c’est rien… Alors, ça s’est bien passé avec l’auteur ?
– Oui mais quoi ? Qu’est-ce qu’il y a, maman ? C’est mamie, c’est ça ?
– Mais non, mais non, c’est rien, je te dirai… alors, ça va ? »
On s’installe dans la voiture, moi côté passager, la petite à l’arrière. La mère retient ses larmes. Chacun de nous attache sa ceinture.
« Mais dis-moi, maman ! C’est mamie ? Hein, c’est mamie ?
– Je te dirai. Alors cette rencontre ? Tu es contente ?
– Voui ! »
Je discute avec la gamine pour faire diversion.
« Dis-moi Harmony, est-ce qu’au moins, tu l’avais repéré, le message caché, dans la Mèche ?
– Ben non…
– Alors voilà : regarde, il est là.
– Wouah ! C’est drôlement bien ! La maîtresse l’avait même pas vu ! J’ai le droit de le dire à tout le monde ?
– Tu fais comme tu veux, Harmony. Le sujet de ce livre, c’est que quand on grandit, on est capable d’apprendre des choses. Après, on devient responsable de ces choses. Tu es grande, Harmony ! Débrouille-toi !
– D’accord… Je vais réfléchir… »
Et la mère, pendant ce temps, pleure au volant. Les larmes ont pris le dessus. Elle fixe la route. Je lui glisse : « Bon courage », j’ai envie de pleurer avec elle, à la place je ris avec la petite fille, c’est peut-être ce que j’ai de mieux à faire.
« Je crois comprendre que je tombe mal… Si vous ne vous sentiez pas de faire le voyage, vous auriez peut-être pu vous faire remplacer ?
– Non, non, je m’étais engagée à vous ramener, je le fais… Si le salon du livre tient debout, c’est grâce aux 80 bénévoles comme moi. Il faut savoir ce qu’on veut. Si personne ne se bouge, on ne fait plus rien pour les enfants. C’est important, les livres. »

Merci. Voilà. C’est important. Il faut bien que quelqu’un se bouge. Vive Saint-Paul-Trois-Châteaux, vivent les bénévoles, et les livres. Salut, bonne route et fraternité.