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Chapitre XXVIII

07/10/2025 Aucun commentaire

Romain Gary est grand. Il était grand en 1956, à la parution des Racines du ciel, premier des deux romans qui lui ont valu le prix Goncourt, il était grand en 1975 à la parution du second (ce doublet est un exploit à part entière mais il est la face immergée de l’iceberg qui cache la forêt), il était grand entre temps ainsi qu’avant et après, il était grand lors de son suicide en 1980, il n’a pas cessé une seconde d’être grand depuis lors. En 2025 son œuvre est d’une actualité foudroyante et même menaçante – confère la nouvelle adaptation cinématographique (après Samuel Fuller en 1982) de son Chien Blanc, par Anaïs Barbeau-Lavalette qui pointe à quel point Gary a su parler du mouvement Black Lives Matter 45 ans avant que celui-ci n’explose.

Les PUF viennent d’éditer dans leur collection « Classiques de l’écologie » un petit livre signé Gary, intitulé Antifascisme, humanisme et écologie. S’agit-il d’un inédit ? Pas du tout. Je ne crois pas qu’il reste grand chose d’inédit dans ce qu’a écrit Gary et peu importe, rééditons, relisons ce qui a déjà été publié et, promis, cela créera le même effet de nouveauté.

Il s’agit du chapitre XXVIII des Racines du ciel, un seul chapitre encadré par les contextualisations et commentaires pénétrants d’Igor Krtolica – il faut sans doute prévenir le lecteur que dans ce mince volume, les mots de Krtolica sont plus nombreux que ceux de Gary. Une sorte de tiré-à-part, en somme, qui peut se lire comme une nouvelle, ou un échantillon, ou simplement comme une métonymie de l’épopée de Morel, héros du roman, fou qui prit fait et cause pour la survie des éléphants d’Afrique, et dont les combats donquichottesques, franchissant le seuil de la légalité, préfigurent ceux d’une Greta Thunberg, par exemple. On peut bien avoir lu Les Racines du ciel il y a dix, trente (c’est mon cas) ou soixante ans, ce morceau choisi est une fin en soi et l’on suppose que ce serait le cas de tous les autres chapitres.

Car dès la première page, dès la première ligne, la force du style opère et on se souvient à quel point Gary est grand, dans ce qu’il écrit comme dans la manière de l’écrire :

« Lorsqu’on dit que « tous les Allemands ne sont pas comme ça, tous les Russes ne sont pas comme ça, tous les Arabes ne sont pas comme ça, tous les Chinois ne sont pas comme ça, tous les hommes ne sont pas comme ça, on a en somme tout dit sur l’homme, et on a beau gueuler ensuite : “Jean-Sébastien Bach ! Einstein ! ou Schweitzer !” au clair de lune, le clair de lune est renseigné ».

Et attention, Gary étant toujours subtil en plus d’être grand, cette tirade superbe est au second degré, un pas de côté, puisqu’elle est une citation, un écho de conversation entendue au bistro. Comme le dit (à propos d’autre chose) Krtolica l’exégète, Gary n’assène pas de thèses mais présente ces points de vues comme des problèmes et les soumet en permanence à la critique.

S’en suivent des développements palpitants et quelques sous-intrigues, narrateurs emboîtés façon Mille et une nuits, histoires dans l’histoire toutes parfaitement géniales, dont une anecdote (un conte, plutôt ?) de stalag, mettant en scène des détenus résistants français dans les geôles nazies, conte dont je ne dirai rien ici si ce n’est que je brûlerais de le dire ailleurs, devant public.

Puis vient l’écologie, tout de même, puisque la présente réédition se fait dans l’idée que ce roman serait le premier roman écologique, chacun des termes de l’expression étant savamment explicité.
Romain Gary, pionnier de l’écologie ? L’anachronisme pourrait sembler discutable et tiré par les cheveux (le mot lui-même n’est pas cité une fois dans l’édition initiale de 1956, et Gary raconte dans une préface, pour une réédition en 1980, que cette année-là il avait assisté à une réunion présidée par un grand journaliste, Pierre Lazareff, et qu’à la mention du mot écologie, seulement quatre personnes sur la vingtaine présentes avaient une vague idée de sa signification – a priori, lui même n’en faisait pas partie)… si du moins l’on oubliait que Gary n’est d’avant-garde que parce qu’il est d’arrière-garde, pionnier seulement parce qu’il s’inscrit dans une immémoriale tradition (ses racines dans le ciel à lui), une tradition de conscience, d’intelligence (au sens de compréhension), une tradition d’humanisme non humano-centré, qui sait depuis toujours que défendre la nature, c’est nous défendre nous-mêmes. Comme le dit Morel au chapitre XXVIII :

— Enfin, c’est comme ça. Et ça ne prouve rien. Il y a des malentendus, mais les gens, dans leur ensemble, commencent à comprendre. N’importe quel gars qui a connu la faim, la peur, ou le travail forcé, commence à comprendre que la protection de la nature, ça le vise directement…

Et à peine plus loin, dans un flashback où Morel raconte comment il a foutu le feu à un chenil pour libérer des chiens promis à la chambre à gaz :

C’est comme ça que je me suis lancé. J’étais sûr de tenir le bon bout. Il n’y avait plus qu’à continuer. Ce n’était pas la peine de défendre ceci ou cela séparément, les hommes ou les chiens, il fallait s’attaquer au fond du problème, la protection de la nature. On commence par dire, mettons, que les éléphants c’est trop gros, trop encombrant, qu’ils renversent les poteaux télégraphiques, piétinent les récoltes, qu’ils sont un anachronisme, et puis on finit par dire la même chose de la liberté – la liberté et l’homme deviennent encombrants à la longue… Voilà comment je m’y suis mis.

D’ailleurs, cette même collection « Classiques de l’écologie » des PUF héberge également, parmi d’autres ringards, le Cantique de frère Soleil de Saint François d’Assise. Convergence sinon des luttes, du moins des pensées humanistes vintage.

On ne sait toujours pas ce qu’est un écrivain

06/10/2025 Aucun commentaire

Je viens de lire une interview de Marie-Aude Murail, fort intéressante matière à gamberge, qui notamment donne une définition de ce qu’est un écrivain selon elle : « Quelqu’un qui veut être lu« .
Définition qui en vaut une autre, pourquoi pas, je comprends ce qu’elle veut dire.
Mais qui exclut de la communauté des écrivains nombre d’écriveurs, animés davantage par l’écriture que par la perspective d’une lecture ultérieure. Kafkka, JD Salinger, Pierre Louÿs ou Pessoa (et sa mythique malle posthume aux 27 543 textes) sont les quatre premiers noms qui me viennent. Ces quatre-là, cherchant de façon forcenée la création mais pas la communication ne seraient pas « écrivains » ? Allons donc.

Pour ma part, je continue, comme je fais depuis 30 ou 40 ans, d’écrire à peu près tous les jours, parce que l’écriture reste ma façon préférée de réfléchir, de me souvenir, de comprendre, d’explorer, de construire. En revanche, ce qui s’est éloigné de moi, c’est l’envie de faire des livres. Certes, cette perte de désir provient des deux quasi-décennies de bides rencontrés par mes livres (en particulier, le fiasco d’Ainsi parlait Nanabozo en 2021 a mis un terme à quelque chose : à sa sortie j’étais excité comme une puce, sur les starting-blocks, j’avais une énorme envie de défendre ce livre et de discuter avec les lecteurs, de créer des débats notamment dans les lycées… et il ne s’est absolument rien passé, ce livre paru chez Magnier existe aussi peu que s’il était paru au Fond du Tiroir).
Parfois il m’arrive de croiser quelqu’un qui me demande « Tu écris toujours ? Tu as publié autre chose depuis TS ?« 
TS est un roman paru en 2003 et j’ai publié une vingtaine de livres entre temps, ces livres existent, mais sans lecteurs. Que répondre à « Tu écris toujours » ? Sinon, peut-être, « Tu lis toujours ?« 
Bien sûr que je suis déçu de ne plus avoir de lecteurs, puisque j’aimais beaucoup les rencontres, dans les lycées, les salons du livre, ou ailleurs, j’aimais faire mon show et échanger sur la littérature. La méthode pour empêcher cette déception de se transformer en aigreur était somme toute assez simple : je me suis souvenu que j’aimais écrire et que l’écriture était une fin en soi, mais qu’en revanche la publication n’était pas une obligation, seulement un bonus. C’est la publication qui crée des espérances, et donc des déceptions. Tandis que l’écriture, elle, ne déçoit jamais. Je n’ai plus de « carrière littéraire » et ne suis même pas sûr d’avoir le désir d’en avoir une, mais j’ai toujours l’écriture, oui.
Voilà pourquoi j’écris toujours, merci, je ne vois pas ce qui pourrait m’empêcher d’écrire, à part peut-être un AVC… Mais j’ignore si ou quand je publierai un nouveau livre. La question de savoir si cela fait de moi un « écrivain » ou non ne m’empêche pas de dormir.

Un ticket de caisse de dix mètres de long

03/10/2025 Aucun commentaire

En deux temps :

I – 20 août 2025

Depuis vingt-cinq ans, la sensationnelle Rebeka Warrior (Julia Lanoë à l’état civil) met le feu sur scène avec ses divers groupes, plus précisément trois duos : Sexy Sushy, Mansfield.Tya, et Kompromat.
Elle publie aujourd’hui son premier livre, Toutes les vies (Stock). Serait-elle une banale « chanteuse qui écrit » ? Pas du tout ! Dans une interview on lit même exactement le contraire !

Je suis devenue chanteuse d’abord pour chanter ce que j’écrivais. De nos jours, c’est compliqué de vendre de la poésie, donc la musique était une voie plus évidente, mais écrire est depuis toujours mon plaisir number one.

Mais oui : la chanson, c’est d’abord de l’écriture, de la poésie, sinon à quoi bon. D’ailleurs… À ce propos… Vous a-t-on dit ? Vous a-t-on redit ? Vous a-t-on assez répété ? Vous a-t-on suffisamment asséné que le prochain stage d’écriture de chansons co-animé par Marie Mazille et Fabrice Vigne, aura lieu dans le cadre somptueux des Épicéas, à Méaudre (Vercors) le week-end des 27-28 septembre 2025 ? Les détails surgissent lorsque l’on clique ici

Mais pour revenir deux secondes à Rebeka Warrior, parce que ce qu’elle raconte est très-très intéressant…
Durant la même interview, la journaliste taquine la chanteuse : elle qui a longtemps autodistribué ses disques en sortie de scène pour conchier le grand capital, quel effet lui fait donc de sortir son livre dans une maison appartenant au milliardaire droitard et bigot Vincent Bolloré ?
Elle répond :

De toute façon, qu’il s’agisse des salles de concerts ou des éditeurs, on finit toujours par arriver, en haut de la pyramide, à un enculé quel qu’il soit, tranche-t-elle. La lutte prend corps quand on affronte les gens qu’on déteste, qu’on devient des intrus chez eux.

II – 3 octobre 2025

J’ai évoqué, au moment de sa sortie, le livre Toutes les vies de Rebeka Warrior, juste pour mentionner que j’avais envie de le lire… J’en parle à nouveau, cette fois en connaissance de cause, après l’avoir lu.
Donc oui : c’est bien. C’est sale, vital, brutal et viscéral comme un concert punk. Ce qu’elle raconte est une descente aux enfers, la maladie et la mort de sa compagne. Par recoupement, j’ai compris qu’elle vivait cet enfer-là le soir, voici quelques années, où je l’avais vue en concert. Elle n’avait pas adressé la parole au public mais lui avait donné tout le reste. Brutal, viscéral, etc.
Lorsque j’ai présenté le livre il y a quelques semaines, j’ai constaté que certains de mes amis FB avaient tiqué devant son langage, sa grossièreté… Mais voyons donc, elle a tous les droits à la grossièreté, bordel de merde !
Quand elle écrit que la mort est une salope, comment écrire cette idée-là plus exactement ou plus précisément ? Vieux débat. Qui fait penser à Céline, évidemment. Il m’arrive, en atelier d’écriture avec des enfants, d’expliquer que, parfois, le mot juste est un gros mot, voilà, c’est comme ça. Il ne faut ni s’y complaire ni l’esquiver. Ni, bien sûr, en abuser sinon on prend le risque de délayer l’effet, mais il ne faut pas s’en priver lorsqu’il vient et tombe à sa place. Ou alors, si l’on s’en prive, on écrit comme un petit marquis, ainsi que Dostoïevski disait des Français.
Rebeka Warrior n’est pas une marquise.
Extrait :

Souvent le Yi King me disait que le ravin n’était pas encore traversé.
Qu’il fallait être patiente et accepter les épreuves.
Pourtant, je tombais tous les jours un peu plus bas dans un trou.
Ça allait faire un an.
Je voulais qu’on me dise à combien de mètres était le sol.
Quand est-ce que j’allais m’éclater la tête sur le bitume ?
Quand est-ce que Pauline irait mieux ?
Ou est-ce que Pauline allait mourir ?
Je commençais à avoir des craintes.
Mais ç’aurait été trop simple de savoir.
La vraie torture c’est d’aller chaque jour plus mal.
Et d’être surprise de voir qu’on peut aller encore un poil plus mal le lendemain.
L’âme humaine peut dérailler à l’infini et même au-delà.

Son livre n’est pas qu’un chemin de larmes. C’est d’abord un chemin d’apprentissage, spirituel et culturel. Chaque chapitre est placé sous les auspices d’un livre qui, à un moment donné, l’a nourrie. Ainsi des Pensées pour moi-même de Marc Aurèle, qu’elle présente ainsi :

Marc Aurèle est un empereur romain et un philosophe né en 121 et mort en 180 après J.C.
Un stoïcien, dont la philosophie est proche du bouddhisme.
Son règne s’est plutôt bien passé, il a été aimé du peuple de Rome, a rendu la cité prospère, il a favorisé le commerce, consolidé les frontières, et gouverné selon l’éthique et la vertu.
Malheureusement, ça s’est très mal fini.
Il a eu un fils, Commode, qui l’a empoisonné pour prendre le pouvoir et devenir un tyran sanguinaire.
Conclusion, donner à son fils un nom de meuble n’est pas recommandé.

Le récit, quoique linéaire, est truffé de ce qui fait une conscience : des listes, des citations, des tentatives et brouillons, et des recension de rêves. Ainsi d’un rêve noté en 2022 : comme souvent, elle revoit sa femme morte, qui cette fois-ci lui déroule « un ticket de caisse de dix mètres de long avec des titres de livres à écrire, de films à réaliser, de chansons à chanter ». Entre autres, un titre pour le prochain album de son groupe Kompromat, PlДying/PrДying, et celui d’un spectacle que devait monter son amie Vimala Pons, Honda Romance. L’album de Kompromat PlДying/PrДying est paru en janvier 2025 ; le spectacle de Vimala Pons, Honda Romance, sur une musique de Rebeka Warrior, a été créé le 23 septembre 2025, et joué à Grenoble les 2 et 3 octobre.

Quant au titre du livre lui-même, il finira bien, à un moment ou un autre, par être explicité :

Sur mon poignet droit, je venais de me faire tatouer « Toutes les vies » en référence à Tchekhov. J’ai alors vu mon pouls battre avec beaucoup de délicatesse sur le mot « vies ».

Bibliomane

01/10/2025 Aucun commentaire

Comment ne pas avoir de la sympathie, voire de l’empathie, pour ce bibliomane dont la maison est décorée de livres et qui désire toujours des livres nouveaux y compris ceux auxquels il ne peut rien comprendre ?

Cette image est extraite de La Nef des fous, best-seller de la Renaissance, publié initialement en 1494, écrit par Sébastien Brant et illustré par divers artistes, dont Dürer.
Il est remarquable que dès les débuts de l’imprimerie, inventée rappelons-le vers 1454 d’abord pour diffuser la Bible et autres écrits saints, les ouvrages les plus célèbres et les plus diffusés étaient non pas les pieux et les austères, mais ceux qui faisaient marrer leurs lecteurs.

Celui-ci, puis l’Éloge de la folie d’Erasme, Rabelais un peu plus tard…Dans le cas du Bibliomane, nous avons de surcroît sous les yeux une délicieuse mise en abyme : les livres existent à peine que déjà nous pouvons nous foutre gentiment de la fiole de ceux qui compulsivement les accumulent.

Le Bibliomane ainsi que bien d’autres merveilles sont à admirer en ce moment à la Bibliothèque d’étude et du patrimoine de Grenoble, qui expose ses incunables jusqu’en mars 2026.

Le saviez-vous ? L’étymologie du mot incunable, qui désigne les livres imprimés au XVe siècle, entre 1454 et 1500, a partie liée avec le grand éclat de rire scatologique, puisqu’il signifie littéralement dans le berceau, voire dans les langes, dans les couches… Me revient cet aphorisme de Borges : La vie se termine comme elle commence, dans les cris et le caca.

Pétrifié

25/09/2025 Aucun commentaire
Communiqué de son éditeur, 6 pieds sous terre :
Gwenaël Manac’h est décédé dimanche 14 septembre, à l’âge de 35 ans.
Il était joie, curiosité et bienveillance. Notre tristesse est et restera immense.

Quel gros chagrin. Quel scandale.
Gwenaël Manac’h, mort à 35 ans !
Condoléances à la famille, d’autant plus sincères que je connaissais bien et son père et sa mère. Lui-même, je ne l’avais jamais rencontré, cependant je connaissais ses livres. Je viens justement de lire son dernier (je crois que c’est son dernier ?) Les Pierres de famille, sans aucun doute ce que je préfère et ce que je retiens dans son œuvre close si tragiquement tôt.

Coïncidence : dans ce livre, les images d’hommes transformés en pierre y sont aussi puissantes que dans le film Alpha de Julia Ducournau, vu il y a quelques jours. Dans les deux cas bien sûr, il serait assez facile de rationaliser et décortiquer symboles et paraboles, mais au fond l’explication n’ajouterait guère à la force onirique de la pure et simple vision de cette pétrification en nous et autour de nous. Contre laquelle on se cogne. La pierre, c’est ce qui durcit lentement mais définitivement et cesse d’être vivant, voilà tout, aussi bien ce pourrait être une maladie dégueulasse qui fauche un garçon de 35 balais.

Icônes

21/09/2025 Aucun commentaire

Ci-dessus : trois icônes de l’angoisse affichées à la une.

– En 1972, pour la réédition en collection Folio de son roman Éducation européenne, Romain Gary demande à Chagall l’autorisation d’en orner la couverture de son tableau Guerre (1943, Musée National d’art moderne).
– En 2025, Gérald Bronner utilise pour son dernier ouvrage À l’assaut du réel, consacré à la post-réalité, le terrible Saturne dévorant son enfant de Goya (1819, musée du Prado).
– Quelque part entre les deux, en 2001, André Markowicz retraduit L’idiot de Dostoïevski et choisit pour les couvertures des deux tomes (livres 1 & 2 / livres 3 & 4) les deux moitiés du visage du Désespéré de Courbet (1843, coll. particulière).

Pendant ce temps, nos trois spectacles, Goya : démons et merveilles, Chagall : l’ange à la fenêtre et Courbet : je fais comme la lumière courent les routes. Les trois tableaux iconiques cités ci-dessus en font bel et bien partie et désormais, à chaque fois que je les croise, ils me font de l’oeil.
Cette trilogie scénique a été conçue avec mes camarades Christine Antoine (violon) et Bernard Commandeur (piano et arrangements) pour évoquer la vie, l’oeuvre, et l’époque d’un peintre, y compris les bouleversements politiques que chacun a traversés : le renversement de la royauté et les guerres napoléoniennes pour le premier, la révolution russe et la Seconde guerre mondiale pour le deuxième, la Commune de Paris pour le troisième… Chacun des trois a pris son époque en pleine figure et c’est peu de le dire.
Le principe du spectacle est d’entrelacer un récit écrit et dit par ma pomme aux projections d’oeuvres de l’artiste, et aux interprétations des musiques de son temps, de son pays, ou bien, tout simplement, de ses goûts.
Aussi bien, les trois titres pourraient être :
Goya : musique espagnole et latino-américaine ;
Chagall : musique klezmer, russe, française, et l’opéra ;
Courbet : musique romantique et chants de la Commune.

Nous apprécions de jouer ces spectacles dans de « vraies » salles équipées, avec scène, écran, fauteuils… mais nous adorons aussi les présenter chez les particuliers, dans l’intimité de leur salon, à un mètre des genoux du premier spectateur. Si cette offre-ci vous intéresse et que vous avez un grand salon, contactez-nous ! Les coordonnées de Christine : 06 30 20 59 43 / antoine.christine@gmail.com.

Prochaines dates :
* Le Goya : vendredi 3 octobre 2025, 20h, à Bourg de Péage (26), salle François-Mitterrand.
* Le Courbet : samedi 10 janvier 2026, 19h, chez l’habitant à Saint-Martin d’Uriage (38), demandez-moi les coordonnées.

Persistance rétinienne d’un motif

18/09/2025 Aucun commentaire

Le peloton est toujours à droite, les exécutés toujours à gauche.
Pourquoi ?
Je me souviens d’une étude d’histoire de l’art qui compilait les Madones à l’enfant, pour remarquer que la proportion de Marie tenant le bébé Jésus sur le bras gauche ou le bras droit était comparable à la proportion réelle de droitières et de gauchères dans la société. D’accord, ça se tient. Ici en revanche, je n’ai pas d’explication.

Tres de Mayo, Francisco de Goya, 1814
Peloton d’exécution, Gustave Courbet, carnets, sans date
L’Exécution de Maximilien, Edouard Manet, 1868
Communards fusillés dans la rue, gravure anonyme d’après Félix Philippoteaux
Le triomphe de l’ordre [exécution des Communards devant le Murs des Fédérés], Ernest Picq, 1877
Peloton d’exécution fusillant un mutin, photo, Première Guerre mondiale (1917 ?). Rue des Archives
L’oreille cassée, 1937, Hergé
Massacre en Corée, Pablo Picasso, 1950
Dans les griffes de la Gestapo, Max Varnel, 1962 (photogramme d’un long-métrage)
Murder in Mississippi, Norman Rockwell, 1965
Silver Surfer graphic novel, Jack Kirby, 1978
Execution, Markus Lüpertz, 1992
Execution, Yue Minjun, 1995
Exécution, après Goya, Yan Pei-Ming, 2008

C’est la rentrée, disent-ils (trois lectures de fin d’été)

20/08/2025 Aucun commentaire

I

J’aime Amélie Nothomb.
Plus exactement, j’aime à moitié Amélie Nothomb, disons que je l’aime une fois sur deux : je lis distraitement ses fictions que j’oublie à mesure, tandis que j’adore ceux de ses livres où elle s’adonne à l’autobiographie, où elle devient son propre personnage, voire son propre clown tant elle se manipule dans un registre burlesque.
En toute logique ce pan-là de son œuvre devrait faire d’elle l’une des figures de proue de ce que l’on appelle, faute de mieux, l’autofiction – hélas on ne pense guère à l’inclure dans cette « école » qui contient tant de carpes et autant de lapins, Grégoire Bouillier, Emmanuel Carrère, Annie Ernaux, Christine Angot, Edouard Louis, etc.
Si l’on néglige si fréquemment Nothomb lorsque l’on énumère ce vrac qui fait l’orgueil des lettres francophones, c’est en raison de deux handicaps rédhibitoires : Nothomb est facile à lire, et elle est drôle. Pourtant, l’écarter est une triste erreur !
Chaque été, depuis 32 ans, la Nothomb publie un livre – durant l’année écoulée, selon la légende, elle en aura écrit deux, la moitié de sa production restant donc occulte.
Chaque automne, bon an mal an, je lis un Nothomb, mais jamais-grand-jamais le cru de l’année, que je préfère laisser décanter (sauf une fois, exception qui confirma proverbialement la règle). C’est ainsi qu’en 2025 je viens de lire Ni d’Ève ni d’Adam (2007), devenu instantanément mon Nothomb préféré.
J’y retrouve le ton de Nothomb qui m’est familier et agréable à l’oreille : le double exotisme (le Japon vu par une Belge), les détails absurdes qui sont autant de cailloux dans les rouages, le lyrisme délirant et candide contrebalancé par une autodérision bienvenue… et le style lui-même, que je pourrais chercher à définir en comptant les occurrences des mots les plus fréquents, mots qui fouettent systématiquement l’enthousiasme, dans un sens ou l’autre : atroce ou atrocement revient presque à chaque chapitre et jusque dans la dernière page ; inversement exquis, merveilleux, formidable, délicieux, délectable ou, au minimum, étonnant, tombent en litanies perpétuelles pour rappeler que le rapport au monde d’Amélie Nothomb est toujours, avant tout, fait de joie et d’ébahissement.
En revanche, je note l’extrême rareté de certains mots : par exemple on ne lira pratiquement jamais sous sa plume un mot aussi banal que mais (pas plus que ses équivalents : toutefois, cependant…), et cette parcimonie d’articulations contradictoires conduit le lecteur à comprendre que l’existence de l’autrice (du personnage ? du clown ?) n’avance que par empilement d’atrocités, de merveilles ou de stupéfactions, sans que jamais l’une ou l’autre viennent annuler, contredire ou nuancer la précédente. Peut-être que cette énergie sans arrêt positive, ce mouvement permanent, cette force qui va, explique aussi sa productivité.
Voilà pour la musique. Quant aux paroles… Ni d’Ève ni d’Adam m’a semblé exceptionnel parce qu’Amélie, si pudique ailleurs, parle ici d’amour, et même, quoiqu’allusivement, de sexe. Ainsi que du non-amour. Sa naissance et sa disparition. Sa possibilité et son empêchement, qui n’est la faute de personne. Nul n’est obligé de se plier au modèle social commun, chapitre de l’Amour, et c’est dans cette liberté face aux prescriptions qu’il faut comprendre le titre du livre. Nothomb parle formidablement, et avec une originalité fulgurante, de cet amour dont il faut faire l’expérience personnelle pour comprendre la liberté qu’on y trouve, ou pas. Sans drame, ni drama, puisque le contraire de l’amour n’est pas la haine, elle en parle seulement avec gratitude : cherchons la merveille, fuyons l’atroce, toujours.


J’enchaîne sans tarder avec ce qui constitue la « suite » de Ni d’Ève ni d’Adam, sensiblement plus bref, une sorte de gros épilogue : La nostalgie heureuse (2013), qui narre le retour d’Amélie au Japon. Il s’ouvre par une phrase merveilleuse, pour employer un vocabulaire nothombesque : Tout ce qu’on aime devient une fiction.
Puis, à peine plus loin, à quelques minutes de là en temps nothombien, soit à la page 30 :
Quand une histoire est à ce point réussie, on redoute de ne pas être à la hauteur pour la suite. J’ai peur des retrouvailles. Je les crains autant que je les désire.

II

J’ai dévoré d’une traite Le dernier hiver, bref roman de Marcus Malte. J’y ai passé une heure, une heure excellente.
Quel texte magnifique !
Qui renferme bien l’âpreté caractéristique de son auteur (oui, il y a là des morts, à foison) tout en n’oubliant pas à qui il s’adresse (le livre est estampillé jeunesse).
Qu’on a envie de lire à haute voix tellement il tient tout seul, d’un bloc dense et délicat, qui n’a aucun besoin de commentaire, ni d’exégèse, ni d’explicitation des références – toutefois je signale pour le plaisir de signaler que bien sûr on y reconnaitra Jack London, on reconnaîtra Marcus Malte lui-même puisque c’est là une contrepartie d’un livre plus ancien, Appelle-moi Charlie (dont la lecture préalable n’est absolument pas indispensable), et on pourra même, quoique plus discrètement, reconnaître Victor Hugo : « J’ai eu autant de vies qu’il y a eu d’hivers » ou bien « On leur disait banquise, ils répondaient banquiers », en voilà deux beaux alexandrins hugoliens, on croirait entendre la Légende des siècles… Au fond, il y a de cela : Le dernier hiver est une sorte de légende des siècles. Bref, nul besoin d’en rajouter, je souhaite à chacun(e) une heure excellente. Petit conseil technique : afin de ne pas se gâcher la surprise et la joie de comprendre qui est le narrateur, je préconise de s’abstenir de lire la 4e de couve.

III

J’ai déjà exprimé, et même plusieurs fois je le crains, mon admiration pour les livres de Liv Stromquist (rediffusion au Fond du Tiroir : ici).
Son dernier en date, La pythie vous parle (Rackham, 2024), est une somme formidable, où elle se fait elle-même « pythie » (dispensatrice de bons conseils pour mener correctement sa vie) tout en ironisant sur la profusion de pythies modernes, coachs variés et youtubeurs multiples qui ont pout toi la clé de la réussite.
Surtout, ne pas se laisser rebuter par la simplicité quelque peu enfantine de son dessin – après tout, les génies dont on a dit qu’ils « dessinaient mal » sont légion, Siné, Reiser, Schlingo, Aline Kominsky… Son style est parfait pour ce qu’elle veut atteindre : nous faire réfléchir, via une vulgarisation prodigieusement intelligente, passant à la moulinette les discours à la fois de psychologues, psychanalystes, sociologues, anthropologues, mais aussi (la pauvre, elle a dû en baver pour réunir sa documentation) « d’experts » en développement personnel, de masculinistes bas du front ou influenceuses hautes de l’implant.
La façon dont elle décortique l’air du temps que l’on respire, l’influence directe qu’a le néolibéralisme sur nos rapports à nos corps ou nos sentiments les uns envers les autres (ultravalorisation et en conséquence ultrafragilisation de l’égo, injonction au bonheur, au bien-être et au « fun », application aux relations humaines des paradigmes issus de l’économie, par exemple « il faut profiter » transformant le champ de la vie elle-même en champ de la performance à évaluer en permanence comme un client évalue son fournisseur, surestimation de la rationalité et du calcul pourtant contredite par une irrationalité de tous les instants, obsession du contrôle, déni de la mort ou de toute pensée négative, et puis l’amour, toujours l’amour, toujours normatif)… cette façon de décortiquer, disais-je, est magistrale. Et utile. Il faut au fond la prendre au sérieux : Liv Stromquist est une pythie.

Je prélève deux pépites :
– Une citation du sociologue Zygmunt Bauman : La mort constitue la limite de notre raison, puisqu’il n’est pas possible de la contrôler, de la prévoir ou de la dominer [c’est pourquoi] la mort n’est pas notre bourreau, mais notre geôlier.
– Une anecdote historique : venu consulter la pythie de Delphes en 83 av. J.-C. afin de recueillir un conseil, Cicéron n’obtint que celui-ci, qui les vaut tous : Ne suis aucun conseil.

The more I clean up, the more it gets dirty

11/08/2025 Aucun commentaire

En 1989 Richard McGuire a révolutionné l’oeil de ses lecteurs avec seulement six planches de bandes dessinées expérimentales (consultables ici), sous le titre concis et gigantesque de Here, inventant une manière extraordinairement originale de traiter un thème aussi archaïque que l’être humain, la sensation du temps qui passe et l’enchaînement des générations – cf. cette rediffusion au Fond du Tiroir.

En 2014 MacGuire a redoublé sa révolution, poussant sur 300 pages, et sans mollir une seule fois, son idée à la fois très abstraite et très narrative, pour peu que l’on accepte l’idée d’une narration cubiste, en un livre époustouflant du même titre (version française : Ici, Gallimard, 2015).

En 2024, Robert Zemeckis adapte le graphic novel de McGuire au cinéma. J’ai abordé le visionnage du film avec prudence, redoutant par principe l’inutile transposition dans un autre art d’une oeuvre ayant déjà trouvé sa forme parfaite, et m’attendant à un pur gadget numérique (tiens, Tom Hanks et Robin Wright à 18 ans, 30 ans, 45, 60, 80…).

Pourtant non : Here le long métrage (la VF conserve le titre original anglais tout en l’encombrant d’un sous-titre inepte, Les plus belles années de notre vie), mérite d’être vu, parce qu’il respecte à la fois la rigueur formelle (tout se passe dans l’image, pas de voix off, un lieu et un cadrage unique, par conséquent aucun moyen de glisser un panoramique, un zoom, un champ-contrechamp, un gros plan ou autre grosse ficelle), et l’émotion souterraine de la bande dessinée initiale.
Je ne sais plus qui (Spiegelman ?) a dit que narrativement le cinéma et la bande dessinée n’avaient strictement rien à voir, que qualifier une bande dessinée de cinématographique ou inversement était une aberration et une fainéantise, puisque l’un maîtrise le temps (comme un morceau de musique) tandis que l’autre maîtrise l’espace (comme un tableau sur lequel l’oeil du regardeur prend le chemin qu’il veut) – pourtant, d’accord, chacun des deux, avec ses moyens propres, est capable de parvenir à l’expression des mêmes affects.

Toutefois ! Selon moi la principale différence (voire la rédhibitoire trahison) entre l’original dessiné et l’adaptation filmée de Here tient dans le fait que le livre enchâssait l’histoire d’un homme et d’une maison au sein d’une Histoire universelle qui, ambition démesurée, allait de la création de la Terre à sa destruction… tandis que le film choisit d’insérer bel et bien le début des temps (on y voit certes des volcans primitifs, et des dinosaures gambader là où sera un jour bâtie La Maison) mais de faire pudiquement l’impasse sur la fin des temps. Un début, mais pas de fin.
Or une scène apocalyptique, magnifique, qui donne à voir dans un futur indéterminé la maison en ruines envahie par les eaux, a bel et bien été tournée puisqu’on la retrouve dans les scènes coupées du DVD. Je recommande chaudement la vision de ce complément logique, qui doit absolument faire partie du puzzle sans forcément être la conclusion du film (dans le livre, elle n’occupe pas les dernières pages), et je soupçonne vaguement Zemeckis et son équipe (son producteur à tout le moins) d’avoir raboté cet téléologie pour ne retenir que l’efficacité du mélo concentré à la durée de vie de son protagoniste…
Ou alors, et ce serait pire, cette amputation est une lâche concession à l’air du temps trumpiste et climatosceptique qui nie que nous ne sommes que de passage sur terre et dans nos maisons, que le mot forever n’est qu’une vue de l’esprit et que même l’American Way of Life est mortel.

Du passage de la bande dessinée au film, je note une autre trahison, qui quant à elle lorgne plutôt du côté gauche de l’échiquier politique ricain, et qui jouit par conséquent de mon approbation (car, sans me vanter, je déborde de biais idéologiques) : parmi les nombreux habitants qui se sont succédés dans La Maison au fil des siècles, et qu’on n’aperçoit que fugitivement dans le livre, Zemeckis choisit de présenter plus longuement une famille noire. Et d’ajouter une scène où le père, assis dans le canapé, délivre à son fils, les yeux dans les yeux, certaines recommandations que seul un père noir donne à ses enfants, rejouant un rituel séculaire qui révèle le racisme systémique de la culture américaine : si jamais le jeune homme se fait arrêter par la police, il devra à tout prix se montrer très poli, très docile, très prudent et très lent dans chacun de ses gestes. Cette scène est extraite d’un autre livre, a priori sans le moindre rapport avec Here : The Talk, par Darrin Bell… La greffe prend étonnamment bien, puisqu’elle rejoint le thème principal, le passage de relai d’une génération à l’autre.

Sbohem, Praha (Un été à Kafkaland, 5/5)

08/08/2025 Aucun commentaire
autoportrait de Franz Kafka, vers 1905-1907

Au revoir, au revoir, Prague, au revoir ! Je t’ai aimée.

À bientôt, Kafka. Je t’aime.

Kafka mérite-t-il les innombrables statues, plaques commémoratives, hommages divers contre lesquels on se cogne sans arrêt dans les rues de Prague ? Oui. Mais pas parce qu’il était pragois. Parce qu’il était écrivain.

Kafka, selon ses propres dires, n’est rien d’autre, ne veut être rien d’autre, ne peut être rien d’autre qu’écrivain. Ce qui fait qu’il y a très peu de place en lui pour être autre chose. Il est à peine pragois. Il est à peine tchèque. Il est à peine juif (« Qu’y a-t-il de commun entre les Juifs et moi ? J’ai déjà si peu en commun avec moi-même.« ) Il est à peine tuberculeux, même s’il en mourra à 40 ans, tant sa tuberculose est pour lui une métaphore d’un mal en lui plus invisible : de la littérature.

Une remarquable lettre à Max Brod du 14 novembre 1917 énumère les six facettes de sa « vie non vécue« , de son échec intime (ou, pour tenter un anachronisme, de son syndrome de l’imposteur) : la ville, la famille, la profession, la société, l’amour, la communauté du peuple (les relations sociales ?).

La septième facette de son existence, la seule qu’il ne cite pas, et qui par défaut échappe peut-être à l’échec (alors qu’il n’a quasiment rien publié de son vivant, si ce n’est des fragments disparates), est l’écriture. L’écriture non en tant que carrière mais au contraire en tant qu’activité vitale et sens de la vie

« Très cher Max, ce que je fais est quelque chose de simple et d’évident : que ce soit dans la ville, la famille, la profession, la société, la relation amoureuse (mets-la en première position si tu veux), la communauté du peuple telle qu’elle existe ou telle qu’on peut la souhaiter, je n’ai fait mes preuves dans rien de tout ça, et ce, comme ce n’est arrivé à personne autour de moi – sur ce point j’ai fait des observations précises. […] Toi, tu fais tes preuves, donc fais tes preuves. Tu sais maintenir la cohérence de ce qui s’oppose, pas moi, ou du moins pas encore. »

Mon engagement littéraire est infiniment plus faible que celui de Kafka puisque j’ai préféré ne pas dédaigner ma vie non écrite, mais je me reconnais tout de même en lui comme quiconque, sans doute, a eu un jour l’ambition d’écrire. Ce que Kafka dénombre de sa vie non vécue ressemble à l’un de mes propres fragments épars et inachevés (qu’en l’occurence j’ai fort bien fait d’inachever), écrit il y a 25 ans : Reconnaissances de dettes, paragraphe III, 64.