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Dix ans de larmes

10/11/2025 Aucun commentaire

Les larmes coulent et ça vaut toujours mieux que le sang.
Vu la série Des vivants de Jean-Xavier de Lestrade (en streaming sur FranceTV). Exceptionnellement écrite, jouée, mise en scène, montée, pensée tout simplement, c’est au stade de la pensée qu’elle pousse l’exigence à un niveau inédit.
Consacrée à l’histoire d’un petit groupe d’otages au Bataclan dans la nuit du 13 au 14 novembre 2015. Consacrée à comment l’on s’en remet, ou pas. Dix ans déjà que nous vivons à l’époque des foutus attentats de la foutue année 2015.
Le travail de Lestrade, toujours sur la crête entre fiction et documentaire, nous plonge, et tant pis pour nous, dans l’intimité de ces personnages, de ces personnes réelles désignées par leurs noms authentiques. Ce qui fait que nous sommes devant bien autre chose qu’une expérience obscène de réalité simulée (« Revivez en direct les frissons des attentats ! » ), nous sommes devant un mémorial qui parle d’eux comme de nous.
Car je vois bien, moi, au larmomètre, que je ne m’en suis jamais remis, de la foutue année 2015 tombée sur nous tous, sur eux puis sur nous. L’une des innombrables questions posées par la série (celle-ci énoncée dans le dernier épisode, au moment du procès) est : qui est légitime pour prétendre au statut de victime ? Uniquement les 130 morts, les otages et rescapés, tous ceux qui étaient sur place ? Ou bien leurs familles aux vies dévastées, leurs amis, leurs proches ? Ou bien, de loin en loin, toute une population, toute la communauté française ? Je me souviens, il y a dix ans, au lendemain des massacres, nous faisions l’appel autour de nous, nous recomptions les poignées de main qui nous séparaient des morts : en ce qui me concerne, le 13 novembre au Bataclan est mort l’ami d’un ami. Et pour cette raison comme pour d’autres plus profondes, tant pis pour l’indécence, l’indécence ne regarde que moi : je me considère comme une victime des attentats de la foutue année 2015. Que les assurances se rassurent, je ne réclamerai pas d’indemnité. Mais je regarde la série de tous mes yeux.

Je remarque ces choses-là : la série s’ouvre sur un vibrionnant plan-séquence de 8 mns dans les rues de Paris qui nous présente les personnages en plein chaos, apparaissant l’un après l’autre à l’image sans que l’on comprenne, sans que l’on sache s’ils sont des figurants ou les protagonistes. C’est ici que j’ai commencé à pleurer comme un veau. Ensuite, je n’ai guère cessé.
Huit épisodes de larmes plus tard, la série se referme par un plan-séquence vibrionnant de 9 mns et 20s, pour dire adieu aux personnages, à la campagne. Ils apparaissent l’un après l’autre à l’image et ils sont sans aucun doute les protagonistes, on l’aura compris entre temps. Ils finissent par se rassembler autour du barbecue pour entonner en choeur Get Lucky des Daft Punk, hymne d’une époque innocente (2013, deux ans plus tôt). Oui, c’est ça, c’est exactement ça, ils sont restés debout toute la nuit et ils ont eu de la chance. Et moi de pleurer comme une vache.