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Aux hommes de bonne volonté

07/03/2015 Aucun commentaire

paixComment survivre en ces temps troublés ? Comment vivre ? Culturellement, spirituellement, socialement… Et économiquement, déjà.

Pour parler de l’économie de la création artistique, on n’est pas obligé de pleurer (mieux vaut rigoler un bon coup, comme avec les délicieux vidéo-tracts de Guillaume Guéraud), mais force est de reconnaître que la situation est grisouille.

Comment produire des livres, des CD, des spectacles, etc., comment s’exprimer ? Sinon en faisant fortune, puisqu’on est libre de ce genre de rêve staracoïdes ou macronesques, du moins en gagnant sa vie décemment.

Les plus touchés par la crise (dite crise partout-partout) sont les musiciens, puisque la chaîne économique de distribution de la musique enregistrée est désormais en ruine, et ce sont eux les premiers qui, dans la grande tradition D.I.Y. ont inventé des solutions de financement alternatif. La plus radicale dont j’ai eu vent est la plateforme Donation Conspiracy, où chacun est invité à faire un don au musicien ou au label de son choix. Nulle contrepartie du genre poster dédicacé ou MP3 exclusif. Rien : on apprécie un artiste, on a envie qu’il continue, on lui file du blé, j’aime beaucoup ce que vous faites voici dix euros, c’est tout.

Mais la plus connue, sans doute la plus efficace, de ces économies de rechange, est le crowdfunding, littéralement financement par la foule : le don avec contrepartie, sur projet. C’est la souscription 2.0, le pré-achat participatif à l’échelle Internet.

On peut crowd-funder n’importe quoi : un livre, un journal, un disque, un spectacle, une expo, une boutique, un jeu, un festival, une invention, une start-up, un film (des cinéastes reconnus s’y sont essayés, récemment Jodorowsky ou Dario Argento), la restauration d’une œuvre d’art, voire une école dans le tiers-monde (en ce cas la contrepartie peut être un dessin d’enfant, sacré trophée) ou une campagne électorale (un magnifique porte-clefs avec le logo du parti – chacun ses goûts).

En 2014, j’ai sérieusement étudié la possibilité de transiter par une plateforme de crowdfunding pour boucler le budget du dernier livre du Fond du tiroir… et puis, pressé par les délais et par le souci du contrôle absolu, et doutant quelque peu de rassembler plus efficacement une fanbase sur ladite plateforme que par mes propres moyens, j’ai renoncé. Mais je pourrais y revenir pour le prochain.

En attendant ce jour, je suis curieux des initiatives qui pullulent dans les marges participatives, et je suis client occasionnel de projets en crowdfunding. Des livres, principalement. Dernier en date : Ahimsâ l’instant neige d’Etienne Raphael et Dom (dessinateur autrefois connu sous un autre pseudo, Lidwine). L’épais volume ne paraîtra qu’en 2017 (un tel militantisme n’a de sens que long et lent), mais dans l’intervalle on reçoit régulièrement des infos sur l’avancement du projet, sous forme de réflexions, de nouvelles, de références historiques, de dessins (ou sous la forme du drapeau reproduit ci-dessus, orné du nom des 500 premiers souscripteurs : on peut s’amuser à traquer son propre blase façon Où est Charlie), et c’est excitant comme de participer à une utopie en marche, de rejoindre des gens qui pensent et qui font. Ça tombe bien : le livre lui-même est consacré à une utopie. La non-violence. Commencer par le plus difficile : y croire. Tous les détails ici. Il ne reste que 15 jours pour participer à la souscription.

Moissonneur-batteur

03/03/2015 2 commentaires

Whiplash-5570.cr2

Je continue, malgré le numérique, de projeter un film par quinzaine dans mon village. Je ne choisis pas la programmation. Hier soir, j’ai projeté Whiplash.

J’y allais de bon coeur, fleur au fusil… Hélas, je pense que j’étais trop bien averti, trop de monde m’en ayant dit trop de bien… J’ai détesté ce film, de tous mes viscères.
Il a certainement de nombreux mérites mais comme il m’a pris à rebrousse poil, je me suis braqué, je ne les ai pas vus, j’ai protesté une bonne partie de la séance.
C’est « bien filmé » (la dernière scène notamment est palpitante) mais le scénario est prodigieusement désagréable en plus d’être convenu : j’ai l’impression d’avoir vu cette histoire vingt fois dans des milieux qui lui étaient, à mon avis, plus naturels, l’armée ou le sport, bref ces endroits où la narration repose explicitement sur des performances à atteindre, des exploits individuels à accomplir – pas grand chose en commun avec la joie qui consiste à créer de la musique collectivement.
Ce film ne donne pas du tout envie de jouer de la musique, et surtout pas du jazz, présenté comme la musique des bêtes à concours. Le principe de plaisir n’est jamais évoqué. Le processus d’initiation artistique consiste seulement à souffrir sans fin, à endurer les humiliations, même pas pour être bon, ni pour s’améliorer, mais pour être le number-one (on pourrait facilement en faire une analyse politique, l’artiste étant le prototype du travailleur compétitif tel que le fabrique le monde ultra-libéral).
Quand, vers la fin du film, le personnage du méchant regrette, mélancolique : « J’agis ainsi parce que j’attends de découvrir le prochain Charlie Parker », ce n’est en aucun cas l’occasion d’une remise en question, il ne va pas jusqu’à envisager qu’il se trompe… Il se désole seulement que le « nouveau Charlie Parker » n’existe pas. Beau personnage de monstre sur le papier (sa folie est de croire qu’il élèvera par la violence le réel jusqu’à la hauteur de son idéal), et, prudemment, je me garderai de prétendre que de tels individus n’existent pas dans le vrai monde ; mais sur l’écran c’est long, monocorde, répétitif (il paraît que le long métrage est adapté d’un court, le pitch marchait peut-être mieux, alors ?), et, à ce degré, invraisemblable.

Quand je compare à Treme, la géniale série sur des musiciens de la Nouvelle Orléans, je me dis qu’au XXIe siècle la qualité narrative fuit le grand écran pour le petit, comme si la série était le seul format capable de retrouver la vigueur romanesque.

Ce matin, j’en ai discuté avec un pote batteur, qui a surenchéri en jugeant « grotesques » les scènes où les mains saignent ! « Bien sûr ça arrive qu’on se blesse les mains, mais on n’a pas autant de litres de sang au bout des doigts… » En outre il trouve mauvais et non crédible le jeu des trois batteurs, et ricane carrément devant la scène où on voit l’adjudant-chef sadique jouer du piano dans un club : « Tout ça pour jouer d’la merde mille fois rabâchée ! Le respect qu’on a pour un prof vient aussi de la façon dont il joue, pas seulement des insultes racistes qu’il nous balance en postillonnant. »

Hasard des juxtapositions : à quelques jours d’intervalle, je découvrais en dévédé Souvenir d’Im Kwon-taek, et j’en étais chaviré d’émotions diverses. Rien à voir ? Carpe et lapin ? Pas sûr, à regarder de près : dans les deux cas, le personnage principal est un musicien, percussionniste, tambourine-man, en rivalité avec son mentor, se frottant à une très ancienne tradition musicale et cheminant avec ses névroses intimes et familiales… Une phrase prononcée dans Souvenir serait cependant inconcevable dans Whiplash (je cite de mémoire) : Un musicien sera jugé non à sa technique mais à son coeur. Ça fait un peu morale Petit Prince ? Pardon, mais ça fait surtout un bon film. 

Ennemi du livre

25/02/2015 un commentaire

sfar gaz

Sur de nombreux sujets, je ne sais plus quoi penser. Exemple : le rétablissement du service militaire obligatoire. Longtemps j’ai été contre, catégorique avec ça, résolu, farouche, vomissant tout kaki les meilleurs arguments, estimant avoir payé d’une année de ma vie (grenadier voltigeur Vigne, classe 12/91, 46e régiment d’infanterie de ligne) le droit d’exprimer un avis autorisé sur ces conneries d’un autre âge.

Mais d’un autre côté, et surtout depuis le 7 janvier, je ne suis pas insensible à certains contre-arguments : ce service national serait souvent, de fait, la seule occasion de brassage entre jeunes hommes (et quelques femmes ?) français, le moyen de faire se croiser des citoyens de divers milieux, quartiers, communautés, classes sociales… le temps de leur faire éprouver (entre autres corvées de chiottes et rituels débilitants) ce qu’ils ont en commun : cette citoyenneté française, justement.

Bref je suis indécis. C’est Siné qui a éclairé ma lanterne dans sa dernière chronique. Merci Siné ! Je sais désormais ce que j’en pense : la même chose que lui.

Je me félicite chaque mercredi de l’existence de Siné. Je suis Siné, pourrais-je dire si toutes les revendications identitaires ne me révulsaient pas à court ou long terme. J’aime son canard, j’aime ses livres, j’aime son blog. Il y est partout le même depuis 50 ans, pourtant un livre n’est pas un blog. On ne fait pas un livre avec des articles de blog ; on ne fait pas un blog avec les pages d’un livre. (Je ferais mieux d’écrire ces ces phrases avec « je » plutôt que « on »… Chacun fait ce qu’il veut, bien sûr… Je dois cesser d’être catégorique, je ne sais plus quoi penser sur tant de sujets.)

Tiens, prends Joann Sfar. Je ne suis pas un inconditionnel des livres de Sfar. Vite faits, ni à faire, à peine pensés sitôt dessinés, mille idées en vrac lui passent par la tête, aussitôt à la pointe du crayon, et quand on arrive au bout c’est tout ? ah, bon, au suivant… je m’y ennuie parfois. En revanche, j’adore son blog (qui a souvent changé de forme et d’adresse, il s’appelle aujourd’hui Si Dieu existe et il est hébergé par le Huffington Post), vite fait, à peine pensé sitôt dessiné, mille idées en vrac lui traversent la tête, aussitôt à la pointe du crayon, et une fois au bout c’est tout ? eh, oui, au suivant, bravo… je ne m’y ennuie jamais.

Comme tout le monde, Sfar a sensiblement changé de ton depuis janvier. Ses mots et crobards sont plus graves, mais toujours nourrissants. Par exemple, Sfar est celui qui a trouvé les mots justes (ici) à employer en guise d’auto-défense intellectuelle pour rétorquer à tous les dieudonnistes qui nous engluent avec l’argument Deux poids deux mesures, soit ignorants soit manipulateurs mais toujours crypto-complotistes, qui justifient un racisme par un autre (nous voilà bien avancés), « tout le monde défend la liberté d’expression raciste de Charlie alors que la justice tombe sur le râble du pauvre Dieudonné »…

Et merci Sfar pour un autre point de philologie : que signifie Boko Haram, qui donne son nom à une puissante secte de barbares ? Les traductions consensuelles donnent « l’éducation occidentale (Boko) est impure (Haram) », parce que ces pieux individus dénoncent l’American Way of Life qui impose le string aux jeunes filles et des mensonges scientifiques aux écoliers (sur ce sujet lisez ceci je vous prie, c’est effarant), ils récusent la mondialisation de ce modèle tel qu’on le conçoit depuis un siècle ; disons, depuis Ford, Disney et les accords Sykes-Picot, jusqu’à Macron, Davos et l’axe du mal de George W. Bush.

Mais Sfar propose pour l’expression Boko Haram une autre traduction, tout à la fois plus vague et plus ciblée : « le livre est mauvais ». Au moins, les positions sont claires. Le livre, la culture, la connaissance, l’enseignement, tout cela condamnable. Nous tous, qui vivons par et pour et avec le livre, avons été désignés comme ennemis. (Daesh, cousin de Boko Haram, brûle des livres comme il tue des gens.)

Une anecdote remonte. Je me souviens, il y a plus de 15 ans, je commençais à travailler en bibliothèque dans un « quartier », un de ceux où le mercredi après-midi l’école coranique prenait le relai de la République, on ne peut pas dire qu’on a rien vu venir, c’est bien le pire, on voit venir depuis 15 ans… Or systématiquement dans ma bibliothèque, le Saint Coran disparaissait. On l’achetait, on le couvrait, on le mettait en rayon… Quelques jours plus tard il était à nouveau introuvable, subtilisé. On a fini par apprendre que c’était les barbus du coin qui trouvaient intolérable que cet objet sacré figure dans un lieu haram, ils nous le confisquaient. La haine du livre, c’est cela aussi : le sacraliser pour ne jamais l’ouvrir, jamais le lire. Le Coran est un objet magique, pas un texte à lire. Lire, c’est haram.

Et sans fin tourne dans ma tête ce poème d’Hugo, C’est ton bien ton trésor ta dot ton héritage

Et puis je n’aurai plus ce phosphore un peu mou

21/02/2015 Aucun commentaire

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Bienvenue dans l’an Chèvre-de-bois-vert.

Je suis pour quelques jours à Paris. Cette fois je réside dans une tour des Olympiades, quartier dont j’ignore tout sinon qu’il est vanté par le protagoniste de la Carte et le territoire de Wellbeck : « Ces forteresses quadrangulaires construites dans le milieu des années 1970 en opposition absolue avec l’ensemble du paysage esthétique parisien, et qui étaient ce que Jed préférait, de très loin, sur le plan architectural« . Je me trouve en plein cœur du quartier chinois, dans le 13e, or dans ce pays aujourd’hui c’est le nouvel an, c’est parti pour la Chèvre, et au moment où je vous parle drapeaux ballons biquettes et dragons défilent sous mes fenêtres, en guise de musique j’entends tambours et pétards… Ou alors ce sont des attentats, j’ai un doute, je vais descendre voir… Je reste sur mes gardes…

Tant qu’à faire le touriste en la capitale, je visite le musée Picasso, et parmi tant de beautés (je saisis comme nulle part ailleurs le bien-fondé d’un musée dédié à un seul artiste : Picasso était nombreux) je retiens en premier chef ce crâne en bronze coulé en 1943, je le regarde droit dans les orbites… Picasso avait des morts en tête cette année-là, des assassinés, tant de barbarie dans l’air ambiant… La même journée, allez savoir, drôle d’idée, j’assouvis un rêve vieux comme mon adolescence, visiter les catacombes. J’arpente lentement ces 1700 mètres de galeries souterraines. Six millions de crânes et, logiquement, deux fois plus de fémurs empilés là, rien que pour nous, rien que pour moi, depuis des siècles. Ce n’est même pas monotone, ou alors on trouverait tout monotone. Du memento-mori à dose de cheval. C’est fou comme ça calme.

Requinqué, je sors, je vais au théâtre. Macbeth par Ariane Mnouchkine à la Cartoucherie. Quelle merveille ! Quelles merveilles !

L’endroit d’abord : Ariane la taulière, fidèle au rituel, déchire elle-même mon billet, je pénètre le Théâtre du soleil comme un endroit sacré, un temple, une utopie en dur, là encore vieux fantasme d’adolescence, depuis que j’ai vu Molière à la télévision française en 1979, si j’avais fait l’acteur c’est ici que j’aurais voulu être. Entre temps j’ai avalé, jubilant, L’intégralité du Roman d’un acteur de Philippe Caubère qui relate cette aventure sur le mode épique et bouffon, et malgré l’abattage de Caubère et la satire propre à l’élève qui raille son gourou pour mieux s’accomplir, rien n’y a fait : mon admiration et ma fascination pour Mnouchkine sont intactes – Mnouchkine et Caubère sont deux génies qui ont existé un certain temps ensemble, puis séparément, voilà tout ce que j’en pense.

Le texte ensuite : Shakespeare est le massif central du théâtre. On ne peut en faire le tour (ou alors en TGV mais on ne voit rien), il suffit de choisir un chemin entre mille, et gravir par n’importe quel versant, la vue sera toujours longue et belle, même, comme ici, quand elle est atroce. Macbeth est une pièce particulièrement obscure, mais à travers l’obscurité on discerne très bien le noir, le pessimisme, la fatalité du mal. On a peur, parce que ce noir est autour de nous, et en nous, comme sont tous les personnages de Shakespeare.

La mise en scène enfin. Ce qu’il faut de vie pour raconter encore et encore cette histoire de mort ! Ce qu’il faut de liberté pour réinventer le patrimoine ! Et pour nous rendre si proches ces deux monstres, à nous toucher. Les époux Macbeth, souverains meurtriers, sont terrifiants de cynisme, d’ambition, de folie, et aussi de complicité, presque de tendresse, depuis quatre siècles. Le couple Balkany, ou les Tibéri, ou les Mégret, Marine Le Pen/Louis Aliot, DSK/Anne Sinclair, Sarko/Bruni, Hollande/Royal, Montebourg/Filippetti, Dati/Proglio, Bill et Hillary Clinton… Tous ces grands fauves (comme les appelait Oncle Bernard) purs enfants de chœur, en regard. Mais des enfants de chœur qu’on comprend un peu mieux grâce à Shakespeare (on reconnaît un génie à la création d’archétypes – tandis que tous les autres produisent des clichés). Certes la bonne vieille catharsis inventée par les Grecs fonctionne toujours : les meurtres, le pouvoir rendu fou de barbarie et de sang, on préfère les voir sur tréteaux que dans la presse – mais sans aucun doute le faux, comme le rêve, nous prépare au vrai.

Depuis, on a vu dans la fiction de pires mariages diaboliques, je pense aux très shakespeariens Francis et Claire Underwood, mais ceux-là viendront toujours après et d’après Macbeth.

J’aime Ariane Mnouchkine (76 ans). Oui, je l’aime d’amour, de la même façon que je suis amoureux d’Agnès Varda (87 ans) et de Dorothée Blanck (81 ans). Je vous balance mon coming out, comme ça ce sera fait : je suis gérontophile. Parce que quand on est vieux, on est encore vivant.

Vive la chair sur les os, nom de Dieu! Et vivent les vieilles biques ! Bonne année à tous !

Boulette

16/02/2015 Aucun commentaire

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Et soudain je repense à Diam’s en 2006. Plus grand monde ne pense à Diam’s depuis 2006.

2006 marque l’apogée de la rappeuse. Son troisième album, Dans ma bulle, plus grosse vente de disques en France de l’année, est successivement disque d’or, disque de platine, double disque de platine, disque de diamant. Diam’s conjugue succès public (sa tournée est un triomphe) et critique (elle est couverte de prix). Elle fait entendre partout sa voix tonitruante qui représente, comme on dit en hip-hop, qui parle pour ceux qui ne parlent pas : elle est la voix de la jeunesse, la voix de la banlieue, ainsi que la voix, plus rare encore, de la femme de cette même banlieue ; elle chante avec une énergie formidable l’émancipation de ces trois figures, le jeune, le banlieusard, la femme. Elle est un relai d’opinion pop, implicitement féministe à sa manière puisque femme dans un milieu d’hommes.

Elle rappe l’anti-machisme, la galère quotidienne, la lutte contre les discriminations, le racisme, le fascisme rampant (sa lettre ouverte Marine), l’angoisse et la liberté, le harcèlement et le viol (Ma souffrance), elle se fait chroniqueuse à la fois politique (Ma France à moi) et intime (Jeune demoiselle)… Les adolescents, et même les enfants, les petites filles, s’identifient à son charisme, à sa force, à sa modernité. Si bien que son succès déborde son milieu (ceux qu’en 2006 on commence à appeler « bobos » lui font fête eux aussi)… avant de la déborder elle-même.

En 2007, Diam’s percutée par le burn-out plonge dans la dépression. En 2008, elle se convertit à l’Islam (je ne me prononcerai pas sur le rapport de cause à effet, ce serait indécent). En 2012, elle renonce à sa carrière, et refuse d’apparaître dans les médias ; désormais, lorsque cela arrivera, par exception très contrôlée ou par sauvage abus des paparazzis, on la verra recouverte du voile. Au moins n’a-t-elle pas renoncé à s’exprimer puisqu’elle a publié entre temps deux livres pour raconter son histoire, sa foi, la honte qu’elle éprouve à l’évocation de son passé et de sa vulgarité (sic).

Depuis le départ à la retraite de Diam’s, on croit (je crois) déceler une certaine régression dans le rap français grand-public. Tous les grands succès populaires ultérieurs (Sexion d’assaut, Booba, Black M, Maître Gims, La Fouine, Rohff, Lacrim, Jul, Kaaris, Gradur… Voire, comble d’auto-caricature radicale, l’impayable Swagg Man, infiniment plus vulgaire que Diam’s) sont exclusivement masculins et, du point de vue des paroles, généralement coulés dans le même moule machiste, arriviste, matamore, bodybuildé, buté, querelleur, gangster ou pseudo-gangster, cynique, va-de-la-gueule, trivial, à cran, sombre, sans joie. Puéril et fat. Cependant, dans le livret de leurs CD, ces messieurs remercient parfois le Tout-Puissant et/ou son Prophète, ce qui rachète sans doute tous les maternalismes et les eaux glacées du calcul égoïste.

Une décennie après son triomphe, de Diam’s restent en tête quelques refrains emblématiques. La Boulette, l’un de ses plus grands succès (2006), m’est revenue au nez ces jours-ci comme un diable en boîte. Non pour cette phrase issue d’un couplet « y a comme un goût d’attentat » , mais pour cette autre, dans le refrain : « C’est pas l’école qui nous a dicté nos codes nan nan, génération nan nan, alors ouais on déconne, ouais ouais on étonne… »

C’est pas l’école qui nous a dicté nos codes. A-t-on été assez attentifs, il y a dix ans, à cet avertissement martelé dans les MP3 ? Diam’s mettait des mots sur le discrédit de l’Education Nationale. Pas seulement l’échec des élèves ; l’échec de l’école. Et dire que c’est sur ce tube anti-école que Jamel Debouze a fait danser Ségolène Royal juste après lui avoir arraché sur un plateau de télé l’aveu de sa candidature à la présidentielle, c’était une émission cool, fun, pop, c’était l’échec annoncé de l’école, de Royal, de la gauche, de l’infotainment, de la démagogie, de la démocratie.

Plus que jamais, l’Éducation comme lieu non seulement d’apprentissage et de découverte, mais aussi de partage, de terrain d’entente, de langage commun et grâce à cela d’appropriation et de réinvention des choses communes, bref, comme le lieu des codes, apparaît comme le tout premier enjeu politique. Qui, sinon elle, dicte les codes ?

Que vive l’école publique républicaine gratuite laïque et obligatoire. Putain, chaque épithète pèse seize tonnes. Je m’interroge sur le pourcentage d’écoliers français en mesure de comprendre le terme épithète. La grammaire est un code.

Et soudain je repense à un autre signe avant-coureur : Nicolas Sarkozy en 2007, aussi pionnier et visionnaire que Diam’s en 2006. On n’a pas tellement cessé, hélas, de penser à Sarkozy depuis 2007. « L’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé. »

Post-scriptum tardif à propos du rap et du reste : je relis en 2015 deux articles de Libé de 2013. Une chronique du sociologue Louis Jésu ; quelques jours plus tard, la réponse de Charb. Or, ce retard de deux ans laissant tiédir l’actu est très éclairant, parce que tout était déjà contenu dans ce dialogue de sourd, à part peut-être le sang coulé : l’incompréhension, le mépris réciproque entre le rap et Charlie, la violence, à l’époque exclusivement verbale (je réclame un autodafé…), la religion qui se crispe, l’analyse sociologique à posteriori (on croit lire en avant-première le bouquin de Todd), les fossés qui désespérément se creusent entre les gauches d’une part, entre les Français de l’autre.

Eigengrau

14/02/2015 un commentaire

Génèse 22,11

Non, décidément, non, non, non. Le mercredi 7 janvier ne se digère pas, un bloc dans la gorge, impossible à métaboliser. Je me lève et chaque matin je suis le mercredi 7 janvier, j’ai du sang partout. Je ne passe/pense pas à autre chose. Grumeaux dans le Flux, graviers dans le sablier, couille dans le potage. Pourtant je sais que le temps coule, puisque j’ai des souvenirs.

Automne 2011. Je me trouve à Troyes pour une résidence d’écriture. À Paris, les locaux de Charlie Hebdo sont incendiés par un cocktail Molotov. Je tourne en rond dans ma thébaïde, je rumine, je n’arrive pas à écrire ce que je suis venu écrire ici, j’entreprends autre chose. C’est autour de la religion que je médite et tâche de bâtir une quelconque histoire. Je doute d’être capable d’écrire là-dessus, ou même de contenir quoi que ce soit qui mérite d’être écrit. Or mes pensées se formulent ainsi : la religion est une bien belle chose, qui offre au mortel sens et mythes, recul et élévation, paix intérieure et sagesse, régulation et réconciliation, méditation et ré-enchantement du monde, redécouverte sous de nouveaux noms des trésors les plus anciens, l’amour, la générosité, la nature, la vie / la religion est une saloperie, qui emplit les cerveaux de merde archaïque et de contes à dormir debout, racistes, sexistes, patriarcaux, qui refile à bon compte un reflet de ciel aux englués terre-à-terre, et un vernis de transcendance aux matérialistes postmodernes, qui replie dans l’ignorance, dans le communautarisme, dans la haine, dans la guerre, dans la mort. Je confronte dans ma mémoire des personnes proches de moi ou lointaines, qui illustrent ces deux récits, ces deux facettes. J’en trouve en foules. Je dialectise. La religion n’est ni bien, ni mal. Elle est un seulement un outil de pensée. Elle est un couteau. Tout dépend de la main qui tient ce couteau.

Je réalise que je pense énormément aux religions, et la plupart du temps c’est un registre de pensée mélancolique.

Je me lance dans l’écriture d’un texte. Il sera intitulé Double Tranchant. Finalement, il prendra la forme d’un monologue de coutelier ; toute allusion à la foi y sera escamotée, refoulée très profondément dans l’inconscient des mots. Jean-Pierre Blanpain accepte de l’illustrer. Je suis fou de joie en voyant surgir dans ma boîte mail, jour après jour, les somptueuses linogravures que mon texte a inspirées à Jean-Pierre. Intuitif et génial, celui-ci fouille le texte et exhume le motif religieux enfoui : l’une des plus belles linos qu’il réalise met en scène le sacrifice d’Abraham – alors même que le texte n’en dit pas un traître mot, du moins en surface. Abraham, levant son bras armé d’un couteau, est ce patriarche qui créa trois religions, engendra trois civilisations. Les trois monothéismes ont en commun cet ancêtre, et en partage ce geste arrêté, ce coup de couteau fondateur parce que justement non abouti, sublimé dans un rituel et dans une mystique. Trois religions soeurs, qui se détestent, persuadées qu’elles sont toutes trois d’être la seule authentique héritière du coup de couteau interrompu – prêtes à l’occasion à parachever le geste pour mieux le prouver.

Hiver 2015. Parmi les trois religions, toutes folles ET sages congénitalement, l’une (celle de la lune) est en train de se laisser dévorer par sa folie. Elle abat le bras, plante le couteau. Elle égorge là-bas, fait exploser des enfants-kamikazes ailleurs, tue des journalistes et des dessinateurs ici même. Et nous vivons sous un règne de terreur où, comme le dit Salman Rushdie, ce que l’on appelle « respect de la religion » signifie en réalité « peur de la religion » et comme si souvent dans l’histoire, le seul vrai Dieu c’est le mieux armé alors ta gueule. Rien à faire, ça ne passe pas.

Je continue de lire énormément (sans doute trop) de textes sur Internet, témoignages, réflexions, alertes, faits et gestes, des heures, des nuits, afin de comprendre ce qui s’est passé à Charlie, dans mon pays, dans le monde.

Sur le monde, je n’ai aucune prise (même si certaines réactions étrangères m’intéressent. Alan Moore considère carrément que le monothéisme, qui ne peut qu’opposer un dieu « unique » à un autre, a fait son temps : « Pourquoi serions-nous obligés de fonder nos vies sur des systèmes de croyances nés vers le IVe siècle avant JC ? Je ne vois pas pourquoi le christianisme, le judaïsme ou l’islam fourniraient des croyances plus fiables que le Seigneur des anneaux » – Moore a fondé il y a longtemps une religion à son usage personnel, il rend un culte à un serpent romain nommé Glycon, il s’y tient et n’emmerde personne avec ça…)

Mais je relève surtout ce qui se passe dans mon périmètre, là où ça craque, dans les banlieues de la République. Quotidiennement je passe en revue la presse, à l’affût d’outils de pensée, de couteaux levés et de préférence non abattus. Je constate un phénomène perturbant : souvent une chronique passionnante et éclairante d’un envoyé spécial dans les banlieues est suivie quelques jours plus tard de son contrecoup, l’auteur étant sommé de revenir, s’expliquer, justifier chaque mot, le débat n’en finit plus, les malentendus, faux procès, susceptibilités, arguties. Deux exemples :

* Ici, cette chronique écrite par un professeur de philosophie musulman est hélas suivie de celle-ci où il raconte qu’entre temps sa première intervention l’a contraint à démissionner.

* Là, ce récit d’un dramaturge intervenant dans des classes hostiles où l’on en vient à faire l’éloge des terroristes, est soupçonné de bidonnage et oblige son auteur à expliquer sa façon d’écrire (et de penser) dans une seconde chronique.

Moi-même, j’ai vécu ce phénomène dès 2010 : un article sur ce blog où j’exposai avec anxiété mes difficultés de contact avec des collégiens de la Villeneuve de Grenoble (je ne parlais pas encore d’apartheid comme Valls, mais déjà de ghetto, l’idée était la même, on ne pourra pas prétendre qu’on n’était pas au courant) a été contesté et m’a obligé a revenir sur le sujet maintes fois, des années durant.

Aujourd’hui les alertes viennent de partout, et même avec des codicilles et des précautions de démineur, elles disent toutes la même chose ! L’Apartheid, les ghettos, la misère d’une catégorie de Français qui ne se sentent pas Français mais ennemis des Français, existent, la France est fissurée de l’intérieur, les Français se détestent comme se détestent les trois religions.

Les alertes viennent de partout, mais trop tard et uniquement à l’attention de ceux qui les lisent, l’entre nous, le cercle fermé.

Que faire, que faire, bordel ?
Je suis démuni et désespéré. Je ne dors pas, je me demande toujours ce que je pourrais bien écrire sur la religion, je scrute Internet, j’appréhende la prochaine explosion, la prochaine Kalashnikov. [Mise à jour samedi 14 février : la réplique advient, à Copenhague.
Le premier qui a une idée…

Une piste de solution : l’admirable Latifa Ibn Zatien fonce, va au contact, tente le cessez-le-feuMais Latifa Ibn Zatien est légitime pour le faire, parce qu’elle porte le fichu-fichu sur la tête, pas moi… Je viens d’accepter d’aller causer bénévolement de Fatale Spirale dans un lycée pro en marge de la Villeneuve, toujours elle, où de grosses échauffourées sont advenues il y a quelques mois, je peux le faire et je dois le faire… Mais j’ai l’impression de pisser contre le vent. Quelle crédibilité ai-je à prêcher la paix alors que j’incarne le « système » selon l’acception de Dieudonné ? Que je suis le Français (je peux toujours essayer de les convaincre qu’ils sont autant français que moi, mais la tâche est plus délicate à présent que l’Apartheid est avoué au sommet de l’Etat), que je suis majoritaire, classe dominante, blanc, bourgeois et « chrétien » ? (moi totalement athée ! C’est un comble ! le repli identitaire est une telle régression collective qu’il fait de MOI AUSSI ce que je ne suis pas !)

Remarque, il faut bien qu’il m’en reste un peu, de culture judéo-chrétienne, pour que la culpabilité me soit ainsi chevillée au corps : j’ai l’impression que tout ça c’est de ma faute… Je voudrais faire quelque chose mais je suis dans le brouillard. Je ne peux pas empecher la guerre civile à mains nues. Je n’ai pas de solution toute faite. Je n’ai que des mots. Certains sont très beaux : l’eigengrau (en allemand : « gris intrinsèque »), prononcé aïgueungrao, aussi appelé eigenlicht (« lumière intrinsèque »), est la couleur vue par l’œil humain dans l’obscurité totale. Je marche dans le noir et discerne un gris sombre.

Merci pour le café, esclave

31/01/2015 Aucun commentaire

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Avertissement : le présent article est peut-être la suite de celui-ci qui s’interrogeait, il y a un an jour pour jour,  sur les modes de vieillissement de l’artiste, en opposant déjà deux films tardifs de deux cinéastes vénérables.

Depuis la bascule du 7 janvier, atteint en chaque partie intime comme l’exprime mieux que moi Emmanuel Guibert, j’éprouve un peu plus de mal à tout. Du mal à lire, à écrire, à travailler, à décrocher, à raccrocher, à avancer. Et même à regarder des films, comme si la fiction et l’image posaient désormais un petit problème. Pas un petit problème de sacrilège, hein, ça va bien avec ça. Petit problème de nécessité, de pertinence, de raccord au temps présent.

C’est au bout de huit jours que j’ai tenté de m’y remettre : j’ai glissé un DVD dans mon lecteur. Or j’ai détesté le premier film que j’ai vu, qui était pourtant d’Alain Resnais. Quoi ? Un film de LE Alain-Resnais me tombait des yeux ? J’en étais malheureux, me demandant si tout carrément je n’aimais plus le cinéma, comme l’avoua J-B Pouy, et cela aurait été très grave, bizarre, déchirant, moi ciné-fils à la Daney, un peu comme quand le capitaine Haddock découvre qu’il n’aime plus le whisky.

Heureusement, quelques jours ont passé, et j’ai vu un autre film, de Polanski celui-ci. Et je l’ai adoré. Ouf. Le problème ne venait pas de moi, finalement. Il faut envisager que le Resnais était tout simplement un nanar.

Aimer boire et chanter vs. La Vénus à la fourrure. Soient deux cinéastes chenus n’ayant plus rien à prouver, toute carrière derrière, toute liberté devant ; pour leur dernier film (l’un des deux ayant trépassé depuis, ce sera vraiment son dernier), tous deux choisissent d’adapter une pièce de théâtre dont les protagonistes sont des comédiens de théâtre ; leur mise en scène joue donc sur la plongée en abyme de la séduction et de l’art du comédien, en un huis-clos qui de façon explicite ou symbolique ne quitte jamais la scène ; tous deux confient de façon un peu perverse le premier rôle féminin à leur propre femme, au passage sensiblement plus jeune que Monsieur (Sabine Azéma pour l’un, Emmanuelle Seigner pour l’autre), rôle plein de duplicité d’une actrice qui profite de son art pour embobiner un homme, jouer avec ses sentiments et le manipuler.

Les ressemblances s’interrompent ici. Le Resnais est poussif, rance, interminable, factice, gâteux et déprimant. Le Polanski est subtil, ambigu, énergique, perturbant (on ne sait jamais si la relation sado-maso s’applique d’abord à la relation de couple ou à la relation de travail metteur en scène/acteur), une jubilation du début à la fin. Un film jeune.

Quel soulagement. J’aime toujours le cinéma ! Art éternellement jeune puisqu’art du mouvement, conformément à son étymologie.

Tiens (pour replonger une seconde dans Charlie), un autre qui reste méchamment jeune, c’est JC Menu.

J’avais prévu de mentionner en coup de vent l’excellente dernière livraison de la revue Kaboom qui, outre des dossiers de bon aloi sur Taniguchi, Jack Kirby et surtout ce génie méconnu qu’est Richard McGuire, accorde une tribune libre à Menu pour une énième apostille à ses Plates-bandes, où Menu dresse un état plutôt piteux de la petite édition indépendante, rattrapée à force d’invisibilité par l’usure et la perte d’envie, par l’âge en somme (Menu parle pour son compte : il jette hélas l’éponge de l’Apocalypse) – la solution au marasme préconisée par Menu étant, sans surprise, le repli dans le maquis, la radicalisation underground… (Sur ce sujet, avez vous 52 mns devant vous ? Précipitez-vous sur le film Undergronde de Francis Vadillo.) Mais finalement, plutôt qu’à lire les considérations de Menu sur ses propres plates bandes piétinées, je préfère vous enjoindre à écouter son admirable discours de réception du prix posthume remis à Charlie Hebdo durant le festival d’Angoulême le jeudi 29 janvier, il fait du bien, Je suis Charlie bordel de merde.

Rien à voir, âne-au-coq : toujours dans une période très à l’affût des médias, ce que j’ai entendu de plus stimulant cette semaine à la radio est, à ma propre surprise, une interview de longue durée de Charles Fiterman sur France Culture. Alors que je l’avais complètement oublié, le vieux Fiterman…
Quel trésor, quel recul, quelle intelligence (quand il parle de la dénaturation du langage, lorsqu’on parle par exemple exclusivement de « coût du travail » alors que le travail rapporte de l’argent, preuve que l’on a intégré la dialectique du Medef), quelles savoureuses anecdotes (lors d’une conférence avec les Anglais au sujet du Concorde, son micro crachouille, il réclame un tournevis pour le réparer, les Angliches n’avaient jamais vu ça, un ouvrier ministre… Nous mêmes n’avalons plus jamais vu ça, du reste, tous les ministres sont énarques consanguins, une partie du problème français est là…) Je vote Fiterman ! (depuis les Giètes, j’assume ma tendance vieux-coco…)  !

Traditionnel de demain

26/01/2015 3 commentaires

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Comme si je n’avais rien d’autre à faire de mes jours, t’sais. Bombardé président. Il ne me manquait plus que ça. Sans me vanter, je te jure, depuis quelques jours je suis président de l’association MusTraDem, label de CD, éditeur de partitions et tourneur de musiciens, toute la gamme des pieds à la tête, depuis le baluche jusqu’à l’éthnomusicologie, musiciens qui sont mes amis depuis vingt ans et mèche. Faites connaissance je vous prie, achetez leurs CD ! Allez les voir en live vivants ! (ou à défaut sur Youtube) Lisez les toujours stimulants éditos de l’une de leurs têtes pensantes et dialecticiennes ! Dégourdissez-vous les doigts en apprenant à jouer d’un instrument, et les fesses en dansant jusqu’à pas d’heure ! (Prochain rendez-vous, amis Grenoblois : samedi prochain, détails sur l’image ci-dessus.)

MusTraDem pour Musiques Traditionnelles de Demain : j’aime et admire cet oxymore depuis (disons pour faire simple) toujours. L’association fut fondée par des artistes à la fois ancrés dans l’ancestral et expérimentateurs de formes – en somme, des inventeurs d’une certaine modernité, pas moins. (C’est en mélangeant qu’on invente.) Circonspects à l’époque comme aujourd’hui quant à la possibilité de trouver leur place dans le marché, le réseau, le commerce ou la foire médiatique, ils ont décidé vers 1990 de ne pas attendre le messie (ni le président) et de la créer eux-mêmes, cette place. Ils ont forgé de leurs mains et pour leurs mains leur propre structure, outil de travail et de distribution, de survie, de vie tout court. Une source d’inspiration pour Le Fond du tiroir ? Tu l’as dit, mon neveu !

Alors bon, d’accord, ça et les sentiments plus un coup dans le nez et voilà comme on se retrouve à signer des papiers sous la mention Président… Ils avaient besoin d’un prèz… J’ai accepté tout en les avertissant que le job m’intéressait mais que je n’étais pas sûr d’avoir les épaules, qu’ils n’avaient qu’à voir comme j’avais rendu florissante ma propre association (en déficit chronique), que je me sentais vachement ‘normal’ comme président, autrement dit qu’il fallait craindre que seul un attentat sanglant me rende un peu populaire…

Bah, nous verrons bien, eux et moi ! Je suis sûr que j’ai quelque chose à apprendre là-dedans, et puis je peux bien me dévouer pour eux spécifiquement, et pour la musique en particulier.

J’ai souvent sous-entendu, et parfois explicitement déclaré, que j’écrivais par défaut, par dépit d’être si peu musicien. J’ai consacré les droits d’auteur reçus pour mes premiers livres à l’achat d’instruments de musique (une trompette, deux trombones, un tuba)… Je me sens proche de la musique, même et surtout quand j’écris. Et encore davantage quand je me donne en spectacle. J’aime travailler ma voix comme un instrument et la balancer comme un chorus, ou en contrechant parmi les notes des autres. J’ai eu un planning de janvier chargé en happenings littéraro-musicaux : d’abord une représentation des Giètes-sur-scène, on a recompté, c’était la 39e et dernière (des photos ici), ensuite une de Vironsussi-sur-scène (des photos là). Eh bien figurez-vous que le premier spectacle n’était possible que grâce à la complicité fidèle de Christophe Sacchettini, et que le second doit beaucoup au talent et à l’investissement de Norbert Pignol.

Comme par hasard : deux membres (fondateurs, en plus) de MusTraDem. Tous deux apparaissant d’ailleurs furtivement dans L’échoppe enténébrée. Okay. On a pigé, pas besoin de théorie du complot. Une mafia, quoi.

Et pendant ce temps, l’actualité ? Ah non, merci bien j’arrête, elle est trop triste l’actualité. Comme si les attentats n’avaient pas généré suffisamment de chagrin, de colère, d’inquiétude, Emmanuel Macron ministre de l’économie balançait le même jour dans Les Echos un autre symptôme de la grande déglingue globale : « Il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires » . Macron/Swagg Man : même combat, même modèle offert à la jeunesse française, même classe, même Rolex. Et Bernard Maris, lui, est mort assassiné, Bernard Maris qui déclarait je cite de mémoire une interview rediffusée post-mortem :

« La liberté et l’égalité, on sait à peu près ce que c’est. Ce sont deux drapeaux, deux belles valeurs, qui animent la politique française depuis la Révolution. Encore aujourd’hui la liberté est revendiquée comme absolu plutôt par la droite, et l’égalité plutôt par la gauche. Leur confrontation est inévitable (trop de liberté nuit à l’égalité, trop d’égalité nuit à la liberté) mais fonde la République, au moment où le débat public parvient à un équilibre entre les deux. Or cet équilibre ne peut être trouvé que grâce au troisième terme républicain, le plus difficile à trouver, le plus abstrait (contrairement aux deux premiers, on ne peut pas faire de loi qui porte son nom), le plus beau peut-être : la fraternité. La fraternité est la solution à nos problèmes… Mais il y a du boulot, puisque l’idéologie dominante [celle de Macron et de Swagg man], très violente, suicidaire, nous inculque l’exact contraire, le chacun-pour-soi et la guerre de tous contre tous.« 

Maris était un homme lumineux, et par conséquent éclairant, sa lumière a été soufflée par deux abrutis obscurantistes qui, certes, ne pouvaient que nourrir du ressentiment face à ce qu’ils étaient incapables de comprendre et qu’ils supposaient incapable de les comprendre. Maris a été assassiné juste après avoir achevé un petit livre à paraître chez Grasset où l’on trouve cette phrase “La civilisation commence avec la politesse, la politesse avec la discrétion, la retenue, le silence et le sourire sur le visage” que j’aurais pu apposer en épigraphe de Fatale Spirale, Maris est mort et il nous reste Emmanuel Macron et Swagg Man, oh misère qu’ils sentent mauvais les meilleurs voeux 2015.

Rhâ pardon c’est plus fort que moi j’ai craqué, j’ai encore parlé de cette grande salope d’actualité, encore deux ou trois heures passées sur Internet à lire tout ce qui se présente, je sais pas si vous avez lu La carte et le territoire de Houellebecq, l’un des passages les plus burlesques montre Houellebecq en chair et en os ce qu’il en reste, pitoyable personnage de son propre roman, avouer tel un toxico, « J’ai complètement replongé, question charcuterie… » et bon, là, je suis bien obligé d’avouer cette après-midi : « J’ai complètement replongé, question actualité… »

Je vais plutôt aller jouer un peu de musique.

C’est doux d’être aimé par des gens intelligents

16/01/2015 Aucun commentaire

Affiches 16 janvier 2015

Hier j’ai mangé dans un kébab (je sais, c’est pas bon pour la santé). Comme l’après-midi était déjà bien avancé, j’étais seul dans la boutique et j’ai pas mal discuté avec le patron. De quoi aurions-nous discuté, sinon de « ça » ?
Il m’a dit des choses comme : « Moi, je suis algérien, je suis là depuis six ans. Je suis musulman, j’ai la foi, et les terroristes, là, je ne les comprends pas. C’est un beau pays, la France, il y a tout ce qu’il faut pour vivre. Si je suis parti d’Algérie, c’est parce que depuis 25 ans les islamistes font la même chose que ceux de Charlie en France, ils ont égorgé des journalistes par dizaines, des chanteurs, des hommes politiques, des femmes aussi, tous ceux qui ne sont pas d’accord. C’est ça qu’ils veulent ? Ils ne savent pas ce que c’est, l’islam. Je fais le djihad, moi, parce que je sais ce que c’est le vrai « djihad », ça veut dire « le combat », c’est le combat quotidien, ça consiste à se lever le matin, à travailler, à aimer ses proches, à méditer, à chercher la paix. »
Le lendemain matin, j’ai raconté cette conversation à la table du petit déjeuner, et je me suis remis à pleurer. Je croyais pourtant que j’avais suffisamment pleuré, que je n’avais plus de larmes. Il m’en reste.
C’est beau, la sagesse du kébab.

Et à l’instant, dans le tramway, un gars m’aborde gentiment : « Excusez-moi… On vous a déjà dit que vous ressembliez à Cabu ? »
Ben oui, depuis quelques jours ça m’est arrivé une ou deux fois, jamais avant. C’est sûrement la coupe de cheveux.

Difficile de cesser, sinon d’ « être » Charlie, du moins de penser et de parler Charlie… Le 7 janvier, nous avons basculé d’une époque dans l’autre, il va nous falloir un temps d’ajustement.

Pendant ce temps les livres continuent de paraître et, heureusement, d’être lus. Grand merci à Jean-Louis Roux pour sa fine critique (ci-dessus) de Vironsussi parue dans les Affiches du 16 janvier.

Et puis sur le même sujet, lundi 19 janvier sera diffusée à la radio une interview de ma pomme par Jean Avezou, à 11h12 et 19h12 sur RCF Isère (103.7 à Grenoble et 106.8 à La Côte Saint André). Grâce à l’amabilité de RCF (merci beaucoup) et à la diligence de mon web-maestro, cette émission est pod’castable ici même.

Collatéral

12/01/2015 un commentaire

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Nous avons rendu la société musulmane beaucoup plus misérable, plus désordonnée, plus ignorante et plus barbare qu’elle ne l’était avant de nous connaître.
Alexis de Tocqueville, Rapport de la commission parlementaire, 1847

Hier, manif. J’étais parmi les quatre millions. Pour la première fois depuis cinq jours, je marchais ragaillardi, confiant. On était plein. Pour la première fois depuis bien plus longtemps encore, j’étais sinon fier, du moins content d’être français. Le bon côté de la fièvre obsidionale, ça existe.

Il est beau le leurre. Elle est belle l’union sacrée. Elle se dissipera comme une brume matinale, celle qui fugitivement confond, donne le même aspect à tout individu. Demain et après-demain, tout restera à faire. La société française est à fragmentation, comme on dit d’une grenade.

Mercredi, je recevrai dans ma boîte le Charlie de la semaine, il me fera rire et peut-être pleurer. Mais parmi les trois millions d’acheteurs visés pour ce numéro exceptionnel, combien vont tomber des nues ? « Quoi, c’était ça, Charlie ? Mais ! C’est dégueulasse, vulgaire, de mauvais goût, bête et méchant, irresponsable ! Il y a même des bites ! Si j’avais su ! Je ne suis pas Charlie, finalement ! » Et cela sera drôle aussi. Professeur Choron, que pensez-vous de ceux qui achèteront Charlie demain tout en sachant pourquoi ils ne l’achetaient pas hier ?

Charlie n’a jamais eu vocation à rassembler, à consensualiser dans les chaumières, à tirer trois millions. Sa vocation, c’est faire rire en testant (pour mieux dire, en éprouvant) la liberté d’expression. Par conséquent, il exagère. L’outrance fait partie du processus. Exemple de mauvais goût qui peut, plus que d’autres, prétendre Je suis Charlie : Lisa Mandel. Ce dessin me fait rire. Et vous ? Si oui, vous pouvez continuer à arborer Je suis Charlie. Sinon, autant s’en tenir au dessin ci-dessous, publié par le New Yorker : Nous vous offrons ce dessin culturellement, ethniquement, religieusement et politiquement correct. Nous comptons sur votre responsabilité pour en faire bon usage. Merci beaucoup.

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Mon précédent article, où j’incitais à dessiner des prophètes, a de même créé un certain malaise. Have I offended someone ? comme disait Zappa ; Never be rude to an arab, comme chantait Terry Jones. Je reproduis ci-dessous un débat que je crois fécond avec l’ami précédemment cité – je précise pour la bonne compréhension de sa position qu’il est prof de français en collège.

 

Amis chers,

Vous dessinez très bien, Fab et Franck. Bravo. Comme des enfants.

Mais, puisqu’il est l’heure de palabrer, je ne suis pas sûr que dessiner le prophète soit très judicieux.
Je m’explique.
S’il s’agit de montrer qu’on n’a pas peur, qu’on se moque voire qu’on provoque les fanatiques, OK je souscris et je veux bien apprendre à dessiner, des deux mains.
En revanche, par les temps qui courent, pas certain que les représentations du prophète, aussi respectueuses soient-elles, seront appréciées par les musulmans (je ne précise même pas « non-intégristes »).
Faites l’expérience, allez faire un tour en banlieue avec vos dessins…

Moi j’ai fait une expérience vendredi.
Après-midi, classe de 3e, 23 élèves, aucun musulman. Je projette le dessin « C’est dur d’être aimé par des cons ». Je laisse un peu mariner. Résultat : les 3/4 des élèves y voient une insulte et une provocation aux musulmans.
OK ils ne savent pas lire. Ok quand on explique et qu’ils comprennnent, ils constatent tous que Charlie ne fait qu’insulter les intégristes. Mais ils ne l’avaient pas compris seuls… Et je suis sûr qu’on peut renouveler l’expérience dans toutes les classes jusqu’au lycée.
Les gens ne savent pas lire, ne prennent pas le temps. Les profs sont nuls. C’est un triste constat mais c’est ainsi.

Les gars de Charlie le savaient. Ils ont joué avec le feu (en ce sens, Fabrice, ce sont des enfants, même si c’était en connaissance de cause). Je crois que dans toute l’histoire de l’humanité, les gars de Charlie se seraient fait descendre en quelques jours. Ils ont pu s’exprimer comme ils l’ont fait si longtemps car ils ont bénéficié d’une parenthèse enchantée, d’une fenêtre de tir exceptionnelle, en jouissant d’un pays et d’une époque particulièrement tolérante. Ils ont aussi bénéficié des forces de l’ordre qui ont permis à ces forces du désordre de s’exprimer.
Je m’en réjouis, c’était un haut degré de civilisation. Je serai demain dans la rue (et j’espère que nous serons des millions) pour défendre ce droit total à la liberté. Mais j’ai peur que la parenthèse soit refermée. Il faudra apprendre à cibler plus explicitement les cons et ne pas heurter, blesser, les sensibilités inutilement. C’est ce qu’explique très bien Cabu ici.
Il ne faut pas baisser les crayons, non, mais il faut que les crayons visent mieux.

Je ne pense pas que ce soit de la lâcheté. C’est juste qu’en ce moment il s’agit surtout de rassembler. Et si les musulmans considèrent qu’il ne faut pas représenter le prophète, je ne pense pas que ces dessins soient rassembleurs.
Voilà, c’est tout.
Si j’ai pu paraitre comme un Don Quichotte grotesque, avide d’en découdre et de partir en guerre, la guerre à mes yeux est celle qui consiste à tout faire pour récupérer autant de musulmans possible pour qu’ils ne se sentent pas écartelés entre des fous de Dieu et des mécréants qui ne respectent rien. Il faut reconquérir cette jeunesse qui ne comprend plus rien et qui risque de basculer. Ce sont les élèves que Fred a en face de lui. Et ce sera très très compliqué car il faut se rendre à l’évidence, tous nos beaux discours ont échoué.

Je veux être optimiste pour demain, mais je suis très pessimiste pour la suite.
J’ai peur que les gens qui se rassembleront demain le soient pour des motifs si différents que l’unité éclate bien vite. Je redoute la débandade, la bande décimée… pas comique.
Me gourge ? Je l’espère de tout coeur.

Je respecte ton point de vue, et dans le fond je l’approuve (loin de voir en toi un Don Quichotte grotesque).
Cependant, je laisserai mon prophète en ligne. Ce n’est pas de l’entêtement de principe (quoique l’auto-censurer serait un aveu d’échec face aux assassins), c’est réellement parce que je trouve capital de rappeler pourquoi 12 personnes ont été assassinées : pour ça. Pour un dérisoire dessin. Nous sommes dans un pays où la peine de mort, même en cas de crime de sang, est abolie, parce que nous considérons que la justice est préférable à la vengeance (à ce sujet je ne peux que déplorer que les trois terroristes aient été abattus avant-hier plutôt que traînés en justice : leur plan a ainsi été accompli jusqu’au bout, qui comprenait le suicide rituel)… et nous affrontons des gens qui veulent instaurer un régime où l’on punirait de mort le fait de poser de l’encre sur le papier et de donner à cette encre la forme d’un bonhomme avec un nez une barbe et un turban. Le voilà, le grotesque. (et le monstrueux et le tragique)
Je n’ignore pas que dessiner peut être perçu comme de la provocation, mais je veux croire encore que la provocation n’est que le premier temps de la discussion, je veux provoquer, oui, je veux provoquer l’échange (Je regrette beaucoup que tu n’aies pas diffusé, soit sur Facebook, soit sur mon blog, ta réponse [bon, c’est fait, désormais…]), la réflexion, et l’ouverture au sens des choses, à leur origine.
C’est quoi l’origine ? Le problème théologique de la représentation du prophète… Okay, discutons théologie et arts islamiques. Il y a des pages Wikipedia pour ça. Je vous renvoie aux livres de François Boespflug (écoutez par exemple cette émission)
Malek Chebel rappelle que l’Islam n’interdit pas la représentation de Mahomet, et qu’on ne trouve rien de tel dans le Coran… Seuls quelques hadiths peuvent être interprétés comme interdisant formellement cette représentation. Mais ces interprétations radicales et tardives (le fondamentalisme wahhabite, cette gangrène, ne date que du XVIIIe siècle), manipulées aujourd’hui par des fous furieux qui promulguent des milliers d’autres interdits (dont la musique – et le rire) sont postérieures à une certaine époque de l’art islamique où, par exemple, des miniatures représentant le fameux vol nocturne de Mahomet, sont des merveilles. Ceci est important : un précédent existe, Mahomet a été représenté autrefois par des artistes qui étaient très pieux, regarde donc ça, Mahomet y est figuré à chaque page, bien plus souvent que dans Charlie Hebdo. (Et ce croquignolet Mahomet iranien, n’est-il pas merveilleusement kitsch ?) 
Comme toujours, tant que les bibliothèques n’auront pas brûlé, il faut se rendre en leur sein pour réfléchir, apprendre… et admirer les représentations (le travail des hommes), y compris celles de Mahomet. Je renvoie vers cette expo virtuelle de la BNF.
Je ne suis, et c’est terrible d’avoir besoin de l’affirmer, pas islamophobe, pas plus que Charlie. (Qu’on réfléchisse un peu à ce que signifie cette une de Charlie d’octobre 2014… Est-elle raciste, islamophobe ? Je soutiens qu’elle est tout le contraire…) Je me sens comme les musulmans contraints de clamer honteusement Not in my name. Je suis, comme Charlie, islamistophobe et connarophobe. Or la question de l’islamophobie est piégée depuis que les islamistes (et les connards) accusent tous azimuts d’islamophobie ceux qui dénoncent le fanatisme (cf., pour faire le point, cette tribune de Laurent Zimmermann).
Islam = 1,5 milliard d’êtres humains, soit le quart ou le cinquième de l’humanité (et par conséquent le quart ou le cinquième de moi). Dont beaucoup vivent dans la même modernité que nous, c’est-à-dire un monde d’images et de représentations, et sont capables de réfléchir à ce sujet.
Islamisme = quelques dizaines de milliers de dangereux abrutis, fascistes d’une sous-obédience en vogue du fascisme.
Effacer de mon blog mon joyeux prophète, ce serait baisser la tête devant les quelques milliers et mépriser le milliard et demi considéré comme unanimement trop con et susceptible – ce serait islamophobe.
Si la guerre arrive, et je ne suis pas de ceux qui nient qu’elle vient, c’est ainsi que je la mènerai. Mais j’admire sans fin la façon dont vous enseignants (et toi notamment, merci pour ce récit de ton expérience en classe) menez la vôtre.
Tu fais une confusion en attribuant à Cabu des propos de Plantu. De fait, Plantu, plus « modéré » que Cabu, plus prudent et plus autocensuré, est toujours vivant.
Nous sommes dimanche, 14h, il est bientôt l’heure d’aller au rassemblement.
Je nous souhaite une bonne journée.
Fabrice

C’est une question de point de vue et de priorité.
Moi j’adopte le point de vue ras-les-paquerettes et je demande : quelle réaction susciterait des représentations du prophète demain dans certaines situations et lieu (salle de classe, mosquée, PMU…) ? Pas besoin d’être bien malin pour deviner que vous ne feriez pas un gros tabac. Fabrice tu dis qu’il faut provoquer pour dialoguer. Euh… oui, mais il faut aussi courir vite quand on provoque.
Ca c’est la réalité à l’instant T. Maintenant, faut-il s’en contenter, s’y résigner ? Evidemment non. Nous sommes d’accord, le but que l’on puisse partout représenter le prophète et dessiner n’importe quoi, qui, et supprimer cette notion de blasphème. Pour ma part, je n’éprouve pas le besoin de provoquer ou d’offenser (je suis plus Plantu que Cabu) mais sur le principe il faut avoir le droit moral et légal de tout représenter.
Pour cela le monde musulman doit faire son aggiornamento, vite et de fond en comble, et cela ce n’est pas gagné. Voir la Lette ouverte au monde musulman d’Abdennour Bidar. Si on attend en se croisant les bras que le Croissant se décroisse, autant commencer à réunir un grand orchestre de prostatiques et un violoncelle (celui de Vironsussi ?).
Donc il va falloir aider ce monde à changer. Comment ?
1) En réformant notre monde, notre civilisation. La nature a horreur du vide ; si nous poursuivons notre civilisation tellement vide au plan spirituel d’autres formes de spiritualités s’imposeront mais elles seront précédées par leurs masques, les fanatismes.
2)…
3)…
4)…

Je rends public cet échange parce que je doute. Je suis sensible aux arguments de mon contradicteur. De même que je suis sensible à cet article de Pacôme Thiellement : « Nous sommes tous des hypocrites. C’est peut-être ça, ce que veut dire « Je suis Charlie ». Ça veut dire : nous sommes tous des hypocrites. Nous avons trouvé un événement qui nous permet d’expier plus de quarante ans d’écrasement politique, social, affectif, intellectuel des minorités pauvres d’origine étrangère, habitant en banlieue (…) Nous avons refusé d’admettre qu’en se foutant de la gueule du prophète, on humiliait les mecs d’ici qui y croyaient – c’est-à-dire essentiellement des pauvres, issus de l’immigration, sans débouchés, habitant dans des taudis de misère. Ce n’était pas leur croyance qu’il fallait attaquer, mais leurs conditions de vie.« 

Être sensible à son contradicteur. Tant mieux, au fond, si l’une des victimes collatérales des attentats est le simplisme.