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Ce n’est pas qu’on en vient à douter (Troyes épisode 43)

(Cette nuit, j’étais allongé sur le toit d’un camping-car conduit par Jacques Tati période Trafic, je m’agrippais pour ne pas tomber, mais ça va, il conduisait doucement.)

Hier soir, alors que je marchais dans la rue, me préparant aux imminentes rencontres scolaires dont sera fait le Salon du livre de Troyes, réfléchissant plus précisément à la question la plus bizarre qu’on m’ait jamais posée pendant une semblable rencontre, j’ai vu un cadavre d’oiseau gisant sur le trottoir. Je peux préciser le lieu, ça n’a pas d’importance, le temps qu’on vérifie il ne sera plus là, il aura été jeté à l’aube par un personnel de la voirie ou sitôt après mon passage par un simple citoyen, un riverain, moi je n’ai touché à rien, je précise le lieu parce qu’ainsi mon récit prend de plus grands airs de vérité, c’était rue des Tilleuls, côté pair, à Saint-André-les-Vergers. Je me suis arrêté devant cet amas de matière qui autrefois volait et je l’ai longuement regardé. Était-ce un pigeon ? Je n’en suis pas sûr. Je suis si peu savant en sciences naturelles que par facilité je pourrais bien prendre un oiseau quelconque et gris pour un pigeon, et mon ignorance soudain, maintenant qu’il est trop tard, est comme une insulte à sa dépouille, pardon l’oiseau, tu t’en fous, tu as raison, tu ne savais même pas que les humains t’avaient attribué  un nom. Son bec était cassé, les deux moitiés, dont l’une détachée de la tête, formant un angle étrange par rapport à l’oeil fixe, ses minuscules viscères rosâtres avaient sali son plumage, ces serpentins débordaient à la fois sur ses ailes et par côté, à même le sol, mélangés au noir crasseux du bitume, ça faisait comme les graines d’un fruit, une figue trop mûre par exemple, et tout le corps était très plat. C’est la platitude finalement qui m’a intrigué, je me suis penché dans l’illusion de lui redonner du relief, j’ai fait le tour deux fois pour tenter de comprendre ce qui s’était passé, dans quelles circonstances, par quel enchaînement de causes et d’effets devient-on plat. J’ai d’abord formulé l’hypothèse qu’une roue de voiture l’avait aplati et que, pour une raison ou une autre (projeté, ou déplacé à la main, mais dans quel but ?), ce n’était qu’une fois mort et partiellement vidé qu’il avait effectué le trajet de la chaussée au trottoir. Mais comment avait-il pu se laisser aussi bêtement surprendre par la roue ? Les voitures ici ne roulent pas si vite, il aurait eu tout le temps de réagir. J’ai ensuite réalisé que mon scénario ne fonctionnait pas. Si l’oiseau avait été déplacé de la chaussée au trottoir une fois écrasé, pourquoi les deux moitiés de son bec, désolidarisées, se retrouvaient encore côte à côte ? Non, il fallait admettre qu’il s’était fait aplatir à cet endroit même. Comment ? Pourquoi ? Peut-être qu’un véhicule avait roulé sur le trottoir. Ou bien c’était autre chose qui, tombant du ciel, l’avait saisi. J’ai levé les yeux sur la façade de la maison, toutes les fenêtres étaient éteintes.

La question la plus zarb qu’on m’ait jamais posée lors d’une rencontre scolaire est « Est-ce que vous êtes de la famille d’Avril Lavigne ? » Ce n’est pas qu’on en vient à douter, c’est qu’on n’a pas cessé de douter une seule seconde. On ne s’habitue pas, puisqu’il faut faire avec. Quarante-quatre jours, quarante-quatre articles. Et ce n’est pas tous les jours dimanche, sauf en semaine. Le premier qui me traite d’usurpateur je lui ! je lui ! je lui paye une bière. Je me comprends. Jusqu’à ce que je ne me comprenne plus.

Une certitude au moins, le salon du livre de Troyes débute aujourd’hui, et m’occupera, l’esprit avec, jusqu’à lundi prochain. Je m’en excite à bon compte, une parenthèse s’ouvre dans la parenthèse, plus le temps de penser aux viscères de pigeon, toute la place aux questions des jeunes gens. Le blog marque une pause, et ne redeviendra quotidien que la semaine prochaine. Ou jamais. On verra.

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