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Un peu d’amour, un peu de vulgarité, un peu d’envie de tout casser

Un peu de tout en somme, comme la vie. Par quoi commencer ?

1) Par l’envie de tout casser, tiens.

L’increvable, incorruptible, le politiquement incorrect Bob Siné est toujours aussi énervant, et j’aime me faire énerver par lui.

J’aimais bien Siné semant sa zone dans Charlie Hebdo… (Mais Philippe Val l’a viré.)

J’aimais bien Siné semant sa zone dans Siné Hebdo… (Mais j’avoue qu’à part les éditos du bonhomme, je ne lisais guère son canard – je m’y étais abonné par principe… Bon, il n’existe plus.)

J’adore la zone semée en long  large et travers dans l’autobiographie de Siné, Ma vie mon oeuvre mon cul, un feu d’artifice d’une extraordinaire liberté, un chef d’œuvre dans son genre, et au fond un genre à lui tout seul.

J’aime Siné quand il sème sa zone en plein jazz

Et j’aime toujours Siné, à présent qu’il sème sa zone sur Internet. Il sème, je récolte. Je trie, tout de même. Mais globalement, je me marre quand il commente l’époque. Je prélève par exemple ce commentaire dans sa zone de cette semaine :

Le groupe LVMH, dirigé par Bernard Arnaud, ami intime de Sarko-la-peste, vient d’accueillir deux petites nouvelles au sein de son conseil d’administration : Bernadette Chirac, bombardée « ambassadrice du luxe » (sic) et Florence Woerth, nommée au conseil de surveillance de la société Hermès, filiale de LVMH. Florence Woerth recevra 400000 € par an, Bernadette seulement 65000. Est-ce que vous avez comme moi, chers lecteurs, parfois des envies de tout casser ?

Bien sûr que je l’ai, l’envie, et Siné me la fouette chaque semaine. Il est démago ? De mauvais goût ? Vulgaire ? Ah, tout est affaire d’échelle : il l’est beaucoup moins que la clique au pouvoir, Sarko-Woerth-Chirac-Arnaud (ce dernier étant peut-être le plus influent en France, alors qu’il n’a pas été élu), qui nous explique qu’il faut trimer deux ans de plus et de l’autre main continue tout raide de toucher ses dividendes au beau milieu de la crise partout-partout (dans la rue, sur les routes, dans les lycées, dans les cités, dans les stations services…).

2) Vulgarité, justement. On change de genre, on change de blog, mais pas de sujet : où placer le curseur de la vulgarité ?

Je reçois la revue de presse hebdomadaire du CRILJ, Centre de Recherche et d’Information sur la Littérature pour la Jeunesse. Je lis chaque lundi cette documentation, soit attentivement, soit distraitement… jamais avec passion. Jusqu’à ce jour ! Jusqu’à un certain article, déniché et froidement retransmis par le CRILJ comme si de rien n’était, un article intitulé Censurer les livres pour enfants ?. D’ordinaire, l’essentiel du courrier du CRILJ est constitué d’échos professionnels et savants, notamment les programmes de tous ces colloques qui décortiquent savamment les œuvres pour la jeunesse, le CRILJ appelle à communication, et donne rendez-vous pour discuter entre gens de bonne compagnie du pourquoi et du comment des livres pour enfants, il distribue en somme les horaires des messes et prêche les convaincus. Cet article-là ? Rien à voir ! Un autre son de cloche tout à fait ! Une vraie douche froide ! Allez donc voir le blog en question

Censurer les livres pour enfants ? est un redoutable cas d’école qui m’a mis en rogne comme rarement, un concentré d’a priori et de conventions qu’on supposait d’arrière garde… Une conception « édifiante » du livre jeunesse qu’on croyait d’avant la guerre (laquelle ?)… Voir dans le délicieux album pour touts-petits Ma culotte d’Alan Mets un dangereux fauteur de »vulgarité » et de « style texto », quelle énormité ! Quelle ignorance ! Ce livre date de 1997, alors que le « style texto » n’existait même pas ! Autant voir du SMS dans la première phrase de Zazie dans le métro (1959) : « Doukipudonktan ? » Roman d’une grande vulgarité, au reste.

Ainsi, ce révoltant article, apologie de la censure, est salutaire puisqu’il nous réveille, il nous rappelle que la bataille de la littérature jeunesse contre la bien-pensance n’est jamais gagnée. On finirait par l’oublier, à force de rester confortablement entre soi, dans certains milieux, parmi les récipiendaires du courrier du CRILJ, dans la communauté des « bibliothécaires jeunesse », salons jeunesses, auteurs jeunesse…, tous ces milieux qui n’en font qu’un et qui prennent la « littérature jeunesse » au sérieux et lui consacrent imaginez un peu, des colloques. Dans la société « réelle », les livres pour enfants ne sont pas des objets culturels ! Ils sont des outils d’élevage, et la moraline fait encore rage quand il s’agit d’autoriser ou pas des enfants à ouvrir des livres. Dans la vraie vie, des parents corrigent les livres au Tipp-Ex pour protéger les enfants de la vulgarité.

Vive la vulgarité, nom de Dieu ! Et vive Siné ! Ah comme l’envie me prend, parfois, plus sûrement encore que celle de tout casser, de me gorger, de m’enivrer de gros mots ! Merde à toutes les censures !

3) Allons, terminons par l’amour, s’il vous plaît. Vous allez voir, je ne perds pas de vue mon sujet du jour : où est la vulgarité ?

J’ai adressé à Susie Morgenstern un exemplaire de mon roman Jean II le Bon. Je le lui ai dédicacé en ces termes (je réécris de mémoire) :

Chère Susie, j’ai le plaisir de t’offrir ce livre, parce que j’ai eu une pensée pour toi en l’écrivant, vers la fin, à l’avant-dernier chapitre. Je me rendais compte que j’étais en train de composer une apologie de l’amour, et j’avais peur d’être concon, cul-cul, gnan-gnan. [NDLR : Peur d’être vulgaire, en quelque sorte.] Mais soudain je me suis souvenu : « Ah, mais Susie le fait bien ! Elle fait l’apologie de l’amour dans chacun de ses livres ! C’est son grand sujet, presque son seul, et elle n’est JAMAIS ridicule ! Alors, allons-y… » Et j’ai terminé mon livre. Susie, je t’aime !
Fabrice

Par retour de courrier, l’adorable Susie m’adressait un adorable accusé de réception :

Oh Fabrice ! Je t’aime aussi. Il ne faut jamais avoir peur d’être cucul. J’en suis la reine !
Merci et je t’embrasse très fort,
Susie

Et c’est ainsi que l’amour sauvera le monde de la vulgarité. Et de la crise partout-partout.

(Est-ce que je crois à ce que je viens d’écrire ? Euh… Bon, déjà, je l’écris, c’est un début.)

  1. Valk
    25/10/2010 à 22:13 | #1

    ouais, juste pour dire que je suis d’accord avec la maman du blog.
    Ras le bol des livres avec des gamins avec une tétine dans le bec, qui se prennent des fessées au moindre pet de travers, qui sont envoyés à l’école parce que c’est si bien l’école hein quel bonheur.
    Parce que la litterature pour la jeunesse, c’est ça aussi, c’est tchoupi (quelle horreur celui là, je le déteste), c’est petit ours brun (avec sa famille modèle papa avec sa pipe, maman qui fait la cuisine) juliette (beurk) j’en passe et des meilleurs.
    Les livres qui expliquent comme c’est bien de dormir tout seul dans son lit, comme c’est super d’aller dormir dans son lit sans ronchonner, comme c’est important de rester sage à table et de manger de tout, comme c’est génial d’être abandonné chez papi/mami/colo/classe verte…
    Ben, ce livres là, direct, je censure, j’aime pas, je lis pas à ma fille de 3 ans.
    J’ai la naïveté de croire qu’elle sera bien assez tôt confrontée à la connerie du monde…
    Le monde, je ne le choisis pas. Je choisis les livres, c’est tout ce qui me reste comme liberté.

  2. Cissou
    03/11/2010 à 02:16 | #2

    Quand je lis votre article, je me rends compte que je n’ai pas envie de vivre dans le même monde que vous. Celui que je construis pour mes enfants, il est beau, il est bon, il est plein de douceur – du moins, c’est ce que je veux de toutes mes forces.
    A bas la vulgarité, osons espérer que demain sera meilleur…

  3. 03/11/2010 à 13:29 | #3

    Madame
    Pour le meilleur et pour le pire, nous vivons tous dans le même monde puisqu’il n’y en a qu’un, et je suis frappé par la similitude de nos aspirations profondes. Figurez-vous que moi aussi, je veux pour mes enfants la beauté, le bonheur, et la douceur – je ne les voue pas à la laideur, au malheur, ou à la violence. (Et nous avons sans doute de nombreux autres points communs : je souhaite que mes enfants grandissent en bonne santé, sans connaître la misère, la faim, etc…) C’est sur les moyens d’atteindre, et de faire atteindre, ces idéaux tout platoniciens que sont le beau, le bon, le vrai que nos conceptions divergent (du reste, Platon lui-même finissait par admettre, dans l’Hippias Majeur, que la valeur « beau » ne saurait rencontrer d’incarnation consensuelle). Il se trouve que pour ma part, et voilà précisément ce qui m’a fait bondir dans la lecture du blog Simplementmaman, je vois tout le contraire du doux, du bon, et du beau, dans le fait de couvrir d’opprobre et soustraire aux yeux des enfants certains livres, au prétexte qu’ils sont gentiment transgressifs (« Ma culotte » de Mets), ou qu’ils abordent (et non promeuvent, bien sûr) l’existence du mal (en l’occurrence, l’évocation des haines raciales dans l’utopique « Nuage bleu » d’Ungerer). Je ne vois rien, mais alors rien du tout, de doux dans le geste de passer au Tip-Ex les passages des livres qui ne conviennent pas au prescripteur : le tube de Tip-Ex m’apparaît soudain comme le véhicule d’une insigne violence, tel un Kärcher dans la bouche d’un ministre de l’intérieur.
    Et je vous garantis a contrario que, lorsque j’ai lu « Ma culotte » à mes enfants il y a une dizaine d’années, nous avons passé ensemble un moment fort doux, beau et heureux, à rire ensemble de cette farce qui permet d’exprimer certaines préoccupations majeures, des enfants comme des adultes : la pudeur, l’appétit, le rapport à l’autre, l’évitement de l’autre, la curiosité pour les choses génitales, en posant sur ces notions intimes des images et des mots, et en autorisant in fine un défoulement par l’humour (autre notion héritée des antiques grecs : la catharsis). Il semble que mes enfants s’en soient bien remis.
    Je suis au moins d’accord sur un point avec le blog Simplementmaman : je doute que poursuivre plus avant notre dialogue, de sourds manifestement, soit utile, mais je vais tenter de reformuler en termes nouveaux ce que j’ai voulu dire dans mon article, cela ne peut pas me faire de mal.
    Au fond, le sens de mes propos était le suivant : Simplementmaman m’a été salutaire (aucune ironie ici !), parce qu’il m’a permis de réaliser que le milieu de la littérature jeunesse était en léger décalage avec la société réelle. Moi qui ai un pied et un œil dans ce milieu « littérature jeunesse », je tenais trop confortablement pour acquis que le livre pour enfants est un objet culturel, soit une création de l’esprit, une idée mise en forme pour être partagée, née d’un auteur spécifique, d’une sensibilité spécifique, d’un humour, d’un goût, d’un univers… et que, pour le coup, il est bel et bon et vrai de confronter un enfant à une sensibilité sur papier. Bref, un livre, fût-il « jeunesse », se respecte et se propose dans son intégrité parce qu’il est une œuvre d’art – peut-être bien la toute première forme d’art entre les mains d’un enfant. Or, dans la société réelle et dans Simplementmaman.unblog, ce n’est pas ainsi que l’on conçoit le livre pour enfant : foin d’art ! Un livre pour enfants doit être remis à sa place, celle de simple instrument propre à recouvrir et conforter la vision du monde du prescripteur, instrument dont celui-ci peut par conséquent disposer à discrétion, non seulement en le passant sous silence (jusque là pourquoi pas, puisque après tout on ne saurait lire tous les livres ou tous les blogs, nous faisons des choix en permanence), mais en lui administrant une bonne correction au Tip-Ex. L’excellence et l’innocuité des livres sont dès lors évaluées sur des critères moraux et non esthétiques, entraînant me semble-t-il fatalement le danger d’une certaine confusion (« Nuage bleu » parle du mal, il est donc le mal), leur vulgarité supposée est traquée sans relâche… Les livres sont ainsi très exactement et littéralement censurés. Si, dans mon article, je dénonçais pour décrire cette volonté de censure, un combat d’arrière-garde et une pensée d’avant-guerre (je ne sais toujours pas laquelle), c’est que je croyais candidement que nous n’en étions plus là, m’ébattant comme je le fais dans le milieu de la « littérature jeunesse » où ces débats sont quasiment préhistoriques (un exemple classique, pour mémoire : Max et les Maximonstres, album de Maurice Sendak, a été jugé terriblement vulgaire et nocif par certains à sa sortie en 1963, car il mettait en scène un vilain garnement, un mauvais exemple… Près de 40 ans et une fort belle adaptation cinématographique plus tard, Max et les Maximonstres est un ouvrage incontestable qui traverse les générations comme la foudre, et l’on sait ou l’on croit savoir qu’il est plutôt sain après tout de donner à lire aux enfants des histoires de vilains garnements… Je résume ici un débat largement plus compliqué.)
    En somme, l’on ne saurait s’entendre davantage sur « vulgaire » que sur « beau ». Il faut croire que la notion de vulgarité se redéfinit dans chaque famille, et fait partie de ce que l’on transmet à la génération suivante – ainsi que de l’ensemble du paquetage, celle-ci en usera comme elle pourra et voudra. Voici, à titre purement indicatif, comment la vulgarité est traitée sous mon toit : je n’ai rien trouvé à redire quand mes enfants, fort jeunes encore, ont extrait des albums de Reiser de ma bibliothèque et ont bien ri en les lisant ; en revanche je ronchonnerai vraisemblablement si, parvenus aujourd’hui à l’adolescence, je les surprends en train de lire du Marc Lévy. Je ronchonnerai seulement, hein ! Je ne dégainerai pas mon Tip-Ex.
    Cordialement
    Fabrice Vigne

  4. Valk
    08/11/2010 à 17:18 | #4

    le souci principal semble donc être la définition de la « litterature jeunesse ».
    Pour vous, il s’agit de ce que je qualifierai de livre reflechi, construit… pour les mamans, c’est ce que l’on trouve à carrouf au rayon livre… pas pareil!!
    Je suis musicienne.
    Dans le même état d’esprit, la musique « pour enfant », il y a du recherché, de l’artistique, du beau!!! il y a du commercial moche et nul, et il y a des reeditions de vieux trucs… confrontés à du commercial moche et nul, des mamans iront piocher dans les reeditions des vieux trucs… je dis : dommage, elles manquent tant de belles choses…
    MAIS je dis ça parce que JE sais où trouver les petites perles, JE sais quelles éditions proposent des petits bijoux!!
    En litterature, je ne sais pas. Du coup, je rale, j’ai envie de dechirer et de jeter, mais jamais je ne pourrai faire ça à un livre :o( Et un livre, ça peut véhiculer des idéologies pas belles du tout. c’est une arme un livre, pas seulement de l’artistique… surtout quand ça s’adresse à des enfants. La morale… ce n’est pas ça mon problème c’est plus le projet de société proposé, la place de chacun dans la société.
    Quand je vois une grande image sur « la famille » dans un magasine pour enfant « popi » avec pleins de couple homme-femme+enfant qui se ressemblent, je me dis : quid de la famille monoparentale, quid de la famille recomposée, quid de l’enfant adopté quid de la famille homoparentale… Ben non, dans cette publication cela n’existe pas. Hé bien je me reserve le droit de choisir des livres qui correspondent à ma vision du monde pour ma fille de 3 ans.
    Bien sur, à la bibli, elle ma rapporte des trucs qui des fois ne sont pas terrible, ben je lui lis, mais je n’achète pas et je passe à autre chose.

    Bon, je ne répond pas exactement à votre message, mais je m’exprime aussi sur ce sujet :o)

    Et je pense que votre réponse là, la deuxième, hé bien, vous auriez pu la poster à la simple maman du blog, et que c’est ce style de réponse qui est vraiment constructif

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