Contre nature

Cette nuit, j’étais dans un pays en guerre.
Je traversais une ville en ruine, j’arpentais des rues effondrées, j’escaladais des gravats sous un ciel gris. Je n’espérais pas croiser quiconque et j’étais prêt au contraire à me planquer à la moindre rencontre, attentif à tous les bruits qui d’en haut ou d’en bas précèderaient une menace. Je guettais surtout les aboiements, car je cherchais des chiens errants. J’étais censé capturer des chiens pour les transformer en chiens de guerre, c’était cela ma mission, ou mon gagne-pain, qui m’écoeurait tellement qu’au fond je n’étais pas fâché de ne débusquer aucun animal, j’accomplissais ma ronde par acquit de conscience, sans espoir. Puis je rentrais chez moi, bredouille.
Chez moi aussi, c’était gris, comme le ciel, comme la ville et comme les décombres. Dans ma cuisine, je caressais mon chat et je lui annonçais qu’il allait falloir partir, qu’on ne pouvait plus rester ici.
À peine ai-je fait mine de le saisir pour l’enfermer dans sa boîte de transport couleur bordeaux qu’il se hérisse et se met à grogner, cracher, battre l’air de ses crocs et de ses griffes. La lutte dure, mes mains sont lacérées, j’empoigne brutalement le chat tout en lui parlant gentiment et malgré ses résistances et ses pattes accrochées aux rebords, je réussis à le placer au fond de la boîte, qu’enfin je scelle en appuyant de tout mon poids sur le couvercle pendant que je fais glisser par à-coups la tirette de la fermeture Éclair le long du pourtour.
Je masse mes poignets tailladés. La crise n’est pas terminée pour autant. Le chat se démène tellement que la boîte couleur bordeaux sursaute sur le sol gris, tournoie, rampe, hurle. Je m’agenouille et, horreur, je constate à travers les trous d’aération que l’intérieur baigne dans le sang. Je me résous à libérer la pauvre bête, je fais glisser la fermeture Éclair aussi vite que je peux… Une tête de chien noir surgit. Il me fixe mais il a l’air calme. Je bredouille : « Tu… Tu es prêt à partir, maintenant ? » Il me répond en hochant la tête : « Oui ». Qu’ai-je fait, malheur à moi ? J’ai transformé mon chat en chien de guerre qui parle comme un homme.
Je me réveille.
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