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L’éternité dans le logo

Gaiement hanté par la mort, Pierre Desproges rappelait, imparable, que « Sur cent personnes à qui l’on souhaite bonne année bonne santé le premier janvier, deux meurent dans d’atroces souffrances avant le pont de la Pentecôte. »

Albert Camus, mort dès le début de janvier dans un accident de la route avec son éditeur Michel Gallimard, n’aura pas trop eu le temps de subir de vœux de bonne année bonne santé, et c’est une piètre consolation.

Idem Paul Otchakovsky-Laurens : 2 janvier, accident de la route, circulez.

Il y a près de vingt ans, j’avais adressé à Otchakovsky-Laurens mon premier manuscrit. Je ne connaissais pas si bien que ça son catalogue, j’avais lu un ou deux Duras, un Winckler, peut-être déjà quelques Emmanuel Carrère, mais surtout je savais qu’il avait été éditeur de Perec, cela me suffisait. Il n’avait pas retenu mon manuscrit (devenu un peu plus tard Voulez-vous effacer/archiver ces messages aux éditions Castells, qui elles aussi portaient, unique point commun, le nom de leur fondateur) pourtant si c’était à refaire, je le referai, peu importe d’être retenu chez P.O.L, au moins y était-on lu par un honnête homme.

Le mois dernier, je l’ai vu en chair et os, je peux affirmer qu’un mois avant sa mort il était vivant comme La Palice, toujours timide mais en pleine forme. Il présentait au Méliès son second film, Éditeur. Magnifique autobiographie filmée par un homme qui n’osait pas écrire. Film émouvant et profondément original, mis en scène avec poésie (quelques scènes muettes expressionnistes, quelques dialogues avec une marionnette fétiche) et douce chaleur qui rayonnait avec gratitude pour ses auteurs, pour son métier, pour son passé, pour la littérature.

On le voyait, gourmand, bienveillant, mesurer du regard la pile d’enveloppes en kraft déposée quotidiennement par le facteur, on l’imaginait s’isoler pour ouvrir chacune sans jamais perdre la conviction que la littérature était dedans, et c’était exactement cela son métier dont il avait fait le titre du film, métier noble et finalement humble, métier manuel et intellectuel, ouvrir des enveloppes et lire ce que d’autres avaient écrit. Le film est émaillé d’un florilège de bouteilles à la mer : les notes d’intention que les aspirants écrivains rédigent pour accompagner leurs oeuvres, dites par une auteure de la maison, Jocelyne Desverchere, qui est également comédienne. Et cette litanie est à la fois drôle, poignante, sincère, désespérée et cependant pétrie d’espoir, fiévreusement vouée à cette aspiration au graal des Lettres que je connais un peu, la publication.

J’ai appris aussi dans le film que POL devait le logo de sa maison à Georges Perec : ces sept mystérieuses pierres blanches et noires figuraient, ainsi que mentionné dans La Vie mode d’emploi, la position du Ko, soit l’Eternité.

Dans la salle de cinéma, j’étais assis non loin d’un jeune homme qui, durant la projection, prenait des notes sur un calepin, agité parfois de petits tics nerveux. Durant le dialogue avec le public qui a suivi, il a demandé à POL, bégayant un tout petit peu : « Vous n’éditez pas de science-fiction, ça ne vous intéresse pas ou quoi ? » L’aimable éditeur, ferme mais doux, lui a répondu : « Détrompez-vous, je publie ce qui m’intéresse, et je publie de la science fiction quand je reçois de la science-fiction qui m’intéresse… J’ai publié Tel, et Tel, et Tel, et le dernier Marie Darrieussecq… » Le jeune homme fébrile lui aura envoyé son manuscrit de science-fiction, sans doute. Monsieur Otchakovsky-Laurens a-t-il eu le temps de le lire, en un mois ?

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