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Il n’y a d’autre Dieu que Dieu

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Dimanche de vote. J’aime bien voter. J’aime bien la démocratie en général. J’aime bien, en général, la France, je m’y promène, je m’y extasie, c’est drôlement beau en fait la France, c’est comme la démocratie, il faut aller la voir pour le croire.

Par exemple je me suis promené il y a quelques semaines à Perpignan. Enchanté, Perpignan. J’avais entendu parler de vous. Je vous trouve charmante.

À Perpignan, j’ai longuement visité le très curieux palais des rois de Majorque. J’y ai vu une chose, je crois, unique au monde. Dans la chapelle haute des rois très chrétiens de cet éphémère (1229-1349) micro-royaume, une frise fait le tour des quatre murs à hauteur des yeux, en petits carrés verts et rouges, mosaïque de trompe l’oeil, ainsi que le rideau peint au-dessous d’elle. Cette frise a longtemps été considérée comme purement ornementale, abstraite, une (bien nommée) arabesque, mais finalement les historiens et archéologues ont fini par reconnaître dans le motif sériel des mots articulés. Du langage commun, et non des traits laissés à l’imagination d’un artiste.

Il s’agissait ni plus ni moins de l’inscription en caractères coufiques, stylisée jusqu’à l’abstraction de la première moitié de la chahada : ašhadu an lâ ilâha illa-llâh. Il n’y a d’autre Dieu que Dieu. La première phrase de la profession de foi des musulmans. Dans un lieu de culte chrétien. Juste ciel, comme qui dirait.

La bizarrerie de cette inscription déplacée n’a choqué personne pendant la courte vie de cette chapelle. Elle s’explique par une notion qui, elle aussi, semble incongrue selon les époques : la tolérance. La culture arabo-andalouse circulait alors des deux côtés des Pyrénées et de la mer, certes au fil des guerres, mais aussi par la grâce des échanges entre les hommes, entre les clercs, entre les souverains, entre les lettrés. On se connaissait, on commerçait, on s’épousait même entre Chrétiens, Musulmans, et Juifs (deux par deux, j’entends, hein). Fatalement, quelqu’un s’est rendu compte que cette phrase, il n’y a d’autre Dieu que Dieu, s’appliquait aussi bien aux trois religions, et que la chahada ferait une chouette déco dans une chapelle dédiée au Christ, que le témoignage de foi mauresque n’allait pas se battre avec le crucifix posé à côté.

Trois religions, un seul Dieu. Les points communs plus importants que les différences.

Ensuite le royaume a été englouti dans les replis du Moyen-âge, le palais a fait la culbute, et pendant les siècles suivants la bâtisse a servi de caserne à des militaires revêtus de divers uniformes. Les soudards n’avaient pas beaucoup d’égard pour les traces du passé. La chapelle leur a longtemps servi de dortoir.

Perpignan fait partie des villes qui courent le risque, aujourd’hui, de tomber dans l’escarcelle du Front National. J’écoute la radio.

20h, les résultats s’égrainent. Le FN n’a pas emporté Perpignan. Mais Béziers, Fréjus, Hayange, Beaucaire, Villers-Cotterêts, Le Luc, Le Pontet et Cogolin.

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