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Traité du Loup des steppes (Pour les fous seulement)

11/01/2014 un commentaire

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Je lis, j’écris. J’écris parce que j’ai lu, je lis parce que j’ai écrit, ainsi de suite. Inspiration, expiration. Mais si je fais le compte, je suis beaucoup plus lecteur qu’écrivain.

Je suis « écrivain » de façon intermittente, et fragile, les moments où j’écris étant justement ceux où je réalise que je ne sais pas écrire. En revanche je suis « lecteur » ah ça oui, aucun doute, chaque jour. Je lis, et tout s’éclaire. Je viens de lire Le loup des steppes de Hermann Hesse. Mon premier roman lu en 2014 date de 1927. L’année commence bien.

C’est l’histoire d’un certain Harry Haller, érudit marginal, qui se figure coupé en deux, moitié homme, moitié loup. Harry est un champ de bataille perpétuel, dont les deux personnalités prennent tour à tour le contrôle. Il est bipolaire comme on dit de nos jours, asocial en tout cas, incapable de vivre parmi le commun des mortels. Déclassé en perdition, joyeux mélancolique, odieux et attachant, complexe et tête-à-gifles, Haller est une création romanesque originale – or comme l’estime Houellebecq, la réussite des personnages est le premier critère qui vaille en matière de romans. Mais il y a davantage, il y a l’histoire : un beau jour, ou plutôt une nuit d’errance, une nuit onirique et scintillante, il croise au coin d’une rue mal famée un camelot qui lui vend une brochure intitulée Traité du loup des steppes. Cette brochure semble n’avoir été rédigée que pour l’égaré Harry Haller, et lui révèle tout de sa propre vie, par une analyse psychologique froide et détaillée.

La mise en abyme de l’expérience romanesque est transparente… Tôt ou tard, vous aussi vous tomberez sur un inconnu qui vous collera entre les mains le livre, le miroir, qui éclairera votre existence.

Cette fois-ci, voilà comment ça s’est passé pour moi : au coin non d’une rue mais d’un mail.

Je cherche depuis six mois à faire publier mon dernier roman, me pliant humblement à la méthode traditionnelle : j’envoie des manuscrits par la Poste, puis j’attends à côté du téléphone (par lequel viendra peut-être la bonne nouvelle) ou de la boîte aux lettres (par laquelle vient sans faillir la mauvaise). Je reçois donc en cascade, comme de juste, les lettre types « cher manuscrit n°8765 malgré toutes ses qualités votre manuscrit n’a pas fait l’unanimité dans notre comité de lecture mais nous vous remercions pour l’intérêt  que vous avez manifesté pour notre maison nous tenons votre machin à votre disposition dans nos locaux si vous ne le récupérez pas sous quinzaine il nourrira nos cochons ».

Rompant soudain cette monotonie tiède dont on se console comme on peut, je reçois pourtant un refus singulier, personnalisé. Enthousiaste, même. Un éditeur charmant, un gentleman, même (je vous donnerai son nom si vous me le demandez gentiment) me refuse tout en me recouvrant de compliments – expérience inédite dans le genre double bind. Se faire refouler ainsi est presque un plaisir masochiste (et quoi qu’il en soit, je suis résolu à proposer autre chose un de ces jours à sa maison d’édition). Plein de tact, il prend la peine de m’expliquer qu’il n’a pas envie de publier mon roman mais qu’il l’a trouvé « remarquable, beau, sensible, intelligent », plein de « moments poétiques et forts, d’instants de folie stylistique et visuelle ». Il ajoute : « J’ai songé plusieurs fois au Loup des steppes de Hesse, souvenir de lecture lointain mais vivace ».

Or je n’ai jamais lu ce livre. L’occasion ? Le larron ! Je m’y plonge. Je ne vois pas trop le rapport avec mon propre livre, mais peu importe, je l’aime.

Depuis que j’ai lu Le loup des steppes, j’en parle avec enthousiasme autour de moi. Et je reçois le même genre de réactions que lorsqu’en 2008, je découvris Martin Eden et tâchai de le faire lire à tout le monde : « Ah, oui, ça me dit quelque chose, je l’ai lu quand j’étais ado, je me souviens que j’avais aimé ». Encore un livre que j’aurai loupé dans mon adolescence. C’est vrai : ce roman est de la catégorie qui peut marquer pour la vie à un certain âge tendre, mais semblera seulement intéressant plus tard. Peut-être n’ai-je pas terminé ma néoténie. Il me reste des romans d’apprentissage à lire, et sans doute des apprentissages à accomplir. Je me demande si je vivrai assez vieux pour combler toutes les lacunes de mon adolescence.

Contrôler la violence

17/07/2013 Aucun commentaire

La fonction fondamentale de la musique est de montrer que la violence est contrôlable.
Jacques Attali, Bruits

Arrache-pied ! Je viens d’achever l’écriture de mon roman de musique et de violence, Vironsussi. Près d’un an de boulot, discontinu mais nerveux, co-écrit avec Monsieur Olivier Destéphany et illustré par Monsieur Romain Sénéchal. De musique il est question, soit de mise en ordre du bruit. Dialectique règle/chaos. Technique/instinct. Partition/improvisation. Mais tout ça avec un monstre dedans, hein. Pas prise de tête, plutôt dévoration des tripes. Apollon dit-on était à la fois le dieu de la musique et des loups-garous, mais en vrai ça n’est qu’un calembour, « Apollon lycien » ne signifiant pas Apollon des lycanthrophes, mais Apollon de Lycie. Ce qui est sûr c’est qu’il a laissé son nom au Lycée, puisque la dite école fondée par Aristote en 335 av. JC se créa sous le haut patronage du bogosse du belvédère en question. De là dire que les lycéens d’aujourd’hui sont eux-mêmes un peu vaguement loups-garous sur les bords…

Je digresse. Ce n’est pas du tout cela que je voulais dire. Je voulais seulement dire que j’étais très heureux d’avoir achevé l’écriture d’un roman, dans lequel j’ai réussi à glisser le mot frondaison. Et moins heureux parce que maintenant il va falloir trouver un éditeur.

Vironsussi mon beau souci

22/04/2013 un commentaire

Il semble que mon prochain livre sera Vironsussi, co-écrit par Olivier Destéphany, roman d’épouvante, extension, réinvention, explosion et implosion du spectacle intitulé Du sang sur l’archet que nous donnâmes ensemble et en musique au début de cette année. Je ne me serais pas cru capable d’écrire en duo, ni, surtout, d’y puiser autant de plaisir. Voici, en gros, comment le travail se déroule.

« Vomir un doigt ».

Olivier se pointe, sautillant, l’oeil brillant, il se penche un peu en avant comme un comploteur et il me dit ça, sûr de son effet : « Vomir un doigt ». Puis il se redresse et développe : « Je ne sais pas d’où me vient l’image, je préfère ne pas savoir, mais je la vois comme si j’y étais : le gars, il vomit, mais alors, il vomit grave, toutes ses tripes, beuââârk, et il vomit quoi ? Il vomit un doigt humain. T’imagines ? C’est dégueu, non ? » Il est tout content, l’Olivier. Il a un spasme, il vomit un doigt dans sa tête.

Ah certes tu m’étonnes c’est dégueu, c’est baroque, c’est monstrueux, c’est surréaliste au sens premier, vomir un doigt c’est un peu comme trancher un oeil avec le fil d’un rasoir, c’est fort et brutal et onirique et inouï, mais ça n’est pas encore une histoire. Alors on se monte le bourrichon, on te l’invente l’histoire, on s’y met à deux, l’un surenchérit l’autre modère puis réciproquement, on tisse la trame, on ajoute des détails, ce sera un doigt féminin, avec un ongle manucuré rouge-rouge, et puis tiens, même, on lui enfile une alliance en argent, l’un a trouvé ça, immédiatement l’autre trouve pourquoi : c’est peut-être l’alliance l’élément indigeste, mais oui, tu penses, l’argent, on empile, on bouche les trous, ça y est, on y est, tout s’explique, on comprend ce qui s’est passé, et ça ne pouvait plus désormais se passer autrement, notre héros était obligé de finir par vomir un doigt le malheureux, c’était fatal, horrible et triste, sans rédemption.

Reste à écrire. Olivier écrit, me donne le texte. Je le désécris et le réécris, je vérifie la tenue générale par rapport au reste de l’ours, le lui rends, il commente, je remets une couche, on ajoute qui une angoisse qui une obsession, on en rit, et de fil en aiguille on a bouclé un chapitre. Le chapitre-clef où le vironsussi vomit un doigt. On passe au suivant, qui se situe bien très en amont dans l’intrigue. Justement, pour celui-ci j’ai une idée. À moi de servir. Je raconte à Olivier, un peu penché en avant, comploteur.

Dans quelques jours, je dirais, vu d’ici, deux ou trois semaines max, à force de chapitres nous aurons écrit un livre. Il nous faudra alors décider qu’en faire. Je me voyais lancer immédiatement sa production au Fond du tiroir, un bon gros pavé illustré avec, derrière son rabat arrière, un emplacement réservé pour insérer le CD de la bande originale… Mais là,  je redescends aussi sec sur terre parce que je me fais engueuler par madame la Présidente du Fond du tiroir : « Tu arrêtes un peu de fabriquer des nouveaux livres avant de vendre les précédents, le garage déborde de cartons, alors celui-ci, tu commences par le proposer à des éditeurs ! »

Bon, admettons. Je ne l’éditerai au FdT que lorsque ils l’auront tous refusé. On ne sait jamais, après tout. Je pourrais bien tomber sur un éditeur qui n’attendrait qu’une chose, publier un roman où l’on vomit un doigt.

Éloge de la série B

23/02/2013 Aucun commentaire

Ça y est : j’ai écrit et interprété une histoire d’épouvante. J’ai pris, à me transformer en monstre, un pied lui-même monstrueux. Je n’étais même pas sûr d’être capable de donner dans le genre fantastique, pour la bonne raison que je pâtis de mes études. J’ai l’impression de savoir comment ça marche, j’ai le citron farci d’éxégèse, de schémas narratifs, de structures quinaires, de Vladimir Propp, CLS et consorts, et toutes ces dissections théoriques, que je suis loin de renier, m’inhibent, brident fatalement l’imagination : au moment de bricoler ma terreur, ma malédiction, ma scène atroce où un pauvre type bascule dans la folie et libère la créature infernale en lui, je me dis oh la la j’ai déjà vu et lu ça douze mille fois, quel cliché, quelle pauvreté, le (vrai) démon de mon coeur s’appelle à-quoi-bon comme disait un écrivain qui justement a écrit quelque chose à propos de Satan, ton loup-garou est en carton-pâte, laisse tomber vieux, tu viens de réinventer l’eau tiède, tiens si tu allais plutôt faire un sudoku et boire une bière…

Je ne remercierai jamais assez Olivier Destéphany, co-auteur sur ce coup-là (en plus d’être compositeur) de m’avoir entraîné sur ce terrain. Nous l’avons faite, notre scène de transmutation, oh oui pas à moitié, et nous avons exulté. Le concert (orchestre à cordes dirigé par Christine Antoine) a été fabuleux et quant à moi, sans me vanter, humblement au contraire, je me suis montré à la hauteur du petit gars Stan, dans Jean Ier le Posthume : j’y ai cru, à mon conte fantastique, donc je l’ai fait croire.

Vive l’histoire qu’on raconte pour la joie de l’histoire. Vive la série B. Vive l’épouvante, vive le cauchemar et le frisson primitif, vive le premier degré et les EC comics, vive Roger Corman et les hurlements déchirants au plus noir de la nuit. Comme un conte, et d’ailleurs ce sont des contes, les histoires de genre sont à réinventer à chaque fois qu’un nouveau conteur les susurre ou les hurle à un nouvel auditeur. Les clichés n’existent pas, n’ont jamais existé, puisque l’émotion est neuve à chaque fois.

Vironsussi est un « travail en progression » comme on dit en anglais. La première phase s’est achevée, et a donné ceci. Reste à ne pas mollir, à concrétiser la suite, le livre avec Romain, le CD avec Olivier, etc. À suivre. (Ouah, rien que ça, À suivre, dans ces deux mots toute l’excitation du roman feuilleton…)

Sexe et violence

13/01/2013 Aucun commentaire

2013, retour aux fondamentaux : sexe et violence pour tout le monde, c’est ma tournée ! Pour mes deux premières apparitions publiques de l’année, je donnerai ici dans l’érotisme, et là dans le gore.

Sexe : le vendredi 25 janvier à 19h, j’inaugurerai le cycle Lectures clandestines au Lys noir, 1 rue des Clercs à Grenoble, où je procèderai à la lecture d’ABC Mademoiselle avec mademoiselle (il est désormais défendu de dire « mademoiselle » paraît-il, je m’en fous, j’aime ce mot, j’en ai même fait le titre d’un livre, alors je continuerai à m’en servir) Marilyne Mangione, qui expose pour l’occasion les originaux de l’ouvrage sur les murs de ladite échoppe. Dans la foulée je lirai, je crois, des poèmes et proses de mon érotomane préféré, Pierre Louÿs, que je puiserai dans des livres admirables et précieux tels que Les Chansons de Bilitis, Trois filles de leur mère, Douze douzains de dialogues, Manuel de civilité pour les petites filles et même, pour finir, car dans un coït le crescendo fait tout, l’hallucinant Pybrac. Ceci avec la complicité de mademoiselle Vanessa Curton et de mademoiselle Nathalie Tjernberg, et l’amicale participation du comédien Eric Trung Nguyen. Réservations au 06 10 02 67 57.

Violence : le mardi 19 février à 20h dans l’auditorium l’Odyssée d’Eybens, mon camarade et maître Olivier Destephany et moi-même exécuterons sauvagement la lecture musicale de Fais-moi peur saison 3, Du sang sur l’archet, avec le soutien de l’orchestre à cordes Les Aventuriers de l’archet perdu (direction Christine Antoine). Ou l’histoire sanguinolente mais bien sentie d’un pauvre contrebassiste qui se transforme en loup-garou en pleine représentation du Requiem de Mozart, mésaventure qui hélas arrive tous les jours, on ne le sait pas assez. L’affiche dans le plus pur style films-de-la-Hammer ci-dessus est signée Romain Sénéchal, avec qui je n’ai pas fini de travailler.

Je précise que ces deux happenings seront à entrée libre et but non lucratif. J’avais initialement songé à faire de 2013 l’année Sexe, violence et pognon, mais finalement c’eût été abuser de démagogie, le sexe et la violence sont encore meilleurs s’il s’agit d’actes gratuits, venez donc nombreux et sans votre carnet de chèques. Sauf si vous tenez à acheter des livres, bien sûr.