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Mais c’est que je n’ai rien à dire, moi…

06/11/2009 5 commentaires


TS, le livre malpoli qui vous montre son derrière
(Parfait, comme titre, pour une reprise de parole après un mois d’abstinence. Bien ! Où en étions-nous ?)

Série « Maintenant que j’ai dit oui il va bien falloir que j’y aille » , épisode 43.

Deux étudiants m’ont contacté au printemps dernier, me conviant à un débat sur l’adolescence qu’ils ont la charge d’organiser dans le cadre de leur projet tutoré. Je ne me sens pas spécialement spécialiste de la question, mais allez, bon, pourquoi pas, on verra bien ce qu’il se passe, et puis si ça peut vous rendre service, vos études, votre diplôme, tout ça, bonne chance les gars… Je vous le donne en mille : Maintenant que j’ai dit oui il va bien falloir que j’y aille.

Ils font de leur mieux, ces jeunes gens, ce qu’ils peuvent, mais il faut bien constater que la préparation de ce petit événement est un peu hasardeuse. C’est quoi, au juste, un débat sur l’adolescence ? C’est quoi, d’abord, l’adolescence ? Eh bien, on ne sait pas trop. Au moins connaît-on le lieu, la date (jeudi 12 novembre à 19h à la bibliothèque du centre ville de Grenoble) et les noms des intervenants : Christine Cannard, Thierry Ménissier, et mézigue.

Nous avons tous les trois prodigué des efforts pour soutenir le projet tutoré (ou pour tutorer le soutien projectile), et formulé des orientations précises à ces médiateurs débutants.

À ma gauche, Mme Cannard, du laboratoire de psychologie et de neurocognition de l’université Pierre-Mendès-France :

Au vu des derniers évènements autour de l'agression portée par des adolescents
sur d'autres adolescents ou sur les enseignants, je propose de débattre
sur cette problématique hautement médiatisée : adolescence et insécurité.
L'adolescence est menaçante, parce qu'elle correspond à l'émergence
des pulsions sexuelles et agressives sous une forme nouvelle.
Mais l'adolescence est menaçante à la fois pour l'adolescent lui-même
(ce qu'on oublie souvent) et son entourage (ce que l'on se contente trop
souvent de médiatiser).
Les « jeunes » sont-ils de plus en plus violents ?
Relation entre mesures de sureté et sentiment de sécurité.
Relation entre adolescence et violence
Relation entre processus d'individuation et société individualiste.
Relation entre estime de soi, rituels et initiatiques et prise de risque
etc.
Autant de questions qui peuvent confronter nos différentes approches
qui répondent à la demande des étudiants de débattre autour de problématiques
adolescentes et enfin qui peuvent permettre à la bibliothèque qui nous accueille
de "déballer" quelques livres...

À ma droite, M. Ménissier, maître de conférence en philosophie politique et chargé d’enseignement à l’Institut de sciences politiques de Grenoble :

En ce qui me concerne (philosophe politique et historien des idées), je voulais
privilégier un aspect des choses qui m'a toujours étonné : c'est en gros au
moment de la mise en oeuvre du Code civil - donc au moment où on demande aux
individus d'intégrer dans leurs conduites la notion de responsabilité devant
la loi, un système civique en somme fort contraignant se substituant au vieux
système religieux - que l'adolescence apparaît dans l'histoire de la psychologie,
et qu'elle se définit immédiatement comme une période de vacance, de flou dans
le rapport à la loi et quasiment comme une phase flottement du sujet. C'est de
plus le même auteur qui va porter les deux thèmes sur les fonds baptismaux, à
savoir Rousseau : auteur du Contrat social ET de l'Emile. Je voudrais donc,
ainsi que je l'avais dit, présenter rapidement ces idées en bénéficiant du recul
fourni par ma discipline, et en m'interrogeant sur la fonction sociale de ce
qu'on appelle "adolescence" - qui m'interroge aussi en tant que..."éleveur
d'enfants" (dans les deux sens du terme "élever", bien entendu).

Et moi, au milieu, heu… Fabrice Vigne, du Fond de son tiroir, enchanté. Eh bien quoi, moi ? Cessez de me regarder comme ça, vous m’intimidez… C’est que je n’ai rien à dire, moi… Surtout posé sur la même estrade que deux universitaires à la tête aussi bien faite, et pleine… J’ai creusé la mienne, de caboche, et j’ai proposé la contribution suivante :

Tout ceci me paraît fort intéressant, mais je ne me sens pas la moindre
compétence ni connaissance ni légitimité pour participer à ce débat, et je
serais peut-être plus à ma place dans le public qu'à la tribune. Ce n'est
pas de littérature, que nous allons débattre. Or la seule raison pour
laquelle j'ai été convié à ce débat, mon seul fait d'armes, est d'avoir
autrefois publié un roman (pour mémoire : TS, ed. l'Ampoule, 2003) qui
mettait en forme ce que j'ai senti, et non ce que j'ai compris, de
l'adolescence.
Sans vouloir péter plus haut que mon derrière, je me permets de faire
mienne cette phrase d'Ingmar Bergman : "Selon moi, la seule contribution
que l'artiste puisse apporter à un débat, c'est son oeuvre. Il me parait
indécent de me mêler à la conversation" (in "Chaque film est mon dernier film",
1959).
Donc, après avoir beaucoup réfléchi, voici ce que je vous propose : ma
contribution pourrait se borner à lire un extrait du livre en question.
Qu'en pensez-vous ?

Je n’ai pas eu de réponse. Nous en sommes là. Que va-t-il se passer jeudi prochain ? Peut-être quelque chose, peut-être rien.

« À quelque chose, malheur ! » Cette histoire m’aura permis de me replonger dans l’admirable texte de Bergman, dont je vous ressers une tranche, parce que je ne saurais mieux dire. Pas de copier-coller, je recopie à la main, le plaisir est pour moi. C’est le passage où Bergman expose ses fameux « Trois commandements ». Remplacez ci-dessous le terme film par livre ou par n’importe quel autre qui mérite que l’on se tienne debout, vous obtiendrez un dense noyau de morale esthétique, à la fois ambigüe et parfaite, minimale et universelle.

« Le premier commandement n’a pas l’air bien pénible, mais il n’en contient pas moins une morale très élevée. Le voici : Sois toujours intéressant. Cela veut dire que le public qui vient voir mon film et qui, par là même, me fait vivre, a le droit d’exiger de moi une sensation, une émotion, une joie, un renouveau de vitalité. J’ai le devoir de lui donner ce qu’il demande : c’est mon seul droit à l’existence.

Mais cela ne signifie pas que j’aie le droit de me prostituer, de n’importe quelle façon, car interviendrait alors mon second précepte : Agis toujours selon ta conscience d’artiste. Ce deuxième précepte est ambigu, puisque d’une part il m’impose de rejeter tout ce qui s’appelle vol, mensonge, luxure, meurtre et falsification, mais que d’autre part il me permet de falsifier, si ma falsification est artistiquement défendable, de mentir si le mensonge est plaisant, de tuer mon ami le plus intime ou moi-même ou qui que ce soit, si ce meurtre sert mon film, de me prostituer si cela me rapproche du but, et enfin de voler si je n’ai rien trouvé d’original (…).

Pour me fortifier et ne pas tomber dans tous les fossés, j’ai inscrit dans mon catéchisme un troisième précepte, consolant et savoureux : Chaque film est mon dernier film. On pourra l’interpréter comme un paradoxe amusant ou comme un aphorisme banal ou bien comme la constatation de la vanité universelle. Mais ce n’est pas ainsi que je l’entends. Ce précepte traduit pour moi une réalité vécue. »

Voilà. À bientôt, ami lecteur qui je l’espère viens ici parce que tu  me trouves intéressant, et qui en lisant mon dernier article parce que chaque article est mon dernier article, es en droit d’exiger de moi une sensation, une émotion, une joie, un renouveau de vitalité. Peut-être, mais peut-être pas, que la prochaine fois tu liras ici « Maintenant que j’ai dit oui il va bien falloir que j’y aille » , épisode 44 : le jeudi 26 novembre, à 16h45, je participerai au colloque « L’avenir du livre de jeunesse » à la BNF. J’y suis convié pour causer nouvelles technologies, pour évoquer ce que l’écriture numérique induit, permet, provoque (blog, auto-édition). C’est la première fois que je suis invité à m’exprimer publiquement en tant qu’ « éditeur » , et cela se passe à une journée d’étude consacrée à la littérature jeunesse… Je suppose qu’il me faudra commencer par préciser que le Fond du Tiroir ne publie pas (pas encore) de livres jeunesse… Que se passera-t-il ce jeudi-là ? Peut-être quelque chose, peut-être rien ? Ah, la vie est pleine de suspense, c’est sans doute pour cela que je ne sais pas dire non.

Demande à la poussière

22/07/2009 un commentaire

Baudoin le dit, qui ne se trompe jamais

Chacun pour soi fait son ménage de printemps en la saison qui lui revient, qui lui convient. Pour moi, c’était là, en plein été. Je viens de remuer la poussière, un bon mètre cube de paperasse, trois jours de nez qui coule, de yeux qui piquent, et de souvenirs qui valsent.

J’ai énormément jeté, il était temps. Pour l’essentiel, une masse d’archives liées à la vie de mes livres, coupures de presse caduques, programmes, affiches, articles divers. Jeter prend du temps, parce qu’on soupèse soigneusement chaque article avec son lot, plutôt son halo, d’évocation. Jeter le temps qui passe à la corbeille… Sacrilège, presque. Mais j’ai tenu bon : de l’air ! De la place ! Il est passé par ici, le Flux ? Il repassera par là !

Entre autre, je l’avoue avec une petite vergogne, j’ai jeté la quasi-totalité des hommages qui m’ont été offerts lors de mes rencontres scolaires depuis six ans, des travaux d’enfants, des bricolages de classes, des ateliers d’écritures d’ados. Particulièrement, une très jolie maquette en carton, qui m’avait été faite je crois en 2006 par une classe de 6e dans un bled du Nord Isère… Ingénieux quoiqu’encombrant, cette merveille de travail manuel reproduisait en 3D la première scène de Jean Ier le Posthume, l’immeuble avec mes personnages en maillots de bain sur le toit, le mélange onirique de HLM et de piscine municipale, et puis la petite place en vis à vis avec les balançoires… Très joli, vraiment délicate attention, mignon tout plein et minutieux, mais que voulez-vous, ça ramasse la poussière pendant trois ans, jusqu’à ce qu’un jour la poussière le ramasse.

Au terme du désherbage, j’ai cependant épargné deux documents, deux dessins dont la redécouverte m’a particulièrement ému. Clémence, sursis, purgatoire : je les jetterai plutôt lors de mon ménage d’été suivant, dans dix ans. En attendant je vous les reproduis ici, pour leur donner avant la corbeille une illusoire pérennité blogosphérique.

Document A :

Un enfant, dont la signature est illisible (peut-être un Julien qui aurait interverti ses deux dernières lettres ?) m’a portraituré d’après nature, je ne me souviens pas exactement où, mais il me semble que c’était à Apt parce que c’est l’un des rares endroits où j’ai pu rencontrer des petites classes, petites à mon échelle, des gentils CE2, CM1, moi qui ai davantage l’habitude des grands méchants lycéens. Eh bien, ce portrait me touche et me ravit à un point tel que je regrette de ne point lui ressembler. J’aimerais me recopier moi-même à son image, enjoué, aérien, et un peu magique avec des fleurs à la place des mains. Comment voudriez-vous que je jette ce dessin ? (Je n’ai pas jeté non plus un portrait qu’une collégienne de 5e m’avait offert à Annemasse.)

Dix doigts à la main droite, six à la gauche

Document B :

Celui-ci est de ma main. J’ai retrouvé un bloc-notes de l’an 2001. Ses pages, à petits carreaux, étaient couvertes de diverses sortes d’écritures, des compte-rendus de réunions ou de formations que je suivais alors, mais aussi des bribes de phrases, des dialogues, parfois des paragraphes entiers, que l’on peut retrouver, plus ou moins intacts, dans le corps de TS, ce roman qui, alors, s’intitulait Dans la cage. Ce voisinage en vrac de mots utiles et de mots nécessaires m’est coutumier… Ce qui l’est moins, c’est le dessin que j’ai griffonné dans la marge. À l’occasion, je dessine mes personnages… Juste pour les voir… Et là, oui, j’avais ressenti le besoin de me rendre compte, géométriquement, de la tête de ce jeune homme habillé en noir qui baisse le front, qui se creuse deux rides verticales sur la proue, et qui vous fixe par en-dessous. Revoir ce dessin, c’est revoir un certain nombre de choses et de rides intérieures.

Au dos du même feuillet : un poème, mirlitonnerie existentielle de la même époque, signée Galoube.

Ici ou là, un endroit

Un endroit, c’est autrui. Que dirait-on ensuite ?
Qu’on n’est pas géographe, et que tout bouge vite ?
L’endroit change de tête au gré des va-et-vient
Il est pourtant forclos : dans la seconde, il tient.
L’altérité réside, ou a légué ses traces.
L’emplacement lui-même est l’inconnu qui passe.

Le saviez-tu ? "TS" s'intitulait initialement "Les rides verticales" puis, un peu plus tard, "Dans la cage"

Je ne jette pas non plus ces yeux-là. Ils me regardent. Allez savoir pourquoi, je trouve que ces deux dessins vont parfaitement ensemble, ils se nuancent l’un l’autre, doux et dur, et doux, et dur.

Branleur

06/10/2008 4 commentaires

Comment ça, branleur ? Mais je bosse ! Je bosse beaucoup, figurez-vous ! Je viens de terminer un texte intitulé ABC Mademoiselle, destiné à accompagner le joli abécédaire gravé par Marilyne Mangione, que j’ai déjà évoqué ici. C’est bref, mais enlevé, joyeux, ludique, très innocemment érotique (trop mignon, au fond, pour combler l’une de mes ambitions à long terme : écrire un vrai roman pornographique). Il y est question d’un branleur, justement. Plus exactement, d’une branleuse. Voilà qui ne va rien faire pour améliorer ma vague réputation de chantre de l’onanisme, née de certain chapitre de TS et surtout du Produit de ses fouilles (comment ? il avoue, persiste, revendique ? et on remet des prix de littérature jeunesse à pareil pervers, à tel pourrisseur d’enfants ? Ma foi, pour le coup, je m’en branle. La masturbation rend sourd aux persifflages).

Marilyne et moi cherchons désormais un éditeur susceptible d’être charmé par cet objet sensible et délicat, j’ai fait quelques envois, pas beaucoup. Si personne n’en veut d’ici le printemps, je le ferai au Fond du tiroir, pardine. En attendant, les lettrines de Marilyne seront exposées dans une bibliothèque de Grenoble début 2009 (nous en reparlerons en temps utile), et il est question que je lise ce texte en public pour l’occasion. Je ne sais pas si j’oserai… Il faudrait plutôt une voix de fille (si jamais vous connaissez une jeune fille un peu comédienne qui serait tentée, envoyez-la moi)… Mais après tout pourquoi pas, je veux bien m’y coller… Encore du pain sur la planche ! Et on me traiterait de branleur ?

Bon. La masturbation est certes un sujet badin, et l’on pourrait multiplier à l’envi plaisanteries et calembours. Mais l’on pourrait aussi causer sérieusement, voire anxieusement. Suis-je vraiment un branleur ? Un velléitaire, je veux dire ? (« Je suis le pro de la crastination« , Loco Locass.) Mes livres commencés, vais-je un jour les finir ? Je bosse, oui ou zut ? J’avance, j’écris ? Autre chose que vaines blogueries et bricoles de circonstances, fussent-elles ravissantes ? Progressent-ils pour de vrai, mes chantiers ouverts il y a six mois ou huit ans ? Est-ce que j’oeuvre ?

La vérité, je le crains, est que je suis, cliniquement parlant, maniaco-dépressif. J’alterne des phases d’euphorie où je commence des choses qui s’annoncent tonitruantes, et de longues phases d’abattement où je ne termine pas, terrassé par la prise de conscience d’être un bon à rien. Que faire ? Je ne me soigne même pas. Les divers articles du présent blog donnent peut-être une image de désinvolture, d’assurance, d’aisance à la plume… Mon œil, oui ! Illusion d’optique ! Les moments vides existent aussi, et en plus grand nombre, simplement de ceux-là il n’y a pas matière à étalage on line. C’est donc très laborieusement, en doutant l’enfer, que je suis présentement en train de raturer et remâcher, de documenter et redéployer, mon paraît-il « prochain roman » que je souhaite, au contraire de sa conception, très léger et distrayant, et que je croyais, comme d’habitude, facile comme tout, rapide à faire – Jean II le Bon, séquelle. Deux ans que je suis dessus ! Deux ans que je me branle, oui !

Deux rêves de Mahler

04/10/2008 Aucun commentaire

La métamorphose

Je suis en voiture sur une autoroute. A contresens, malheureusement.
Quelques véhicules accidentés plus tard, je sors de l’autoroute.
Je gare ma voiture près d’un troupeau de vaches au pâturage.
A peine suis-je descendu que la voiture se transforme en vache.
Cette transformation me ravit. D’autant que la police doit déjà être à la recherche du véhicule fauteur d’accidents. Grâce à cette métamorphose, plus de traces.
Même la plaque minéralogique a complètement disparu.
Satisfait, je prends le chemin du retour. Cette infraction n’aura probablement pas de conséquences.
Arrivé chez moi, je constate, anéanti, que j’ai laissé mon carton à dessin sur le siège arrière
.

I dreamed of GIGER

A l’âge de 11 ans, j’ai vu à la télévision autrichienne un passage marquant du film « Alien ».
Comme chacun sait, l’Alien du film a été inventé par le créateur d’horreurs suisse H.R. Giger.
Ma relation personnelle à Giger devait en rester là.
Trente-cinq ans plus tard, je rêve que je suis à la recherche d’une chambre d’hôtel pour la nuit.
Le réceptionniste commence par me dire que l’hôtel est complet, mais…
« Un instant ! Il reste un lit inoccupé dans une chambre à deux lits. Mais n’ayez pas peur, dans l’autre lit dort le créateur d’horreurs H.R. Giger !
– OK, je prends. »
La chambre a l’air bien confortable.
« Regardez, il est couché là. Il est déjà mort et ne vous dérangera d’aucune manière… Je vous souhaite une agréable nuit. »
Giger, couché en position foetale, semble étrangement incrusté dans le lit.
Au milieu de la nuit, je vois Giger debout à la fenêtre en train de regarder la lune.
Puis Giger retourne se coucher.
Et il est de nouveau mort.

in L’Art sans madame Goldgruber, Nicolas Mahler, ed. L’association, coll. Eprouvette, 2008, pp. 57-60 (cf. aussi pp. 89-90 et 109.

En octobre 2002, je prends le TGV pour Paris, tout fébrile : ça y est, ça a marché, un éditeur a accepté mon premier roman, je monte signer un contrat dans la capitale, je fais mes débuts dans le monde. Je pénètre dans la carrière littéraire en même temps que dans le bureau du directeur de l’Ampoule, Christian Dubuis-Santini. Celui-ci me montre le livre sur lequel il travaille : « Voici la maquette de notre prochain, Les souffrances du jeune Frankenstein, de Mahler. Vous serez le suivant ».

Je signe mon contrat, je reprends le TGV, je rentre chez moi. Est-ce là tout ? Oui, c’est tout là. Je n’ai jamais revu ni Christian Dubuis-Santini ni les locaux de l’Ampoule ni la « carrière littéraire ». Dans l’année qui suit, j’achète l’intégralité du catalogue de l’Ampoule (où va se nicher l’esprit d’entreprise, n’est-ce pas), dont Le jeune Frankenstein, et ces achats seront désormais mes seuls contacts avec mon premier éditeur. Cette anecdote dérisoire, où la trivialité de l’existence emporte, sans méchanceté mais sans pitié, les rêveries juvéniles et les ambitions esthétiques, « makes me feel like in some stupid Mahler-comic » (op. cit., p. 86).

Je suis resté attentif à ce que publient (ailleurs, forcément) les auteurs de l’Ampoule virtuellement croisés à cette période. L’esprit d’entreprise a vécu, mais j’adore toujours Mahler. Son humour à froid, absurde, désabusé, « kaurismakien », son absence d’effet sinon l’obstination spartiate de son gaufrier minimaliste et de son long nez, me ravissent. Son dernier livre, sous-titré « Saillies » et composé d’humilations burlesques, de souvenirs tristement drôles puisés dans la vie artistique et sociale d’un auteur de bandes dessinées autrichien, contient notamment ces deux récits de rêves qui recoupent mes préoccupations du moment (dans mon Echoppe, bail à céder). Et j’ai mesuré, en les retranscrivant ici devant vos yeux mesdames et messieurs, combien je les amputais : la bande dessinée est un langage autonome et complexe (et, peut-être, plus approprié au rendu onirique que le seul texte nu), qui ne saurait se passer de son hémisphère gauche, les dessins. Vous savez ce qu’il vous reste à faire.

(Quoi, « vous savez ce qu’il vous reste à faire » ? On est censé se mettre à dessiner, c’est ça ?)

Volatil comme un rêve

02/09/2008 3 commentaires

« Nous avons tous du génie
dans la position horizontale
et les yeux clos »
André Hardellet, Lourdes, lentes…

One satisfied customer. Pendant l’été, la vente par correspondance continue. Un seul exemplaire de l’Echoppe m’a été commandé ce mois-ci (il m’en reste ! plein ! profitez-en ! n’hésitez pas !). Cette singularité n’a pas empêché, et a peut-être favorisé, une prise de contact directe puis une convivialité de type 2.0, c’est à dire une correspondance soutenue et blogoïde, avec le commanditaire, un certain Yves Mabon, animateur (auteur ? dit-on « auteur » pour un blog ou bien ce mot est-il trop sacré ?) d’un blog intitulé Lyvres.

Je reproduis ci-dessous cette correspondance, qui a essentiellement trait aux rêves, comme il se doit.

« Bonjour. Je viens de recevoir mon exemplaire à moi de L’échoppe enténébrée (tuyau piqué chez Sylire). Je n’ai encore lu que deux ou trois rêves, et bien qu’assez prosaïque, j’avoue y avoir pris un goût certain ! Assez amateur en général de livres sortant de l’ordinaire soit par l’histoire, soit par l’écriture, je pense être tombé sur un beau petit livre fait pour moi. Bonne continuation
Yves Mabon »

« Merci Yves, me voilà très touché (ma seule vente de livre de tout l’été, et elle fait mouche ! chic), et merci aussi à Sylire, par procuration. Je viens de fureter dans votre blog, du coup. Si je partage certains de vos enthousiasmes (ah ! Ali Farka Touré !), en revanche, je suis désolé que vous n’ayez pas goûté Casse-Pipe de Céline, livre avorté certes, mais quel vigoureux avorton ! Je l’ai lu autrefois, juste après mon service militaire, et il m’a vengé de bien des choses. Mais peut-être n’avez-vous pas fait l’armée ? Avec tous mes voeux de fertiles et cependant absconses rêveries,
Fabrice »

« Et pourtant si, je l’ai bien fait ce satané service militaire, contraint et forcé. J’ai trouvé la lecture de Casse pipe très difficile : tout ce qui était dialogue m’a fatigué, je n’ai pas apprécié. (J’aurais dû le lire moi aussi juste après cette sinistre période) Par contre, j’aimais bien la prose de Céline, de même que j’ai adoré Voyage au bout de la nuitMort à crédit. Je viens de finir votre échoppe d’une première lecture, histoire de savoir à quoi j’avais affaire. Dans l’ensemble, j’aime bien vos rêves : quelques uns sont très beaux ! (j’en ferai une petite critique sur mon blog). Je suis donc ravi par le livre, petit cadeau que
je me suis fait à moi-même. Je relirai plus lentement, peut-être juste un par soir, avant de dormir, histoire de faire venir mes propres rêves. Bonne continuation à vous
PS : du coup, je viens d’emprunter à la bibliothèque, TS d’un certain Fabrice Vigne. n’hésitez pas à revenir me voir. Puisque j’ai partagé vos rêves, je me permets de vous saluer amicalement,
Yves »

« Bon, puisque vous aimez Voyage au bout de la nuit, nous n’allons certainement pas nous fâcher. Céline est l’un de mes écrivains essentiels, l’un de ceux sans qui je n’écrirais pas moi-même, et je considère que beaucoup d’écrivains contemporains (je me compte dans le lot) ne sont à côté de lui que des petits garçons. Je ne me lasse jamais de « l’entendre parler » (puisque il disait écrire « comme on parle à l’oreille du lecteur »), y compris dans ses livres les plus mineurs, comme Casse-Pipe.
Merci pour votre critique de l’échoppe. Et puisque vous avez emprunté TS, je vous recommande de ne relire l’échoppe que lorsque vous aurez terminé l’autre, avec lequel il a quelques liens : le grand secret du livre rouge, c’est qu’il s’agit d’un journal occulte d’écriture du livre bleu, narrant épisode par épisode les effets de la conception de ce texte princeps, jusqu’à ceux de sa publication.
Le récit de rêve est un genre littéraire à part entière, et si cela vous intéresse, je vous recommande ceux de Perec, de Queneau, de Leiris, de Kerouac, de Michaux, par exemple. Moi, j’adore ça. C’est de la poésie brute, sans affectation. En bande dessinée, ceux de David B. ou JC Menu sont également très beaux.
Bien amicalement à vous, et bonne(s) lecture(s)
Fabrice »

« D’accord pour dire que beaucoup d’écrivains sont tout petits à côté de Céline et de son écriture si forte, toujours, à mon sens, sur le fil du rasoir, si près de passer dans le vulgaire, mais restant néanmoins du « bon côté » du rasoir. Sûrement ce qui en fait sa force. Pour Casse-pipe, j’ai senti qu’il avait franchi ce fil, mais cela reste mon interprétation personnelle.
Quant aux rêves, je ne savais pas que c’était un genre littéraire à part entière, et que Queneau (un des écrivains que je préfère) y avait participé. Je lirai sans doute, moi qui ne suis pas forcément amateur de poésie pure, mais qui aime bien les récits poétiques (comme votre échoppe) : je ne connais pas non plus cet aspect de Perec. Je n’ai pas encore osé m’aventurer dans Kerouac ni Michaux et ne connais pas Leiris, ni les auteurs de BD que vous citez. Que de belles découvertes en perspective !
Merci des conseils
Yves »

« Peut-être que Casse-Pipe est plus vulgaire que ses autres livres parce que la matière première (l’expérience militaire) l’était en proportion ?
En ce qui concerne les rêves de Queneau, voilà un cas intéressant. Il s’est entraîné, comme beaucoup de ses ex-camarades surréalistes, à rédiger ses rêves, mais il a aussi, et c’est plus original, concocté de FAUX rêves, rédigés à la manière onirique, retrouvant en plein jour l’énergie de l’imagination nocturne. Très curieux. On en trouve des échantillons recueillis dans le livre Contes et propos, si le coeur vous en dit…
Merci pour la causette, bonne journée…
Fabrice »

« En lisant votre mail, je me suis dit, bon sang, mais c’est bien sûr, je connais ce titre (Contes et propos) de Queneau. alors, je monte quatre à quatre les escaliers pour me retrouver devant ma bibliothèque, qui contient ce fameux opus. Honte sur moi d’avoir oublié cet ouvrage, lu il y a assez longtemps. Bien sûr, je l’ai ouvert, j’ai feuilleté la préface, signée… Michel Leiris. Et hop un bouquin et un auteur soit-disant inconnus qui me reviennent en pleine figure. Quelle aventure !
A bientôt
Yves »