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La BNF comme si j’y étais

11/06/2010 un commentaire

En novembre dernier, j’étais convié à colloquer en la BNF sur le thème « l’avenir du livre pour enfants ». Cette invitation était flatteuse, mais fort intimidante : je ne me sentais en aucun cas incarner l’avenir de quoi que ce soit, ni posséder de lumières inédites sur le sujet. Mais casse la tienne, je n’allais pas manquer cette occasion de monter à Paris exhiber mon Fond de tiroir à tous les passants.

Coup du sort ! Et de Roselyne Bachelot ! Quelques jours avant la date du colloque, la grippe A me tombe sur le râble. Je suis resté dans mon lit et l’avenir du livre pour enfants s’est discuté sans moi. Quel gâchis ! Alors que justement la fièvre me donnait d’intéressantes visions, susceptibles d’éclairer radicalement le livre pour enfants de l’avenir ! (Aux dernière nouvelles, l’avenir du livre pour enfants a les yeux rouges, une queue touffue, porte une livrée et un chapeau melon, et traverse des tunnels humides en donnant des petits coups de marteau sur une poêle à frire qu’il tient à bout de bras au-dessus de sa tête).

La professionnelle et opiniâtre Anne-Laure Cognet, organisatrice du raout et  interlocutrice de choix qui, par le passé, avait fort bien su me tirer les Giètes du nez, n’est pas du genre à se laisser impressionner par un virus cochon et mexicain. Elle me dit: « Tu n’étais pas à la tribune, tant pis, tu seras dans les actes du colloque. Envoie-moi s’il te plaît le texte de ta communication. Quelques pistes sur lesquelles je t’aurais peut-être interrogé :
– ton blog : quels liens et rapports entre l’écriture d’un blog et l’écriture de récits ? une écriture concurrentielle (parce que dévoratrice de temps) ou complémentaire / écriture « tout court » ? le blog comme vitrine promotionnelle, exercice de représentation, communauté de liens, parentés, filiations avec d’autres auteurs ? rôle social ou politique ?
– le Fond du tiroir : pourquoi ? en réponse à quels manques de l’édition jeunesse ? quelles satisfactions ? difficultés ?
– livre dématérialisé, livre numérique, livre hybride : quelles conséquences, quels désirs, quelles expériences ? inventions de forme ? mélange des genres, des médias ? une autre place pour la performance ? ».

Je me suis donc attelé à cet étrange exercice de rétro-anticipation : rédiger un discours afin qu’il soit prêt à être prononcé six mois plus tôt dans son contexte. On pourra lire ici mon intervention fantôme, version uncut, avant remontage pour publication dans les actes. Ce texte est davantage une mise au point opportune sur le Fond du tiroir sa vie son œuvre, qu’une pénétrante prospective en littérature jeunesse, mais je fais comme je peux.

Merci Anne-Laure. Protège-toi des virus.

Baw-waw !

18/03/2010 3 commentaires

Le salon du livre de Montreuil, capitale symbolique de la littérature de jeunesse en France, est en danger. Oh, pas le salon lui-même, qui, en tant qu’évènement commercial, en tant que foire-à-tout et à Martine, ne peut que perdurer en notre monde où la relation marchande devient la norme du lien social. Ce qui risque de disparaître, ce sont toutes les opérations qui entourent et donnent leur sens humain à ce salon – le travail des petites mains de Seine-Saint-Denis, qui depuis 25 ans fabriquent du lien entre les livres et les enfants. Pourquoi cet essentiel travail de fond est-il remis en question ? Parce que le Conseil Général du Neuf-Trois (de gauche, s’il vous plaît) coupe les vivres. Dans le même temps très exactement, Claude Bartolone, président dudit Conseil Général, pousse des cris indignés, et sans doute de bonne foi, pour alerter sur « la culture en danger ». Comme quoi ça ne serait pas sa faute, mais celle du gouvernement, qui sabre les finances des collectivités territoriales tout en leur déléguant davantage de compétences. Tiens, ça me rappelle un livre pour enfants, c’est dire si la littérature jeunesse nous donne des outils pour déchiffrer les enjeux de pouvoir…  Nous ne sommes pas dans le monde éthéré des purs esprits de la culture, mais dans celui, âpre et trivialement combattif, de la politique, sèn-sèn-dni-staïleDe la bombe, bébé.

J’ai posté un petit message de soutien sur le site « Le pouvoir des livres », dédié à la défense et à l’illustration de l’oeuvre de Montreuil et, ce faisant, j’ai parcouru les autres contributions. Je suis tombé en arrêt devant le dessin offert par Mario Ramos, que je reproduis ci-dessus… Au fond, c’est ce dessin que je voulais aujourd’hui placer devant vos yeux, relayer ici les misères de Montreuil n’étant qu’un beau prétexte (même si soutenir le salon ne peut pas faire de mal). J’admire énormément Mario Ramos, et je tiens son Quand j’étais petit pour l’un des plus beaux livres jeunesse du monde (par conséquent, l’un des plus beaux livres du monde).

Et ce dessin-là, quelle merveille ! Quelle simplicité, quelle profondeur ! Tout est dit là, que je vais cependant paraphraser, et mon exégèse sera forcément plus laborieuse qu’un trait de plume : la littérature sert à ceci, très exactement ceci, à ce qu’un chat puisse pleurer en lisant l’histoire d’un chien, puisque celui-ci et celui-là ont en commun, au-delà de toutes leurs différences, leur condition d’êtres humains (sic). Comme je l’ai raconté ailleurs, je me sens tel un chat qui aboie – je ne pouvais que me sentir viscéralement atteint par ce dessin. J’en ronronne et jappe.

Post-scriptum éphémère posé sur l’actualité : les trois prochains jours, le Fond du Tiroir (c’est à dire essentiellement moi-même, suppléé sur certaines plages par Madame la présidente de l’association FdT, et par Marilyne Mangione) tiendra dignement son stand sur un autre salon, le Printemps du livre de Grenoble, dont le visuel est éhontément pompé sur Impitoyable d’Eastwood mais sinon c’est bien.

Marronnier

14/09/2009 Aucun commentaire

And now, number one : the larch. And now, number one : the horse chestnut tree.

Jeudi 3 septembre 2009

Comme chaque année à date fixe, l’on peut lire ceci pour se remettre en train.

Ensuite, requinqué ou pas, l’on se penchera sur l’actualité, cyclique également. Car voici un autre marronnier, et plus sinistre, bois de menace, dévorante forêt : les expulsions se poursuivent au quotidien, dans notre beau pays la France, de misérables dépourvus de papiers. À peine le temps de signer une pétition, qu’un autre cas survient. Mais M. Eric Besson, excusez-du-peu ministredelimmigration- del’intégration- del’identiténationale- etdudéveloppementsolidaire (pour l’usage ici audacieux du vocable solidaire, cf. Debord, comme toujours), M. Besson donc, déclare ce matin à la radio : « Ah, non, je ne répondrai pas à votre question, je ne me ferai pas piéger, vous ne me ferez pas parler d’un cas particulier ». Ainsi les cas particuliers, c’est-à-dire les êtres humains, se noient en silence dans les statistiques, excellentes, qui démontrent l’efficacité des forces de police nationales.

Thierry Lenain, auteur avec Olivier Balez d’un admirable Moi, Dieu Merci, qui vit ici, s’est emparé d’un cas particulier. Celui d’un petit gars portant ce même nom, Chama Dieumerci, 6 ans, qui ces jours-ci tente de faire sa rentrée comme les autres enfants de 6 ans, malgré le risque d’expulsion immédiate pesant sur son père. Petit gars que Besson d’un revers de manche renvoie dans les statistiques.

Lenain adresse ceci à une liste d’auteurs dits jeunesse, dont je suis :

Bonjour,
La Cour d'appel de Paris a refusé hier de libérer le père de Chama Dieumerci.
Prochaine étape judiciaire : audience du Tribunal administratif de Cergy,
demain mercredi à 10h.
En attendant, je vous propose cette action :
Beaucoup d'entre vous à qui j'adresse ce mail ont au moins un livre jeunesse
sous la main. Parce que vous êtes auteurs, illustrateurs, libraires,
bibliothécaires, médiateurs, enseignants, parents...
Prenez ce livre. Imprimez et signez la lettre ci-jointe.

Monsieur le Préfet de Seine Saint-Denis,
Je voudrais aider M. ABEL GABRIEL à constituer la bibliothèque
de son fils, Chama Dieumerci. Mais je ne sais pas où le joindre. Aussi
je me permets de vous confier ce livre pour que vous le lui fassiez
remettre. Vous êtes en effet celui qui a entre ses mains la vie de ce
père et de cet enfant.
Je profite de cet envoi pour vous demander instamment et avec
confiance d'user de votre pouvoir discrétionnaire pour abroger
l'arrêté préfectoral de reconduite à la frontière de Mr ABEL GABRIEL,
pour prononcer sa régularisation et ainsi permettre à ce père et son
fils de 6 ans né en France de se retrouver et de vivre ici, en paix,
parmi nous.
Respectueuses salutations,
XXX

Préfecture
Monsieur MEDDAH Nacer
1 ESPLANADE JEAN MOULIN
93007 Bobigny Cedex.

Si vous avez envie de participer à cette action, ne vous demandez pas trop
si elle est vaine ou pas. Ne vous demandez pas trop si les autres vont le faire
ou pas. Et surtout, ne remettez pas cet envoi à demain, postez ces livres
DES AUJOURD'HUI.
Merci.

J’obtempère immédiatement, ravi d’accomplir un geste plus effectif qu’une pétition supplémentaire – et ma foi si c’est une illusion, ravi de l’illusion. J’envoie aux bons soins de M. le préfet un exemplaire de Jean Ier le Posthume, ce livre qui dit : les enfants vivent la vie que leur ont laissée leurs parents. Je me sens vaguement, très vaguement mais c’est déjà bien, plus efficace, plus à ma place, plus « cas particulier » que si je n’avais signé qu’une pétition de plus : j’ai offert un livre, j’ai offert un peu de langue française, cette langue que je partage avec Chama Dieumerci, j’ai constitué une bibliothèque comme un geste politique, j’ai en somme fourni des papiers. Voilà. La suite de l’histoire ici, mais surtout, en direct, sur ce site.

Post-scriptum I, 14 septembre 2009. Le père de Chama Dieumerci a été libéré la semaine dernière. L’arrêté de reconduite à la frontière a été abrogé (info confirmée) et Mr Abel Gabriel a rendez-vous à la préfecture pour un réexamen de son dossier. Mr Abel Gabriel et son fils vont enfin pouvoir entrer dans la légalité. Sur le site, Thierry Lenain invite à « aider financièrement ce père à sortir de la misère, à mettre en place les conditions de sa nouvelle vie et à se retrouver dans de bonnes conditions de recherche d’un travail » (les dons sont possibles en ligne).

Sur le « sujet », si l’on est capable d’utiliser un vocable aussi neutre, de l’indigne traque des sans-papiers, on peut aussi s’intéresser au travail de mon collègue de bureau (sic) Vincent Karle, qui a, comme Thierry Lenain, joint l’action militante toute crue à la littérature. Il a publié Un clandestin aux Paradis, remarquable petit roman de la collection « D’une seule voix » (Actes sud junior), et il a secouru une famille de clandestins, notamment en permettant la publication du témoignage rédigé par la fillette de la famille, Maroua, 11 ans : Il faut déménager, la police va venir nous chercher. Le thriller de l’année, que voulez-vous.

Post-scriptum II, 17 septembre 2009. Un communiqué signé Thierry Lenain :

Demande à la poussière

22/07/2009 un commentaire

Baudoin le dit, qui ne se trompe jamais

Chacun pour soi fait son ménage de printemps en la saison qui lui revient, qui lui convient. Pour moi, c’était là, en plein été. Je viens de remuer la poussière, un bon mètre cube de paperasse, trois jours de nez qui coule, de yeux qui piquent, et de souvenirs qui valsent.

J’ai énormément jeté, il était temps. Pour l’essentiel, une masse d’archives liées à la vie de mes livres, coupures de presse caduques, programmes, affiches, articles divers. Jeter prend du temps, parce qu’on soupèse soigneusement chaque article avec son lot, plutôt son halo, d’évocation. Jeter le temps qui passe à la corbeille… Sacrilège, presque. Mais j’ai tenu bon : de l’air ! De la place ! Il est passé par ici, le Flux ? Il repassera par là !

Entre autre, je l’avoue avec une petite vergogne, j’ai jeté la quasi-totalité des hommages qui m’ont été offerts lors de mes rencontres scolaires depuis six ans, des travaux d’enfants, des bricolages de classes, des ateliers d’écritures d’ados. Particulièrement, une très jolie maquette en carton, qui m’avait été faite je crois en 2006 par une classe de 6e dans un bled du Nord Isère… Ingénieux quoiqu’encombrant, cette merveille de travail manuel reproduisait en 3D la première scène de Jean Ier le Posthume, l’immeuble avec mes personnages en maillots de bain sur le toit, le mélange onirique de HLM et de piscine municipale, et puis la petite place en vis à vis avec les balançoires… Très joli, vraiment délicate attention, mignon tout plein et minutieux, mais que voulez-vous, ça ramasse la poussière pendant trois ans, jusqu’à ce qu’un jour la poussière le ramasse.

Au terme du désherbage, j’ai cependant épargné deux documents, deux dessins dont la redécouverte m’a particulièrement ému. Clémence, sursis, purgatoire : je les jetterai plutôt lors de mon ménage d’été suivant, dans dix ans. En attendant je vous les reproduis ici, pour leur donner avant la corbeille une illusoire pérennité blogosphérique.

Document A :

Un enfant, dont la signature est illisible (peut-être un Julien qui aurait interverti ses deux dernières lettres ?) m’a portraituré d’après nature, je ne me souviens pas exactement où, mais il me semble que c’était à Apt parce que c’est l’un des rares endroits où j’ai pu rencontrer des petites classes, petites à mon échelle, des gentils CE2, CM1, moi qui ai davantage l’habitude des grands méchants lycéens. Eh bien, ce portrait me touche et me ravit à un point tel que je regrette de ne point lui ressembler. J’aimerais me recopier moi-même à son image, enjoué, aérien, et un peu magique avec des fleurs à la place des mains. Comment voudriez-vous que je jette ce dessin ? (Je n’ai pas jeté non plus un portrait qu’une collégienne de 5e m’avait offert à Annemasse.)

Dix doigts à la main droite, six à la gauche

Document B :

Celui-ci est de ma main. J’ai retrouvé un bloc-notes de l’an 2001. Ses pages, à petits carreaux, étaient couvertes de diverses sortes d’écritures, des compte-rendus de réunions ou de formations que je suivais alors, mais aussi des bribes de phrases, des dialogues, parfois des paragraphes entiers, que l’on peut retrouver, plus ou moins intacts, dans le corps de TS, ce roman qui, alors, s’intitulait Dans la cage. Ce voisinage en vrac de mots utiles et de mots nécessaires m’est coutumier… Ce qui l’est moins, c’est le dessin que j’ai griffonné dans la marge. À l’occasion, je dessine mes personnages… Juste pour les voir… Et là, oui, j’avais ressenti le besoin de me rendre compte, géométriquement, de la tête de ce jeune homme habillé en noir qui baisse le front, qui se creuse deux rides verticales sur la proue, et qui vous fixe par en-dessous. Revoir ce dessin, c’est revoir un certain nombre de choses et de rides intérieures.

Au dos du même feuillet : un poème, mirlitonnerie existentielle de la même époque, signée Galoube.

Ici ou là, un endroit

Un endroit, c’est autrui. Que dirait-on ensuite ?
Qu’on n’est pas géographe, et que tout bouge vite ?
L’endroit change de tête au gré des va-et-vient
Il est pourtant forclos : dans la seconde, il tient.
L’altérité réside, ou a légué ses traces.
L’emplacement lui-même est l’inconnu qui passe.

Le saviez-tu ? "TS" s'intitulait initialement "Les rides verticales" puis, un peu plus tard, "Dans la cage"

Je ne jette pas non plus ces yeux-là. Ils me regardent. Allez savoir pourquoi, je trouve que ces deux dessins vont parfaitement ensemble, ils se nuancent l’un l’autre, doux et dur, et doux, et dur.

M le Menu

19/06/2009 un commentaire

portrait signé David Rault

JC Menu : voilà un homme.

Lorsque, pérorant à propos du FdT (l’un de mes sujets favoris), j’éprouve le besoin d’invoquer un auteur devenu éditeur par viscéral besoin d’émancipation, d’intégrité, de liberté, je cite volontiers Benoît Jacques ; mais en fin de compte, dans ce registre, le Menu est peut-être une figure tutélaire plus importante encore(1). Alors que Benoît Jacques n’édite que lui-même, cowboy solitaire, Menu a les épaules d’un porte-drapeau (c’est lourd un drapeau, il faut des épaules), et il a initié une émulation longue, large et profonde, une collective lame de fond où ont trouvé leur place quantité d’auteurs (parmi lesquels Benoît, d’ailleurs).

Évidemment, mon cas personnel s’inscrit plutôt, représentatif d’exclusivement moi-même au creux de mon Tiroir sur mesure, dans le sillage de Benoît… Et c’est pourquoi je le cite spontanément en tant que modèle… Cependant je revendique fermement l’influence de Menu.

Jean-Christophe Menu, homonyme sans parenté de la présidente du Fond du Tiroir, est pour mémoire le co-fondateur et principal animateur de l’Association, cette maison d’édition capitale, qui a montré par l’exemple et par la ténacité que les livres, les bandes dessinées en l’occurrence, pouvaient être autre chose que ce que l’on s’attend à ce qu’elles soient.

Voilà plus de vingt ans (oui : Meder, 1988) que je ne manque rien de son œuvre protéiforme, et même doublement protéiforme, c’est dire s’il y a de quoi manger : auteur passionnant (avez-vous lu le Livret de phamille ? Les Lock groove comix ? qu’attendez-vous, bon sang ?) et éditeur irremplaçable (les trois volumes de l’Eprouvette, quelle somme ! quelle corne d’abondance ! et l’OuBaPo ! et Lapin !). Au sein de sa bibliographie, je fais la fine bouche seulement devant les Plates-bandes, pomme de discorde certainement salutaire mais qui ne méritait peut-être pas un livre. Car Menu, en outre, est un graphiste qui soigne ses objets : le livre a de la valeur ; est une valeur. Je trouve qu’il y a dévaluation du livre avec les Plates-bandes, texte contingent, lisible mais pas relisible, bah, peu importe.

Un récent entretien paru sur le site du9 présente un Menu toujours aussi stimulant. C’est bien simple, l’écouter parler, moi, ça me donne envie d’en faire, des livres. Depuis vingt ans, presque.

Dans cet entretien on peut lire notamment ceci, position radicale, provocation primesautière, par conséquent vitamine pour l’esprit, que je me fais un plaisir de copiercoller, juste parce que ça faisait longtemps que je n’avais pas parlé de « littérature jeunesse » :

« L’Association n’a jamais fait de la jeunesse. Parce qu’on trouvait qu’il y avait plein de gens qui le faisaient déjà bien, et que faire une collection « jeunesse » à L’Association ça n’aurait pas eu de sens. On nous a souvent demandé pourquoi on ne l’avait jamais fait (…) Il y a déjà trop de choses à faire, il y a une sorte de sélection naturelle pour ce qui ne se fait pas. Et puis d’ailleurs je suis plutôt contre le fait de concevoir des livres réservés aux enfants. Ils n’ont qu’à tout lire !« 

(NB : lors d’une conversation avec Thierry Lenain, à propos du projet de ce dernier de créer une structure éditoriale « jeunesse » alternative, gérée par les auteurs eux-mêmes, je lui avais dit « Il faudrait pour cela une sorte de Menu… » Mais qui en aurait la carrure ? Thierry lui-même, c’est possible. Certainement pas moi !)

(1) – J’ajoute cette note parce qu’entre temps, un souvenir d’enfance m’est revenu… Un autre cas de bande dessinées éditées par l’auteur… Chez mes parents, quand j’étais petit, traînaient les volumes des Frustrés auto-édités par Claire Bretecher. Pourtant je savais (je m’intéressais déjà à ces choses) que Bretecher était éditée ailleurs, chez Dargaud… Sans aucun doute, l’exemple de Bretecher, auteur considérable qui choisit la voie de l’édition personnelle par souci d’indépendance, m’a également nourri.

PEEP-Show

19/05/2009 9 commentaires

serai-je tondu à la libération ?

Je travaille dans le camp d’en face. On m’a proposé, et voilà, j’ai dit oui. Eh bien, quoi ? Ne me regardez pas comme ça. Regardez plutôt Kouchner ! Il a bien fini par devenir ministre ! Et Besson, alors ! L’un de nos plus glorieux, la fierté du pays ! Brillant avenir, le gars Besson ! Le retournement de veste est dans le vent. Et attention, l’on n’appelle pas ça trahison, ni reniement, ni opportunisme, on appelle ça ouverture. C’est dire si « Dans la Société du Spectacle, quand une chose n’a pas changé, on lui donne un nouveau nom ; quand une chose a profondément changé, on lui conserve le même nom, ainsi une pomme, un steak, un diplôme. » (Guy Debord)

Ceci pour vous avouer que moi, qui serait plutôt FCPE, voyez le genre, ces temps-ci, je travaille main dans la main avec la PEEP. Oh, ça va, hein, lâchez-moi l’éthique. Allez plutôt faire la morale à Besson. Moi, je ne suis pas nuisible. Je ne suis pas ministre.

Il se trouve que la PEEP de l’Isère m’a proposé de parrainer un joli projet, le Prix du jeune lecteur, alors que la FCPE ne m’a rien demandé du tout… D’abord, je vous le fais remarquer en passant, un livre ouvert orne du logo de la PEEP , pas celui de la FCPE… Et en outre, comme on le sait depuis que le chanteur l’a dit, « fils de la PEEP ou fils de la FCPE, tous les enfants sont comme le tien« … Mais surtout, si le sujet vous intéresse plus loin que mes fausses pudeurs, je vous recommande la lecture attentive de ce forum, émaillé d’édifiantes anecdotes, consacré aux différences entre les deux fédérations de parents d’élèves. Ensuite, vous pourrez revenir me lire vous narrer mes humeurs.

Vous êtes revenus ? Alors sachez que j’ai passé deux heures ce matin dans les locaux de la PEEP de Grenoble, dédicaçant à la chaîne 86 exemplaires de Jean Ier le Posthume roman historique. Ces ouvrages seront offerts, le samedi 6 juin après-midi, lors d’une cérémonie à la Préfecture de Grenoble (qu’est-ce que vous croyez, j’ai des entrées, à présent que je sais choisir mes vrais amis), en guise de récompense à 86 enfants, critiques en herbe, élèves de CM1, CM2 ou 6e, ayant pris la peine de rédiger un texte pour expliquer pourquoi ils aimaient un livre, celui-ci plutôt qu’un autre. J’ai lu quelques uns de leurs textes… parfois touchants pour de bon… lorsqu’ils parviennent à se dégager de la gangue scolaire, des formules attendues, et qu’ils effleurent quelque chose de vital, à la frontière entre leur livre élu et leur sensibilité en formation. Comme des grands. Comme des vrais. Ils touchent le rapport au monde et à eux-mêmes dans les livres. Ils ne l’ont pas volé leur Posthume dédicacé.

Je ne me sens pas viscéralement « auteur jeunesse », je l’ai dit, je n’ai pas systématiquement envie de me revendiquer tel (sauf bien sûr lorsqu’on me prend pour un « auteur adulte », ou qu’on fait mine de mépriser en ma présence la littérature jeunesse)… Mais, au delà de mon statut dont tout le monde se fout et moi aussi un peu, je suis persuadé qu’il faut tout miser sur la jeunesse, et précisément sur l’éducation, rigoureusement tout. La littérature aussi, pourquoi pas., allez hop, dans la balance. Lire, faire lire, oui, je veux bien me faire instrumentaliser par la PEEP, un samedi après-midi à la Préfecture, je veux bien me présenter comme « auteur jeunesse », si c’est pour la bonne cause, si c’est pour l’éducation de la marmaille. Voilà une authentique conviction de gauche, messieurs-dames.

Quis custodiet ipsos custodes ? (Watchmen ou l’adieu à l’adolescence)

20/03/2009 2 commentaires

Splendeurs et misères de la culture populaire

Il semble que le film Watchmen (Zack Snyder, 2009) soit un bide, finalement. Tant mieux. En tout cas, moi non plus, je n’irai pas le voir.

Watchmen, d’Alan Moore et Dave Gibbons, est un livre parfait. La notion de « livre parfait » est naturellement sujette à caution ; je ne l’utilise que pour les besoins de la démonstration : une œuvre qui a trouvé sa forme idéale (en l’occurrence : une bande dessinée) ne peut pas avoir d’intérêt transposée dans une autre forme d’expression.  Un tableau parfait n’a nul besoin d’être transposé en musique. Hitchcock disait quelque chose comme : « On me conseille de temps en temps d’adapter Crime et châtiment de Dostoïevski… On me dit que c’est un livre pour moi… Voilà une erreur grossière. Si l’on veut faire un mauvais film, certes il faut adapter un bon livre. Mais si l’on veut faire un bon film, il faut adapter un mauvais livre… Prenez Psychose… »

Eh bien, ce qui vaut pour Dostoïevski, sans déconner, vaut pour Alan Moore. Permettez que je développe. Vous avez un peu de temps ? Le temps. Tout est là. Le mot Watchmen est traduit par « Gardiens ». C’est tellement évident qu’on en oublierait l’ambigüité apportée en douce par le second sens. Les Hommes-montres. Précédés, selon l’histoire, par les Hommes-minutes (Minutemen). Tic, tac.

J’ai lu pour la première fois Watchmen (dans la traduction de J.-P. Manchette, qui n’est plus celle que l’on trouve en librairie) en 1987, à l’âge de 18 ans. L’impact de ce maître-livre sur moi fut gigantesque, et ne s’est guère résorbé. C’était l’âge où mon goût se formait, où mon relief intérieur s’agençait à coups de  révélations littéraires : Dostoïevski justement, ou Céline, Kafka, Perec, Flaubert, Borges… Tous ceux-là  qui simultanément racontent de sacrées bonnes histoires et délivrent un geste esthétique ; ceux qui parlent du monde en même temps que de leur art ; ceux qui me nourriront à vie.

Alan Moore me nourrira à vie. À l’égal des écrivains précités, j’ai tenté de lire, après l’initiale illumination, et méthodiquement, tout ce qu’il a écrit. Inévitablement, certains aspects de mes propres livres sont influencés par Moore – thématiquement peut-être (l’ancrage dans le temps, la perplexité et la tentation de l’anarchie face aux images du pouvoir), mais formellement à coup sûr (le soin apporté à la structure globale, mettant en forme un sens qui est, ou bien qui n’est pas, celui du détail particulier ; l’itération dudit détail, qui modifie sensiblement le regard qu’on lui porte…).

L’œuvre d’Alan Moore me fascine à un point tel que j’ai même entrepris il y a environ trois ans de, ah, non, c’est vrai, j’ai promis que je ne parlerai plus de ça, c’est trop pénible.

Bref.

Voilà qu’on adapte Watchmen au cinéma. Pourquoi ? Parce que les films de super-héros, c’est cool, en ce moment. C’est sympa, en plus d’être possible numériquement. Et ça rapporte. Cependant il semble que le film Watchmen soit un bide. Au cul, le cool et le sympa. Bof. Tant mieux.

Je lis aujourd’hui une interview de Moore, très sévère, dans Technikart, dont voici un extrait :

« Je ne sais même pas si j’ai un exemplaire de Watchmen à la maison, je ne peux plus regarder cet album, il y a trop de mauvais souvenirs associés à cela. C’était la culture des années 80, nous sommes en 2009… Ça en dit long sur la pauvreté de la culture populaire actuelle. J’espérais que Watchmen allait ouvrir les portes et encourager les créateurs à concevoir des idées et des manières originales de raconter. C’est l’inverse qui s’est produit. (…) Depuis Watchmen, je ne pense pas que ce soit les comics qui ont gagné en maturité, c’est plutôt la société qui a régressé en s’infantilisant. Les lecteurs de comics, en deux générations, sont passés de la tranche 7-12 ans, à 12-18 ans, à une petite quarantaine. Nous voulions faire en sorte que les comics ne soient plus seulement pour les gosses… résultat, ils sont lus (et vus au cinéma) par les adultes qui ont refusé de grandir. (…) Vous savez, je n’ai vu aucun des films consacrés aux superhéros. L’idée me paraît ridicule et infantile. Je suis un adulte, pourquoi voudrais-je voir des fantaisies adolescentes telles que Batman ? Au niveau créatif, c’est pire. Les artistes pop d’aujourd’hui sont en état de choc créatif. C’est l’inertie totale. Prenons la misérable adaptation du Spirit par Frank Miller : dès que j’ai entendu parler du projet, j’étais incrédule. Ces gens ont-ils seulement compris le sens du Spirit ? Le Spirit n’est pas une série sur un ennemi du crime qui se bat dans un monde noir et graveleux à la Sin City. Le Spirit, c’est une disposition de cases sur une page. Will Eisner changeait le support et le langage des comics… Il n’y a rien à tirer d’une adaptation cinématographique, qui ne peut que passer à côté de la poésie d’Eisner. (…) J’ai le plus grand mépris pour toute cette culture qui s’inspire des comics. »

Je trouve Alan Moore très en colère, et même un poil aigri, mais je comprends ce qu’il veut dire. Tout ça pour ça…  Cette déflagration il y a 25 ans pour assister, sur grand écran plutôt qu’en quadrichromie, à un repli névrotique dans les archaïsmes super-héroïques et le pop-corn…

Reprenons. Tic, tac. La grande affaire de Watchmen, c’est le mûrissement. L’affirmation que le temps passe. L’historicité. L’adolescence, si l’on veut trouver un autre synonyme significatif. Il se trouve que, pour ma génération, et peut-être pour elle seule parce que les aiguilles ont continué leur rotation (historicité dès le gimmick : le mouvement des aiguilles est l’emblème graphique de l’oeuvre), Watchmen a été très important : dans la seconde moitié des années 80, alors que nous sortions, à des vitesses variables, de l’adolescence, Watchmen nous donnait l’impression que la bande dessinée de super-héros (culture adolescente par excellence, dont je me suis gavé, ayant pour ainsi dire appris à lire dans Strange) mûrissait en même temps que nous. L’effet était saisissant : nous ne reniions pas nos lectures passées (tout n’est pas à jeter, loin de là, dans les stéréotypes super-héroïque… la bravoure chevaleresque, pour être candide, n’en est pas moins parfois admirable), mais nous les relativisions, nous comprenions par cette œuvre ambitieuse et complexe que la vie était (ou plutôt : serait) plus ambitieuse et complexe que ce qu’on avait cru – la scène page 16 du dernier épisode est ainsi une métonymie de toute la lecture du bouquin :

« – Veidt ! You Bastard ! If you’ve hurt her, I’ll…
– Oh, Daniel. Daniel, Daniel, Daniel… Please… Do grow up. »

Or, ce qui est frappant dans Watchmen, c’est qu’on n’y trouve pas un seul ado (à part le jeune noir à côté du kiosque à journaux, dont le seul rôle consiste à lire des comics !). Les personnages ont entre 40 ans (le second hibou bedonnant) et 80 (le premier hibou, vieillard sympathique qui vit sur son passé), ils ont des « midlife crisis », des problèmes d’âge mûr. Voilà (entre autre) ce qui était vraiment culotté : aucun ado-miroir tendu au lectorat adolescent, pourtant cœur de cible. Je me suis fait cette réflexion a posteriori, puisque il arrive que l’on me prenne pour un « écrivain pour ados »… La question s’est posée pour mes Giètes: suis-je, au fil de ma narration, obligé de placer stratégiquement un personnage ado pour aller à la pêche au lecteur ? Non, pas question ! Pour cela (mais pour vingt autres raisons) Watchmen reste un modèle de perfection narrative, sans concession. Il ne faut pas croire que les ados ont forcément besoin d’un miroir tendu pour entrer dans une histoire, pour la sentir, pour vibrer, et en retirer quelque chose. Il ne faut pas croire qu’ils vivent dans leur seul présent et que le seul moyen de les toucher est de leur parler de ce présent-là. Ces histoires d’adultes ont contribué à façonner l’ado que j’étais.

Et, comme je le disais, le geste esthétique combine l’histoire très bien ficelée, les personnages habités, ET le discours réflexif sur l’art en train d’advenir : oui, c’est surtout sur la forme que l’on assiste au mûrissement puisque, de la part d’Alan Moore, l’innovation iconoclaste a été d’insérer les personnages de super-héros dans une chronologie (historicité encore) : ils sont nés à une époque, ils ont vieilli à une autre, et ils meurent en une troisième – contrairement à Superman qui a le même âge depuis 1938, et Spiderman depuis 1962… mais le tic-tac est à l’œuvre dans le fond aussi. Toute l’intrigue de Watchmen tourne autour du vieillissement, du passage d’une époque à une autre, du parfum « Nostalgia » au parfum « Millenium », c’est à dire du repli sur le passé à l’ouverture sur l’avenir.

Seulement, chaque personnage est apte ou pas à mûrir, prêt ou non à passer un cap, et chacun accomplit ce passage à sa manière ; mais irréversiblement.

– Dr. Manhattan décide que les conneries humaines ça commence à faire, et s’exile sur Mars, qui est sa vraie place.
– Daniel et Laurie décident que les conneries super-héroïques ça commence à faire (mais seulement après un dernier exploit, le plus important de leur vie, parce que leur carrière héroïque, le dévouement, l’adrénaline, ça avait vraiment un sens), et mènent désormais une vie bourgeoise, rangée, ils auront sûrement des enfants.
– Adrian Veidt a reçu une leçon, et consacrera la prochaine partie de sa vie à méditer la moralité de la fable : « Rien n’est jamais fini » (historicité, toujours). Alors à quoi bon ?
– Rorschach, lui, est trop intransigeant, il est incapable d’évoluer, de s’adapter, de renaître autrement : c’est le seul dans l’histoire qui choisit la mort, et c’est là son passage de cap à lui.
– Et moi, lecteur, qui ai sacrément mûri au bout du livre, pour toutes ces raisons-là, face à tous ces destins d’adultes. Est-ce donc ça, mûrir ? Alors, qu’est-ce que je vais faire de ma vie, de mon miracle thermodynamique perso, moi ?

Dans l’une des plus belle pages du dernier chapitre, Dr. Manhattan passe silencieusement devant le couple Daniel/Laurie, nus, endormis l’un contre l’autre. Il a pour eux un sourire bienveillant et, peut-être, un peu mélancolique (s’il est encore capable de mélancolie). Ce sourire signifie « Aimez-vous les enfants, couchez ensemble, profitez-en, vous mourrez un jour, alors soyez vivants… Moi, je suis immortel, donc je ne suis pas non plus vivant… Je ne connaitrai pas cela, la chaleur d’un corps qui vieillit contre le mien… »

Eh bien cette morale tacite, « Vous savez que vous allez mourir, donc vivez votre vie, soyez vivants avant la mort », est une définition tout à fait recevable de la maturité, et vraiment cela n’a rien d’une farce, c’est même plutôt le seul antidote au nihilisme qui domine ce bouquin, le smiley sanglant. Cette fin est, du reste, exactement la même que dans Le septième sceau de Bergman : les deux seuls qui s’en sortent correctement à la fin du film sont le couple de jeunes comédiens, qui rayonnent de vie charnelle et qui grâce à cela échappent (provisoirement) à la mort, à la farce – car pour le coup, Le septième sceau, voilà encore une grosse farce bien tragique à propos de la fatalité des ravages du temps sur les hommes et les sociétés.

Le mûrissement, c’est la prise de conscience que l’on s’inscrit dans un processus temporel, que le temps passe, autant le redire simplement puisqu’on le vit simplement… Certes, après le mûrissement, viendra le pourrissement ! On le sait au moins en abstraction. Mais cette désillusion s’accompagne d’une lucidité qui est loin d’être un renoncement.

Car avant le pourissement, eh bien profitons du mûrissement. Y compris politiquement. Quis custodiet ipsos custodes ? C’est encore ce même thème de la maturité qui travaille la question de Juvénal choisie comme épigraphe de Watchmen. Qui garde nos gardiens ? Se poser cette question, sous quelque forme que ce soit (à qui obéissent nos parents ?), c’est grandir. L’adolescence s’emploie énormément à mettre en doute l’autorité (« le roi est nu ! »), tandis que la maturité consiste à devenir sa propre autorité – penser par soi-même, devenir son propre gardien. Mais qui est vraiment mature, y compris parmi les adultes ?

Ah là là, quel beau livre ! Plus j’y pense, moins j’ai envie d’aller voir le film !

Livre noir, cependant, memento mori. La brièveté de nos échéances y est inscrite dès la première page : « The end is nigh »… C’est curieux, d’ailleurs, parce que cette angoisse de la fin, de la fin des hommes et de la fin du monde, on pourrait croire que c’est l’un des aspects périmés de Watchmen, parce que c’est ancré dans le contexte de la guerre froide, quand LA bombe arriverait à minuit moins une poignée de minutes. Mais en fait non, ce n’est pas périmé, ça ne l’est plus, le catastrophisme millénariste revient en force aujourd’hui, sous d’autres formes que l’apocalypse nucléaire de la guerre froide : la planète se réchauffe, la crise mondiale (partout-partout) déglingue la géopolitique mondiale et les structures sociales… A nouveau, comme il y a 25 ans, the end is nigh.
C’est fâcheux.
Il paraît qu’Alan Moore ajoute sa voix de prophète à ceux qui croassent la fin du monde pour 2012, j’ai lu ça quelque part.
C’est bientôt la fin du monde alors que j’ai des plans, moi…
D’un autre côté, Moore prévoit la sortie de son prochain roman, Jerusalem, pour 2013, alors…

Dub

SP3C : un contrepoint

12/02/2009 5 commentaires

sp3c, sa jeunesse, sa littérature, son enthousiasme, sa fête, sa taxe professionnelle de l'AREVA

J’ai déclaré il y a quelques jours mon amour pour Saint-Paul-Trois-Châteaux, lieu magnifique d’une fête du livre réussie, euphorique, fertile, unique.

Beau paysage. Mais au fond du tableau, on aperçoit les cheminées du site nucléaire du Tricastin. On les voit, on traverse leur ombre, on les longe à l’allée comme au retour, et on peut les oublier, puisque c’est la fête. Or je ne les oublie pas une seconde car, vieille mentalité paysanne peut-être, j’aime savoir qui me paye. D’où vient l’argent ? De l’Areva, assez directement : si une aussi petite ville est capable d’organiser un aussi grand événement, c’est bien grâce à la taxe professionnelle pharaonique du nucléaire. L’énergie humaine de Saint-Paul ? Ah oui, bravo, merci, vous travaillez pour vos enfants, pour l’avenir, je viens travailler avec vous, hardi petit. Mais l’énergie produite ici pour de vrai, sans métaphore, dans les fils, dans les ampoules de la fête ? Quel avenir est ici travaillé, pendant que l’on raconte nos histoires aux enfants ? À quoi joue-t-on, les enfants ?

De quoi exactement suis-je complice quand, à l’entrée du chapiteau de la fête, le stand Areva distribue aux marmots des coloriages et des quizz, alors que j’ai dans un coin de la tête le dernier « incident », pas très vieux, septembre 2008, ou bien le scandale des déchets nucléaires jetés au bord de la route, alors que j’étouffe une sourde trouille, mais que tout compte fait je vais m’assoir à mon stand, et sourire et dédicacer ?…

J’aurais pu garder pour moi ces petits tiraillements, cette mauvaise conscience… Mais je reçois aujourd’hui le texte de Sarah Turquety, vigoureux, fier, qui incite à la prise de conscience collective. Texte de poète, c’est à dire qui sait mettre les mots d’une seule sur les pensées partagées. Non, je ne suis pas seul, et je ne garde rien pour moi. Je reproduis cette lettre ouverte avec l’accord de Sarah. Et maintenant, on fait quoi ?

A TOUS LES MILITANTS POUR LE LIVRE DE JEUNESSE

qui sont tout d’abord des militants pour l’Humanité

La fête du livre de Saint-Paul-Trois-Châteaux 2009

fut un beau moment de rencontres et d’échanges

avec tous ces bénévoles, une population venue en masse,

et Aréva.

Je rentre chez moi
et je reçois ce mail sur la prochaine émission de télévision
montrant les enfouiements illégaux de déchets nucléaires dans toute la France,

cette émission qui devrait être diffusée le 11 février sur France 3
et qui ne le sera peut-être pas car Aréva a saisi le CSA afin d’empêcher toute diffusion.

Je rentre chez moi
et je me rappelle ce reportage sur les mines d’uranium d’Aréva au nord du Mali

et l’exploitation des hommes, le pillage des ressources en eau, la sécheresse qui en découle.

Je rentre chez moi
et j’ai honte.

Ainsi je puis être adulte en 2009, parler de poésie
et penser participer à la construction d’un monde solidaire
dans lequel mes enfants pourront grandir
et en même temps accepter qu’un des groupes les plus pollueurs,
de ceux qui nous tuent (tout simplement : tuer)

diffuse sa propagande d’un monde idéal grâce au nucléaire

auprès d’enfants vivant près d’une centrale
qui a connu une grave fuite cet été même.

Je rentre chez moi.

Muette.

Mes mots n’ont aucune valeur. Ils sont vides. De mouvements.

Amour, solidarité, générosité, utopie.

Ainsi je puis avoir appris Tchernobyl et son impact, Hiroshima et la destruction totale

et accepter que l’on vante le nucléaire auprès d’enfants dans un lieu militant pour la lecture.

Je rentre chez moi

un mot en tête : compromis.

Je rentre chez moi
et je pense à nous tous, adultes présents à cette fête du livre,

auteurs, illustrateurs, plasticiens, instituteurs, bénévoles de tous bords, passionnés,

nous, passionnés, qui cloisonnant nos luttes, fermons les yeux,

tournons les regards, n’osons pas voir le mensonge et la manipulation.

Je suis rentrée chez moi

mais, pour autant, je ne resterai pas muette.

Car ma voix est celle de tous ceux qui

sont rentrés chez eux,

avec un regret, un élan noyé.

Car je sens que nous serions nombreux
à soutenir une transformation de cette magnifique aventure humaine
qu’est la fête du livre jeunesse de Saint-Paul-Trois-Chateaux.

Car je sens qu’aujourd’hui nous pouvons nous passer de restaurants chics, d’honneurs

pour nous sentir pleinement humains et pères et mères de nos enfants.

Car je fais confiance aux idéaux de chacune et chacun pour faire œuvre de sa conscience.

Utopistes, debout !

Sarah Turquety, poète


Saint-Paul-Trois-Histoires

02/02/2009 8 commentaires

Simple et subtil : signé Sara

Je rentre fourbu et bienheureux de mes cinq jours à Saint-Paul-Trois-Châteaux. Lors de ma première participation à SP3C, en 2006, j’avais conclu qu’il s’agissait du meilleur salon du livre du monde. Or j’avais une solide expérience qui autorisait les comparaisons : des salons du livres, j’en avais déjà faits au moins deux. SP3C m’a réinvité en 2009, et je suis ravi de constater qu’il s’agit toujours du meilleur salon du monde. Or je peux en parler avec autorité, car entre temps mon expérience n’a fait que croître : des salons, aujourd’hui, sans me vanter, j’en ai faits au moins huit.

SP3C a trouvé la formule magique, l’équilibre parfait. L’équilibre entre la fête et le sérieux (ah, être pris au sérieux, pour un écrivain « jeunesse », ça n’a pas de prix), entre les agapes où l’on est reçu comme un prince et les débats où l’on peut vraiment s’exprimer sur son travail (les gens écoutent ! c’est dingue !), entre les rencontres scolaires et les retrouvailles professionnelles, entre le commerce et l’échange l’humain (car l’on est en droit de coller une tarte à quiconque déclare ou seulement pense que l’un est réductible à l’autre), entre le cerveau et le cœur. Comme le dit Susie Morgenstern (ma voisine de stand –  j’avais du bol) : « Dans le milieu de la littérature jeunesse, lorsqu’on entend pour la première fois un auteur dire « Je suis invité à Saint-Paul-Trois-Châteaux », on répond : « C’est où ? »… Mais ensuite, une fois que l’on sait, on répond : « Veinard ! »

J’ai vécu ces jours auprès de personnes que j’aime et/ou que j’admire (et que même, parfois, je connais), Jeanne Benameur, Philippe-Jean Catinchi, Mathis, Sara, Susie Morgenstern, Kochka, Jean-Philippe Blondel, Bruno Heitz, Hubert Ben Kemoun, Lucie Land… et au fin tréfonds des choses et des illusions et des ambitions et des alouettes littéraires, je ne sache pas qu’il y ait mieux à espérer d’un salon ou de la vie, que de passer un peu de temps en compagnie de personnes que l’on aime et/ou que l’on admire (et que même, parfois, l’on connaît).

Pour remercier Saint-Paul depuis mon Tiroir en chambre d’écho, ci-dessous trois histoires que j’en ai retirées, en échange de celles que j’y ai laissées : élémentaire échantillon d’émotions advenues, sur place et à emporter. J’aurais pu en choisir trois autres, je n’avais que l’embarras, mais ce sont ces trois-là.

Un récit qu’on m’a offert ; un conte que j’ai choppé au vol ; et un morceau de vie qui m’est tombé sur le coin de la figure.

Première histoire

Le premier matin, après la nuit dans l’hôtel où je dormais assez mal (seule occasion dans ma vie de dormir jamais dans un hôtel quatre étoiles, et je dors mal ! quel snob je fais !) je pénètre chiffonné dans la salle du petit déjeuner. Je m’assoies à la table de Kochka, que j’ai déjà rencontrée ailleurs, qui me touche beaucoup par sa douceur et sa fragilité. Nous bavardons. Au fil du bavardage, surviennent des paroles tout sauf anodines : elle me parle de l’un de ses enfants, autiste. Les anecdotes qu’elle me tend me bouleversent par surprise. Celle-ci :

« Quand Mathieu était petit, il n’y avait que le bruit de la pluie qui le calmait. Alors, dans les moments de stress, il faisait la pluie : il attrapait tout ce qui lui tombait sous la main, le jetait en l’air, et le regardait tomber. Il le faisait très souvent dans sa classe. Sa maîtresse a fini par trouver comment réagir : elle a confectionné un « costume de ramasseur de pluie », ciré jaune et chapeau, qu’elle a attribué tour à tour aux élèves. Le ramasseur de pluie était chargé de tout remettre en ordre après l’averse… »

J’ai traversé toute la journée en résonance de ce récit du matin, qui m’avait donné le la. Tous les contacts humains qui ont suivi ont vibré à l’aune de cette exemplaire délicatesse. Y compris la grève nationale qui commençait de gronder, et les manifs partout dont nous entendions l’écho : savoir qu’une maîtresse aussi géniale existe, reprendre espoir grâce à elle dans le genre humain, et regarder le gouvernement laminer l’Education Nationale ?

Merci Kochka.

Deuxième histoire

L’un des invités de SP3C était le conteur libanais Jihad Darwiche. J’ai assisté au spectacle qu’il donnait en duo avec sa fille. Je me suis laissé bercer par leurs deux jolies voix, mais j’avoue que je n’ai pas reçu semblablement chacun de leurs contes, j’ai bien souvent décroché au cours de la soirée. J’ai retenu au moins, et je retiendrai longtemps je l’espère, cette histoire-ci, tellement simple et tellement sage :

Il était une fois un vieux derviche que tous ses disciples révéraient pour son calme, son détachement, et sa sérénité. Il ne haussait pas la voix, ne semblait jamais inquiet, et endurait les joies et les malheurs avec la même patience, comme s’il pesait de très haut, de très loin, l’importance et la futilité des choses et des existences.

Une famine survint, qui fit de nombreux morts ; le derviche resta serein. Un séisme survint, qui dévasta le pays ; le derviche resta serein. La guerre survint, qui déchira les hommes et les peuples ; le derviche resta serein.

Ses disciples interloqués cherchaient à pénétrer son secret : « Comment fais-tu, ô maître, pour conserver ton calme en toutes circonstances ? » Le derviche répondit : « Je puise mon calme dans ce qu’il y a entre les pages du Saint Coran ».

Les disciples, très impressionnés, tentèrent d’appliquer cette leçon à leur propre vie. Ils lirent et relirent leur Saint Coran, jusqu’à le savoir par cœur. Mais le jour où survint une nouvelle famine, un nouveau séisme ou une nouvelle guerre, cette leçon s’évanouit instantanément et les disciples s’abandonnèrent aux affres, aux angoisses, à la lutte, au désespoir. Le secret du derviche, qui demeurait inébranlable, leur échappait. Lisait-il le Saint Coran mieux que les autres mortels ?

Le jour où le sage derviche mourut, très vieux, très calme, et très serein, ses disciples le pleurèrent à chaudes larmes. Ils lui rendirent hommage, et voulurent, pour son enterrement, lire quelques pages du Saint Coran. Il s’emparèrent du Coran du derviche, l’ouvrirent, et il s’en échappa une fleur séchée, qu’autrefois sa bien-aimée lui avait offerte.

Merci Jihad.

Troisième histoire

Jeudi après-midi, la classe de CM2 que je rencontrais se trouvait à Malataverne, un village à 30 kms de Saint-Paul. La rencontre était consacrée à La Mèche, fait exceptionnel étant donné que ce livre est introuvable (la classe avait travaillé sur tirages papiers du PDF…), et cela me faisait grand plaisir, j’étais drôle, volubile, énergique, énergétique.
Fin de la séance, 16h30, sonnerie, heure des mamans, brouhaha… Une petite fille enjouée, épanouie, se lève pendant que les autres rangent leurs affaires, elle vient me voir et me dit : « Au fait, c’est moi qui vous remmène à Saint-Paul en voiture…
– Ah bon ? Tu as le permis ?
– Meuh non, c’est ma maman… (et elle rit). »
Je sors avec elle sur le trottoir. Sa mère est bien là. Elle pleure, consolée par des amies.
Je suis emmerdé. Je ne sais comment réagir. Je n’arrive pas à poser de questions, sinon un plat et décalé : « Ça va ?
– Qu’est-ce qu’il y a, maman ? Pourquoi tu pleures ?
– C’est rien, c’est rien… Alors, ça s’est bien passé avec l’auteur ?
– Oui mais quoi ? Qu’est-ce qu’il y a, maman ? C’est mamie, c’est ça ?
– Mais non, mais non, c’est rien, je te dirai… alors, ça va ? »
On s’installe dans la voiture, moi côté passager, la petite à l’arrière. La mère retient ses larmes. Chacun de nous attache sa ceinture.
« Mais dis-moi, maman ! C’est mamie ? Hein, c’est mamie ?
– Je te dirai. Alors cette rencontre ? Tu es contente ?
– Voui ! »
Je discute avec la gamine pour faire diversion.
« Dis-moi Harmony, est-ce qu’au moins, tu l’avais repéré, le message caché, dans la Mèche ?
– Ben non…
– Alors voilà : regarde, il est là.
– Wouah ! C’est drôlement bien ! La maîtresse l’avait même pas vu ! J’ai le droit de le dire à tout le monde ?
– Tu fais comme tu veux, Harmony. Le sujet de ce livre, c’est que quand on grandit, on est capable d’apprendre des choses. Après, on devient responsable de ces choses. Tu es grande, Harmony ! Débrouille-toi !
– D’accord… Je vais réfléchir… »
Et la mère, pendant ce temps, pleure au volant. Les larmes ont pris le dessus. Elle fixe la route. Je lui glisse : « Bon courage », j’ai envie de pleurer avec elle, à la place je ris avec la petite fille, c’est peut-être ce que j’ai de mieux à faire.
« Je crois comprendre que je tombe mal… Si vous ne vous sentiez pas de faire le voyage, vous auriez peut-être pu vous faire remplacer ?
– Non, non, je m’étais engagée à vous ramener, je le fais… Si le salon du livre tient debout, c’est grâce aux 80 bénévoles comme moi. Il faut savoir ce qu’on veut. Si personne ne se bouge, on ne fait plus rien pour les enfants. C’est important, les livres. »

Merci. Voilà. C’est important. Il faut bien que quelqu’un se bouge. Vive Saint-Paul-Trois-Châteaux, vivent les bénévoles, et les livres. Salut, bonne route et fraternité.

C’est Giorgio

17/01/2009 Aucun commentaire

La vedette trouvée par terre

Je ne passe pas la main à n’importe qui. Ma tournée Miss Rhône Alpes jeunesse s’achève, je me démaquille, je rends ma couronne, mon livre est désormais le livre de l’année dernière, et sic transit gloria mundi, comme on dit quand on picole, une flûte qui bulle dans la main et un petit four dans l’autre.

Le prix du livre Rhône-Alpes jeunesse 2009 est attribué à C’est Giorgio, de Corinne Lovera Vitali et Loren Capelli (ed. du Rouergue). En tant que lauréat 2008, je faisais partie du jury, et je me réjouis d’autant plus de la victoire du Giorgio que ma voix lui échut – du reste, si les débats furent contradictoires et parfois à la limite de la houle, le résultat est sans ambiguïté : le Giorgio l’a emporté dès le premier tour par 7 voix contre 2. Les trois autres livres finalistes (j’ignore si j’ai le droit de les citer en public ? Si vraiment cette information vous intéresse, envoyez-moi un mail en privé) s’en tirent avec les honneurs, chaque membre du jury s’empressant de souligner la très haute qualité globale du dernier carré.

Seulement voilà, le Giorgio constituait, sûrement, le plus grand choc, la plus grande évidence et cependant la plus grande singularité – paradoxe mystérieux qui fait durer les bons livres. Ce qui est fort, et beau, dans cet album, c’est la rencontre mots/images, le jeu, alors même que ni l’auteur ni l’illustratrice n’a rien renié de la radicalité de son mode d’expression personnel (poésie charnelle de Corinne, épure Bic de Loren). Remettre un prix à ce livre jeunesse si atypique, et malgré tout si simple (ben quoi ? c’est juste l’histoire d’une enfant qui trouve une espèce de nounours. C’est le sien.) me semble, à moi, tout naturel. Je tire ma révérence gratifié par ça aussi, sans déconner, le devoir accompli (ce qui n’empêche nullement les doutes : l’arrivé-second est un excellent livre, extrêmement différent) et je remercie les autres membres du jury pour nos conversations passionnées et respectueuses.

Tous mes chaleureux compliments et vœux de bonne année à Loren et Corinne. Telles que je les connais, elles dilapideront peut-être l’argent de ce prix, décerné en pleine lumière à un livre « grand public » (tout est relatif), à peaufiner dans l’ombre leurs créations  confidentielles (visitez donc le site de Corinne dont le nom est NON, tout est dit)… Comment mieux exprimer à quel point je me sens en affinité…