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Articles taggués ‘FV Live !’

Pas le même monde

10/10/2008 un commentaire

Mais je m’en contrefous, moi, de la crise boursière et bancaire partout-partout « sans précédent » ! Je n’ai pas de portefeuille d’actions, et si peu de chose sur mon livret A… Je pense à autre chose…

Allez savoir pourquoi je pense beaucoup à lui, en ce moment. Je repense à ce petit gars, lors d’une rencontre scolaire à Annemasse au printemps dernier, en 6e je crois, à la toute fin d’un marathon en collège, c’était ma neuvième classe de la journée, et loin d’être la moins stimulante. Une classe dite « difficile », un collège de banlieue dure (genre, comme au cinéma palmé d’or ces jours-ci), des mômes mal barrés dans la vie parce que typés dès l’origine, « ghettoïsés » et intériorisant la ghettoïsation, turbulents, tchatcheurs, non-lecteurs presque absolus, pour certains des bombes à retardement mais pour l’heure simplement des enfants, en 6e encore, sympathiques comme tout, rigolos, vivants.

Ce p’tit bonhomme, donc : vif, spontané, curieux, au premier rang du CDI, les yeux avides et la langue pendue. Il n’avait pas lu mon bouquin, il en avait seulement et lointainement entendu parler par sa prof, et cela ne l’empêchait en rien de poser plus de questions que tout le reste de sa classe, il s’intéressait énormément. Je retranscris ci-dessous trois de ses étranges interrogations, trois préoccupations sans aucun doute liées de façon subliminale, peut-être plus éclairantes pour moi que ne le furent pour lui mes réponses :

1) « Est-ce que Sarkozy, il connaît vos livres ?
– Euh… C’est extrêmement peu probable. Moi, je suis obligé de m’intéresser à lui, mais le contraire n’est pas vrai, il ne sait pas que j’existe. Sarkozy et moi vivons dans le même pays, mais pas dans le même monde [Note-de-bas-de-page en plein milieu de la page – Je réalise aujourd’hui, en consignant mes paroles, que je plagiais alors Bertrand Cantat qui évoqua en ces termes, lors du pince-fesses « Victoires de la musique 2002 », le PDG de Vivendi-Universal : « si nous sommes embarqués dans la même galère, nous ne sommes pas du même monde »]. Mais ta question m’étonne… C’est donc important, pour toi, que Sarkozy connaisse mes livres ? Ça changerait leur valeur ? En bien, ou en mal ? Dans quel monde vis-tu, toi, en ce cas ? Celui de Sarkozy ? Bling ? Bling ? »

Et j’ai enchaîné en racontant Diogène, histoire de n’être pas monté à Annemasse pour rien. « Diogène le cynique… Tu connais Sinik, le rappeur ? Bon, eh ben son pseudo arrive de là-bas, des cyniques, les philosophes malpolis de l’antiquité grecque. Diogène était l’un d’eux. Il vivait dans un tonneau, avec une lanterne. Alexandre le Grand, l’empereur, l’homme le plus puissant du monde, encore plus puissant que Sarkozy aujourd’hui, hein, avait entendu parler de la sagesse de Diogène, et il s’était dit que, stratégiquement, ça ne ferait pas de mal, vis à vis des medias de l’époque, si on le voyait fréquenter cette haute figure intellectuelle. Un beau matin il se pointe, enfariné et casqué, devant le tonneau de Diogène : « ô Diogène ! Qu’est-ce que je peux faire pour t’être agréable ? Tu veux que je fasse surveiller ta maison de campagne en Corse ? Tu veux un bouclier fiscal pour protéger ton capital ? Tu veux un poste de ministre d’ouverture ? Demande-moi ce que tu voudras, ô Diogène, et je t’exaucerai, car je peux tout. » Diogène a répondu : « Ce que tu peux faire pour moi ? T’écarter un peu, tu me caches le soleil. » Eh ben ça, tu vois, c’est la vraie classe. Le vrai cynisme, très différent de celui des rappeurs, matérialiste, arriviste, du bon côté du manche et par conséquent incomparable, en termes de liberté, à la vie dans un tonneau (356000 euros d’impôts impayés pour Doc Gynéco ? Combien diable a-t-il sur son livret A, celui-ci ? Ouh, comme il doit la surveiller de près, lui, la crise boursière…). Bref ! J’aimerais bien, mais je sais que l’occasion ne se présentera pas parce que médiatiquement je ne suis rien, pouvoir dire un truc pareil à Sarkozy : barre-toi, t’es tout petit, mais tu me fais de l’ombre quand même ».

[Autre note de bas de page – il m’est arrivé aussi d’évoquer, mais face à des plus grands, des lycéens, un autre épisode intéressant de la vie de Diogène : ses masturbations en public (encore la masturbation ? c’est une manie ! Un TOC ! Faut consulter, mon vieux !)]

2) « Vous êtes pour quelle équipe de foot ?
– Heu… Alors là, je sais que je vais te décevoir, mais je ne suis pour aucune équipe de foot. Le foot, en lui-même, m’indiffère, mais en revanche, les foules des stades qui hurlent « Vive l’équipe n°1 ! On va leur exploser la gueule à ces saligauds de l’équipe n°2 ! » [Encore une note de BdP : ici, c’est la première scène de Voyage au bout de la nuit que je suis en train de plagier] me dégoûtent. Je ne vois rien de plus dangereux ni de plus bête que les communautarismes, et je crois bien que le communautarisme du foot est le pire de tous, comme une inquiétante répétition générale. » [NdBdP : Car je suis, croyez bien que je le regrette, incapable de croire au foot en tant qu’utile et consensuel divertissement, qui émancipe et purge et unit, comme on le voit souvent quand on évoque la banlieue, comme on le voit par exemple à la fin du film palmé évoqué plus haut…] Autant, avec Sarkozy et Diogène, j’avais réussi à interloquer mon interlocuteur, et presque le convaincre, autant sur la question du foot j’ai pu mesurer que je baissais dans son estime à vue d’œil…

3) « Ah, et je voulais vous demander aussi… (il éprouve soudain un petit peu de gêne à formuler correctement…) Est-ce que vous avez une origine ?
– Heu… Une origine ? Qu’est-ce que tu entends par là ? (Je fais l’innocent, j’ai parfaitement compris.) Tout le monde a une origine, puisque tout le monde a un père et une mère.
– Non, mais je veux dire… Une vraie origine, je sais pas… Italienne, par exemple ? Vous ne seriez pas un peu italien ?
– Alors là, bravo, tu m’épates. Oui, j’ai une origine. Mon grand-père était italien. »
Le sourire que cet aveu m’a valu !
Et ainsi, grâce à mon « origine », grâce à mon statut de petit-fils d’immigrés, j’ai regagné in extremis auprès de lui quelques points que ma charge contre le football (et contre le communautarisme, c’était bien la peine) m’avait fait perdre.

Au charbon

09/09/2008 un commentaire

(Chevalet du puits de Susville, mines de La Mure)

Les affaires reprennent. Voici l’agenda de mes apparitions publiques de l’automne 2008.

Dimanche 14 septembre : festival Essayages, Les Vans.

Samedi 20 septembre de 10 à 13h : librairie Murmure des mots, Brignais.

Samedi 4 octobre : célébration des 30 ans de la librairie La Dérive, Grenoble. 15h, séance de dédicace à la Dérive ; 17h30 rencontre à la bibliothèque du Centre-Ville (en duo avec Jeanne Benameur).

Vendredi 17 octobre, 19h30 : Librairie nouvelle, Voiron.

Vendredi 7 novembre, 19h30 : Médiathèque de Tarentaize, Saint-Etienne.

Samedi 8 novembre, 16h : Librairie les Croquelinottes, Saint-Etienne.

Samedi 22, dimanche 23 novembre : salon Objectif lire, Pont-de-claix, avec lecture musicale des Giètes avec Christophe S. en clôture, le samedi 22 à 18h30.

Dimanche 30 novembre : salon Livres en Marches, Les Marches.

Dimanche 7 décembre : Fête du livre jeunesse, Brangues.

Quant à ce blog, après 12 articles successifs, il cesse sagement d’être quotidien pour redevenir hebdomadaire, ou mensuel, ou sporadique, selon les nécessités de l’actualité et de mon bon plaisir. Annuel, même, si j’ai envie.

Quelques traits de craie blanche sur un tableau noir

04/09/2008 un commentaire

Le festival Essayages, en Ardèche, où je me donnerai en spectacle le dimanche 14 septembre, m’a demandé un texte inédit pour son prospectus. J’ai écrit une bricole, un souvenir d’enfance très certainement reconstitué entre-temps, et plus ou moins en fraude, qui a très lointainement à voir avec les Giètes (puisque c’est pour ce livre-ci qu’on m’invite), et tout à voir avec le B.A.-BA de l’écriture. Voici ce texte.

Mon premier mot est un gros mot

La langue maternelle de ma grand-mère est une langue morte. Elle s’appelle : le patois matheysin. Ma grand-mère eut le temps de m’en apprendre quelques vocables choisis, comme « une babelle » ou « les giètes », ainsi que des comptines et jeux de doigts qu’enfant je ne distinguais pas de leurs équivalents français : pour un enfant, il n’y a pas de langue étrangère. Je me souviens d’une chansonnette, « Le coucou faï so nid di n’herba, le coucou faï so nid pratout », dont j’ai retenu la morale : le coucou est un oiseau sournois, qui ne se gêne pas pour occuper le nid construit par autrui. Cette leçon d’histoire naturelle, à l’âge de 4 ou 5 ans, eut sur moi un prolongement inattendu quoique déterminant, puisque je me suis mis à écrire.

Dans la chambre que je partageais avec mon frère, un tableau noir en ardoise, sur chevalet, portait en frise l’alphabet, en deux séries de lettres, majuscules et minuscules. En l’observant, en le recopiant, en jouant, en imitant mon frère, en mélangeant, en inventant, j’ai appris à lire seul face à ce tableau, avant l’âge légal. J’ai des souvenirs flous, bien sûr, de cet épisode glorieux de la légende familiale, mais je me souviens très bien comment Je recopiais à la craie divers mots vus régulièrement, en commençant par « FIN », que j’avais repéré sur tant de génériques, que j’aimais énormément et que j’inscrivais partout (voilà qui est amusant pour une inauguration de pratique d’écriture : FIN). J’aimais tout autant son palindrome, « NIF », que je dessinais-scripturais partout également, peu préoccupé par son absence de signification.

Après avoir suffisamment recopié des lettres, une fois bien intégré le maniement de ces outils de mise en forme du monde, je me suis mis à écrire des phrases de mon cru. Or, la première phrase « inédite » que j’ai élaborée, en gardant à l’esprit la comptine enseignée par ma grand-mère, et la duplicité de l’oiseau squatteur, fut : « Le coucou est un con ». J’avais deviné l’orthographe d’un mot que je n’avais jamais vu, et voilà que c’était un gros mot. Mes parents, ainsi que ma maîtresse, s’ébaubirent du prodige (que j’expliquai pourtant le plus facilement du monde : il suffisait d’associer le [k] de coucou et le [ɔ̃] de maison) mais s’embarrassèrent de la grossièreté. Pour ma part, je ne la voyais même pas : je continue de croire, longtemps après cette phrase liminaire, qu’il nous faut trouver les mots justes plutôt que les mots policés, et que la justesse passe, en cas de besoin, par la grossièreté des signes sur le tableau.

Finir entre quatre planches (ou alors dessus)

03/09/2008 un commentaire

Cette fois c’est officiel, puisque nous sommes à l’époque faste où les salles de spectacle écartent lascivement leurs rideaux pour présenter leur saison à tous les passants. Le théâtre lyonnais le Carré 30 donnera son adaptation de mes Giètes du 7 au 17 mai 2009. Me voilà, sinon impatient, du moins rudement curieux. Généralement, j’ai la vanité de tenir mes livres pour imprononçables par quiconque n’est pas moi, jusqu’à ce que je les entende dans d’autres voix, et alors, parfois, je dis « Pas mal ».

En attendant cette réincarnation des Giètes en d’autres gosiers, mon compère Christophe et moi continuons de faire vibrer ce texte en live. La plus récente représentation de notre lecture musicale eût lieu le mois dernier à Doucy-Combelouvière, station savoyarde. Avant le spectacle, et une fois le filage bouclé, j’avais l’après-midi à tuer. Je suis allé marcher trois ou quatre heures autour de la montagne, me perdre seul dans les bois et les chemins de randonnée – or, l’un s’appelait, signe du destin ou alors je n’y connais rien, « Chemin de la Gietaz ». Par conséquent, le soir, la lecture s’est fort bien déroulée – elle se déroule même de mieux en mieux à chaque fois que l’on se donne en spectacle, elle s’affine à chaque remise sur le métier, comme un manuscrit. J’adore pour ma part cette seconde vie du texte, me remettre ce bouquin sur la langue, l’état dans lequel ça me met, de quoi rire et pleurer, en cela aussi la même énergie que lorsque on écrit (sauf que c’est plus facile : le texte est déjà là), et j’ai fait rire et pleurer des gens dans l’assistance, mission accomplie.

Prochaine ville-étape de notre pestacle, qu’on se le dise : les Vans, festival Essayages, le 14 septembre.

Martigues (école publique, laïque et républicaine)

31/08/2008 2 commentaires

Quelques photos de mon passage dans des classes de 6e à Martigues en juin dernier. Le type en mauve, là, bossu, bancal, hirsute, dépenaillé, bourré de tics (et encore, on ne voit pas bien, ce sont des photos, pas des films), tentant devant un portrait de Marcel Pagnol d’intéresser des mômes qui ont plus de tchatche que lui, eh ben c’est moi.

Les coulisses de l’histoire : Paloma Karle, la professeur de français qui m’invitait, accomplissait sa dernière année, avec retraite à l’horizon de l’été. Elle voulait partir sur un joli projet, et le projet ce fut moi et mon petit Posthume, j’en suis très flatté. Je lui retourne très volontiers la politesse en lui rendant hommage : je reproduis ci-dessous le très émouvant discours qu’elle a prononcé, en tremblant paraît-il, lors de son pot de départ. Ce « dernier appel », cette évocation des absents, était au moins aussi forte que mes propres paroles à l’attention des présents. Je souhaite à Paloma une excellente non-rentrée 2008.

« Collège Marcel Pagnol
Martigues, le 27 juin 2008
J’ai fait mon premier appel un matin de septembre 1974 dans une classe du collège Jules Ferry de Briey, en Meurthe-et-Moselle. 34 ans, 2 collèges, 8 principaux, quelque 3000 élèves et 50 000 copies plus tard, me voici au moment de quitter le métier.
Le métier. Pas seulement une profession. Un ouvrage, tissé empiriquement au fil des années scolaires, et recommencé chaque automne, et jamais vraiment achevé. Au bout de tout ce temps, je me sens toujours intacte, neuve, naïve, et les limites de cet ouvrage me semblent toujours lointaines, voire inaccessibles.
Pourtant il faut partir. Je suis fatiguée, et je ne veux pas attendre et perdre le sentiment d’être encore et toujours une débutante. Je ne veux pas ne plus pouvoir supporter les enfants. Ils ont changé, j’ai vieilli. Je veux préserver ma relation avec mes élèves, qui fait de cette profession quelque chose de spécial : le métier.
Avant de quitter le collège j’ai envie de faire une dernière fois l’appel. Un appel particulier, pour convoquer dans mon souvenir, et peut-être aussi le vôtre, quelques élèves à la fois uniques et représentatifs de tous les autres, dont les visages, les regards, les éclats de rire, les yeux chagrins, la gentillesse, l’insolence, la provocation, la fragilité et la force m’ont habitée toutes ces années, et ne cesseront de m’habiter.
J’appelle donc, en commençant par mes élèves lorrains :
Frédérique Impennati
Fabrice Meddouri
Dolorès Weistroffer
Lysiane Frachini
Lisa Dautel
Éric Falzon
Sandrine Clavel
Rabah Mosbah
Olivier Bagarre
Jennifer Bono
Cathy Latorre
Chaaban Aboudou
Boris Krivokuka
Pauline Baptiste
Anissa Djedaï
Joëlle Esteves
Yann Kuentz
Malika Aouar
Sandrine Ponce
Marie-Philippe Paoli
Patricia Peter
Yann Rouby
Pierre Bousquet
Alain Verdier
Édouard Bochet
Pauline Tcheurehjian
Sarah Tajini
Loïc Barraud
Anaïs Saunier
Mathias Martin
Lydia Ouaret
Lydie Nocella
Marvyn Youcef
Nesrine Khalfaoui
Camille Lubrano
Pour terminer, je souhaite saluer et remercier tous ceux et celles avec qui j’ai travaillé dans la communauté éducative : personnels TOS, surveillants, secrétariat et intendance, CPE, infirmière, assistante sociale, COP, direction, et tous mes collègues de la SEGPA et du collège.
J’ai une pensée particulière pour mes jeunes collègues, avec qui j’ai aimé travailler et me battre. Leur tâche sera rude et je leur souhaite bon courage. Je veux leur dire aussi combien il est important et noble de défendre l’École publique, alors qu’elle n’a jamais subi d’attaques plus destructrices. Mais l’enjeu est de taille. Il en va de la démocratie, car il s’agit de permettre à tous les enfants de France, sans distinction d’origine géographique et sociale, l’accès à la connaissance, aux compétences, à l’épanouissement professionnel et personnel, à la vie sociale et citoyenne.
Que résiste et que dure l’École publique, laïque et républicaine !
Paloma Karle »

« Over and off »

01/07/2008 2 commentaires

Sauf accident, il n’y aura pas de nouvel article posté ici avant septembre. En attendant, L’Echoppe reste en vente, et je modèrerai et répondrai aux messages déposés, naturellement.

Pendant que le rideau tombe, quelques dernières nouvelles en vracance :

– Je viens de recevoir une proposition de madame Angela Sauvage-Sanna, qui souhaite monter une adaptation théâtrale des Giètes en mai 2009, au théâtre Carré 30 (Lyon). Je lui donne carte blanche, naturellement.

– Je viens de recevoir ce matin même un courrier du salon du livre des Marches (Savoie), adressé à Jean Vigne : « Nous avons bien reçu votre candidature et vous remercions de l’intérêt que vous portez à notre salon « Livres en marches ». Nous ne sommes malheureusement pas en mesure de répondre favorablement à votre demande et le regrettons vivement »… D’après l’omniscient oracle Google, un Jean Vigne écrit des livres fantastiques publiés chez Chloé des Lysses, il n’est pas loin de la Savoie, je déduis que ce courrier lui était destiné. En lisant le blog de mon homonyme, mon-semblable-mon-frère, je suis au regret de ne pas m’intéresser à sa littérature, pas ma tasse de thé du tout. Voilà qui rend modeste : mon blog a peu de chances d’être moins dérisoire que le sien, et je réalise fugacement à quel point tout ce que je peux écrire est fort peu susceptible d’intéresser quiconque tomberait par hasard sur les présentes anecdotes narcissiques. C’est bientôt la fin du monde, et nous cherchons désespérément à attirer l’attention avec nos blo-blogs ! Ah, rien de nouveau sous le soleil de la blogosphère ! Vanitas vanitatis, naturellement !

– Je viens de gougueuliser L’Echoppe (car je ne me contente pas de gougueuliser les auteurs presque-homonymes de romans fantastiques, j’avoue en outre la manie complaisante et masturbatoire d’auto-gougueulisation), et j’ai pu constater que le tout premier site proposé par l’Oracle est, comme autrefois pour les Giètes, le blog de Sylire. Je lui suis reconnaissant de sa fidélité, naturellement.

– Je viens d’apprendre que j’étais invité à la prochaine fête du livre de Saint-Paul Trois Châteaux (février 2009), dont l’invité d’honneur est ma bonne marraine, Jeanne Benameur. Je suis ravi, naturellement.

– Je viens d’avoir le détail des deux prochaines représentations de la lecture musicale des Giètes, donnée par Christophe S. et moi. La première aura lieu le lundi 18 août à Doucy-Combelouvière (Savoie) – désolé, ce n’est pas ouvert au public, ce sera une soirée privée à l’usage des stagiaires folkeux de Mustradem. La seconde aura lieu le dimanche 14 septembre au festival des Vans, fondé par Sébastien Joanniez. Si vous avez des idées d’endroits susceptibles d’accueillir procahinement ce petit spectacle, envoyez-les moi, naturellement.

– Je viens de me remettre à écrire, écrire pour de vrai je veux dire. Contrairement à ce que j’envisageais, ce n’est pas sur Jean II le Bon, mais sur l’Arbre et le bâton. [Ici figurait un lien vers un texte que je présentais comme un reportage burlesque impubliable. Printemps 2009 : je désactive le lien parce que finalement je vais le publier, elle est bonne, celle-là. Au Fond du Tiroir, naturellement.]

– Je viens de réaliser à quel point je pense en presque permanence à la fin du monde, sans déconner, ces jours-ci je pense à la fin du monde, en presque permanence. Je suis très profondément marqué par mes excellentes mauvaises lectures : un documentaire (L’humanité disparaitra, bon débarras ! d’Yves Paccalet) et un roman (La route de McCarthy, toujours elle). Et voilà, je pense à la fin du monde. L’arbre et le bâton, dont je vous causais à l’instant, est une petite fin du monde à sa manière, dans un supermarché. Hier j’ai fait les courses dans un supermarché, j’ai tout trouvé très cher et vu trop de rayons vides. Je me suis dit que ces deux signes étaient convergents, que la société d’abondance avait vécu. Aussi, j’ai pensé à la fin du monde, pour ainsi dire, naturellement.

– Je viens de pleurer toutes les larmes de mon corps en regardant la fin de Six feet under. Mon snobisme rechigne à admettre que la télévision, medium corrompu à visée essentiellement hypnotico-commerciale, euphorisant ou anesthésiant selon les besoins tout comme la chimie derrière les miroirs des salles de bain, on-off sur nos nerfs, est capable de chef d’oeuvre. Pourtant c’est un fait, Six feet under, le soap de la mort, est un superbe mega-mélo d’une cinquantaine d’heures, un intelligent tire-larme, si original et cependant si juste qu’on ne l’oublie pas. J’ai essuyé un deuil plutôt cruel, cette année. J’ai perdu la personne à qui j’ai dédié les Giètes. Et lors des formalités pour les obsèques, la seule chose amusante de la matinée aux pompes funèbres était que le croque-mort, suave, encravaté, habitant ses phrases toutes faites de compassion très professionnelle, ressemblait tellement à David Fisher que, pour me distraire les affects, je me suis demandé s’il n’était pas homosexuel. Ce deuil ne m’a rendu Six feet under ni plus aimable, ni plus repoussant. J’ai juste beaucoup pleuré à la fin du feuilleton. Ah, catharsis ! Naturellement.

– Je viens d’arrêter de fumer. Pas attendu la fin du monde. Cette fois c’est « définitif », naturellement.

– Je viens de lire un intéressant article intitulé Mille vrais fans qui expose puis critique la théorie très « web 2.0 » selon laquelle un artiste sans éditeur (sans « major », puisqu’il est essentiellement question de musique ici) mais avec un public de 1000 personnes seulement, est économiquement viable. Avec mes 87 Echoppes écoulées, j’en suis loin, naturellement.

– Je viens d’apprendre que le prix du baril de pétrole vient à nouveau de franchir un cap historique. (Ceci est une information à validité permanente, qui restera fraîche quel que soit le jour de l’été où vous lirez cette page. Très commode, naturellement.)

Voilà. Passez un bon été, je vous prie. Travaillez moins pour réfléchir plus, et aimez-vous les uns les autres afin d’éviter la fin du monde. (Ouais, c’est ça. Naturellement.)

Bilan moral et financier (et un peu écologique)

19/06/2008 4 commentaires

Le Fond du tiroir existe depuis trois mois. Dans un souci de transparence, voici quelques données de type « bilan et perspective » de ma petite entreprise. Et ceci au beau milieu du temps des catastrophes, de la globalisation des violences tribales, du fatal réchauffement de la planète, de l’obligation de résultats du Ministère de la Francisque et de l’Identité Nationale, de l’effondrement conjoint du moral des ménages et du pouvoir d’achat (car le moral est lié intrinsèquement au pouvoir d’achat : voilà où nous sommes rendus), des tensions internationales et de la blingblingation de la France, des communautarismes imbéciles, des mariages annulés parce que l’épouse n’était pas vierge, des ressentiments sociaux évacués dans l’Eurofoot (hélas la catharsis a fait pschittt ! les Français sont éliminés ! ah, les nuls ! il faut par conséquent trouver un exutoire d’urgence : je propose de les lyncher en place publique), des égoïsmes décomplexés, des individualismes forcenés, des mémoires effacées, des politiques de saccage culturel, et des Rafales vendus avec le sourire en Arabie Saoudite. Et qu’est-ce que je fais, moi, au beau milieu de ce temps ? Je redécore le fond de mon tiroir. Il y fait frais. Voici l’état des lieux.

1) Le blog. Je me serai bien amusé tout au long de ce printemps pourrave avec mon joujou, merci beaucoup (grand merci, au fait, à mon webmestre qui préfère demeurer anonyme, son nom de famille étant compromettant). Mais je vais très prochainement le mettre en veilleuse, pour ne le réouvrir que lorsque j’aurai écrit un livre. Je crois qu’au fond du fond, je préfère écrire des livres que des blogs.

2) Mes apparitions publiques. Elles se sont multipliées comme jamais cette année. Hé bien, pour être franc, c’est trop. Comme un blog, c’est excitant, un agenda rempli. Mais ce n’est pas ce qui va me permettre d’écrire ce que je cherche. Par conséquent, pédale douce. En ce qui concerne mes apparitions virtuelles : les polémiques continuent de faire rage (ou plutôt de faire enrager) au sujet de la « littérature ado », chez Blandine Longre ou chez Citrouille et son forum [NDLR : ce lien-ci est pour le moment invalide, Citrouille ayant préféré déconnecté son forum où les échanges s’étaient envenimés…], mais désormais je les lis en me retenant de participer (et pourtant, je suis parfois indigné !) ; et en ce qui concerne mes apparitions physiques : ma dernière prestation de la saison aura lieu ce samedi 21 juin, 18h, à Grignan, et ensuite basta, plus rien jusqu’à l’automne. Je vais disparaître un peu, et si tout va bien j’écrirai. Ou même si tout ne va pas bien. Over and off.

3) L’actualité éditoriale : c’est vrai, au fait, « Le fond du tiroir » est, faute de terme plus adéquat, un « éditeur ». Une structure est née, à seule fin de bricoler des livres désintéressés et intéressants. Un premier livre est paru. Tiré à 260 exemplaires, vendu à ce jour à 84 (il en reste 176, mesdames et messieurs !). Etant donné le prix de revient calculé d’après mes frais d’impression et de graphiste, je récupèrerai ma mise, et par conséquent serai en mesure de programmer une autre publication, lorsque j’en aurai vendu 230 : il me restera alors les 30 derniers pour faire du bénef (parce que je suis un vrai biznessman)… Sauf que ce sera moins de 30, finalement, parce que j’en ai donné quelques uns…

Cet opus vit sa vie et engendre des effets à sa mesure, qui est toute petite. Une conséquence notable, toutefois : c’est fou le nombre de gens qui viennent me raconter leurs rêves (de même qu’à l’époque de TS, ils venaient me raconter leur dictionnaire). J’aime beaucoup ça. Certains même m’avouent qu’ils ne se souvenaient jamais de leurs rêves avant d’avoir lu l’Echoppe, ce qui est trop flatteur pour ne pas être suspect. Si je n’avais que ça à faire, je construirais un blog sur le champ où tout un chacun serait invité à écrire son rêve de la nuit dernière (l’idée me paraît tellement bonne que je suis certain que cela existe déjà…).

L’Echoppe est née de cinq conditions propices : le soin, la joie, la liberté, la grâce (au sens de « gratis ») et plus que tout une déterminante complicité avec le Factotum de première classe du FdT, j’ai nommé Patrick Villecourt. Patrick s’est dépassé sur ce bouquin sui generis à la mine gracieuse, mystérieux, homogène et pourtant fourmillant. Je le lui ai déjà dit en privé, mais je le répète devant tout le monde (ça va ? tout le monde est là ? serrez-vous, au fond) : merci, vieux. Nous avons bien travaillé sur cette Echoppe, MAIS ! MAIS ! MAIS ! on va faire encore mieux la prochaine fois. Parlons peu mais parlons bien, parlons de littérature, et d’avenir : voici le programme de publication 2008-2009 du FdT.

L’Echoppe ne sera jamais réimprimée, quelle que soit la durée nécessaire à l’épuisement du stock. Le caractère évanescent de ce volume fugitif comme une volute participe de la beauté du geste.

– Le deuxième livre à paraître devrait s’intituler Le plus beau pays. Il s’agit d’un projet ancien, ressuscité sur le tard, parce que très beau tout compte fait : bref, le profil idéal pour surgir miraculeux, miraculé, estampillé « Fond du tiroir ». C’est un album pour enfants, dans un format cinémascope et en quadri s’il vous plait. On rêve tout haut, on l’imagine, on ne se refuse rien, on ne vous dit que ça… Le texte est provisoirement-définitivement achevé, mais en revanche Patrick a une masse de boulot à accomplir sur les illustrations, encore plus conséquente que pour l’Echoppe. Donc on peut annoncer sa sortie pour l’hiver prochain, mais seulement pour pouvoir la retarder quand on sera parvenu là.

– Le troisième livre serait La légende du monde. Pour celui-ci, c’est surtout à moi qu’il appartient de turbiner (quoique la mise en page, à nouveau confiée à l’indispensable Factotum, sera croquignolette). Il s’agit de mon projet en alexandrins, ma saga du quotidien, mon chantier à la fois le plus sublime et le plus dérisoire. Lui aussi, il ne pourrait trouver place nulle part ailleurs qu’au Fond du tiroir. J’en ai écrit environ 15%, par conséquent son achèvement n’est pas envisageable avant 2009.

– Je ne voulais éditer au Fond du tiroir que les manuscrits au fond de MON tiroir… Sauf si je trouvais un manuscrit meilleur que les miens. Or, je crois que j’en tiens un. J’ai sous le coude un excellent texte, et encore, excellent dans une version inachevée. Son auteur est prévenu : voilà un roman que j’aimerais éditer ; mais le choix lui appartient : soit il a pour son texte de grandes ambitions, et il le propose à Galligrasseuil, soit il adhère à la démarche FdT (Soin, joie, liberté, grâce et complicité : maison de qualité, fondée en 2008), et il recherche exclusivement l’élégance et la perfection du geste, pour une distribution éthérée et underground. Ceci dit, j’apprends, je progresse, je corrige, pour ce livre-ci je ne ferai pas comme pour l’Echoppe : je ferai un tirage suffisant pour pouvoir dégager une marge adéquate permettant un dépôt en librairie. (Je rappelle que l’Echoppe n’est pas vendue en librairie pour une raison simple : la marge des libraires, environ 30%, m’obligerait à leur vendre ce livre moins cher que ce qu’il m’a coûté).

– Entre temps (mais quand ?) le FdT sera, je le suppose, devenu une association pour accéder à un statut juridique et financier. Plus ça va, plus ça ressemblera à un vrai éditeur. Dingue, non ?

– Reste le cas, sensible, d’un de mes livres publié ailleurs, et épuisé. Je suis très indécis. Savoir ce livre indisponible me brise le coeur et les couilles (excusez mon français). Je ne crois pas que le FdT soit l’éditeur qui convienne à ce livre, qui mériterait une vraie distribution, mais peut-être que je pourrais au moins faire un tirage d’appoint, une grosse poignée d’exemplaires en attendant qu’il trouve un vrai éditeur, afin de vivoter en attendant. Quoiqu’il en soit je ne ferai rien sans l’avis du co-auteur, et bien sûr de l’actuel détenteur des droits.

Voilà ! Toutes ces ambitions doivent être nuancées par les finances. Contrairement à certains éditeurs intrépides et torpillés, je ne veux en aucun cas (EN, AUCUN, CAS) dépenser de l’argent que je n’ai pas. Or, sur ce splendide planning, je n’ai, en l’état actuel, les moyens de financer que la moitié d’un seul livre (Le plus beau pays, a priori). Pour les suivants, il faudra attendre que de l’argent rentre, afin de le faire sortir.

Par ailleurs, j’ai des projets pour d’autres éditeurs, bien sûr. Jean II le Bon, et peut-être L’arbre et le bâton pour Magnier, et, à plus court terme, le bref 1969 pour Pré carré.

Et pendant ce temps, la planète se réchauffe, le moral s’effondre, etc.

Et maintenant, mesdames et messieurs, j’administre la preuve

12/06/2008 3 commentaires

Ah, au fait, je ne vous ai pas raconté ma riche journée de présentation des Giètes, à Lyon, le mardi 20 mai.

J’ai d’abord rencontré des élèves de seconde du lycée Charles de Foucauld, dans la librairie « La marmite aux livres ». Ces jeunes filles et jeunes gens assis par terre étaient extrêmement réceptifs, comme en témoignent leurs compte-rendus. Ainsi la preuve est définitivement faite : Les Giètes est bel et bien un livre jeunesse.

Ensuite, le soir à la brune, Christophe Sacchettini à la flûte, aux percus et au psaltérion, et moi-même livre en main, avons redonné notre lecture musicale du même ouvrage (ah, qu’est-ce qu’on l’aime, notre petit spectacle ! on va le rejouer au moins deux fois, en Savoie en août, en Ardèche en septembre, et plus encore j’espère), dans le salon au parquet luisant et craquant d’un appartement cossu, meublé avec goût, ceci dans le cadre des « Mardis d’Isabelle ». Le public ce soir-là, bien élevé, assis dans de confortables fauteuils Voltaire, et offrant à la vue de qui déclame un âge moyen tout à fait respectable, en est ressorti charmé et conquis (sans me vanter, hein). Ainsi la preuve est définitivement faite : Les Giètes est bel et bien un livre adulte.

Nous y trouverons leur poussière (et la trace de leurs vertus)

10/06/2008 Aucun commentaire

Pour des raisons connues, je ne refuse jamais un service à l’Arald. De proposition en invitation, J’en viendrais presque à tenir un agenda mondain, moi qui suis fait pour les cocktails comme un pingouin pour la traversée du désert. Une petite signature dans une librairie ? Naturellement, allons-y, j’allais justement vous le proposer ! Et ne voudriez-vous pas faire partie du jury pour la prochaine attribution du prix du livre Rhône-Alpes jeunesse ? Mais comment donc, bien volontiers, me voici, par élémentaire gratitude autant que par curiosité.

Dernière offre impossible à refuser : on vient de m’inviter à donner une lecture à l’occasion de la sortie du livre Dans les pas des écrivains en Rhône-Alpes. Oh, mais naturellement, à votre service, tout le plaisir est pour moi. L’événement aura lieu, donc, lundi prochain 16 juin, à l’antenne régionale de Grenoble, 2 rue de la Poste. Le principe, c’est que des écrivains vivants rendent hommage à des écrivains morts, en lisant quelques pages que ces derniers (les derniers furent les premiers, comme on sait) ont consacré à la région Rhône-Alpes.

La liste des morts m’a été remise ; je ne connais pas celle des vivants, à part moi, mais je sais au moins qu’il y aura mon excellente camarade Elisabeth Combres.

Ce que je vais lire ? Je n’ai pas encore choisi. Je vais m’efforcer de contourner Stendhal. Sûrement Perec, comme de juste. Peut-être Giono. Peut-être Sade, pour rire. Peut-être Frédéric Dard. On va voir.

Bons baisers d’Annemasse

01/06/2008 4 commentaires

J’arrive.

J’achève mon mai surchargé, ma tournée VRP littéraire. Je défais mes valises, je recharge mes batteries, j’home sweet home.

Bilan chiffré de ma villégiature au Festival du livre jeunesse d’Annemasse : une semaine d’animations scolaires autour de mon petit Posthume à fond le planning (record absolu pour la journée du vendredi : j’ai fait face à 9 classes en cinq séances, de 8h du mat à 17h, puis table-ronde tout-public le soir, soit environ une dizaine d’heures debout sur le pont – j’explose les préconisations de la Charte allègrement, et de mon propre chef dois-je préciser afin de ne mettre personne en porte-à-faux), 28 classes au total, presque uniquement des 6e et des 5e, sauf des CM1-CM2 le dernier jour, soit un certain nombre d’occurrences de la question « Comment devient-on auteur » m’obligeant sans relâche à trouver des vérités au fond de mes variations, quelques 600 gamins, quelques adultes, des bibliothécaires très pros et charmantes (merci Nadine, Céline, Catherine, etceterine), des documentalistes désabusées, des libraires volubiles, des lecteurs, des non-lecteurs, des enfants épatés, des enfants blasés, de la pluie et du ciel gris et ensuite de la pluie, des tas de kilomètres en voiture pour passer d’un collège à l’autre (les lignes de crête et les paysages autour d’Annemasse sont superbes, alors que la ville est, au mieux, quelconque), quatre nuits d’hôtel et quatre jours de repas en cantine (beaucoup de frites, aucun fruit, le scorbut rôde), une dizaine d’auteurs alentour (collègues et parfois amis, salut Mathis), un débat ludique et étrange où les auteurs esquissent puis abandonnent une discussion sur la matière première des livres (des mots ? des idées ? des émotions ? qu’ai-je à dire là-dessus ? où suis-je ?), et durant lequel Bruno Gibert estime que ces questions sont mauvaises et que les seules correctes à lui poser seraient « Comment allez-vous ? Etes-vous heureux ? », enfin un salon sous chapiteau, presque dix livres vendus et dédicacés en quatre heures s’il vous plait – dont deux exemplaires de l’Echoppe.

Que dire ? J’aime et je sature, ces apparitions publiques m’usent et m’amusent, sont tout à la fois éreintantes et trop faciles. Je raconte aux enfants que ce que je voulais, moi, et dès longtemps, ce n’est pas « être auteur », mais « écrire », et que s’ils comprennent la nuance, ils ont saisi la moitié de ce que je peux leur apporter dans l’heure que nous passerons ensemble ; qu’écrire est difficile, qu’alors je suis tout seul avec mon stylo, ma cervelle et mes nerfs, et qu’il faut gratter et creuser et sculpter et fouailler et formuler et aboutir, et que c’est là l’enjeu, c’est là le but, c’est là l’envie viscérale, le risque de réussir ou échouer ; qu’en revanche « être auteur », c’est seulement ce que je suis en train de faire devant eux, mon show, pas désagréable, mais pas comparable, « être auteur » c’est juste être pris pour un auteur, fastoche, je ne suis pas très inquiet, j’y arriverai presque à coup sûr, même avec la neuvième classe de la journée. J’essaye de nouer un vrai contact à chaque fois, de ne pas me caricaturer, de ne pas réciter. Au bout de la semaine, forcément, c’est moins commode qu’au début.

« Etre auteur » est largement mieux payé qu’ « écrire ». C’est bizarre. Mais peut-être pas anormal, par les tristes temps qui courent.

Des anecdotes, des impressions ? Oui, bien sûr, plein.

Je cherche toujours à identifier, représentation après représentation, ce qui distingue une classe d’une autre, afin de n’avoir pas un souvenir unique, global et flou, qui me ferait croire qu »Annemasse c’est comme ceci » ou « comme cela ». Ainsi j’ai, comme jamais auparavant, perçu la différence entre les 6e et les 5e. J’exprime platement, et peut-être naïvement, ce que j’ai ressenti comme une révélation : au fil du compte à rebours, entre le six et le cinq, c’est tout l’abîme qui sépare l’enfance et l’adolescence. Les 6e sont encore spontanés et curieux, ils emplissent la salle par le premier rang ; les 5e sont déjà soupçonneux et ricaneurs, un peu ailleurs, et ils emplissent la salle en commençant par le dernier rang.

Autre hiatus, et pas moindre : les collèges publics et privés. On a beau se trouver, dans chacun de ces deux mondes, en face d’enfants, et savoir que tous les enfants sont comme le tien, les enfants ici et là n’ont pas le même rapport à l’argent, à la réussite, à l’avenir. Ceux du public rament, ils auront à se battre et se battent déjà ; ceux du privé sont souvent meilleurs élèves, mais sans trop se forcer (mentalité frontalière qu’un documentaliste m’a expliquée : à quoi bon foutre quoi que ce soit à l’école, puisque je peux comme papa et maman gagner ma vie en Suisse, quatre fois mieux qu’en France ?). Du coup, des nuances existent dans leurs réactions : quand je leur explique que « Non, je ne gagne pas ma vie avec mes livres, mais tant mieux, je ne les fais pas pour l’argent, je les fais pour quelque chose de plus important, car à part lorsqu’on a faim (et je n’ai pas faim), l’argent est la pire raison de faire quoi que ce soit, c’est avilissant », certes Je leur parle une langue étrangère des deux côtés de la guerre scolaire ; mais dans le public ils me prennent pour un fou, tandis que dans le privé ils me prennent pour un con.

Lors d’une rencontre avec une 5e, une fille assise au fond du CDI n’a pas dit un mot, et semblait même ne rien écouter. Après la sonnerie, quand tous déguerpissaient vite-vite, elle est passée devant moi et, toujours sans un mot, m’a remis ce qu’elle avait fait de cette heure-ci : un portrait de moi qui, pour ce que je sais de mon apparence, est étrangement ressemblant. Merci Mylène.