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Banalité du mal, figure 27453 (Troyes épisode 75)

Qui, au sein de l’exécutif français, est en charge de la lutte contre le racisme ? Le Ministère de l’Intérieur. Nous sommes à la limite du conflit d’intérêt.
Louis-Georges Tin

Hier, durant mon voyage en train (six heures de Troyes jusqu’à chez moi), j’ai assisté à une descente de police. Quatre hommes et un chien, tous les cinq en uniformes, ont traversé la rame et ont vérifié l’identité (ce putain de mot qui devient dangereux dès qu’on le fétichise sur papier ou dans les têtes) des passagers, un par un. L’atmosphère de ce pays est ainsi faite que, lorsque je me fais contrôler l’identité, je commence par me sentir un peu coupable, anxieux sans savoir au juste de quoi, sans doute n’ai-je pas l’identité idéalement configurée, j’éprouve la même appréhension que pour un examen médical, « Qu’est-ce qu’ils vont débusquer dans mon foie mes reins mes poumons, j’espère qu’il n’y aura rien ce coup-ci… »

Pourtant, quand mon tour vint, cet intimidant roulage de mécaniques de la République Française fut relativement vite expédié, quoique rendu pénible par le ton rogue du policier, dont les yeux ont pris le temps de cinq bons allers-retours entre mon permis de conduire et ma face suspecte – « Eh, ben, je vais avoir du mal à vous reconnaître sur cette photo. Enlevez votre bonnet. » Même pas s’il vous plaît. Simple formalité.

Ce fut une toute autre affaire quand le commando, poursuivant sa mission identitaire deux rangs plus loin, s’est adressé à un monsieur noir, seul, la trentaine.

« Qu’est-ce que c’est que cette carte ? [Tenant entre ses doigts le document en question, rectangle plastifié et rosâtre.]
– Vous voyez bien, c’est une carte de réfugié.
– Ce n’est pas ce que je vous demande. Je vous demande un papier d’identité. Est-ce que vous êtes français ?
– Mais non, je ne suis pas français, je suis congolais.
– Avez-vous un passeport congolais ?
– Bien sûr que non, je n’ai que cette carte.
– Dans ce cas, présentez-moi un permis de séjour.
– Je n’ai pas de permis de séjour, je vous dis que je suis réfugié politique. Je suis indésirable dans mon pays, c’est pourquoi je suis en France, je n’ai que cette carte.
– Ce n’est pas cette carte que je vous demande. Avez-vous un permis de séjour valide ?
– Mais cette carte de réfugié est parfaitement valide, enfin ! Apprenez votre métier !
– Monsieur, je vous demande de rester correct. Nous, nous restons corrects. Levez-vous. »

Les policiers l’ont correctement levé, retourné, collé contre la paroi du compartiment, mains en l’air, et ont procédé à sa fouille au corps, palpant son torse, son ventre, ses hanches, ses cuisses, ses mollets. Pendant que se prolongeait cette humiliation gratuite, il criait au mur « Je suis un danger pour la France, c’est ça ? C’est moi le danger ? » et celui des policiers qui avait gardé en main la carte rose parlait dans son talkie-walkie. Il épelait d’un ton plus las que dégoûté les noms et prénoms de l’interpellé, puis répétait l’ensemble reconstitué, « Oui, c’est ça », avec une moue exprimant de façon ostentatoire son peu d’appétence pour les patronymes de métèques, attendant qu’un collègue à distance vérifie ces données sur un quelconque fichier central et français.

Quand l’incident s’est enfin terminé, que les cinq policiers ont rendu la carte à l’homme sans un mot d’excuse et ont changé de wagon, j’ai échangé quelques phrases avec le monsieur noir. « Je suis désolé, je suis stupéfait, je suis écoeuré », le minimum à dire, qu’il sache que ces brutalités n’étaient pas commises en mon nom, lui haussait les épaules comme s’il avait l’habitude – et c’était pire.

Je pense à un autre réfugié politique, un qui a fait l’Histoire de France. Lors de son procès sommaire en 1944, le terroriste et métèque Missak Manouchian s’est vu reprocher, parmi d’autres griefs tout aussi graves et qui devaient conduire à son exécution tout à fait légale sur le mont Valérien, de n’être pas français.

Il eut alors, à propos de l’identité nationale, cette réponse, peut-être inventée après coup pour le mythe, je n’en sais rien, qui mériterait d’être vraie, qui devrait constituer la prémisse systématique de tout débat sur ce sujet débile. Il s’est, peut-être, exclamé : « La nationalité française, vous l’avez héritée. Moi, je l’ai méritée ». Mériter d’être Français ? Faut-il avoir une haute idée de la France, pour jeter à la face de ses représentants et de leur chien, et juste avant le mur des fusillés, pareille déclaration d’amour ! Je pleure, de honte et de rage, de me trouver, moi simple héritier (quoique petit-fils d’immigré), dans l’impossibilité de partager cette idée. France terre d’asile ? France asile de fous.

  1. passager terrestre
    27/11/2011 à 03:19 | #1

    je redoute, hélas, que nous n’en ayons encore pas fini avec le « fascisme » (qui revêt de multiples formes et qui se nourrit entre autre, de la peur et de l’ignorance) …

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