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Le souvenir du poids d’un corps

Cette nuit il faisait grand jour et je déambulais sur un vaste espace à découvert, sorte de tarmac, où je croisais des foules.
Face à l’incessant va-et-vient des passants, je soupirais de compassion, en me demandant si, rien qu’en observant le visage et l’allure de chacun, je serais capable de distinguer qui un touriste en transit et qui un réfugié fuyant les catastrophes. Il faudrait me pencher pour détailler les yeux de chacun… sont-ils d’une créature traquée ou d’un estivant jouisseur ?
J’avise un homme immobile parmi toutes les silhouettes mouvantes. Ses yeux à lui sont fixes et globuleux, avec un regard sévère, il porte une écharpe flottante et un casque en cuir de pilote d’avion comme ceux arborés par Thelonious Monk sur la pochette de je ne sais plus quel album.
Un homme derrière moi pose ses deux mains sur mes épaules et m’oblige à détourner le regard vers lui. Raide, il murmure entre ses dents, détachant chaque mot : « Ne, le, regarde, pas.
– Ben pourquoi ? Il n’a pas l’air bien méchant. »
Mon interlocuteur me tutoie, me connaît-il ? Et moi, le connais-je ? Je crois qu’il s’agit d’Adrian Brody, en tout cas il lui ressemble, mais pour ne pas commettre d’impair je me garde de l’appeler Adrian.
« Qu’est-ce qu’il a fait ? C’est qui ce type avec un casque de pilote ?
– Tu ne l’as pas reconnu, hein ? C’est Poutine.
– Poutine Vladimir ? Il ne se ressemble pas trop. Qu’est-ce qu’il fout là ?
– (Adrian hoche la tête en jetant des regards de gauche et de droite, excédé comme s’il regrettait de devoir tout m’expliquer.) Bien sûr qu’il ne se ressemble pas, il est là incognito. Mais as-tu vu ses yeux ? Ce sont des scanners en laser. Il scanne tout le monde. Il est en chasse. En ce moment même il est en chasse.
– Il chasse qui ?
– Il repère toutes les filles avec qui il a couché un jour. Dès qu’il en a trouvé une, il lui envoie par ondes horizontales le souvenir du poids de son corps sur elle, et ce souvenir finit par l’envahir, par l’étouffer, par la tuer, et il ne reste plus qu’à ramasser son cadavre. Ça va bientôt tomber. »

Bon, ça suffit, je me réveille.

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