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Film / Lost

Comme tous les dix ans environ, je regarde Film, le film de Samuel Beckett avec Buster Keaton (1965). Comme tous les dix ans environ, je trouve ça génial. Et je remarque de nouvelles choses. Aujourd’hui, ce qui me saute aux yeux d’emblée, c’est le point commun avec Lost (2004-2010).

Dans les deux cas, le premier plan montre un œil en très gros plan qui s’ouvre ; le dernier plan montre le même œil qui se referme.

La coïncidence du motif ne saurait être gratuite ou purement formelle, tant ces deux œuvres, dont les intrigues respectives reposent sur les deux mêmes points de départ, le confinement et la crise existentielle, ont également les deux mêmes sujets profonds, à savoir d’une part l’exploration de la conscience humaine (qu’est-ce que la liberté et quelles sont ses liens avec la mémoire ?), d’autre part la mise en abyme presque parodique, en tout cas très référencée, de l’art de raconter une histoire audiovisuelle à ce moment historique – respectivement en 1965 et en 2004.

Ici et là, il s’agit d’ouvrir l’œil pour questionner ce que l’on voit, ce que l’on a vu. Puis, au-delà, ce que l’on en a fait, ce que l’on est devenu par la vue. Puis, encore au-delà, ce dont on se souvient ou ce dont on se saisit ou ce dont on se méprend ou ce qui in fine restera de soi-même par les images (l’égo sur une photo). Comment on s’aveugle aussi, par les images – comment on se raconte des histoires par elles. Le personnage joué par Buster Keaton est borgne et porte un bandeau sur son œil mort, tout comme l’un des personnages les plus énigmatiques de Lost, Michael Bakounine, qui pour mémoire était en charge de la station La Perle, par conséquent des communications entre l’Ile et le reste du monde.

Film est un titre radical, mais le titre de travail que lui avait donné Beckett est tout aussi fort pour se confronter au cinéma : The Eye. The eye and the I…

D’ici la fin de l’histoire, les images seront minutieusement déchirées par Buster Keaton / explosées en kaléidoscope dans les parcours non linéaires des survivants de Lost et abandonnées, traces incertaines sur des écrans, vidéos abimées, non restaurées. Fascinant.

Suis-je la première personne au monde à rapprocher Film et Lost ? Peu importe, je n’ai pas peur de la solitude. Je suis armé grâce à tous les films que j’ai vus.

Naturellement, une irréductible différence demeure : Film dure 20 minutes, Lost dure 87 heures et 32 minutes réparties en 121 épisodes.

« We’re gonna need to watch that again » , comme le dit Locke dans Orientation (saison 2, épisode 3).

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