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Zweig de noël

24/12/2022 Aucun commentaire

« Quand le drapeau se déploie, toute l’intelligence se retrouve dans la trompette. »

Cet aphorisme antimilitariste et antinationaliste m’enchante ! Et son usage est perpétuel, avant, pendant ou après je ne sais quel conflit armé, ou championnat du monde de baby-foot ou de pétanque. Toutefois un scrupule m’envahit. Je crains qu’il ne soit assez politiquement incorrect de manquer à ce point de respect à la trompette, instrument tout-à-fait estimable (coucou à mes camarades trompettistes, Micromégas, OSE, Mother Funkers etc.). Aussi, je présente mes sincères excuses pour mon comportement inapproprié à l’endroit du pupitre de trompettes, minorité subissant déjà de sévères discriminations et préjugés.

En tout état de cause et à toutes fins utiles, je précise que l’auteur de l’intéressant aphorisme ci-dessus n’est pas moi, mais Stefan Zweig.
Petit tuyau Fond-du-Tiroir : il est très fertile et même hygiénique de lire un Zweig de temps en temps. Étant donné sa grande prolixité, il existe forcément près de chez vous un Zweig que vous ne connaissez pas encore et que vous serez content de connaître.

Certes, nul ne dispose en permanence, surtout vautrés tels que nous voici dans la magie de noël, de la disponibilité d’esprit et des nerfs rudement accrochés permettant de se cogner son pavé testament, le terrible Monde d’hier qui est mon préféré parmi sa bibliographie. Vous ferez ce que vous voudrez mais pour ma part je viens d’avaler en quelques minutes les 40 pages de L’uniformisation du monde, essai que Zweig publia il y a près d’un siècle dans la presse, et qui vient d’être réédité en version bilingue par Allia.

Zweig y vilipende l’uniformisation du mode de vie planétaire, en surface (modes, coiffures, goûts, danse, sport, cinéma, idées) et surtout au plus profond de nous : l’ennui ! Equation fatale : uniformisation = monotonie = ennui. Mais ennui à l’américaine, hystérique, avide de sensations, « instable, nerveux et agressif » . Zweig explique que la passion de l’esclavage est le moteur de cette uniformisation : « la guerre mondiale a été la première phase, l’américanisation est la seconde » .

Publiée en 1925, cette charge semble décrire internet et les réseaux sociaux des décennies avant leur invention, comme si l’esprit global, USA en tache d’huile, était préparé de longue date pour leur avènement.

« Il nous suffit de passer devant un panneau d’affichage dans une grande ville ou de lire en détail les batailles homériques des matchs de football pour sentir que nous sommes déjà devenus des outsiders, tels les derniers encyclopédistes pendant la Révolution française, une espèce aussi rare et menacée d’extinction aujourd’hui en Europe que les chamois et les edelweiss. »

Zweig snob ? Nostalgique ? Vaticinateur ? C’était-mieux-avant ? Méprisant pour ce qui est populaire, y compris le peuple ? Misanthrope et réac ? Vieux con ? OK boomer ? Vieux frère ?
Pas du tout. Le texte a l’élégance de s’achever par un appel à se garder de tout mépris : « Ne nous consumons pas dans une distanciation méprisante, dans une résistance impuissante et stupide au monde » , et surtout par un appel à la joie, quête de chacun, de tous les temps, de tous les horizons et de chaque instant :

« Voici notre atelier, notre monde à nous, qui ne sera jamais monotone (…) C’est notre tâche, devenir toujours plus libres, à mesure que les autres s’assujettissent volontairement ! »

Pour le coup, voici un parfait message de noël. Joyeuses fêtes !