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Reconnaissances de dettes

28/03/2016 Aucun commentaire

Projet COUV RdD 2

Le week-end prochain, je suis invité à la Fête du livre de Villeurbanne. À mon programme, une rencontre publique le samedi 2 avril à 16h dont l’intitulé est « Qui êtes-vous ?», déclinant le thème de l’identité choisi pour cette 17ème édition de la Fête. La rencontre sera partagée avec Carole Fives, Delphine Beauvois et Julia Billet.

Qui suis-je ? Eh bien, puisque vous me faites l’honneur de poser la question… Si je suis un petit peu capable de répondre, si j’ai une vague idée de qui je suis, c’est grâce à un livre que j’ai écrit. Un livre de Reconnaissances où je me suis reconnu par l’écriture. Une cartographie de l’habitus bric-à-brac d’un petit-bourgeois né vers la fin des 30 glorieuses, qui lit et écrit, et de ses ascendances : il est le petit-fils d’un mineur de fond, d’une bistrotière, d’un entrepreneur de travaux publics, et d’une institutrice ; plus haut dans son ordre généalogique, 100% de paysans.

Quiconque lira ce livre en saura presque autant que moi à mon sujet. Plus exactement, me connaîtra autant qu’on peut connaître le personnage d’un livre, c’est-à-dire environ un huitième, selon la théorie d’Hemingway, ce qu’il appelait le sommet de l’iceberg. Quand on y pense, c’est énorme le huitième d’une personne, réelle ou fictive, dans la vie ordinaire on ne connaît que zéro huitième des gens.

Donner à lire ce livre est donc étourdissant d’obscénité, comme si je me baladais nu dans la rue, homme-sandwich à épiderme en braille.

Le livre en question s’appelle Reconnaissances de dettes, il est le dernier que je publierai ici, et le bon de souscription est à télécharger sous ce lien. Patrick F. Villecourt et moi-même avons bien travaillé, l’autoportrait interminable est terminé, la maquette quasi-prête : il sera le livre le plus râblé du catalogue FDT, un petit gros de 18×11 cms et 400 pages, 20 €, ISBN 978-2-9531876-9-4.

Imprimez la souscription je vous prie, renseignez-la et adressez votre chèque au Fond du Tiroir. Le livre sera confié à l’imprimeur fin avril, le tirage dépendra du nombre de souscriptions reçues, et dans tous les cas ne dépassera pas 100 exemplaires. Le Fond du Tiroir, à l’article, ne cherche plus de nouveaux clients, seulement de vieux amis.

Les trois singes de la chanson française

27/03/2016 Aucun commentaire

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Le hasard parfois vous enchante les mains, vous vous croyez rendu à l’orée du miracle, un hasard tiens par exemple celui des concaténations dans les bacs des médiathèques. Il se trouve que cette après-midi-là, je parle de mardi dernier, des bombes viennent d’exploser à Bruxelles, on compte encore les morts, ils disent au moins 31, c’est curieux ce au moins et ensuite un chiffre non-rond, et 200 blessés, au bout d’un moment je baisse la tête, c’est fait c’est fait, je cesse de rafraîchir compulsivement lemonde.fr pour mettre à jour le compteur, je soupire et comme il n’y a pas de sot métier je m’en vais exercer le mien, je m’occupe les doigts et l’esprit à fouiller et trier et ranger des disques compact dans une médiathèque. Sur ces entrefaites je tombe nez à nez et coup sur coup, dans le bac chanson française, sur trois albums d’artistes de variétés, parus dans les années 2010, et dont les pochettes semblent se répondre, comme concertées. Le premier chanteur se cache les yeux, le deuxième se bâillonne la bouche, le dernier se bouche les oreilles.

Sont-ils assez mignons, les trois singes de la chanson française ! Que faire de ma trouvaille ? Tiens, je dispose le triptyque en linéaire sur le présentoir du bac, je me demande si quiconque parmi mes usagers comprendra ce que j’ai voulu dire, moi-même je n’en suis pas bien sûr, alors il m’expliquera. Instantanément, ma machine à associations d’idées se met en branle. Comme j’incline à penser que la chanson populaire exprime, pour le meilleur et pour le pire, l’inconscient collectif d’une nation, je me demande dans quelle mesure ce trio d’handicapés volontaires mis bout à bout ne nous représente pas à merveille. Nous ne voulons pas voir. Nous ne voulons pas dire. Nous ne voulons pas entendre.

Voir, dire et entendre quoi ? Ce qui se passe, ce qui s’est passé, ce qui va se passer.

Aussitôt ma prompte machine à associations redémarre, et je pense à ça (je vous prie de lire l’article au bout du lien, puis revenez, je vous attends, je ne bouge pas).

Je me souviens de mes études d’histoire, oh il y a longtemps, près de 30 ans, mes études à leur tour ont rejoint l’Histoire. J’étudiais le XXe siècle, ce défilé d’horreurs à grande échelle mais heureusement on nous expliquait pourquoi tout ça était derrière nous, plus jamais ça, nous étions entrés dans une ère de paix et de raison et d’union et de libre-échange. Bien sûr, l’épopée tragique du IIIe Reich formait la pierre angulaire de ces enseignements, le danger absolu mais d’autant plus éloigné à présent que nous étions occupés à le décortiquer dans les amphis. Je voulais comprendre, et pour cela remonter aux sources. Or les sources existaient, il suffisait de les lire. J’ai donc commandé en librairie Mein Kampf.

Je ne risque pas d’oublier le regard que m’a jeté la libraire, comme si un monstre fumant, puant, gluant, à plusieurs bras, tous brandis obliques et portant un brassard svastika, venait d’entrer dans sa boutique en laissant des flaques partout. « Eh Gisèle y’a monsieur là il veut Mein Kampf ! On l’a ou quoi Mein Kampf ? Faut le commander, non, Mein Kampf ? Oui c’est pour ce monsieur avec les lunettes. » J’ai surmonté l’opprobre, j’ai acquis le livre maudit, j’en ai commencé la lecture, je ne l’ai jamais terminée, c’était gros, répétitif, un peu écoeurant, mais certes extrêmement instructif. Tout y était : l’idéologie, les mythes politiques, la liste des ennemis, les buts de guerre, la stratégie planifiée pour enflammer le monde et rafler la mise. On ne peut pas dire que le IIIe Reich tombait du ciel, son histoire était programmée dès 1924, et détaillée par avance dans Mein Kampf.

Je crains que ce soit un peu la même chose avec ce nouveau livre maudit, Gestion de la barbarie. Le même souci du détail opérationnel, le cheminement rationnel de l’idéologie jusqu’au plan de campagne. Il n’y a qu’à lire pour tâcher de comprendre que les jeunes assassins kamikazes ne sont pas seulement des décervelés en rupture sociale, paumés délinquants petites frappes, mais aussi les rouages d’une vaste entreprise dont l’esprit et le dogme sont connaissables en librairie. On ne pourra pas dire « On ne savait pas » comme feraient trois singes.

Je sens une différence, toutefois : celui qui commande Mein Kampf en librairie subit toujours un soupçon, mais un seul, le même, tiens voilà un néo-faf qui achète son bréviaire, un nostalgique du pas de l’oie, pauvre type. Sur celui qui commande Gestion de la barbarie en revanche, peuvent peser non pas un, mais deux soupçons, deux réprobations contraires : tiens voilà un jihadiste bleubite qui s’achète son mode d’emploi pour bien se faire exploser selon les préceptes du Prophète / tiens voilà un complotiste parano qui joue à se fait peur, ou un facho type Riposte laïque ou Bloc identitaire qui se paye son shoot d’islamophobie (remarquons que feu le préfacier de l’édition française de Gestion de la barbarie était un habitué des micros de Radio Courtoisie), voire un crypto-néo-colonialiste à la Kamel Daoud qui cultive ses clichés anti-arabes… 

L’époque est plus compliquée que jamais. On passe pour un salaud si l’on cherche à comprendre, et Valls a bien tenu son rôle de Premier ministre en donnant le ton des débats : expliquer c’est excuser, qu’il a dit ce con, aphorisme en phase avec l’époque. Toute démarche intellectuelle ne serait qu’une abjecte complicité, cessez de réfléchir citoyens vous êtes déjà suspects !

Tout le savoir du monde est à portée de clic, mais il vaudrait mieux ne pas voir pas dire pas entendre ? Du coup, j’ai commandé Gestion de la barbarie sur internet. Personne ne me regardait. C’était il y a plus d’un mois, déjà. Je ne l’ai toujours pas reçu. Je ne sais pas ce qui se passe.

Le Fond du Miroir

06/03/2016 6 commentaires

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Oui, Le Fond du tiroir travaille. Il travaille à son ultime publication, il travaille à boucler sa boucle, et par conséquent il travaille à sa perte. N’est-ce pas ce que nous faisons tous, allez.

Reconnaissances de dettes sera le livre le plus personnel du Fond du tiroir. Terme impropre… Personnel chaque livre du catalogue l’est, peu prou. Ce sera alors le plus privé disons, faute de mieux. Le moins public. C’est dire. Les yeux dans les yeux. Publier aujourd’hui cette inactuelle introspection, à l’heure où le travail d’écriture devrait, pour bien faire, s’ancrer en urgence non dans un nombril mais dans le vaste et chaotique monde, est peut-être un poil obscène… Et peut-être pas. Connais-toi toi-même.

Risquons une échéance : Son Éminence le Factotum Plénipotentiaire et moi-même visons sans rire une publication (publication toute privée, donc) de ces Reconnaissances de dettes dès avril 2016. C’est dingue, ça : avril c’est le mois prochain les p’tits cocos. Un délai aussi bref ne demande qu’à être trahi, faut voir, suspense. Le formulaire de souscription sera disponible ici même, dans quelques jours. Dès qu’il sera en vue, précipitez-vous, parce que les choses iront ensuite assez vite. Nous compterons les souscriptions et nous lancerons le tirage. Deux temps, trois mouvements, pas plus.

Puisque la fermeture définitive est programmée dans la foulée, contrairement aux précédents livres du FdT, il n’y aura pour ainsi dire aucun stock de Reconnaissances de dettes, aucun carton empilé dans mon garage. Je conserverai juste cinq exemplaires par-devers moi, c’est un joli nombre cinq, voir venir, on ne sait jamais, un cadeau à faire, ou un souvenir, cinq ce sera un dépôt à peine moins légal que le Dépôt Légal. Si je reçois trois souscriptions (hypothèse basse), le tirage sera en tout et pour tout de huit exemplaires. Cent souscriptions (hypothèse haute) ? Cent cinq exemplaires. Et roule Berthe et adieu ma poule.