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Il n’y a d’autre Dieu que Dieu

30/03/2014 Aucun commentaire

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Dimanche de vote. J’aime bien voter. J’aime bien la démocratie en général. J’aime bien, en général, la France, je m’y promène, je m’y extasie, c’est drôlement beau en fait la France, c’est comme la démocratie, il faut aller la voir pour le croire.

Par exemple je me suis promené il y a quelques semaines à Perpignan. Enchanté, Perpignan. J’avais entendu parler de vous. Je vous trouve charmante.

À Perpignan, j’ai longuement visité le très curieux palais des rois de Majorque. J’y ai vu une chose, je crois, unique au monde. Dans la chapelle haute des rois très chrétiens de cet éphémère (1229-1349) micro-royaume, une frise fait le tour des quatre murs à hauteur des yeux, en petits carrés verts et rouges, mosaïque de trompe l’oeil, ainsi que le rideau peint au-dessous d’elle. Cette frise a longtemps été considérée comme purement ornementale, abstraite, une (bien nommée) arabesque, mais finalement les historiens et archéologues ont fini par reconnaître dans le motif sériel des mots articulés. Du langage commun, et non des traits laissés à l’imagination d’un artiste.

Il s’agissait ni plus ni moins de l’inscription en caractères coufiques, stylisée jusqu’à l’abstraction de la première moitié de la chahada : ašhadu an lâ ilâha illa-llâh. Il n’y a d’autre Dieu que Dieu. La première phrase de la profession de foi des musulmans. Dans un lieu de culte chrétien. Juste ciel, comme qui dirait.

La bizarrerie de cette inscription déplacée n’a choqué personne pendant la courte vie de cette chapelle. Elle s’explique par une notion qui, elle aussi, semble incongrue selon les époques : la tolérance. La culture arabo-andalouse circulait alors des deux côtés des Pyrénées et de la mer, certes au fil des guerres, mais aussi par la grâce des échanges entre les hommes, entre les clercs, entre les souverains, entre les lettrés. On se connaissait, on commerçait, on s’épousait même entre Chrétiens, Musulmans, et Juifs (deux par deux, j’entends, hein). Fatalement, quelqu’un s’est rendu compte que cette phrase, il n’y a d’autre Dieu que Dieu, s’appliquait aussi bien aux trois religions, et que la chahada ferait une chouette déco dans une chapelle dédiée au Christ, que le témoignage de foi mauresque n’allait pas se battre avec le crucifix posé à côté.

Trois religions, un seul Dieu. Les points communs plus importants que les différences.

Ensuite le royaume a été englouti dans les replis du Moyen-âge, le palais a fait la culbute, et pendant les siècles suivants la bâtisse a servi de caserne à des militaires revêtus de divers uniformes. Les soudards n’avaient pas beaucoup d’égard pour les traces du passé. La chapelle leur a longtemps servi de dortoir.

Perpignan fait partie des villes qui courent le risque, aujourd’hui, de tomber dans l’escarcelle du Front National. J’écoute la radio.

20h, les résultats s’égrainent. Le FN n’a pas emporté Perpignan. Mais Béziers, Fréjus, Hayange, Beaucaire, Villers-Cotterêts, Le Luc, Le Pontet et Cogolin.

Cinq strates

27/03/2014 Aucun commentaire

structureL’industrie culturelle de masse fonctionne, à l’image de la grande distribution, du prêt-à-porter ou du fast food, par franchises, par déclinaison des marques connues du public. C’est-à-dire qu’elle produit ses marchandises selon des plans quinquennaux (exemple : Star Wars VII 2015, Star Wars VIII 2017, Star Wars IX 2019) sous la forme de ce que l’on nomme des séquelles, des prolongements d’œuvres antérieures qui, quelles que fussent leurs valeurs propres et notamment leurs qualités d’achèvement ou d’inachèvement, ont marché, ont fait rentrer de la maille. Ainsi sont fabriqués suites, remakes, reboots, spin-off et autres variations, selon un crédo relevant non de l’esthétique mais du marketing : Ce qui a marché marchera. Le résultat est parfois ridicule, parfois terrifiant de nullité, parfois bon, le plus souvent insignifiant… peu importe, pas de règle générale, puisque la nécessité de leur existence ne réside pas dans leur excellence.

Si l’on était aussi courageux que cohérent, on se ferait une règle de boycotter absolument la consommation de toutes ces séquelles. Sauf que les dogmes sont toujours tristes.

Et la curiosité l’emporte. Je viens de lire la gamme de comics Before Watchmen, qui a l’outrecuidance de broder autour d’une œuvre-somme, achevée, parachevée, accomplie, définitive : Watchmen (Alan Moore, Dave Gibbons, 1986), déjà affublée d’une adaptation au cinéma en 2009.

Je n’en attendais rien, je ne suis pas déçu. Quelques bonnes histoires, quelques beaux dessins, mais le sentiment dominant est celui de la paraphrase superflue.

Et pourtant non. Quelque chose m’en reste, une fois le livre refermé. Je repense sans arrêt aux cinq vérités. L’image des couches concentriques, cinq strates d’histoires, comme un plan de coupe géologique, s’enracine et je rumine. L’image est imagination.

L’un des concepteurs du projet, et scénariste de deux des séries, J. Michael Straczynski, a révélé que l’ensemble de l’histoire, des histoires, chacune dévoilant petit à petit le passé d’un personnage, repose sur ce concept, les cinq vérités. Il l’explicite au cours d’une scène, quand un personnage éméché (Hollis Mason) explique à un autre (Dan Dreiberg), juste avant de lui « offrir » un aveu sinistre, que chaque être humain porte en lui « cinq vérités ». Cinq façons de se comprendre, qu’il appartient à chacun de révéler ou non, s’il en a envie, et s’il en est capable. Cinq strates, cinq récits de soi-même ainsi superposés, de la plus publique à la plus intime :
– la vérité qu’il révèle à ses connaissances, à ses relations, à ses collègues, à l’état civil. Enchanté. Pour vous, je suis…
– la vérité qu’il révèle à sa famille, à ses amis. Vous qui me connaissiez à l’époque où je…
– la vérité qu’il révèle à ses amis intimes. Toi qui sais (mais garde le pour toi) que je…
– la vérité qu’il ne révèle qu’à lui-même – par un journal intime, ou la méditation.
– la vérité qu’il n’ose révéler à quiconque, pas même à lui-même – ou alors dans des circonstances exceptionnelles.

Il n’est pas innocent que le personnage qui énonce cette doctrine soit celui qui, dans la trame globale de Watchmen, écrit. Hollis Mason a rédigé ses mémoires, intitulées Sous le masque, pièce importante du puzzle narratif, et incidemment l’on découvre, si longtemps après, comment et pourquoi il les a caviardées. Il a été initié par l’écriture. Il a accompli, écrivant, cette fulgurante découverte : d’où que l’on démarre dans la cartographie, que l’on se situe dans la vérité une, ou deux, ou trois… l’acte d’écrire permet de franchir un palier et d’accéder au cercle suivant. J’adhère sans réserve. J’en ai fait l’expérience. Je me demande aussi, question subsidiaire, laquelle des cinq vérités un blogueur ordinaire (moi, puisque je m’ai comme exemple) donne à ses lecteurs. Jusqu’où vous dire ? Êtes-vous mes relations ? Mes amis ? Mes familiers ? Mes alter ego ? Nous ne sommes pas si intimes, puisque moi je ne connais pas vos vérités.

Et quid de la « vérité » que chacun donne de soi à longueur de journée sur les réseaux dits sociaux ? Milliards de vérités à lire sur la toile…

L’idée des cinq vérités m’a immédiatement frappé par sa force, sa limpidité, sa clarté, son utilité heuristique. Elle m’est apparue si évidente que j’ai supposé spontanément que Straczynski citait une théorie ancienne, sans donner ses sources. Hélas le personnage n’en dit pas davantage, me laissant ignorant de l’origine.  S’agissait-il d’un auteur connu (comme quand on cite « chaque homme est un misérable tas de secrets » et qu’on se dit ah oui, kissékadiçadéjà je l’ai sur le bout de la langue) ? S’agissait-il d’une leçon de sagesse millénaire, bouddhiste ou hindoue ou kabbaliste ou soufie ? De la théorie d’un psychanalyste du XXe siècle, ou de l’un de ses descendants bâtards via la PNL ? De préceptes émis par quelque grand penseur des lumières, où de l’intuition d’un antique ? Des méthodes de travail d’un maître storyteller, conteur ou cinéaste ou romancier, révélant l’agencement d’un de ces mythiques grands romans américains ? D’un occultiste, d’un schizophrène, d’un docteur, d’un poète ? D’un Chinois, d’un Russe, d’un Malien, d’un Toltèque, d’un Français ? S’agissait-il de tout autre chose ?

Après vérification, il s’agit d’une pure invention de J. Michael Straczynski. Je ne dirai plus que Before Watchmen est une vulgaire séquelle superflue. J’en conserverai une idée et quelques questions. Ce n’est pas rien.

En 2014, tout le monde ment

20/03/2014 Aucun commentaire

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Depuis ma brûlante découverte de Martin Eden, sa vigueur, sa profondeur, son actualité, j’ai fait le serment de lire un roman de Jack London par an, comme on fait une cure de raisin pour se purger les entrailles. Je m’y tiens. En 2014 j’ai d’abord lu ceci, excellent livre certes, mais qui ne compte pas, car c’est une adaptation, un produit dérivé.

Mon « vrai » London 2014 date de 1916 : La petite dame dans la grande maison. Or ce roman tombe à point nommé, comme une contribution sur mesure aux débats, sinon sur les genres, du moins sur l’égalité homme-femme, sur l’émancipation des femmes, et autres combats que l’on serait naïf de croire gagnés une fois pour toutes. Le roman s’ouvre sur un portrait du protagoniste, londonien en diable, mâchoire carrée et yeux qui brillent, tout à la fois self made man, aventurier et poète, on imagine Kirk Douglas dans le rôle… Mais très vite le véritable héros du livre se révèle autre, plus original, et plus intéressant : c’est sa femme. Brossant le portrait d’une femme indépendante, choisissant librement sa vie et sa sexualité (l’histoire tourne autour d’un ménage à trois), La petite dame a fait scandale il y a un siècle. Il n’est pas inutile de le lire aujourd’hui.

Parce qu’il y a du boulot, là.

Je côtoie en ce moment des élèves d’un lycée pro au sein d’un dispositif de longue haleine, qui leur permet de rencontrer toutes sortes d’intervenants. Moi d’une part, mais aussi des conseillères conjugales du Planning familial (celui de Grenoble, l’héroïque, le pionnier) – car nous travaillons sur un thème imposé : les rapports filles-garçons. J’ai tenu, la semaine dernière, à assister en simple spectateur à la rencontre entre les ados et les dames du Planning, d’abord pour faire connaissance avant la séance où j’échangerai avec eux à propos de la littérature, ensuite parce que le sujet fille/garçon me titille, l’avouerai-je, davantage que la littérature.

Extrait spécialement marquant de la conversation à bâtons rompus :

– Bon, la contraception, vous savez ce que c’est ?

– Ben, ouais, c’est… comment… un contrat, quoi… C’est tu t’engages à faire quelque chose…

– Non, pas du tout. C’est le moyen d’avoir des rapports sexuels sans faire des enfants.

– Mais, attendez, madame, à propos du viol… Je sais pas si c’est vrai, j’ai entendu dire… Un viol, en fait, c’est pas un viol si on met un capote.

– Comment ? Qu’est-ce que tu veux dire ?

– Ben, si tu mets une capote… Après, y’a plus de preuve. Alors, c’est pas un viol.

– Un viol est un viol, avec ou sans capote ! C’est-à-dire un crime, puni de huit ans de prison. Les prisons sont pleines de violeurs qui ne comprennent toujours pas ce qu’ils ont fait de mal.

– Ben non, c’est pas un viol, puisqu’il n’y a pas de preuves. Je sais ce que je sais…

– Non non non, attends, tu ne peux pas dire ça. Ce serait comme tuer quelqu’un, faire disparaître le corps, et repartir conscience tranquille puisqu’il n’y a « pas eu meurtre ». Capote ou pas, il y a d’autres preuves, à commencer par la parole de la victime. Le témoignage. Ça ne compte pour rien,  la parole ? Une fille qui vient porter plainte pour viol, on ne va pas chercher s’il y a capote ou pas. Il y a viol de toute façon. Prison. Huit ans.

– Mais c’est n’importe quoi, ça… Alors la fille, d’abord elle veut, et ensuite une fois que c’est fait elle veut plus, elle va faire croire qu’elle voulait pas, et elle ira voir les flics ? C’est pas normal, ça ! Elle a pas de preuves !

– Tu crois qu’une fille qui n’a pas été violée va aller voir la police, et se mettre dans la situation humiliante de se plaindre d’un viol pour le plaisir de mentir ?

– Ben ouais, bien sûr ! Eh ! Faut arrêter, là, faut ouvrir les yeux. On est en 2014, tout le monde ment.

Jamais je n’avais reçu, énoncée avec autant de calme, de clarté, de clairvoyance peut-être, la définition du chaos qui nous tient lieu d’écosystème. J’ai bien fait de venir. J’ai froid dans le dos.

Ces mômes vivent dans le chaos, celui qu’on leur laisse, nous, Tapie, Cahuzac, DSK, Sarkozy, etc, le chaos où tout le monde ment, où il est normal de mentir, puisque de haut en bas de la société, des misérables jusqu’aux oligarques, c’est chacun pour sa gueule. Le chaos est là, il est premier, on vient ensuite, on s’adapte, on se conforme, question de survie, ce n’est pas le monde qui s’adaptera pas à nous. La première règle de vie n’est pas respecter les autres et la loi, mais ne pas se faire gauler. Pas de preuve ? Pas de mal. Ces ados sont très bien adaptés. Ils savent, sans même avoir besoin de lire les rapports de la NASA, que la civilisation touche à son terme.

Après, nous discutons, bien sûr. Nous nous trouvons non seulement dans le même monde, mais dans la même salle de classe, alors le contact est possible, nous discutons. C’est long, laborieux, mais nous discutons, et nous arrivons à élever le débat, quelques centimètres au-dessus du chaos.

Je sors du lycée, je jette un œil aux nuages, un peu inquiet, vaguement oppressé. Mais avec une admiration renouvelée, sans bornes, pour l’Education Nationale, pour le Planning Familial, pour tous les travailleurs anti-chaos.

Mise à jour mai 2015 : la preuve rétroactive que le mensonge est normal en 2014.

Redouble (1/2)

19/03/2014 Aucun commentaire

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La réimpression de Double tranchant est lancée. Elle sera prête pour le Printemps du livre de Grenoble en avril, et surtout pour l’anniversaire de la résidence d’auteur-illustrateur de Troyes en juin, qui présentera l’exposition du même nom.

Rappel : Double tranchant, alias Le-Plus-Beau-Livre-du-Fond-du-Tiroir, a été écrit en 2011 par mézigue à Troyes, illustré dans la foulée par l’incomparable Jipé Blanpain (sur la planche, ajoute-t-il, sacré boute-en-train), et imprimé à l’automne 2012 par les Impressions Modernes, Guilherand-Granges. Les stocks étaient modestes. En dépit de son excellent travail, l’imprimeur a commis une fâcheuse boulette qui a amputé le tirage initial (500 ex.) d’un bon tiers, flanqué direct au pilon.

Le reliquat s’est gentiment écoulé, et dix-huit mois plus tard nous frisons l’épuisette. Comme il ne saurait être question que ce fleuron du catalogue FDT reste indisponible, surtout si le spectacle que MM. Sacchettini, Pignol et moi-même en avons tiré (dossier téléchargeab’ ici) est rejoué quelque jour quelque part, il est grand temps de retourner à Guilherand-Granges. Le livre sera-t-il retouché pour l’occasion ? Ben tiens ! C’est un tic, chez moi. Si je relis, je retouche. Fatal. Contrairement au narrateur même de ce livre, je ne crois guère au chef d’œuvre, puisque je ne crois pas à la perfection. Je ne crois qu’au perfectionnement.

Outre moult amendements mineurs du texte, virgules ci et là, laissant peu de pages intactes, c’est l’emballage qui sera le lieu des deux modifications les plus sensibles. D’une part le prix sera désormais mentionné en quat’ de couv’ (Jean-Pierre et moi avions jugé bon ne pas le faire figurer sur le premier tirage… Finalement nous renonçons à cette discrétion de pure coquetterie, malcommode pour les libraires, qui de toute façon ajoutaient le prix à la main). D’autre part, sur le rabat arrière où est énumérée la bibliographie de Mister Blanpain, apparaîtra en médaillon son Autoportrait à la gouge, magnifique linogravure qu’il avait réalisée dans la foulée de celles du livre, mais que seuls les cent premiers souscripteurs avaient eu la chance d’admirer, en tiré à part signé par l’artiste.

En parlant des souscripteurs… D’abord, je les remercie encore et les embrasse sur la bouche un par un, parce que c’est grâce à eux que le budget du tirage initial avait été assemblé sans trop de douleurs. Mais à présent, il me faut lancer un appel similaire. Votre attention, s’il vous plaît.

Je ne puis lever une souscription stricto sensu, et je n’enverrai pas de mail de pub ce coup-ci puisque mon réseau a été mis à contribution dès la première fois. Mais, comme à chaque période où le Fond du tiroir se lance dans la fabrication d’un livre, il engage un argent qu’il n’a pas tout à fait, et il a grandement besoin de liquidités fraîches. Précommandez Double tranchant, l’édition définitive, mesdames et messieurs ! Commandez-le si vous l’aviez loupé, recommandez-le si vous l’avez déjà mais ne vous lassez pas du baiser sur la bouche dispensé aux bienfaiteurs !  Commandez tout le catalogue, tant que vous y êtes !

Tiens, pour fêter ça, je surligne les liens de cet article en rouge-tranchant au lieu du bleu habituel. On s’amuse d’un rien quand on est dans l’humeur.

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17/03/2014 Aucun commentaire

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Je me trouve pour les vacances dans une vieille maison au bord de la mer, avec ma fille aînée. Il fait beau. Manque de chance, les Jeux Olympiques ont lieu juste à côté de chez nous, et engendrent une formidable nuisance sonore, que nous subissons même avec la fenêtre fermée. Renonçant à nous en protéger, ma fille et moi décidons de nous promener sur les lieux des épreuves.

À la suite d’un concours de circonstances (quelque malentendu sans doute, et la défection de dernière minute d’athlètes officiels), nous nous retrouvons à courir l’épreuve du « 300 mètres en pleine rue », entre les voitures, les caniveaux et les panneaux de signalisation. Elle vient juste d’avoir 18 ans, sa majorité tombe pile, elle peut participer à la compétition.

Nous voici alignés sur la chaussée, accroupis, doigts au sol. Si j’avais su, j’aurais changé de chaussures. Un coup de revolver… Nous nous mettons tous à courir, et à slalomer parmi les obstacles, les chiens, les trottoirs, les détritus, les passants. Je m’aperçois que mes enjambées sont courtes, je crois que je lève trop haut les genoux, je perds en amplitude. Je compense en démultipliant la vitesse, comme un dératé, tac ! tac ! tac ! J’ai une démarche très bizarre mais j’avance, j’avance très vite, je distingue à peine mes pieds qui moulinent, on dirait un personnage de cartoon. Contre toute attente, ma fille et moi remportons les épreuves éliminatoires et sommes qualifiés pour les quarts de finale.

Je me repose à présent dans une buvette un peu décatie, Pyrex et Formica, murs jaunasses, je m’assois, et je doute. Je me demande si cela vaut la peine de continuer la compétition à présent que les choses deviennent sérieuses, et que nous allons nous confronter à des sportifs de haut niveau… Dans ce cas, il faut à tout prix que je me prépare sérieusement, sauf que je n’y connais rien. Je suppose que je dois faire des échauffements, surveiller ce que je mange, arrêter de boire et de fumer… Je me demande ce que compte faire ma fille. Je suis un peu inquiet, je l’ai perdue de vue, elle a été engloutie par la foule…

Je me réveille.