L’été, saison des feuilles mortes (Troyes épisode 8)
L’été meurt à son tour, puisque tout doit mourir.
Parmi les trépassées de la belle saison défunte, deux femmes n’avaient strictement rien en commun sinon une seule chose, fondamentale : je les aimais bien. Fondamentale car, comme tout le monde le sait depuis Protagoras, la mesure de toute chose, c’est moi.
Agota Kristof est finalement morte le 27 juillet. Littérairement, elle l’était déjà depuis bien longtemps, quinze ans environ, et cela la rend encore plus fascinante, énigmatique. Bien qu’écrivain exceptionnel, elle n’avait jamais été, à proprement parler, « un écrivain » : Agota Kristof a seulement écrit. Ce n’est pas la même chose, être et faire, c’est même très différent. Puis, une fois écrit tout ce qu’elle avait à écrire, elle était très simplement, très naturellement tarie et n’a plus rien écrit. Parvenue à une absence de désir, c’est-à-dire au Nirvana, elle a cessé plutôt que de faire semblant. Il en existe peu sur ce modèle. Georges Hyvernaud, peut-être ? Alors qu’un « écrivain », un vrai, eût cherché un « nouveau sujet », puis aurait écrit, puis aurait publié, peut-être lors de la rentrée littéraire, puis aurait donné des entretiens… et ainsi de suite, en rond. Elle, non. Au diable les saisons et les rentrées littéraires, elle avait terminé, baste. Reste son œuvre, météorique. J’avoue sans barguigner l’influence du Grand cahier sur mon premier roman.
Amy Winehouse est brusquement morte le 23 juillet, la même semaine. Elle, au contraire, et malgré ce qu’en disait les tabloïds, était loin d’être finie, elle était à peine commencée, deux albums seulement, presque rien, mais s’était usée à toute vitesse, déchiré l’âme avec la voix parce que c’était la même chose, et la chute était sans retour, aucune rehab possible (un peu comme chez un autre balayé de l’été). Elle, si ça se trouve, aurait pu continuer tellement longtemps, évoluer, changer, rater, rater mieux, recommencer. Est-ce que cela rend sa mort encore plus triste que celle de Mme Kristof ? Je ne sais pas, une mort, qu’elle dure deux minutes ou quinze ans, est toujours triste. La vieille jeune et la jeune vieillarde, l’Anglaise et l’apatride, au bout du compte on se retrouve à dire de l’une la même chose que de l’autre : reste son œuvre, météorique. Restent toujours les œuvres qu’on prend dans la figure en météores, et heureusement, pour nous consoler de l’automne sans fin de nos existences, au fil des jours qui s’allongent et raccourcissent et recommencent.
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