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Plouf (Troyes, épisode zéro)

31/08/2011 2 commentaires

Comme annoncé, c’est demain que je plonge dans le grand bain. Je suis l’hôte de l’association Lecture et loisirs de Troyes pour quatre mois de résidence, de septembre à décembre 2011.  Résolution à la hauteur de cet exceptionnel bouleversement de mon train-train : je m’engage à utiliser, pour la première fois, le présent blog comme un vrai journal quotidien. Chaque jour de la résidence, je publierai une note, pas forcément longue, fragment d’éphéméride, écho de ce que j’aurai accompli dans la journée, ne serait-ce que pour vérifier que j’accomplis quelque chose. Total sur un peu plus d’une saison : au moins une centaine de feuillets au vent, en direct de l’expérience et du cobaye résident, traces de vie en moi et alentour.

Je salue à nouveau le très stimulant Nicolas Bianco-Levrin qui m’a obligeamment confié le journal dessiné qu’il tenait alors qu’il était l’hôte de cette même résidence. La lecture de ce document de travail a provoqué par émulation la formule quotidienne de mon blog.

En attendant (je compte les minutes), je virtualise, je m’y crois à donf, je surfe à Troyes sur mon écran, je m’anticipe à coups de street-view, je vérifie sur Mappy la distance de ma résidence à la médiathèque municipale (420 mètres, okay, je survivrai), à la gare, à la piscine. Oui, c’est important aussi, la piscine. Plouf, vous dis-je. (Une pensée ici pour Jean-Marc Mathis qui m’a raconté un jour ne jamais se laisser inviter en région par un salon du livre, une école, une galerie ou autre sans se munir de son maillot de bain. Vous voyez le genre d’anecdotes palpitantes qui risque de nourrir Fond du Tiroir matin, journal du soir.)

Lorsqu’on prie Google d’ouvrir le tiroir « résident » de sa mémoire de plastique, l’ooooracle dégorge en vrac :

Resident Evil ;
Statut de résident fiscal ;
Qui n’a jamais hésité sur l’orthographe, Résident ou Résidant ? ;
Obtenir sa carte de résident français ;
The Residents news official weblog ;
Fiche métier : le pharmacien résident délivre à un établissement hospitalier des médicaments, à usage humain ou vétérinaire, qu’il prépare lui même ou qu’il se procure auprès de grossistes-répartiteurs ;
Devenir résident suisse : forfait fiscal et compte bancaire ;
Résidents de la République (Bashung) ;
le Synthes Resident Program est destiné à soutenir la formation en traumatologie, en chirurgie du rachis et en chirurgie cranio-maxillo-faciale ;
« Crécy avait été résident en plusieurs cours d’Allemagne dont il connaissait parfaitement le droit public » [Saint-simon, Mémoires complets et authentiques du duc de Saint-Simon] ;
« Des marchands d’hommes et des mouchards, tels sont les résidents de cet ignoble quartier » (Honoré de Balzac, Œuvres div., t. 1, 1830, p. 568).

Début prometteur. Vive les Residents. À demain.

Fond de saison

29/08/2011 Aucun commentaire

Comment ? Déjà la pré-rentrée ? Pour clore la saison 2010-2011 in extremis avant la suivante qui pointe à l’horizon, je viens de rédiger, en-retard-en-retard, le compte-rendu de ma collaboration, pour la troisième année consécutive, au dispositif « À l’école des écrivains, des mots partagés ». Cette année, c’est auprès d’une classe de 4e du collège de Lubersac, en Corrèze, que je fus envoyé prêcher. Le compte-rendu est lisible ici. Je préviens qu’il est nettement moins sensationnel que celui de l’an dernier lorsque, je le rappelle, mes aventures à la Villeneuve de Grenoble avaient défrayé ma petite chronique – on peut relire tout le feuilleton depuis le premier épisode.

Eh bien, oui, cette année la rencontre avec les p’tits gars et les p’tites gonzesses de Lubersac s’est déroulé sans anicroches. Serein comme un vieux loup de mer, décevant comme un train qui arrive à l’heure. Presque une routine. J’ai fait mon job, eux aussi, on s’est amusé, on a écrit, on a voyagé. Est-ce utile ? Sans doute. Moins que le travail que je ne fais pas à la Villeneuve de Grenoble ? Peut-être.

Il n’en reste pas moins que l’état de l’Education Nationale est globalement préoccupant. L’un des intérêts, pour mon édification perso, de ces incursions bon an mal an dans le paysage scolaire, est de me fournir la température d’un milieu qui chauffe. Or l’un des souvenirs les plus marquants que je conserverai de Lubersac n’a pas eu pour cadre la salle de classe, mais celle des profs où, à l’heure de la récré, un professeur de sciences, binocles et collier de barbe à l’ancienne, à un an de la retraite, a vidé devant moi son sac de lasse indignation alors que je ne le connaissais ni d’Ève ni d’Adam. Ah, j’aurais dû enregistrer, ou retranscrire immédiatement cette tirade extraordinaire, ce réquisitoire lucide, ce diagnostic implacable sur un métier qui aura tellement changé durant sa carrière presque close. Il ne m’en reste que peu de faits précis, juste une impression générale : à coups de suppressions de postes, de moyens, de formations, de considération, d’attention, de cohérence, l’inexorable déliquescence des conditions de l’enseignement dans notre pays s’est sensiblement accélérée ces dernières années. Il faut le voir pour le croire, il faut écouter pour constater à quel point l’enseignement est devenu un métier précaire, pédagogiquement, matériellement, institutionnellement, psychologiquement, et même idéologiquement, comme si la connaissance elle-même était devenue une valeur impossible sur le long terme, périmée.

Cet homme parlait presque pour lui-même, mais à la faveur d’un petit silence j’ai tout de même pu en placer une : « Dans ces conditions… Comment ne sombrez-vous pas tous dans le cynisme, ou bien dans l’aigreur, ou la dépression, ou l’alcoolisme ? Comment arrivez-vous encore à enseigner ? Pourquoi continuez-vous à venir au boulot le matin ? » Il m’a regardé comme s’il réalisait que j’étais là et m’a répondu sur le ton de l’évidence que l’on répète sempiternellement mais gentiment au cancre : « Mais… Pour les enfants. Je suis là pour les enfants. Il nous faut recommencer, chaque année, chaque rentrée, parce que ce sont de nouveaux enfants, qu’ils se moquent bien des directives ministérielles au-dessus de leur tête, qu’ils se moquent bien de nos affres, et qu’il faut faire quelque chose avec eux, ici et maintenant. »

J’éprouve, derechef, un immense respect pour le corps enseignant. Les blagues anti-profs ne me font pas beaucoup rire, je les trouve en ce moment, toutes proportions gardées, aussi spirituelles qu’une blague antisémite pendant l’Occupation.

L’éducation, j’en suis de plus en plus convaincu, est l’enjeu politique numéro un, puisqu’elle applique et concrétise l’idée qu’une société se fait de son propre avenir. Mais peut-être faut-il être de gauche pour placer ainsi l’éducation en tête des priorités ? (Clivage gauche-droite expliqué aux enfants : traditionnellement, pour la construction de l’individu-citoyen, la gauche croit à l’éducation et la droite à l’héritage.) L’an prochain, nous élisons un président. J’éplucherai attentivement les programmes en matière d’éducation des uns et des autres, pour vérifier si oui ou non certains candidats sont de gauche. Et pour commencer, je lis dans l’actualité un grand progrès en arrière toute ! La nouveauté propre à redresser la France est le retour dans les programmes scolaires de la leçon de morale. Hon-hon… Je note… Un tel « progrès » ressemble davantage à un héritage qu’à une éducation, non ?

… et me cherchez sans retard l’ami qui soigne et guérit la folie qui m’accompagne

06/08/2011 6 commentaires

Zdoïng ! Zdoïng ! Le destin est monté sur ressort. Contrebalançant l’article précédent, empreint de morosité et de désabusion (néologisme popularisé par Nino Ferrer, il en avait le droit, il en est mort), c’est dans l’euphorie et la grande excitation que je klaxonne aujourd’hui une grande nouvelle, genre « once in a lifetime », et en avant vers de nouvelles aventures. Vous allez faire un beau voyage, me lirait une voyante dans son cristal. Où l’on retrouve notre héros, riant et trépignant, occupé à boucler ses valises.

Je m’apprête à passer quatre mois en résidence d’écriture, quatre mois d’oasis au beau milieu du CV, quatre mois de concentration offerte en parenthèse magique, quatre mois à ne rien penser qu’à mes œuvres, tout un automne de lâchons le mot le grand mot le plus grand de tous le seul qui vaille, quatre mois de liberté. Et ceci se passera très exactement à Troyes, à compter du premier septembre prochain. Toujours riant, toujours trépignant, je me suis rendu à la gare en sautillant pour acquérir un abonnement SNCF (selon le perpétuellement spirituel Jean-Pierre Blanpain, je prépare mon cheval pour l’insidieuse invasion de Troie) et j’ai même eu l’autre jour envie de m’acheter des chaussures neuves, envie saugrenue qui m’advient pour la première fois de ma vie, c’est dire le niveau inédit de mon excitation nerveuse, l’état second carrément, hi hi hi j’en rougis, des chaussures neuves je ne me reconnais plus, je frise l’hystérie amoureuse, imaginez j’ai rendez-vous.

Jusqu’alors, Troyes, où je n’ai jamais eu l’honneur de mettre les chaussures, ne m’avait guère évoqué que le champagne (chic chic, euphorie excitation bonne nouvelle), François Baroin (oh, non, zut, attention à la rechute, morosité, désabusion) et également mon camarade Jean-Philippe Blondel, qui est de Troyes puisqu’il faut bien être de quelque part, je suis bien de Grenoble et ne m’en vante point (ahah, j’avais écrit « ne m’en vente », mon dévoué webmestre m’a signalé la coquille, le vent déjà m’emporte c’est l’explication), je n’ai pas fait exprès, ni mieux ni pire, on trouve partout ici comme là de quoi s’exciter l’euphorie et se désabusionner la morosité. Car tout dépend du seul humain, seul critère qui vaille. Or cela est avéré, on trouve de l’humain à Troyes, et du chaleureux, et du charmant, accueillant, délicieux, toute ma gratitude s’envole d’ores et déjà vers l’équipe de l’association « Lecture et loisirs » qui m‘invite et prépare le terrain. C’est pourquoi je ne redoute point l’acclimatation : le crétin des Alpes se fera Crétin de Troyes. Un grand merci aussi chapeau en l’air, à Nicolas Bianco-Levrin, illustrateur et cinéaste débordant d’activités comme de générosité, précédent occupant des lieux et qui a pris l’initiative, par pur souci d’émulation, de passage de relai de l’euphorie et concentration, de me contacter afin de me présenter l’endroit, dans tous ses détails y compris le mode d‘emploi du radiateur.

Ne reste plus qu’à être à la hauteur de cette chance exceptionnelle, de cette confiance que l’on me témoigne : écrire. Des nouvelles ici même très bientôt. En attendant l’Aube, déposez-moi au manoir… et me cherchez sans retard l’ami qui soigne et guérit la folie qui m’accompagne et jamais ne m’a trahi : Champagne-Ardenne.