Archive

Archives pour la catégorie ‘En cours’

Cachez ce sein que je ne saurais etc.

14/12/2023 Aucun commentaire
« Diane et Actéon », de Giuseppe Cesari (ca. 1600-1625). 2004 RMN-GRAND PALAIS (MUSÉE DU LOUVRE)

J’accueille régulièrement des classes ou d’autres groupes d’enfants, pour leur raconter des histoires – c’est mon métier, un peu, et mon plaisir, beaucoup. C’est sur ce mien terrain que je mesure de plus en plus souvent combien le nouvel obscurantisme religieux gagne du terrain : en plus de réintroduire le concept de blasphème, il ajoute des tabous qui empêchent d’accéder à des pans importants de la culture mondiale, empêchent de penser. Certes, les signaux d’alerte ne datent pas d’hier (rediffusion 2010, bonté divine il y a 13 ans déjà ! au Fond du Tiroir).

La semaine dernière, lorsque j’ai déployé mes contes à un groupe de 4-6 ans du centre de loisirs, au moment où j’ai mentionné un cochon parmi les personnages de l’histoire, l’un des mômes s’est exclamé « Pouahhh un cochon !« , s’est allongé et roulé par terre en criant et en refusant d’écouter un mot de plus.
Incident minuscule ? Incident parmi d’autres. Signal.
Puis, me voici en train de réfléchir à l’une des mes futures animations : dans trois mois il me faudra raconter à des jeunes enfants l’histoire édifiante de Perséphone, jeune fille enlevée et violée par un dieu jaloux, Hadès… Cela n’est pas commode, mais je suis porté par la conviction que les mythes et contes nous aident à penser le monde et ses cruautés, et que c’est même pour cela qu’ils ont été inventés, sans eux on pense plus difficilement, plus mal ou pas du tout… Lorsque soudain, survient le fait divers ci-dessous (je reproduis un article lu dans lemonde.fr), dont vous avez peut-être entendu parler, une autre présentation pédagogique des Métamorphoses d’Ovide qui a très mal tourné dans un collège des Yvelines (l’académie où enseignait Samuel Paty).
Je suis consterné…
Mais the show must go on ! Dans ma version, Perséphone gardera ses vêtements, de toute façon.

« Dans les Yvelines, un collège alerte sur un « point de rupture » après un incident en cours de français« 

Des élèves se sont dits « choqués » par la présence de femmes dénudées sur une œuvre d’art présentée en cours de français. Les professeurs, qui exercent leur droit de retrait depuis vendredi, dénoncent plus largement un climat scolaire dégradé dans l’établissement et un manque de moyens.
Par Eléa Pommiers
Publié le 11 décembre 2023 à 21h36, modifié hier à 08h16


Les alertes du collège Jacques-Cartier d’Issou, dans les Yvelines, sont remontées jusqu’au ministre de l’éducation nationale, Gabriel Attal. Ce dernier s’est rendu, lundi 11 décembre, dans cet établissement d’environ 600 élèves, au sein duquel les professeurs exercent leur droit de retrait depuis vendredi. « Je me suis rendu [dans ce collège] pour affirmer mon soutien aux équipes pédagogique », a déclaré le locataire de la Rue de Grenelle, lundi soir, et pour « réaffirmer » qu’« à l’école française, on ne négocie ni l’autorité de l’enseignant ni l’autorité de nos règles et de nos valeurs ».
Les faits qui ont décidé les enseignants à faire valoir leur droit de retrait se sont produits jeudi 7 décembre à la suite d’un cours de français. L’enseignante y avait présenté à ses élèves de 6e un tableau du XVIIe siècle, Diane et Actéon, de Giuseppe Cesari, représentant un passage des Métamorphoses d’Ovide lors duquel Actéon surprend la déesse Diane et ses nymphes durant un bain. Plusieurs élèves ont détourné les yeux et se sont dits « choqués » par la présence de cinq femmes dénudées sur cette peinture.
Durant une heure de « vie de classe » organisée plus tard dans la journée, des élèves se sont de nouveau dits « dérangés » auprès de leur professeure principale et ont prétendu que l’enseignante avait tenu des propos racistes et islamophobes – une assertion fausse, assure le rectorat de Versailles. D’après Sophie Vénétitay, la secrétaire générale du syndicat d’enseignants SNES-FSU, un parent d’élève a également adressé un mail au chef d’établissement affirmant que son enfant n’avait pas pu s’exprimer lors de l’heure de vie de classe, et menaçant le principal d’une plainte.
Dans l’académie où enseignait Samuel Paty, professeur assassiné en octobre 2020 pour avoir montré des caricatures du prophète Mahomet en cours d’histoire, « ces contestations de cours couplées à des mensonges d’élèves ont fait écho chez les enseignants », explique la responsable syndicale. Le principal et son adjoint sont en arrêt maladie à la suite de cet incident. « Les élèves ont retiré leurs propos et se sont excusés vendredi », assure cependant le rectorat de Versailles.L’événement est surtout « la goutte d’eau après plusieurs semaines de climat scolaire dégradé », explique Sophie Vénétitay, faisant notamment état de violences entre élèves et d’un manque de personnel de vie scolaire pour prendre en charge les situations. La conseillère principale d’éducation (CPE) travaille notamment à 80 %, sans que le reste de son poste ne soit assuré.
« Une procédure disciplinaire sera engagée »
Dans un courrier adressé vendredi 8 décembre à la directrice académique des services de l’éducation nationale, que Le Monde a consulté, l’équipe pédagogique du collège déplore « des faits de calomnies, de diffamations, une multiplication et une aggravation des incidents et une atteinte à la laïcité », sans citer spécifiquement l’incident de jeudi.
Selon ce courrier, seize « faits établissements » – le vocable utilisé pour désigner les atteintes aux valeurs de la République, à la sécurité de l’école ou les faits de violences et de harcèlement – ont été signalés au collège depuis le mois de septembre, « contre trois pour l’ensemble de l’année scolaire précédente ».
L’équipe rapporte également « des mises en cause récurrentes et agressives par certaines familles des pratiques pédagogiques et des règles de l’institution ». Dénonçant l’absence de « réponse concrète face à l’urgence » plusieurs fois signalée, elle prévient qu’un « point de rupture a été atteint ».
La directrice académique s’est rendue dans l’établissement, lundi. En début de soirée, Gabriel Attal a fait savoir que des « renforts » étaient prévus pour les équipes de vie scolaire, notamment « un poste de CPE ».
« Une procédure disciplinaire sera engagée à l’endroit des élèves responsables de cette situation », a-t-il ajouté, précisant que les équipes « valeurs de la République » seraient déployées dans ce collège. L’objectif, a conclu le ministre de l’éducation nationale, est désormais le retour du « calme et de l’apaisement » dans l’établissement.
Eléa Pommiers

Hommage à Lautréamont

13/12/2023 Aucun commentaire

Soit l’intelligence artificielle est capable de beauté, soit elle n’a aucun intérêt (même remarque pour l’intelligence en général, au fond).

Pour voir, je demande à une intelligence artificielle de m’inventer une image qui serait « belle comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie » .
Le résultat a un parfum cyberpunk pas dégueulasse.
Emballé, je lui en demande encore et encore, je poursuis la partie de ce jeu vidéo. S’il te plaît, Intelligence Artificielle, fais-m’en un autre, un façon Chagall, un autre façon Vermeer, un façon Hopper, un façon Picasso, un façon Van Gogh, et même un façon Walt Disney, et c’est fascinant : tout marche, tout rentre dans la moulinette. Une intelligence artificielle, contrairement à une intelligence bio, a toujours une solution fût-elle inepte, toujours quelque chose à dire, elle ne répondra jamais « T’as pas un peu fini avec tes conneries ? Fous-moi la paix, laisse-moi réfléchir, j’ai du boulot sérieux, je dois résoudre le bouleversement climatique, la fin des abeilles, la montée des populismes, la déliquescence du concept d’enseignement et la guerre israélo-palestinienne » .

Oh, non ! Encore une idée géniale !

08/12/2023 Aucun commentaire
Helena Bonham Carter dans Sweeney Todd, Tim Burton, 2007

Cette nuit m’est venue, ah ben tiens ça faisait longtemps, une idée de suicide marketing pour dilapider l’argent que je n’ai pas et ruiner une bonne fois pour toutes le Fond du Tiroir : je vais éditer une bouteille de vin !
Plus exactement un livre-bouteille de vin, ah ah ah c’est génial, l’idée m’excite à fond, j’ai déjà fait un livre-CD et un livre-DVD mais c’était banal, déjà vu mille fois, un livre-vin qui a déjà fait ça hein ? Et signé Vigne en plus, et bien malin qui saura si le vin est le produit accompagnant le livre ou réciproquement, il n’y aura qu’un seul ISBN, ah oui au fait je n’en ai plus il faut que je pense à redemander un ISBN à l’AFNIL, et aussi à dégoter quelque part un outil de présentation pour poser sur ma table dans les salons du livre. Ah ah ah !
Je me rappelle avoir vu dans la vitrine d’une boutique, dans les hauteurs de la ville exactement l’objet qu’il me faut, un magnifique support de bouteille en fer forgé, une partie ronde et horizontale, une partie verticale et toute en volutes, à moitié rouillé ce qui lui donne des reflets rouges et moirés, enfin idéal, j’espère qu’il n’a pas été vendu depuis la dernière fois.
Je me perds dans les transports en commun et je peine à retrouver la bonne boutique dans ce quartier que je connais très mal… Mais enfin je parviens devant la vitrine : formidable, je distingue l’objet ! Il est au milieu d’un fatras poussiéreux d’ustensiles plus ou moins identifiables, bibelots informes, livres jaunis, animaux empaillés, mannequins de couturiers, outils dépareillés, cartons à chapeaux, boules de noëls, jeux de clés, machine à coudre et machine à écrire (ou bien s’agit-il d’une seule machine multifonction ?). Je porte ma main au front en visière : la lumière est éteinte. Le magasin est-il fermé ? Je pousse tout de même la porte, qui grince.
De l’arrière-boutique surgit la propriétaire, qui appuie sur l’interrupteur afin d’illuminer l’échoppe. Bon sang, c’est le sosie d’Helena Bonham Carter ! On m’avait pourtant bien prévenu qu’elle était un peu sorcière sur les bords et qu’il valait mieux ne rien acheter chez elle ! Elle est très jolie mais fait un peu peur, elle fronce les sourcils et sa voix est rauque.
« Vous désirez ?
– Heu un support à bouteille que j’ai vu dans votre vitrine heu celui-là-là mais heu les prix ne sont pas affichés heu combien ?
– Je vois que monsieur est connaisseur. Entrez, faites comme chez vous, je vais le nettoyer pour vous. »
Elle se baisse pour empoigner l’objet, souffle pour dissiper la poussière puis m’invite à la suivre dans l’arrière-boutique. Je lui emboîte le pas sans vraiment réussir à me concentrer sur les phrases qu’elle m’adresse, elle me dit que je ne vais pas partir comme ça, elle insiste pour me retenir à dîner, je n’ai qu’à m’installer à table.
Je m’assois, mais juste le temps qu’elle ait apprêté mon support de bouteille ensuite je file j’ai vraiment à faire, je ne vais tout de même pas manger avec elle, ce ne serait pas prudent. Elle revient et pose avec fracas sur la table un lourd plat de service puis me dit : « J’espère que vous aimez le saumon ? »
Je regarde dans le plat. Le saumon, énorme, presque un mètre de long, est cru. Non seulement cru, il est vivant, il tortille de la queue.
Cette fois c’en est trop, je me réveille.

Carnaval païen

05/12/2023 Aucun commentaire

Ah tiens et pendant ce temps, que devient l’Ukraine, vous avez de ses nouvelles vous ? On l’a perdue de vue l’Ukraine, on s’est lassé ou endormi comme devant une série qui aurait trop d’épisodes, trop de saisons, encore un bombardement dites donc on a l’impression de déjà-vu, ça ne se renouvelle pas beaucoup, la conclusion traîne à venir, les plus gros cliffhangers palpitants se sont émoussés par exemple le sort de la centrale nucléaire de Zaporizhzhya (plus grande centrale d’Europe) au bord du gouffre, ah ça oui c’était un grandiose épisode, et puis que voulez-vous d’autres sollicitations apparaissent en streaming alors on clique à l’affut de nouveautés ouais ça a l’air pas mal ça et saignant, Gaza, le Hamas, un attentat ici ou là, bin ou bam, sous la Tour Eiffel en plus, le glamour du décor qui ne gâtera rien, et puis c’est pas tout ça mais en décembre la magie de noël et la saison de ski trépignent dans le couloir alors l’Ukraine hein merci le réchauffé.

Je ne jette la pierre à personne. Pas de leçon à donner. Je ne parle qu’à mon bonnet, comme toujours ici. Je me rends compte et en rends à compte exclusivement à moi-même que je ne pense plus guère à l’Ukraine. J’en ai pris conscience brutalement, en regardant un film ukrainien, film gigantesque tout court mais fortuitement ukrainien, ce qui fait que je me suis frappé le front et la coulpe, « Ah mais oui et alors l’Ukraine au fait ? »

Le serment de Pamfir (Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk, 2022) est le premier long-métrage de son réalisateur. Comme tout grand film il est prodigieusement universel en plus d’être prodigieusement ancré : il parle d’une situation locale et de moeurs ukrainiennes, de trafics mafieux aux portes de l’Union Européennes et des luttes entre les dogmes chrétiens et les increvables rites païens (carnaval de la Malanka durant lequel les hommes du village, telluriques colosses, se déguisent en bêtes), il parle du proche et du lointain mais surtout du gaz entre les deux, de la violence archaïque et de la violence contemporaine, bonnes copines, il parle de vous et moi.

Mais tout ceci, ce ne pourrait être que le cinéma. Car en plus il y a la manière, qui fait le cinéaste.

Les critiques ont parlé d’un moyen terme entre Kusturica et Tarentino, je vois à peu près ce qu’ils veulent dire, le folklore délirant et le déchaînement à retardement, il faut bien se raccrocher à deux références connues. Mais dans son formalisme tragique j’aperçois aussi bien le croisement entre Béla Tarr et Haneke (un Haneke qui serait capable de compassion envers ses personnages) : l’image est époustouflante, le cadre impeccable et d’autant plus implacable, on n’en sortira pas, de cette beauté. Tout est filmé en plans-séquences, certains durent dix minutes, terrible impossibilité de cligner. Le plan-séquence est toujours à cheval entre le maximum de naturel théâtral et le maximum de sophistication obsessionnelle. Le plan-séquence est peut-être l’effet de style ultime du cinéma.

Que devient l’Ukraine ? On pourrait dire, on aimerait répondre : ça, et que cette réponse soit suffisante.

La post-production du « Serment de Pamfir » s’est faite sous les bombes de Poutine, littéralement, le studio se trouvant dans un quartier de Kiev ruiné par les missiles. Le travail a été poursuivi avec opiniâtreté, afin que le film soit prêt pour Cannes. Le film existe et il faut le voir, même si ce n’est pas notre visionnage qui sauvera l’Ukraine, au moins aura-t-on une idée de l’Ukraine autre que son martyre.

L’Ukraine était avant la guerre un pays de cinéma (environ 35 longs métrages produits chaque année). Toute production est bien sûr pétrifiée et on se demande où, quand, comment, Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk pourra faire un autre film.

Alice, Charles et nous

29/11/2023 Aucun commentaire

En juillet dernier, le Marie Mazille Trio (Marimazille + Christophe Sacchettini + Patrick Reboud) a créé pour le festival MusiQueyras un drôle de spectacle intitulé Alice, Charles et les autres, conviant sur scène deux invités, Laurence Dupré au violon et moi-même à la voix.
On y a entendu, « à notre façon » , des chants et contes traditionnels du Queyras puisés dans le répertoire recueilli tel un trésor par le couple Charles et Alice Joisten, des années 50 aux années 70.
D’abord conçu comme un « one-shot » préparé et consommé sur place merci-bonsoir, tous comptes faits, tous contes refaits, ce spectacle nous emballe tellement qu’il a un goût de revenons-y, on adorerait le voir tourner ici et là et même loin de chez lui.
Invitez-nous !
Pour vous faire une idée, le voici compressé tel un César : un teaser de sept minutes, bande-annonce pour les oreilles.

Charles Joisten (1936-1981) n’est plus là pour nous applaudir… En revanche nous avons eu la joie de recevoir la bénédiction d’Alice, enchantée d’entendre ce que nous avons fait de son travail : « Ce sont ici quatre musiciens et un conteur qui nous transmettent fidèlement un répertoire traditionnel de chants et de contes, tout en leur donnant une nouvelle vie grâce au dynamisme et à l’inventivité musicale qui les anime. »
Merci Alice ! Bisous !
Signalons la parution de son dernier livre, dans lequel nous avons puisé alors qu’il n’était encore qu’en épreuves.

Foncer dans le nuage

26/11/2023 Aucun commentaire

Cette nuit, je marchais le long du Rhône. Je trouvais dommage de ne voir ni poisson ni oiseau, ni même végétation sur les rives, seulement du béton et de l’eau morte, mais en somme j’étais, ah, bah, résigné, je regardais simplement les vagues sur le fleuve en me demandant quel bateau que je ne voyais pas les avais créées il y a longtemps. Et puis au moins, il faisait beau.
Soudain, une explosion fait trembler le paysage, et un panache de fumée grise s’élève à l’horizon. Je dois m’enfuir. Je me mets à courir. Mais pas pour m’éloigner de la fumée, au contraire je cours comme un dératé dans sa direction, loin en amont. Je suis rongé par le sentiment de l’urgence, mais urgence de quoi pour me précipiter ainsi vers la gueule du loup ? Il faut croire que j’ai quelque chose à sauver « là-bas ».
Je me réveille quand je pénètre enfin le nuage radioactif et que tout devient gris.

La lettre maudite

23/11/2023 2 commentaires
Photo Laurence Menu

Je me promène dans la forêt, je me perds sur les sentiers et dans mes pensées, comme j’aime.
Tiens ? Dans lesdits sentiers, plus de voitures que d’habitude, parquées à la va-comme-je-te-pousse.
Bang !
Ah mais oui c’est vrai : j’entends une détonation, qui me rappelle à qui appartiennent ces bagnoles. Les sous-bois regorgent d’animaux bipèdes en gilet orange et armés jusqu’aux dents. Leur loisir consiste à tuer et je suis invité à partager avec eux l’espace naturel. L’un d’eux a aimablement suspendu à son essuie-glace un écriteau : « Chasse en cours. Dialoguons ensemble. »
Ce qui me navre le plus dans cette communication en carton (Bang ! faisons un carton !) n’est pas le bizarre pléonasme (quelqu’un peut-il m’expliquer comment dialoguer autrement qu’ « ensemble » ? essayez de dialoguer séparément pour voir ?), mais la masse de logos entassés sous l’image : le département, la région, et même la République française, Marianne chasseresse. Tous les étages de mes impôts ont craché au bassinet de ce lobby archi-subventionné qui a réussi à se faire passer pour le seul authentique mouvement écologiste (car les autres sont des amish). Pour rappel, et on le rappellera aussi souvent que nécessaire tellement c’est hallucinant : la subvention de la chasse est passée de 27 000 euros en 2017 à 6,3 millions d’euros en 2021. Cher le carton.
Bang ! Une autre détonation retentit. Je commence à transpirer et à comprendre vaguement ce qu’ils entendent par « dialoguons ensemble », le pléonasme était nécessaire finalement, on va vous mettre les points sur les i.
Je ne reste pas statique trop longtemps, j’ai peur des balles perdues, je me remets en marche, je sifflote nerveusement pour me signaler à la cantonade, en espérant ne pas être confondu avec un quelconque animal qui par malheur siffloterait exactement de la même manière que moi.
Balle perdue… Balle perdue… Je rumine la balle perdue et presse le pas, peu serein. Je rumine cet archaïsme qui se fait passer pour moderne.
Je pense à d’autres archaïsmes qui perdurent, à d’autres sinistres héritages du mode de vie « vingtième siècle » qui nous trouent la peau et nous déglinguent le monde au vingt-et-unième et c’est très curieux, en les comptant sur mes doigts, je réalise que comme la balle perdue ils commencent tous par la lettre B…
La bagnole…
La bidoche (que ce soit en burger ou en barbecue)…
La bourse…
La bigoterie…
Le béton…
Le business…
Le black friday…
Le bien-être et ses mythes…
Ce sont peut-être des balivernes, des blagues ou des billevesées, mais les mots en b me viennent tous seuls pas à pas dans la boue… Ah ben tiens voilà, la boue, quand sortirons-nous de la boue…
Oh, la bêtise bien sûr, en général… Salut à toi, dont le règne est méconnu… Et la bienpensance…
Pourtant, pas de plan B. Pas de planète B, on l’a dit on le sait.
Bang !

1270

20/11/2023 Aucun commentaire
10/11/2004. EXCLUSIVE: LVMH CEO Bernard Arnault on board his private jet between Beijing and Shanghai.

Lu dans le Monde de ce matin :

« Bernard Arnault, le PDG français du groupe de luxe LVMH et Français le plus riche, a une empreinte carbone de 1 270 fois supérieure à celle d’un Français moyen. » Et encore, précise l’article, 1270 seulement ! Car dans le calcul « on exclut les émissions associées à ses investissements ».

1270 !

Un homme exceptionnel en vaut donc 1270 « moyens ». Combien en vaut-il qui sont tout en bas de l’échelle sociale ? 12 700 ? 127 000 ? L’équation serait intéressante.

Imaginons, visualisons : 1 270 péquins « moyens » dans mon genre, conscients de la gravité et de l’irréversibilité de la crise climatique, gentils colibris, qui tâchent de faire des efforts, de baisser le chauffage, de passer moins de temps sur les écrans et de faire durer ceux-ci plus longtemps, de prendre des douches et plus jamais de bain, de ne prendre leur voiture que lorsqu’il n’y a pas d’alternative, de renoncer au voyage en avion qu’ils font une fois tous les cinq ans en moyenne, de manger moins de viande, de porter des cols roulés, d’installer du double vitrage, d’être vigilants sur les circuits courts et l’absence d’emballages, de réparer plutôt que de remplacer, d’éteindre la lumière en sortant… et surtout de réaliser qu’ils n’en sont pas plus malheureux, qu’ils ne se sont pas métamorphosés en Amish.

Or les efforts de ces 1 270 braves gens sont instantanément balayés, annulés et rendus dérisoires par Bernard Arnault, dont l’empreinte carbone augmente d’année en année.

Je suis, en principe, contre le lynchage et les boucs émissaire. Je ne réclame pas sur l’air de la Carmagnole que l’on pende Bernard Arnault avec les tripes de François Pinault ni qu’on promène leurs têtes sous les fenêtres des familles Mulliez, Dassault ou Bettencourt, et je ne prétends pas que ce sacrifice humain « sauverait la planète ». Non non non. En revanche je rêve, plus modestement, plus utopiquement encore, d’une politique qui sanctionnerait vraiment tous les foutus « premiers de cordée » au lieu de les caresser dans le sens du poil, au lieu de nous les désigner en modèles, en héros, en titans, en surhommes, en bienfaiteurs, en Grands Officiers de la Légion d’Honneur (Arnault possède ce titre-là depuis 2011, sous Sarkozy).

Nous n’emporterons rien

16/11/2023 Aucun commentaire

Cette nuit, comme il m’arrive souvent la nuit, j’étais chez ma grand-mère. Comme elle est morte depuis presque vingt ans je saisis souvent cette occasion d’aller discuter avec elle.
Or ce jour-là (en pleine nuit) il se tenait dans la cour de sa maison une sorte de fête du village où j’avais accepté de tenir un stand de livres. Au beau milieu de la cour, j’avais installé des tréteaux, une planche, une chaise, et mes piles de livres. Je me résignais à l’idée que je ne vendrais rien, d’ailleurs pour le moment j’étais absolument seul, mais, bah, j’étais content d’être dans cette cour, cela faisait bien longtemps que je n’étais pas revenu au village (à part la nuit).
Mais la pluie se met à tomber. Je rapatrie en vitesse tout mon bazar dans la cuisine attenante, qui est bondée. Il y a là ma grand-mère, ma tante, mes cousines, et diverses personnes qui se croisent l’air affairé, et que je ne connais pas. Le temps que je réinstalle toutes mes affaires sur une estrade qui, je le vois bien, gêne le passage, je m’aperçois qu’il ne reste plus sur ma table que divers exemplaires de démonstration, défraîchis, déjà lus, cornés, découpés, tachés, dépareillés, et des piles de marque-pages. Alors cette fois, c’est sûr, je ne vais rien vendre puisqu’il n’y a strictement plus rien de présentable à vendre.
Je me mets en colère, je dis à voix haute : « Qui a pris mes bouquins ? Où les avez-vous rangés ? » mais tout le monde vaque et personne ne répond. Je fouille partout, dans les placards, notamment celui où il y avait la bouffe du chien, je me dis que puisqu’il n’y a plus de chien c’est peut-être devenu un rangement pour des cartons, c’est pas possible ils sont forcément quelque part ces foutus livres, je passe la porte de droite vers le garage, je cherche tout autour de la Diane jaune de mon grand-père, rien, je passe la porte de gauche vers « la salle », je regarde sous la table, derrière les fauteuils et le canapé… Rien de rien. Je suis excédé.
Je retourne dans la cuisine les nerfs à vif et soudain je vois mon père, assis dans le fauteuil près de l’entrée, pépère, somnolant, ayant conservé son manteau comme s’il s’apprêtait à repartir, devant lui se tiennent deux énormes valises à roulettes, hautes de près d’un mètre, bourrées à craquer : tous ses bagages sont là. Je m’emporte contre lui et l’engueule : « Mais c’est quoi, encore, ça ? Tu débarques encore une fois sans prévenir, avec tous tes bagages, et je suppose que tu attends qu’on te redescendes à Grenoble ? Bon dieu mais tu ne peux pas téléphoner, non ? Tu ne peux pas nous demander ? Qu’on s’organise ? Je ne sais même pas si elles vont rentrer dans ma voiture, moi, tes valises ! »
Il ne bouge pas. Ma compagne est derrière moi. Elle m’attrape le bras et me dit doucement : « Arrête, calme-toi. Ce n’est pas la peine de crier. »
Elle pointe du doigt les deux valises que j’ai vues mais peut-être pas comprises. « Tu vois bien : il part. »
Je me réveille.

Ce sont nos bagages, « pourtant nous n’emporterons rien » comme disait Maximilien Bertram dans les Giètes.

En partage

15/11/2023 Aucun commentaire

Encore une rubrique nécrologique au Fond du Tiroir. Qu’est-ce que j’en ai, des morts. Cette semaine je me chagrine de la disparition de deux personnalités ayant tenu un rôle dans mon éveil esthétique. L’une avait 85 ans et l’autre 47. Forcément, la seconde disparition est plus injuste.

1

Mon camarade Jean-Pierre Blanpain, 80 ans aux cerises, m’a adressé il y a peu cette phrase fabuleuse et définitive : « Ce qui me manquera le plus quand je serai mort, c’est le cinéma ».
Je ne vois pas comment mieux dire que le cinéma est la vie elle-même, justement parce qu’il est l’art des morts, l’art d’être mort, la mort comme savoir-vivre, il est l’art de faire encore bouger (« kinéma », en grec) ceux qui ne sont plus là ou qui du moins, dès le lendemain de la prise de vue, ne sont plus ce qu’ils étaient, tous ceux qui ne sont plus que fantômes (ou bien zombies, aussi, bien sûr).
Michel Ciment (1938-2023), pédagogue gigantesque, dont j’ai lu avec passion de la première à la dernière ligne certains des livres (ceux sur Kubrick), et dont j’ai bu les paroles et l’accent parisien bien des dimanches soirs, vient de devenir fantôme à son tour, à 85 ans (Tiens ? l’âge de mon père).
Pour lui rendre mes respects, j’ai regardé ce soir un DVD que j’ai depuis des années dans ma bibliothèque mais que je n’avais pas encore vu, Michel Ciment, le cinéma en partage, portrait filmé par Simone Lainé. J’ai vu sur mon écran le fantôme de Michel Ciment. Il va bien. il bouge bien. Il parle drôlement bien, d’ailleurs, avec son accent parisien.

2

Karl Tremblay (1976-2023), une étoile filante.
Souvenir merveilleux d’un concert des Cowboys Fringants dans les années 2010, au Festival du Bleuet de Dolbeau-Mistassini. Depuis je sais que les Etoiles Filantes est l’une des plus belles chansons du monde.

Ah et puis Plus rien aussi quelle putain de chanson coup de poing dans la gueule ! Terrible et prophétique.