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Boucle

02/10/2012 Aucun commentaire


La vie tourne et se retourne, et voilà qu’elle nous adresse en passant un petit clin d’oeil. On peut ne pas croire au destin, et trouver la synchronicité une chose admirable, juste histoire de rendre le clin d’oeil.

Pendant la conception de Double Tranchant, Jean-Pierre Blanpain m’a rapporté l’anecdote suivante : « Lorsque je suis revenu de mon service militaire, mes parents se demandaient ce qu’ils pourraient faire de moi. C’est alors que mon père qui était très pote avec un imprimeur a décidé qu’on ferait de moi un imprimeur. Nous sommes allés voir ce pote, qui dirigeait l’imprimerie de la Renaissance à Troyes sise à l’hôtel de Mauroy. Comme j’étais déja trop vieux l’affaire n’a pas pu se faire… »

Ce rendez-vous manqué à toutefois constitué le premier pas de Jean-Pierre dans le monde des livres et de l’imprimerie, monde qu’il a exploré depuis, avec quel talent et gourmandise. Or, la scène se passait à Troyes, hôtel de Mauroy. Cet imposant hôtel particulier du XVIe siècle n’abrite plus d’imprimerie depuis longtemps (l’imprimerie de la Renaissance, installée ailleurs, existe toujours, et elle vient de tirer le carton d’invitation de l’exposition…) mais, désormais, en lieu et place, La Maison de l’Outil et de la pensée ouvrière. Quarante ans après la jeunesse turbulente de Mister JPB, je réside à Troyes. Studieux, je passe beaucoup de temps dans le centre de documentation de cette Maison, et, entouré des fantômes de générations de compagnons du devoir, j’écris là un récit sur l’orgueil et la beauté du geste artisanal. Je confie ce texte, pour illustration, à Jean-Pierre – c’est ce que je fais de plus intelligent cette année-là. Le livre est rentré hier dans sa phase de fabrication, aux bons soins des Impressions Modernes, Guilherand-Granges (Ardèche), ci-dessus le reportage photographique de Jean-Pierre. Nous retournerons tous deux, dans quinze jours, présenter le fruit de notre labeur à Troyes, et la boucle sera bouclée.

Il ne vous reste que quelques jours pour souscrire à ce livre et recevoir, en sus de l’ouvrage, un tiré à part numéroté et signé de la main de celui qui n’est pas devenu imprimeur.

Racisme anti-blanc ?

01/10/2012 un commentaire

Jean-François Copé, poussant ses pions dans la guéguerre des chefs de l’opposition, a réussi à se faire remarquer par sa sortie sur le « racisme anti-blanc ». Je rumine cette histoire, cette curieuse association de mots… À ma propre stupéfaction je crois que Copé a raison. Je crois que le racisme anti-blanc existe, mais voilà qui m’inquiète : mon acquiescement ferait-il de moi un allié objectif de Copé, voire des Le Pen ? Cela m’oblige à un examen de conscience.

Il me semble que le racisme, comme son corolaire la bêtise, est universel, on-ne-peut-plus banal au sein de l’humanité. « Ces gens-là ne sont pas comme nous » , phrase archaïque qui permet de se faire une idée de qui nous sommes et donc d’apaiser notre angoisse. Selon l’endroit où l’on cherche, on débusquera ainsi sans se fouler des manifestations de racisme anti-blanc, anti-noir, anti-arabe, anti-jaune, anti-juif, anti-gitan, anti-roux, anti-gros, anti-anorexique, anti-handicapé, anti-jeune, anti-vieux, anti-riche, anti-pauvre, anti-intelo, anti-prolo, anti-femme, anti-homme, anti-homo, anti-hétéro… Il n’y a qu’à se baisser. Anti-tout. Modèle de société compatible avec le néo-libéralisme en cours de victoire hégémonique : la guerre de tous contre tous. (Aux dernières nouvelles Laurence Parisot dénonce le « racisme anti-entreprise », ce qui n’est pas fait pour clarifier le concept.)

Le racisme, selon cette acception extensive, est le prêt-à-penser très bien distribué qui permet d’avoir un avis sur son voisin sans le connaître, d’avoir peur de lui, et de le détester. Par exemple, si l’Union Européenne, fondée en 1957 sur les échanges économiques (et non sur les échanges culturels), court actuellement le risque d’exploser, c’est que la crise économique vaporise l’idée même d’union, et exacerbe partout-partout la haine des autres : les Français détestent les Anglais qui détestent les Allemands qui détestent les Grecs qui détestent les Italiens qui détestent les Polonais et ainsi de suite, nous sommes 27 en tout, à nous détester sans frontières (pendant ce temps les Belges se détestent entre eux – c’est normal, ils ont un rang à tenir, la Belgique abrite la capitale de l’Europe).

Je me souviens d’une scène particulièrement violente de Do the right thing (Spike Lee, 1989) où dans une série de travellings qui giflaient le spectateur, un blanc (italien) face caméra insultait les Noirs, un noir maudissait les Blancs, un WASP vomissait les Chinois, un chinois dégueulait les Latinos, etc. Spike Lee filmait en 1989 une société américaine tétanisée, à cran, en sueur, prête à se dévorer elle-même – la situation a-t-elle changé depuis que le Président des Etats-Unis est noir ? Fantasmons deux secondes : la France s’apaisera-t-elle le jour où elle élira un Président d’origine maghrébine ?

En attendant, le racisme « anti-gaulois » est un fait avéré dans les banlieues que les Gaulois ont ghettoïsées, je suis d’autant prêt à le croire qu’incidemment il m’est arrivé d’en faire les frais. On se demande donc par quel prodige le racisme anti-blanc serait le seul au monde à ne pas exister et, a priori, Copé ne fait qu’enfoncer une porte ouverte. Pourquoi en ce cas son truisme laisse-t-il un sale goût dans la bouche ? Peut-être parce que cette acception que j’ai qualifiée d’« extensive » du racisme prête au fond à confusion, en évacuant le sens initial, absolu, du mot Racisme, c’est-à-dire l’idéologie pseudo-scientifique de hiérarchisation des groupes humains, rancie quoique toujours opératoire, qui a théorisé et permis le colonialisme, soit l’origine de pas mal de maux d’aujourd’hui. Le paradoxal « racisme anti-blanc » serait une sorte de révisionnisme par le lexique : si l’on dilue comme Copé le racisme dans les racismes, perdant de vue l’Histoire, si l’on oppose terme à terme le racisme anti-blanc au racisme commis par les blancs, alors toute chose est égale par ailleurs et nous avons bien raison de ne pas les aimer puisque vous voyez bien, ils ne nous aiment pas, alors que nous sommes chez nous, merde, on les accueille dans notre pays et en plus ils ne nous aiment pas, ces ingrats. Et c’est là qu’on aperçoit la démagogie de Copé, c’est là qu’on comprend que ces ambiguïtés terminologiques profitent au FN : Marine a beau jeu de réclamer « une loi contre le racisme anti-blanc », comme si une loi contre LE racisme n’existait pas déjà dans la République.

En somme, comme le rappelle Humpty Dumpty, la question n’est pas de savoir ce que les mots veulent dire mais de savoir qui est le chef. Dans la mesure où les Blancs ont massivement le pouvoir, le racisme des Blancs est tout de même plus prégnant et plus toxique que le racisme dont souffrent les Blancs.

(La problématique est rigoureusement la même lorsque des petits malins masculinistes s’insurgent paradoxalement contre le « sexisme des femmes envers les hommes »… Mais jusqu’à nouvel ordre, qui détient le pouvoir, les hommes ou les femmes ? Et sur lequel des deux « sexismes » se fonde ce pouvoir immémorial ? De même, le précité racisme anti-entreprise de Parisot est une bonne blague, un retournement rhétorique victimaire, qu’il est aisé de démasquer puisque manifestement ce sont les classes laborieuses classes dangereuses qui souffrent de préjugés, de parcage et d’oppression depuis que la révolution industrielle a inventé la lutte des classes.)

Je pèche sans doute par naïveté tendance Yakafokon, tant pis : je crois que la première mission sociale du gouvernement actuel, sans doute trop ardue pour lui, est de changer les mentalités, réconcilier les Français, après un quinquennat qui a hérissé les communautarismes et les hostilités, accroissant systématiquement les inégalités. Pour cela, il faudrait aller au charbon, sur le terrain, dans les cités, ailleurs, faire reculer la bêtise raciste sur tous les fronts, démontrer économiquement et socialement aux Français des banlieues qu’ils sont Français comme les Gaulois… Au lieu de cela, la gauche s’indigne à bon compte et dénonce « les propos très graves » de Copé. Ah, ouais ? Et puis ? Faut-il remédier aux mots ou aux choses ? Moi je vote Humpty Dumpty.

Beau comme le déclic d’un cran d’arrêt

17/09/2012 Aucun commentaire

Double tranchant est sous presse. Il mesure 22 cms sur 30, il pèse un peu moins de 300 grammes, il est imprimé en bichromie, sous une couverture à rabats, il est doté d’un n° d’ISBN tel qu’on en voit peut (rendez-vous compte : 978-2-9531876-7-0), il coûte 17 euros… Que dire de mieux ? J’ajouterais bien qu’il est très beau, mais je me rends compte que je me répète, « beau » est sans aucun doute le mot que j’emploie le plus souvent pour décrire les livres du Fond du Tiroir.

Double Tranchant est une nouvelle coutelière et illustrée de main de maître par Jean-Pierre Blanpain, au moyen de linogravures rehaussées d’une seule couleur, mais quelle couleur, celle de la violence et celle du progrès, celle du sang et celle des émotions, celle du Double et du Tranchant. Depuis près d’un an, recevoir par mail les linos gravées par JPB en préparation de ce livre est un immense bonheur. Il en a dessiné 17 en tout, soir 17 variations graphiques sur les couteaux, et je croyais qu’il en avait terminé. Mais non : il a décidé de se fendre d’une 18e lino, au sujet autobiographique (JPB himself en train de découper ses linos), qui n’apparaîtra pas dans le bouquin, mais sera tirée à part et fera l’objet d’une estampe numérotée et signée que nous glisserons exclusivement dans les exemplaires réservés aux souscripteurs, c’est-à-dire ceux dont les commandes nous seront parvenues avant le dévoilement officiel de l’ouvrage, le 15 octobre.

Vous savez ce qu’il vous reste à faire : télécharger et imprimer sans plus attendre le bon de commande. Il est drôlement beau, ce bon de commande. Ah, zut, et voilà, je l’ai dit, c’est comme ça, je dis beau, je parle beau, je fais beau, je vise beau, je vous trouve très beau également.

Vocations contrariées

08/09/2012 Aucun commentaire

J’ai passé l’essentiel de la journée d’hier à m’exciter le bourrichon entre le bureau de la graphiste (grand merci à elle, au fait, déesse ex-machina) qui a accepté au pied levé de prendre en charge le prochain livre du Fond du tiroir, Double tranchant, et les locaux de l’un des imprimeurs à qui nous avons demandé un devis pour ce même ouvrage, tout cela en compagnie de JPB. Eh, bien, quelle bonne journée j’ai passée ! Le soir je suis rentré chez moi d’une humeur excellente, rayonnant cette euphorie que je connais mais que j’avais un peu perdue de vue cette année, cette joie d’accomplir. J’ai l’honneur de vous informer que je sous-signé maniaco-dépressif, me trouve à cette heure-ci tout en haut de la grande roue – rendez-vous en bas.

J’aime toujours autant faire des livres, ouf. Le moteur est relancé. J’aime l’opération magique qui consiste à donner une forme physique à une cosa mentale. Passer des heures à remettre sur l’ouvrage, traquer la petite bête, inventer la mise en page, agencer les mots, les textes, trouver du sens dans les polices et les couleurs, jouer du colophon, choisir le grammage du papier, caresser un bouffant plutôt qu’un couché, mettre le nez dans les machines, renifler les encres, s’assourdir des rotatives, comparer les mérites du numérique et de l’offset, bricoler la couverture, ajouter des rabats à la dernière seconde juste parce que c’est plus beau… Même sortir la calculette, évaluer le prix de revient et le laps escompté pour atteindre le seuil de rentabilité (l’an 2040, en gros), ne me rebute pas. Ah, comme j’adore ça. (Un seul aspect du métier me semble outrepasser mes compétences : vendre les livre.)

Je crois, je me vante, et pourquoi ne me vanterai-je pas, que j’aurais fait un pas-trop-mauvais éditeur. On rencontre parfois, dans ce milieu, certain cliché selon lequel les éditeurs seraient peu ou prou des auteurs rentrés, des écrivains frustrés qui compenseraient leur œuvre avortée en publiant celle des autres, moyen de biais d’imprimer malgré tout leur nom sur une couverture. C’est possible, avéré peut-être dans certains cas, je ne préjuge pas. Tout ce que je puis dire, c’est mon sentiment d’occuper une position strictement inverse : éditeur rentré, peut-être bien que j’écris des livres uniquement pour les réaliser. Do it yourself, et on en recause, quand vous saurez la griserie que c’est.

La vocation, « la voix qu’on entend », l’appel, le désir sinon d’embrasser une carrière, au moins de suivre une voie, accomplir pour s’accomplir, en voilà un sujet brûlant, d’ailleurs c’est la rentrée des classes. Qu’est-ce que tu vas faire quand tu seras grand ? À quoi rêvent les jeunes filles, les jeunes gens ? Je ne sais pas au juste, je constate seulement ce qu’on essaye de leur vendre comme vocation en kit, en toc, et j’en suis consterné. Chaque fois que je tombe en ligne sur cette pub de merde, ou l’une de ses nombreuses variantes, où une accorte pétasse maquillée de frais, en tailleur gris ou sous-pull gris aussi, tous crocs dehors, me dit « Toi aussi tu peux devenir trader » , et d’abord j’ai horreur qu’on me tutoie, je suis écœuré, effondré, effrayé. Or c’est souvent, ne serait-ce que sur ce site du « quotidien de référence » , grand thermomètre et petit manipulateur des opinions. Je lis ce quotidien quotidiennement, je suis donc effaré au jour le jour par ce cynisme, comme si je lisais un autre message en-dessous, subliminal, « Toi aussi tu peux devenir trafiquant de drogue/tueur à gages/marchand d’esclaves », toi aussi tu peux te goinfrer, t’en mettre plein les fouilles plein le bide plein le pif, toi aussi tu peux enculer le monde juste avant le déluge. Le jour où la vie en société sera à nouveau possible, voire voluptueuse, on rêvera devant des réclames qui laissent entrevoir la perspective de faire autre chose que du fric,  « Toi aussi tu peux devenir musicien / agriculteur bio / infirmier / archéologue / éducateur spécialisé / astrophysicien /  cuisinier / ostéopathe / professeur d’histoire-géo / assistant(e) social / projectionniste / jongleur sur monocycle / sage-femme / fleuriste / compagnon du devoir / bibliothécaire / coutelier / chômeur décomplexé épanoui et amoureux /  éditeur. »

Il ne faudrait pas que cette rêverie mine ma belle humeur. J’ai un livre à sortir. La souscription ici même dans quelques jours.

Bipenne

01/09/2012 un commentaire

Prière de trancher
Incipit à l’exposition Double tranchant

Médiathèque de Troyes, 15 octobre-31 décembre 2012
Inauguration pendant le 26e salon du livre jeunesse, 18-22 octobre

Premier temps : la lame.
J’ai bénéficié durant l’automne 2011, il y a un an tout juste, d’une résidence d’écriture à Troyes. La bibliothèque de la Maison de l’Outil et de la Pensée Ouvrière est rapidement devenue l’un des endroits de la ville où j’ai pris l’habitude de m’installer pour travailler. Sans doute, mon éphémère situation de « résident », solitaire, concentré, préoccupé par la simple beauté du geste cent fois remise sur le métier, me prédisposait à aimer cet endroit dédié au geste artisanal, autrement dit au génie humain. C’est donc ici qu’est né un texte, Double tranchant, monologue d’un coutelier, rêverie sur l’artisanat autant que sur le rôle symbolique des couteaux dans l’histoire des hommes.
Créer un couteau, c’est créer de la culture, et réciproquement : ce qui n’était qu’une intuition a été confirmé par l’étymologie. « Couteau » et « culture » sont cousins, tous deux issus du verbe latin colere, cultiver, via le coutre, partie tranchante du soc de la charrue.

Deuxième temps : le manche.
Le texte s’est ensuite incarné dans les illustrations de Jean-Pierre Blanpain, partenaire de jeu idéal. Lui-même perpétuel et malicieux artisan, il a décidé que « la forme rejoindrait le fond » et qu’il produirait les images « en les coupant », c’est-à-dire qu’il a opté pour la technique de la linogravure. Sa magnifique série de linos noir et rouge tantôt colle au texte, et tantôt s’en éloigne, ne retenant que la légende dorée ou noire des couteaux (Charlotte Corday, l’un des motifs de sa série, est une marotte qui lui est personnelle, elle n’apparaît pas dans mon texte.)

Troisième temps : les rivets, pour faire tenir ensemble le manche et la lame.
Textes et dessins ont été confiés à un dernier cercle d’artisans, le Centre de création pour l’enfance de Tinqueux. J’ai hâte de revenir à Troyes pour découvrir cette exposition. Si j’ai le temps, j’irai aussi faire un tour à la Maison de l’Outil.

Fabrice Vigne, septembre 2012

Dans l’odeur du pain brûlé

23/08/2012 un commentaire

Cette nuit, j’ai rêvé qu’il était grand temps que je consulte, enfin, pas pour moi bien sûr, je viens pour un ami, ah ah ah. Je me trouvais donc seul dans une salle d’attente, le temps était long et l’ameublement spartiate, je réfléchissais à la meilleure façon de tourner ma lettre d’adieu, il paraît que Tony Scott en a laissé une dans sa voiture près du pont, mais c’est dommage les policiers ne veulent pas révéler ce qu’il y a dedans. Finalement l’infirmière entre dans la pièce, me tend un stylo et un formulaire de deux pages à remplir avant de rencontrer le médecin. Sur les deux feuilles l’impression bave, l’encre floute, ils devraient songer à changer la cartouche de leur photocopieuse. La première page contient une liste de questions sur la régularité de mes relations avec la Sécurité Sociale et sur mes antécédents médicaux, les diabétiques de la famille, mes infarctus, mes anesthésies générales, mon usage de stupéfiants alcool tabac, mes hépatites, mes allergies, interrogatoire au terme duquel je ne vois pas de quoi je pourrais me plaindre, enfin plaindre mon ami bien sûr ah ah. La seconde page est constituée d’un QCM visant à établir mon quotient dépressif. La première question est ainsi formulée : « Vivez-vous depuis une semaine prostré dans le noir et l’odeur du pain brûlé ? □ OUI  □ NON (Si OUI comptez + 1 point) » Ah, okay, quand on a terminé, il suffit d’additionner les points en bas de page, ce n’est pas très compliqué.

Je me suis réveillé en gloussant, des soubresauts partout. Ah ah ah. C’est vachement rigolo, en fait, la dépression, pourquoi personne ne le dit jamais ?

Tout ça c’est pas juste moi, c’est parce que je lis l’actualité, il ne faut pas s’étonner, après. Il suffit que je lise ceci ou cela, ou même ça, et vlan je suis submergé comme devant par mes angoisses de fin du monde, 21 décembre mon cul, en réalité c’est chaque jour un peu, je devrais me surveiller je suis un vrai coeur de cible pour tous ceux qui annoncent l’imminente Apocalypse, il faudrait que j’en parle à quelqu’un, je le ferai le jour où je me déciderai enfin à consulter, ah ah ah.

Pour faire glisser j’écoute Didier Super. Les punks en principe ont toujours raison, parce qu’il n’ont rien à perdre, rien à cacher, rien à foutre les couilles, never mind the bollocks. Free Pussy Riot !

Et surtout joyeuse rentrée à tous !

Femme artiste

07/08/2012 Aucun commentaire

S’il te plaît, Dieu,
ne me laisse pas écrire comme une femme.
Dortothy Parker

Je réalise, je n’en tire pas de conclusion, cela ne signifie rien de spécial, c’est comme ça, je réalise que j’ai surtout emporté des femmes dans la valise de mes vacances : un Annie Ernaux, un Nelly Arcan, un Corinne Lovera Vitali, la biographie d’Olympe de Gouges dessinée par Catel (écrite cependant par un homme, Bocquet, okay), et alors, pas besoin de parité, il s’agit de littérature pas de queue devant les toilettes, on s’en fout de la parité, c’est comme au festival de Cannes, elle était oiseuse cette histoire.

À ce propos, je lis justement dans le Corinne Lovera Vitali :

Il n’y a pas une seule artiste qui pourrait dire qu’elle n’a jamais une fois considéré qu’elle était une femme artiste. C’est impossible. Sauf que […] j’ai effectivement pensé qu’écrire n’est qu’un type de manie ou tic ou toc ou addiction peu importe, une maladie qui se console elle-même en curant sans relâche son symptôme. Un truc de maboule et de faiblard camé jusqu’aux yeux où pour le coup il se pourrait qu’on ait la stricte égalité mâle femelle.

Je lis plein de phrases de ce genre dans ce CLV, qui me touchent à plein d’endroits distincts dans ma personne, comme il arrive quand on lit un livre dont on se dit c’est pas possible c’est tellement juste ça a été écrit exprès pour moi alors qu’on sait bien que ça a été écrit pour l’auteur. Par exemple, à un moment elle donne une définition de ce que c’est écrire, elle la donne oui elle l’offre, à l’improviste au milieu d’un paragraphe qui parle aussi d’autre chose, elle la donne subreptice sans gyrophare ni enseigne « Attention ! Ici définition de l’écriture ! », et ensuite elle pourrait aussi bien changer de sujet même si c’est le sujet de tout le livre finalement, ça fait comme ça :

Je crois que mon travail c’est l’action de mon inconscient et de ma volonté côte à côte dans mon corps comme y sont côte à côte cœur et poumons, la fabrication de mon inconscient et de ma volonté réunis de force pour revivre ce sentiment d’échapper au temps que j’ai connu d’abord avec la lecture il y a longtemps, quand j’étais adolescente. Échapper au temps alors devait avoir ses raisons d’alors, qui finalement ont dû rester. Finalement on change de tout et même de vie sauf de ce qui la première fois nous a emportés.

CLV envoie des mots, en rafale ou en flux, aucun pour rien, des mots sur la littérature et sur sa littérature (sa « fabrique de présent »), des mots forts, des mots drôles, des mots pavé-dans-la-marre (j’aimerais contresigner son chapitre La maman, ses observations sur la façon dont se font les livres pour enfants parce qu’elle en sait là-dessus au moins autant que moi), des mots d’indépendance (dernier chapitre : « C’était au début de NON, quand on décidé qu’il fallait faire, et faire tout de suite, se passer des éditeurs, se passer des commissaires, se passer des intermédiaires pour être direct dans la matière et donner forme à la chose qui était dans l’envie »), des mots de détours étonnants loin de nous pour y revenir (elle dit de jolies choses sur The Wire, eh bien oui, on a beau habiter loin de Baltimore, tout ce qu’on écrira peut avoir et doit avoir un lien avec The Wire parce que The Wire le câble la ficelle c’est justement littéralement : le lien), elle dit des choses terribles aussi (« J’ai attendu d’être contrainte à pénétrer une morgue pour ne faire qu’écrire »), elle ne triche pas, elle y va, elle y est, j’aime lire CLV de même que j’aime aller discuter avec elle en buvant un coup à la terrasse d’un troquet, ça me requinque pour un laps.

Le livre s’appelle Scrute le travail, il est accompagné d’un CD qui lui aussi gratte au bon endroit (Laisse dire, laisse dire…), il vient de paraître aux éditions Précipitées (Artignosc-sur-Verdon), il coûte 16 euros, je ne sais pas où vous pouvez vous le procurer, je ne sais pas si vous pouvez vous le procurer, tout le monde n’a pas la chance de boire des coups avec CLV à la terrasse des troquets, essayez directement chez NON (155non arobase orange.fr), c’est mieux.

Et puis il y a son site.

Allez allez ô jeunes filles cueillir des bleuets dans les blés

27/07/2012 un commentaire

Le bleuet des champs ou centaurée contient des antioxydants réputés ralentir le processus de vieillissement. L’on utilise, depuis les temps immémoriaux dits Temps de bonne femme, l’eau de bleuet pour adoucir les peaux irritées, décongestionner les yeux cernés, apaiser les corps meurtris, réconforter les existences en général. La centaurée (Centaurea cyanus) doit son nom au sage Chiron, précurseur à six membres de la pharmacopée, qui soigna les blessures d’Achille grâce à une décoction de bleuets.

En sus de si considérables vertus, le bleuet est le totem de la librairie la plus stupéfiante de France.

« Le Bleuet » avec un B majuscule qui est la moindre des choses a été fondé en 1990 par Joël Gattefossé, au milieu de nulle part, soit à Banon, village de moins de 1000 habitants des Alpes de haute Provence. Déjà, ouvrir une librairie ! De quoi faire pouffer n’importe quel banquier un tant soit peu sérieux. Mais à la cambrousse, en plus ! Or, visionnaire ou mégalomane, en tout état de cause libraire forcené et bosseur extravagant, l’énergumène Gattefossé voit les choses en grand, et petit à petit fait de son échoppe une des plus importantes librairies indépendantes de France, la septième en chiffres d’affaire, 13 salariés (soit 8% de la population du village), 110 000 titres disponibles (soit un choix de 110 titres pour chacun des habitants), un stock de 200 000 volumes (soit 200 par habitant), 500 ventes quotidiennes (soit 1/2 livre par habitant et par jour – bon, j’arrête la blague, il est évident que sa clientèle n’est pas autochtone).

Il ne compte pas s’en tenir là : pour passer aux choses sérieuses, il a entrepris des travaux pharaoniques (première tranche en 2012, un hangar de 1700 m3 bâti à portée de main dans la vallée) afin d’atteindre le stock du million de volumes. Ambition : devenir en 2015 la première librairie de France en fonds littéraire – vous cherchez un livre ? s’il existe, le Bleuet l’a. Il s’attaquera ensuite quand il aura cinq minutes à la vente en ligne, ouvre cet automne son site internet, escomptant fissurer la situation de quasi-monopole d’Amazon, pas moins.  Ce type est fou.

Je vous en cause parce que l’histoire est édifiante, un fou qui délire pour la bonne cause étant un bon fou, et une utopie qui fonctionne réchauffant toujours le coeur, mais aussi parce que les livres du Fond du tiroir sont introuvables en librairie. Sauf à Banon, capitale de la littérature française, 1000 âmes. J’ai rencontré le Bleuet et son patron à Montfroc, sur le salon du livre bio, et je leur ai abandonné mes petits produits artisanaux. C’est ainsi que, même pendant les congés d’été, la centaurée veille sur la bibliodiversité. Et décongestionne les yeux cernés.

Avorton

06/07/2012 2 commentaires

On sait bien que les comédies ne sont faites que pour être jouées ; et je ne conseille de lire celle-ci qu’aux personnes qui ont des yeux pour découvrir dans la lecture tout le jeu du théâtre ; ce que je vous dirai, c’est qu’il serait à souhaiter que ces sortes d’ouvrages pussent toujours se montrer à vous avec les ornements qui les accompagnent chez le roi. Vous les verriez dans un état beaucoup plus supportable, et les airs et les symphonies de l’incomparable M. Jean-Baptiste « Factotum » Lully, mêlées à la beauté des voix et à l’adresse de danseurs, leur donnent, sans doute, des grâces dont ils ont toutes les peines du monde à se passer.
Molière, préface à l’Amour médecin, 1666

Je ne suis pas superstitieux, mais j’ai refait le compte. Lonesome George, petit livre écrit l’automne dernier et qui au terme de huit mois de fausses joies et de vraies avanies fut finalement déclaré en état de mort cérébrale, est mon treizième livre. Ce fantôme de livre est donc la XIIIe arcane de mon tarot, la mort qui fauche et la résurrection. Je l’aime bien ce petit avorton, ce roman de poche qui ne restera qu’une idée (une bonne idée) dans la tête et le disque dur de ses concepteurs.

Je ne vais pas détailler l’histoire, ça me ferait de la peine, mais disons que le livre entrevu a d’abord été accepté, puis dans un deuxième temps refusé par une maison d’édition, par conséquent inscrit puis effacé puis réinscrit sur le planning de publication du Fond du tiroir, puis brutalement suspendu suite à la défection de son maître d’oeuvre… Et enfin définitivement abandonné à l’annonce de la mort de sa figure tutélaire, la tortue Lonesome George. Ce texte se voulait (notamment) un éloge de la lenteur encarapacée, dans un monde de laideur en surcapacité, et exprimait une sorte de tendresse pour ce reptile géant, unique en son genre, sans doute voué à disparaître tragiquement sans descendance, mais après tout on n’en était pas sûr, puisqu’il lui restait une espérance de vie de près d’un siècle, ah, il était censé tous nous enterrer ce vieux George, tant de choses aurait pu se passer en un siècle, George sans vouloir simplifier à outrance m’apparaissait une jolie métaphore de l’espèce humaine, dure comme une armure d’écailles mais bien fragile dans son destin, en danger de mort peut-être, mais peut-être pas, il faudrait vérifier d’ici un siècle, être patient, être lent, laisser venir. Fatalitas, voilà que George meurt, comme il a vécu, tout seul, et lentement, encore jeune homme. On comprendra que le trépas du totem m’ordonnait de renoncer une bonne fois à mon texte numéro 13 qui, de fait, changeait de signification : finie la lenteur, fini le « tankyadlavi, yadlespoir », tout est foutu bonnes gens.

Après avoir hésité un peu, je vous l’offre tout de même, foin de triskaïdékaphobie. Vous pouvez lire ce texte, dans sa version pré-maquette à peine corrigée, en cliquant ici. Mais attention, ce n’est qu’un texte. Ce n’est pas un livre. Il vous faut imaginer ce qu’il aurait été in fine sous la superbe couverture à tiroir dessinée par JP Blanpain, avec la quat’ de couve très belle itou, avec entre les deux tous les jeux de mise en page, de changements de police comme de registre, d’images trafiquées, d’abîmes induits par la société de l’information, de facétieux culs de lampe, il manque en fait presque tout ce qu’il y avait de facétieux.

Non : tel quel, en version téléchargeable et bradée, ce n’est pas un livre. C’est un texte. Comparez. Vous n’avez qu’à considérer que c’est ma contribution au débat « lire un livre numérique, est-ce encore lire un livre ».

Lonesome George devait être mis en vente au mois de mai, au prix de 9 euros. Vous pouvez désormais le lire gratoche. De rien, ça me fait plaisir, c’est cadeau. La crise partout-partout, on sait ce que c’est. Pour autant (et même pour un peu plus), vous pouvez soutenir le Fond du tiroir en achetant ses autres livres, ceux qui existent pour de bon. Il se trouve que j’ai besoin de liquidités pour fabriquer l’opus 14 (sortie en novembre). Tankyadlavi, merci d’avance.

Autre genre de prose, de saison : ici se trouve mon rapport 2012 À l’école des écrivains, comprenant mes considérations annuelles sur l’Éducation Nationale et un atelier d’écriture effectué au collège de Lubersac (Corrèze), si ça intéresse quelqu’un.

Rectificatif, novembre 2012 : oh, et puis si, allez, je le publie quand même ce Lonesome George. En conséquence je désactive le lien ci-dessus donnant accès au PDF.

On a tous besoin d’hamour

25/06/2012 4 commentaires


Ma petite entreprise, mon terrain de jeu et de liberté, mon utopie à roulettes, mon « Fond du tiroir », a donc volé en éclats. Alors que j’avais un planning de deux publications en 2012 (mai et octobre), Patrick Villecourt, mon graphiste, factotum et ami, co-inventeur de tout ce qui concerne le Fond du tiroir, me tire sa révérence dans le dos, mettant un terme brutal à quelque chose comme six ans (puisqu’il y eut une vie avant le FdT) de collaboration fructueuse, fébrile et rigolote. Il m’explique qu’il n’est plus capable de rester des heures devant un écran à composer des livres, ça l’emmerde, ça le fait souffrir, ça le laisse froid, il n’a qu’une envie, déguerpir, prendre l’air, s’occuper de ses ruches, de ses essaims et de son miel. Que faudrait-il répondre ? Naturellement je ne lui en veux pas, comment pourrais-je, il me reste encore un paquet de mercis à lui dire. Je te souhaite bon miel, vieux.

Pour me consoler il me la joue « les cimetières sont pleins de gens irremplaçables, tu peux continuer avec n’importe qui », mais je ne vois pas les choses ainsi, je considère Patrick comme le co-auteur des 7 livres réalisés ensemble (le summum étant bien sûr J’ai inauguré IKEA, objet particulièrement graphique, où sa part de travail est supérieure à la mienne). Moi j’avais dans l’idée que le FdT était un duo, j’écrivais, il visualisait, on éditait à deux. Certes rien ne m’empêcherait, rien ne m’empêchera, de reformer un duo avec n’importe qui (l’un des deux livres prévus, au moins, reste à l’ordre du jour, sans que je sache ni où ni quand ni comment, et à peine pourquoi), mais ce ne sera pas le même cadre, ce ne sera pas sous le logo dessiné par Patrick.

Cette fin brutale était (presque) imprévisible, elle est en tout cas malencontreuse, parce qu’elle advient au moment précis où, ayant échoué depuis lurette intéresser des éditeurs traditionnels à mon travail (le dernier contrat que j’ai passé pour un livre date de 2009), j’avais fait une croix sur toute velléité de pénétrer le paysage éditorial français, bien décidé à occuper, en guise de position stratégique, le seul fond de mon tiroir. Le tiroir se délite et me voici tout nu.

Merci à tous ceux qui, dans mon dénuement, m’ont adressé un petit message d’hamour.

Je vais écrire un petit peu. Et voir ce que ça devient. Comme toujours.

Cette chronique est dédiée à la mémoire de Lonesome George, mort hier, dans la force de l’âge.