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Death on the installment plan

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Dieu dit enfin : « Faisons les êtres humains ; qu’ils soient comme une image de nous, une image vraiment ressemblante ! Qu’ils soient les maîtres des poissons dans la mer, des oiseaux dans le ciel et sur la terre, des gros animaux et des petites bêtes qui se meuvent au ras du sol ! »
Dieu créa les êtres humains comme une image de lui-même ;
il les créa homme et femme.
Puis il les bénit en leur disant : « Ayez des enfants, devenez nombreux, peuplez toute la terre et dominez-la ; soyez les maîtres des poissons dans la mer, des oiseaux dans le ciel et de tous les animaux qui se meuvent sur la terre. »
Et il ajouta : « Sur toute la surface de la terre, je vous donne les plantes produisant des graines et les arbres qui portent des fruits avec pépins ou noyaux. Leurs graines ou leurs fruits vous serviront de nourriture.
De même, je donne l’herbe verte comme nourriture à tous les animaux terrestres, à tous les oiseaux, à toutes les bêtes qui se meuvent au ras du sol, bref à tout ce qui vit. »
Et cela se réalisa. Dieu constata que tout ce qu’il avait fait était une très bonne chose. Le soir vint, puis le matin ; ce fut la sixième journée.
Génèse, 1, 26-31, Traduction oecuménique de la Bible.

Deus sive natura. « Dieu, autrement dit, la Nature », disait Spinoza.

La Nature par la voix de son masque, Dieu (à moins que ce ne soit le contraire), semblait autrefois adresser une suprême injonction : que l’humanité, enfant chéri enfant gâté, perle de la création divine ainsi que sommet de la chaîne alimentaire, profite et prolifère. Croissez, multipliez, vous avez toute la place. C’est bien simple, la terre lui appartenait. La nature en coupe réglée. Puis, à force, en coupe déréglée.

Chaque année, l’ONG Global Footprint Network « célèbre », si l’on ose dire, l’Earth overshoot day, c’est-à-dire le jour où, dans une année donnée, l’humanité atteint la limite de consommation annuelle des ressources naturelles (eau potable, hydrocarbures, faune, flore…) que la terre est capable de reconstituer. Chaque année de plus en plus tôt, nous franchissons le seuil symbolique au-delà duquel notre espèce, jusqu’au 31 décembre, consomme et consume la terre à crédit. En 2014, ce franchissement a eu lieu mardi dernier, 19 août.

Ce jour-là j’ai ruminé de funestes pensées et comme toujours en ruminant j’ai plané par associations d’idées. Puis j’ai atterri sur une image dont le lien avec  ce qui précède n’est pratiquement pas conscient : Indiana Jones dans un frigo.

J’ai vu à sa sortie Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal (2008). Film délicieux, distrayant, un poil régressif, à consommer sur place : je l’ai aimé, je l’ai oublié, passons à autre chose. Sauf que non, il ne s’est pas intégralement effacé. Une scène spectaculaire et comique, absurdement logique, bizarre, surréaliste au sens premier, m’est restée : Indiana survit à l’apocalypse nucléaire en s’enfermant dans un frigo. Il faut bien, pour insister ainsi qu’elle veuille dire quelque chose.

Notre héros se retrouve en cavale dans une ville paumée du Nevada au milieu du désert. Il cherche secours dans la première maison… Les habitants, aux airs de famille américaine idéale, un papa plus une maman plus un garçon plus une fillette, se révèlent des mannequins de cire, assis et souriant devant la télévision qui diffuse des joyeuses publicités. La télé, elle, au moins, est réelle, elle parle et bouge et chante, fonctionne parfaitement. La ville entière semble opérationnelle, mais toute forme de vie y a été réifiée, jusqu’au chien, statue immobile dans la rue. Le salon est un décor. Les vêtements, y compris suspendus au fil, des costumes.

La gloire d’Hollywood et de Spielberg est de rendre fun des visions terriblement anxiogènes, qui en outre ne demanderaient, en d’autres mains, qu’à devenir brulot politique : n’est-ce pas là une image figée du piège consumériste, de la déréalisation par le confort domestique, du bonheur de pacotille mais obligatoire, de l’American way of life inventé dans ces années 50, modèle qui n’a pas été remplacé depuis lors ?

Cette ville factice, Survival town, n’est pas un fantasme de scénariste. Elle a existé et, comme dans le film, servait à tester grandeur nature l’espérance de survie des hommes et des choses en cas d’explosion nucléaire. Soudain, Indy entend une sirène et comprend que cette maison où seuls les biens de consommation sont authentiques est l’épicentre du point d’impact d’une bombe A suspendue au-dessus de sa tête. Il n’a que quelques secondes pour réagir et sauver sa peau. Cinq, quatre, trois… Il ouvre le frigo, le vide précipitamment de tous ses aliments conditionnés, et s’y enferme à leur place. Boum ! L’apocalypse se déchaîne. Indy survit. La scène n’est pas tout à fait invraisemblable, paraît-il. Mais elle est bien mieux que réaliste : elle est puissante du point de vue imaginaire.

Nous sommes au seuil d’une destruction massive de notre environnement – le seul que nous avons, et que nous gaspillons. Quel recours reste-il ? Nous enfermer dans l’électroménager en attendant la déflagration.

Le climat se réchauffe ? Pas grave, allume la clim.

(Sans le moindre rapport, si ce n’est le cinéma : cette nuit, j’ai rêvé que je racontais une histoire à Louis de Funès. Je le faisais bien rire. Un peu comme un cadeau rendu au père Noël.) 

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