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Qui est le vrai ambassadeur ?

01/08/2013 3 commentaires

All I do is play the blues and meet the people face-to-face
I’ll explain and make it plain, I represent the human race
In my humble way I’m the USA
That’s what I stand for, I’m the real ambassador !

Et ainsi les idées s’associent (III).

* Je suis dans l’avion. Je lis dans le dernier numéro de Sofilm une interview de John Landis, très vive et dénuée de toute langue de bois promotionnelle, puisque Landis n’a pas sorti de film depuis des années et ne semble pas pressé de se remettre à l’ouvrage. Il cite Mark Twain : « En Europe, ce qui caractérise un artiste, c’est sa plus grande œuvre. En Amérique, c’est la plus récente. » Ensuite il se cite lui-même : « Mes amis européens ne comprennent pas ce qu’est l’Amérique. L’Amérique est un endroit fabriqué par des immigrants, ce qui veut dire qu’on a le meilleur et le pire du monde entier. Le problème, c’est que les Américains se pensent les meilleurs, et que le reste du monde pense qu’on est les pires. Alors qu’on est comme tout le monde. » Ah, bon.

* Papiers, New York, vitrines, you see what I mean ? Pompiers, trop tard, Madison Square, struggle for life et business show, salaud ! Lis ton journal, crise mondiale partout partout ! Je rêve tout éveillé à Paris New York, New York Paris comme si vous y étiez, comme si tu y es !

* Je retrouve dans mes archives l’incipit du film Poussières d’Amérique d’Arnaud des Pallières, entièrement composé d’images d’autres films : « L’Amérique, je n’y suis jamais allé. Aller pour de vrai en Amérique ne serait ni l’aventure ni la découverte mais l’occasion de vérifier à quel point ce que j’y vois est proche de ce que j’en sais déjà. Au fond, que l’Amérique soit un pays, rien n’est moins sûr…« 

* Je suis à New York pour de bon. T’imagines ? Le vrai moi dans le vrai New York, c’est dingue, la ville debout comme dit Ferdine, la ville par excellence, que j’ai tant vue au cinéma et tant rêvée, ce qui revient au même. New York capitale de la liberté et de la physiocratie, et un peu de la planète terre, de même que Paris était celle du XIXe siècle d’après Walter Benjamin, puisqu’on la reconnaît quand on la voit pour la première fois. On a beau raviver à chaque coin de rue un souvenir de film ou de livre ou de série (Dream on, du précité John Landis) ou de musique, ou de comics (dès l’âge de 7 ans, je savais ce qu’était New York : le terrain de jeu des super héros et notamment de mon préféré, Spiderman – puis, quelques années plus tard, quand je m’intéressais davantage aux auteurs qu’aux personnages, je reconnaissais en New York la matrice, à la fois écosystème et cosa mentale, de  l’œuvre de Will Eisner), l’émotion n’en est pas estompée, le coeur s’emballe pour de bon quand approche la skyline.

* Je visite la bibliothèque municipale, comme je fais systématiquement partout dans le monde. Et ça ne manque pas : celle de New York, je la reconnais instantanément, avec son escalier et ses deux grands lions, je l’ai déjà visitée dans Ghostbusters, dans Diamants sur canapé, j’ai sais ce qu’il en restera dans Les évadés de la planète des singes.

* Je traverse à pied le pont de Brooklyn, puis Broadway. Je croise un nombre ahurissant de t-shirts geeks, des Superman et des Batman en veux-tu. Moi-même, aussi pétri de culture US que le premier venu, j’arbore ce jour-là un t-shirt reproduisant la pochette de A love supreme de John Coltrane. Déambulant, j’ai les yeux forcément tirés vers le haut, mais une voix me rappelle vers le trottoir : « John Coltrane sucks ! » (John Coltrane c’est nase !) Je baisse la tête vers la source de l’agression verbale. Un jeune homme en tailleur fait la manche en insultant tous les passants, outrageant leurs signes extérieurs (T’as failli me marcher dessus, pas la peine d’avoir des lunettes ! T’as vraiment une casquette de merde !) ou, en l’absence de traits saillants, leur adressant des doigts d’honneur. Il tient à la main un carton où est écrit au feutre « Fuck you ! Pay me ! I need your money to buy my drugs ! » Le concept est original (et l’originalité est tout) : demander la charité par le cynisme grimaçant plutôt que le pathétique souriant, jouer sur l’humour et le Xième degré plutôt que sur la culpabilisation du touriste par définition plein aux as, au risque de se faire péter la gueule. Peut-être ce briseur d’ambiance est-il un comédien en plein exercice actors’ studio, je n’oublie pas que nous sommes dans Broadway. Je me demande s’il récolte réellement des dollars, je suppose que oui, c’est New York, ici tout peut arriver, quant à moi je ne lui donne rien, mauvais public, je ne suis pas suffisamment acclimaté, c’est ma première journée.

* Un peu plus bas, j’arrive au cul de sac sur la mer, Battery Park, vue sur le monument aux morts de la guerre de 1941-1945, et, au loin, de dos, Lady Liberty. Je mange mon sandwich sur un banc, et j’entends une trompette. Un gars tout seul en train de choruser sur un CD. Pour lui, d’accord, bon public : je me lève et vais dépose un dollar dans son chapeau. Il s’interrompt immédiatement et m’engage la conversation tout sourire : « John Coltrane ? So you play the tenor ? No ? Oh, the trombone ! Where are you from ? Did you bring your horn ? You can jam anywhere, here ! » (Oh no, I’d never dare…) Il s’appelle William Spaulding, je m’assois à côté de lui et on discute un quart d’heure de musique, de New York, de jazz, « Les amateurs de musique dépensent des fortunes pour aller s’ennuyer dans des boîtes chic genre le Blue Note, laisse tomber, va plutôt au Cleopatra’s Needle, tiens je te donne la carte, j’y joue demain soir, tu diras que tu viens de ma part… » J’ai déjà un copain à New York et je trouve ça naturel, ici on engage le bout de gras avec son voisin et on en tire forcément quelque chose, c’est grâce à la musique, mais aussi à la nature de la ville, quelle ville extraordinaire.

* On sort d’une station de métro new yorkaise, un plan à la main et la mine déroutée. Un ou deux autochtones se précipitent déjà, c’est à celui qui saura le plus rapidement nous indiquer notre chemin. Ils sont fiers de partager leur ville, ils sont empressés de rendre service. J’essaie d’imaginer un comportement comparable de la part de Parisiens… Hmm… Non, rien à faire, je n’ai pas assez d’imagination.

* Illumination en comptant les drapeaux stars n stripes dans les rues : différence fondamentale entre les peuples, les Américains sont contents d’être américains / les Français ne sont pas tellement contents d’être français. C’est comme dans un couple, comment aimer l’autre si l’on n’est pas fichu de s’aimer soi-même ?

* Une fois l’illumination passée : bah, idée trop simple pour être vraie.

* J’ai dévoré des yeux et des oreilles l’an passé l’excellente série de David Simon, Treme (ma tête est pleine d’images de La Nouvelle Orléans, désormais), aussi bonne au fond que l’était The Wire (images de Baltimore), mais avec la musique en plus, ce qui fait que, contrairement à The Wire, j’aurais envie de voir à nouveau Treme, comme on se repasse un disque.

* Par suite, j’admire d’autant plus les musiciens du cru et je lis les mémoires du plus célèbre musicien de la Nouvelle Orléans. Good ol’ Satch. Une saga de violence et de musique, mélange que je fais mien ces jours-ci. Les souvenirs d’Armstrong regorgent d’anecdotes (on y apprend p.32 qu’adolescent, il fut interné dans un institut de réinsersion pour jeunes délinquents noirs et que, au sein de cet établissement, il se mit à chanter « dans la classe de Mme Vigne, la professeur de chant ») et révèlent en outre une curieuse obsession pour la purge. Il revient régulièrement sur les laxatifs et les bons conseils que lui administrait conjointement sa maman, Mayann : « Fils, garde toujours tes intestins dégagés, et rien ne pourra te nuire » (…) Je n’ai jamais oublié les paroles de ma mère chaque fois qu’un voisin mourait d’indigestion ou autre problème gastrique : « Il ne chiait pas assez ». La négligence est source de tous les maux. On néglige trop les intestins. » Conseil que je ne manquerai pas de retenir lors de mes voyages.

* En guise de purge pour les oreilles, j’écoute ou réécoute de nombreux albums d’Armstrong, y compris certains dédaignés des connoisseurs, comme celui-ci, The real ambassadors (1962). Atypique, et très bon, débordant de joie, d’invention, de swing, un album bien dégagé des intestins. D’où sort-il ? De la diplomatie explicitement machiavélique de la Guerre froide.

* En ces temps où le concept de puissance douce n’était pas encore au point, les Etats-Unis déploient les grands moyens, pas seulement militaires, pour montrer au reste du monde la valeur de l’American way of life. L‘entertainment en éclaireur. Le « vrai ambassadeur », ce n’est pas tel ni tel, ce n’est même pas sa majesté Louis Armstrong, c’est le divertissement de masse. Séduction planétaire par l’industrie du show business, domination symbolique aussi radicale que la bombe A, les paroles avouent candidement leur valeur de propagande : Remember who you are and what you represent/Jelly Roll and Basie helps us to invent/a weapon that no other nation has/especially the Russians can’t claim jazz
Ecrite et composée par les époux Dave et Iona Brubeck, la comédie musicale The real ambassadors s’inspire des tournées de jazzmen qu’organisait le Département d’Etat des Etats Unis dans le monde entier, dans les années 50 et 60.
L’intrigue se déroule dans le pays fictif africain de Talgalla, qui accueille un Armstrong dans un rôle proche de sa propre vie de musicien : pour la première fois, Armstrong pouvait sur scène exprimer des idées politiques qu’il prônait dans sa vie privée, et condamner le racisme en public. Dave Brubeck raconte qu’il avait écrit les paroles « They say I look like God. Could God be black ? My God ! » (Ils trouvent que je ressemble à Dieu. Dieu serait-il noir ? Mon Dieu !) dans le but de faire rire le public, mais qu’Armstrong fondit en larmes en les chantant…
La portée politique et historique de cet album ne doit pas faire oublier que les mélodies y sont tout bonnement merveilleuses. Armstrong et Brubeck ont embarqué chacun avec ses musiciens de scène. Outre Satchmo, les chants sont assurés par une Carmen MacRae au faîte de ses moyens vocaux, et par le trio Lambert, Hendricks & Ross.

L’œuvre ne fut interprétée qu’une seule fois sur scène, le 23 septembre 1962, lors du festival de Monterey, mais nulle trace n’en subsiste. Reste, heureusement, l’album studio enregistré l’année précédente à New York. La réédition 2012 propose, outre l’intégralité de ces sessions, quelques chansons supplémentaires enregistrées par Brubeck et MacRae à la même époque. On le trouve à trace-de-prix, puisque les CD ne valent plus rien.

* Or là, je me trouve à New York, figurez-vous. Maintenant que je suis dans la place, et même si je pousse quantité de oh! et de ah!, figurez-vous encore un peu, je crois bien que je préfèrerais visiter La Nouvelle Orléans, berceau mythique où naquit cette musique. Non parce que je ne suis jamais content, mais parce qu’il faut toujours garder un peu de frustration pour continuer à désirer.

(suite de la visite de New York ici.)

Tout ne s’apprend pas dans les livres, comme je l’ai lu dans un livre

27/03/2013 un commentaire

Mardi 26 mars

Descendre d’un train, sortir d’une gare, et marcher dans les rues d’une ville inconnue, est l’un des plus grands bonheurs de mon existence, un délice, un privilège, un luxe exorbitant. Je marche, je me perds, j’écarquille les lotos, je me repère, je reprends le pâté à l’envers, oh comme c’est joli, les filles sont jolies, les lampadaires sont jolis, les tramways sont jolis, je suis sûr que les autochtones ne s’en rendent pas compte, mais moi oui, je marche, je suis content. J’aime aussi passionnément marcher dans la forêt, mais ce n’est pas la même chose. Pour que je comprenne la différence, il faudrait que j’essaye de l’expliquer à quelqu’un. À vous, peut-être ? Disons provisoirement que marcher dans la forêt, c’est bien parce que c’est toujours pareil même si c’est toujours différent, tandis qu’au contraire marcher dans les rues d’une ville inconnue, c’est bien parce que c’est toujours différent même si c’est toujours pareil.

Je me suis donc offert ce suprême plaisir hier, j’ai arpenté pour la première fois de ma vie les rues de Bordeaux, fière ville bourgeoise ayant, comme son nom l’indique, prospéré grâce à l’alcoolisme, vice national. C’est très joli, Bordeaux. Oh, là, voyez, à gauche, à droite, des filles, des réverbères et des tramways, tels que nulle part ailleurs. Et une plaque qui dit que Victor Hugo, député de la Seine, a habité cet immeuble un peu moins de deux mois en 1871, quand, à la suite de la débâcle de Sedan, le Parlement en exil siégeait dans le Grand Théâtre de Bordeaux, et que c’est ici aussi que son fils Charles est mort d’une apoplexie, oh, c’est bien triste, mais c’est joli. Je suis le seul à m’arrêter devant cette plaque, tout le monde je vous jure passe devant, dessous, remonte son col et presse le pas comme si de rien. À l’autre bout de mon errance ou de ma journée j’avise la sévère statue de Francisco de Goya, mort ici en 1828 parce qu’il fuyait le régime totalitaire espagnol. Les gens traversent Bordeaux, ils y vivent, parfois il y meurent. Quand je vous disais que c’est exactement comme ailleurs quoique très différent.

Une inquiétude, tout de même : le logo de la ville est un peu anxiogène. On le confond facilement avec un autre, et cheminant on se demande sourdement si toute la ville ne serait pas contaminée chimiquement.

Au reste, j’ai passé l’essentiel de la journée à l’abri, non sur le pavé toxique mais dans une médiathèque, parce que je ne suis pas là que pour faire le ravi. Médiathèque où j’ai constaté, dans le rayon CD, que Noir Désir était rangé dans le bac « Scène locale ». Soupesant un album digipack, je me demandais, perplexe, si à l’étage en-dessous Montaigne, Anouilh, Sollers ou Mauriac se voyaient classés sur une étagère à part, « Auteurs régionaux ». Bien sûr, il faut être de quelque part. Victor Hugo était bien de Besançon, et Goya d’Aragon.

Ensuite, j’ai passé la soirée chez deux auteurs régionaux, et des meilleurs, qui me font l’honneur de m’héberger : les frères Coudray, Jean-Luc et Philippe, toujours aussi charmants et originaux, toujours nés jumeaux à Bordeaux, mais l’un des deux a le bon goût de se laisser pousser la barbe, ce qui fait qu’on ne se trompe jamais sur celui auquel on s’adresse. Forcément, nous avons longuement évoqué ce qui nous lia en premier chef, c’est-à-dire l’aventure tragi-comique des éditions Castells, où nous publiâmes deux livres chacun (pour moi, suissi et suila) vers 2006. Philippe Castells, dont j’ignore le lieu de naissance, était un drôle de type. Un tiers flambeur, un tiers menteur, un tiers magouilleur, un tiers dandy, un tiers clochard. Ah, et puis un tiers escroc, aussi. Ça fait beaucoup, mais comme on dit à Marseille tout dépend de la taille des tiers. En tout cas tout ces tiers mélangés ne faisaient pas un éditeur, finalement. Les Coudray et moi-même en sommes convenus, observant cependant que le temps avait passé, que nous n’avions plus de rancune à son endroit, qu’avec le recul des années même de lui nous pouvions ne garder que les bons côtés (il publiait de beaux livres, ce salaud) et que nous pouvions même changer de sujet (alors les Coudray m’ont narré en riant certains actes d’innocent terrorisme qu’ils commirent tous deux nuitamment dans les rues de cette même Bordeaux).

Nous changions de sujet et nous parlions de logo des dangers biologiques, lorsque sur ces entrefaites un de leurs amis est entré qui, muni d’un gâteau (c’était justement l’anniversaire des Coudray : il convient, en plus de naître quelque part, de naître un beau jour) et de diplômes en biologie, m’a appris la stupéfiante chose suivante. Du pur point de vue de la logique génétique, le chromosome « X », majestueux, galbé, redoublé en « XX » chez la femme, est la norme, le point de départ. Tandis que le chromosome « Y », nettement plus rabougri et moche, le pauvre ressemble à une crotte de nez, semble n’être ni plus ni moins qu’une altération survenue dans un second temps de l’Évolution, une dégradation programmée, un mal nécessaire permettant la reproduction sexuée de l’espèce, non mais regardez-les côte à côte, Madame X et Monsieur Y, remontez en haut de cette page, on jurerait un couple dessiné par Dubout. Par conséquent nous ferions bien d’admettre une fois pour toutes que nous sommes tous des femmes, et qu’une femme sur deux (celle avec le chromosome dénaturé tout rabougri) est un homme. Quitte à ré-écrire toutes les cosmogonies : manifestement le job de Dieu le 6e jour à consisté à créer Eve, puis à lui prélever un chromosome, dans la côte admettons, pour ensuite le chiffonner mâchouiller rouler en boule rabougri crotte-de-nez, et qu’à partir de ce « Y » mutant il a conçu Adam. On en apprend des choses à Bordeaux.

Mercredi 27 mars

Mardi soir, pour mon plaisir susdit, j’ai arpenté Bordeaux pendant plus d’une heure. J’ai vu un beau coucher de soleil sur la Garonne. Puis un événement est survenu comme pour apporter sa contribution à mes réflexions « il faut bien être né quelque part » .
À un moment, je me suis assis sur un banc pour regarder couler le fleuve, et j’ai sorti un livre de ma poche. Au bout de quelques minutes un gars nonchalant est venu s’asseoir à côté de moi, un Noir habillé en rouge avec un grand bonnet vert-jaune-rouge qui enveloppait des dreads, un bouc au menton et une canette de bière à la main, qui m’a demandé ce que je lisais. Sans attendre la réponse il s’est présenté comme rastafari et comme Sénégalais. Troisième identité manifeste, il était bien défoncé, les yeux dans le vague, mais amical.
Il vivait à Bordeaux depuis six mois. Je lui ai demandé s’il aimait ça, il a répondu à côté, parlant très lentement :
« You know Dakar ? Tu es déjà allé au Sénégal ?
– Non.
– Vas-y. Tu dois y aller. C’est beau, là-bas. Ici, rien à voir. Bordeaux n’est pas belle, elle est plus que ça. Bordeaux est une ville sacrée ! A holly town, man. C’est ici, place des Quinconces, que vos grands parents débarquaient nos grands-parents, et nos grands-parents descendaient du bateau la tête baissée et des chaînes autour des mains et des pieds, comme ça, man (il fait le geste, croise ses poignets, quelques gouttes de bière s’échappent de sa canette), c’est comme ça que nos grands-parents ont découvert la France, à Bordeaux. Et c’est comme ça que Bordeaux est devenue une grande ville. Tu es de Bordeaux ?
– Non.
– Ah. Tu m’avais dit hier que tu étais de Bordeaux. Why did you lie to me ? Or do you lie today ?
– I don’t. Don’t tell me I’m a lier. I’m not from Bordeaux, I wasn’t even here yesterday and I see you for the first time in my life.
– Ah. Tu es de la banlieue de Bordeaux, alors ?
– Non. Je suis de passage, je rentre chez moi demain.
– Ah. (pensif) Alors ce n’était peut-être pas tes grands-parents.
– Mon grand-père n’était pas français.
– (geste de la main) Peu importe. Tout ça c’est le passé. Moi, you know, je suis rastafari, je suis pour la paix. You know, 77%… (il s’interrompt une minute, comme s’il recomptait les pourcentages dans sa tête) 77% des Africains ne pensent qu’à ça, à ce passé d’esclave, ces chaînes aux mains et aux pieds, ils les ont encore dans la tête. Mais moi, non. Moi je suis rastafari, je suis pour la paix. Le cœur, man, le cœur, il n’y a que ça de vrai. »
Il s’est alors frappé le cœur de la main droite. J’ai fait de même, et je lui ai serré la main, on s’y est repris à plusieurs fois, pas tellement parce qu’il visait à côté, plutôt parce qu’il voulait faire comme ceci, et comme cela, puis finir par le cœur. Ensuite je suis parti.
C’était ma carte postale, « Bons baisers de Bordeaux » .

Adieu, Troyes ! Adieu !

23/10/2012 un commentaire


J’ai reçu la preuve tout à l’heure, dans le métro parisien, que j’avais une sale gueule, oh je la vois d’ici, je la connais ma sale gueule, celle des jours où si je me croise dans le miroir je reconnais quelqu’un d’autre, je dis « bonjour papa », je l’imagine ma gueule dans le métro, empâtée, mal rasée, bajoues chiffonnées, nez qui coule, aisselles rances et toux crochue, paupières lourdes par le haut, bouche ouverte par le bas, et entre les deux le no man’s land des cernes comme des valoches à roulettes. Je termine autant que je suis terminé : je reviens, épuisé, de cinq jours au salon du livre de Troyes.

Je suis debout agrippé à la rampe, le métro roule, je suis entre deux gares, même pas la moitié du voyage, Paris n’est qu’une zone de transit souterraine. J’ai en plus de ma valise un gros et haut sac à dos dont je n’ai guère l’habitude (à pied dans les tunnels, je me suis retourné plusieurs fois, avec la sensation d’être suivi). Surgit dans la rame, une porte plus loin, un gars qui me ressemble, dépenaillé, veste en jeans, sac à dos, gueule à coucher dehors, émacié, des cicatrices sur le visage. Il se met à déclamer. « Je m’appelle Kevin, j’aurai 24 ans la semaine prochaine. À l’âge de seize ans j’ai commencé à dealer pour obéir à mon beau-père, sinon il était violent. Finalement j’ai arrêté de dealer, mais ça s’est mal fini, on m’a placé dans un foyer. Là, la drogue circulait encore. Je suis maintenant sorti du foyer, mais je ne sais pas où dormir. Croyez que je ne fais pas la manche par plaisir, chaque jour j’arrête lorsque j’atteins les 35 euros qui me payeront une chambre d’hôtel, le lit la douche, plus un peu pour manger, je veux juste que mon beau-père ne me retrouve pas, je vais passer parmi vous pour faire appel à votre solidarité. »

Son discours terminé, il arpente la rame, regardant le sol, un visage, le sol, un visage, le sol. Quand il arrive à mon niveau, il me dévisage en un éclair, ses yeux bleu pâle se branchent aux miens, il saisit instantanément d’après ma gueule qu’il ne faut rien attendre de moi puisque je suis autant en galère que lui. Pour me saluer en toute discrétion, sans s’arrêter de marcher il se cogne le cœur, puis du même poing me caresse l’épaule. Je murmure « Bonne chance… », il répond « Merci, vieux, toi aussi, reste au chaud », et il est déjà plus loin. Je réalise, avec une impression cousine de la honte, que je viens de faire appel à sa solidarité.

Putain, mon cas n’est pas si grave que ça, tout de même, je viens seulement de passer cinq jours dans un salon du livre, des plus chouettes, dense, gorgé de vie et d’êtres humains, et éreintant.

J’ai reçu là-bas de beaux vrais éclats de joie. Voir cette belle expo, cet accomplissement, souhaiter la pareille et bon vent à Elisa Gehin la résidente de cette année, discuter avec Jean-Pierre, retrouver Benoît (qui demeure, toutes catégories confondues, l’une des personnes que j’admire le plus dans ce milieu)… Les rencontres scolaires se sont passées à merveille et m’ont conforté dans l’idée que Double tranchant, projet pas spécialement ‘jeunesse’ vu de loin, ne demande qu’à le devenir si on l’accompagne. Pour qu’une chose soit ‘jeunesse’, il suffit de l’adresser à des jeunes. Les visites guidées que j’ai menées dans l’expo à l’attention des collégiens étaient toutes passionnantes, ils réagissaient au quart de poil coupé en quatre, les grands méchants troisièmes autant que les mignons petits sixièmes. Un moment rigolo : « Alors, regardez bien… Dans cette série de linogravures, Jean-Pierre a extrapolé mon texte et a représenté des scènes célèbres de l’Histoire, qui toutes ont un rapport avec les couteaux. Reconnaissez-vous ce personnage qui vient de se faire poignarder, sa plume encore en main ? Voyons, quel homme célèbre est mort dans sa baignoire ? » Un garçon au premier rang brandit sa main en aspirant bruyamment une grosse goulée d’air, et prend la parole avant que je la lui donne : « Claude François ! »

Certes, la curiosité des Troyens en général à l’égard de mon travail ne s’est pas sensiblement accrue depuis l’année dernière, puisque l’atelier d’écriture que j’avais soigneusement préparé fut finalement annulé, pour cause de zéro inscrits, mais je n’en garde pas de ressentiment, mon travail reste là, pour qui veut, et même si personne ne veut, je sais ce que j’ai fait et ce qui m’a fait. Et je le remise au Fond de mon tiroir : le texte rédigé pour l’occasion, censé tenir lieu d’introduction à cet atelier fantôme « Écrivons la mémoire des objets », restera lisible ici même, sous ce lien. Pour qui veut.

La valise à la main (Troyes, épisode 1)

01/09/2011 4 commentaires

Je me lève, je me gratte, j’ouvre les volets, il pleut. Je pense, « tiens, un temps de rentrée. »

Et je file à la gare, dans le jour naissant. Mais le train ne part pas. Sur les rails aussi il a plu, en masse. Des coulées de boue ont interrompu le trafic, mon TGV est arrivé avec trois heures de retard. J’ai donc lu La carte et le territoire de  Houellebecq pendant trois heures, je trouve spécialement judicieux de lire Houellebecq durant les heures de retard de la SNCF, comme s’il avait été inventé pour ça exactement.

Houellebecq me fait rire. J’ai cessé de le prendre tout-à-fait au sérieux depuis que j’ai repéré ses tics, comme on fait en classe d’un prof. Son tic le plus flagrant est me semble-t-il de multiplier les tournures qui amoindrissent systématiquement ce qu’il est en train de dire, relativisant en continu son discours, comme quelqu’un qui regarde ailleurs pendant qu’il vous serre la main. Surtout quand il assène une idée générale : pas une page, parfois pas une phrase, qui ne soit minée par son « pratiquement », « plus ou moins », « en quelque sorte », « globalement », « la plupart du temps », « un peu », « généralement », « en réalité » (deux occurrences dans le même paragraphe page 89), « vaguement », « malgré tout », etc. L’insistance de ces croche-pattes rhétoriques produit un style ironique que l’on pourrait qualifier de déballonné (l’usage aussi des italiques joue chez lui ce rôle de dénégation obscurément veule du discours prononcé), presque toujours très amusant. Exemple : « Jed était familier des principaux dogmes de la foi catholique – alors que ses contemporains en savaient en général un peu moins sur la vie de Jésus que sur celle de Spiderman. » Admirer le double salto qui le fait juxtaposer d’un seul souffle « en général » et « un peu moins ».

N’importe, Houellebecq me fait rire. Et en général, ce qu’il dit reste intéressant malgré l’ironie, ou à cause d’elle. (Auto-)Portrait de l’artiste au travail, en quelque sorte en-résidence : « Pendant presque six mois Jed sortit très peu de chez lui, sinon pour une promenade quotidienne à l’hypermarché Casino du boulevard Vincent-Auriol (…) il se rendit compte qu’il n’avait pas prononcé une parole depuis presque un mois, à part le « non » qu’il répétait tous les jours à la caissière (rarement la même, il est vrai) qui lui demandait s’il avait la carte Club Casino. » Puis, quelques chapitres plus tard, la scène se passe à présent en Irlande: « Bien qu’on soit dimanche, le centre commercial voisin était ouvert ; il acheta une bouteille de whisky local, la caissière qui s’appelait Magda lui demanda s’il avait la carte de fidélité Dunnes Store. »

Okay, je ferme le bouquin, j’entre en gare de Troyes.

Je descends du train avec armes et bagages. Amélie et Michèle m’attendent, m’accueillent, me fêtent. Première provision de sourires. Ma valise roule. Pas d’armes, en fait, dans mes bagages. Essentiellement des livres. Mais aussi un petit pot pour faire pousser des trèfles (spéciale dédicace à Cathy Karle). Et je pense, tout droit sur le quai, à l’un des plus beaux livres jamais écrits sur les migrants, Là où vont nos pères de Shaun Tan. Livre d’ailleurs non écrit, à proprement parler, seulement dessiné, puisqu’il est muet. Parce que quand on arrive, on se tait et on regarde. Je parle juste un peu, des coulées de boue. Houellebecq je le tais, je le garde pour le blog.

Je prends mes quartiers. Je suis chez moi, d’une certaine manière. Je suis tout excité. À demain.

Fond de saison

29/08/2011 Aucun commentaire

Comment ? Déjà la pré-rentrée ? Pour clore la saison 2010-2011 in extremis avant la suivante qui pointe à l’horizon, je viens de rédiger, en-retard-en-retard, le compte-rendu de ma collaboration, pour la troisième année consécutive, au dispositif « À l’école des écrivains, des mots partagés ». Cette année, c’est auprès d’une classe de 4e du collège de Lubersac, en Corrèze, que je fus envoyé prêcher. Le compte-rendu est lisible ici. Je préviens qu’il est nettement moins sensationnel que celui de l’an dernier lorsque, je le rappelle, mes aventures à la Villeneuve de Grenoble avaient défrayé ma petite chronique – on peut relire tout le feuilleton depuis le premier épisode.

Eh bien, oui, cette année la rencontre avec les p’tits gars et les p’tites gonzesses de Lubersac s’est déroulé sans anicroches. Serein comme un vieux loup de mer, décevant comme un train qui arrive à l’heure. Presque une routine. J’ai fait mon job, eux aussi, on s’est amusé, on a écrit, on a voyagé. Est-ce utile ? Sans doute. Moins que le travail que je ne fais pas à la Villeneuve de Grenoble ? Peut-être.

Il n’en reste pas moins que l’état de l’Education Nationale est globalement préoccupant. L’un des intérêts, pour mon édification perso, de ces incursions bon an mal an dans le paysage scolaire, est de me fournir la température d’un milieu qui chauffe. Or l’un des souvenirs les plus marquants que je conserverai de Lubersac n’a pas eu pour cadre la salle de classe, mais celle des profs où, à l’heure de la récré, un professeur de sciences, binocles et collier de barbe à l’ancienne, à un an de la retraite, a vidé devant moi son sac de lasse indignation alors que je ne le connaissais ni d’Ève ni d’Adam. Ah, j’aurais dû enregistrer, ou retranscrire immédiatement cette tirade extraordinaire, ce réquisitoire lucide, ce diagnostic implacable sur un métier qui aura tellement changé durant sa carrière presque close. Il ne m’en reste que peu de faits précis, juste une impression générale : à coups de suppressions de postes, de moyens, de formations, de considération, d’attention, de cohérence, l’inexorable déliquescence des conditions de l’enseignement dans notre pays s’est sensiblement accélérée ces dernières années. Il faut le voir pour le croire, il faut écouter pour constater à quel point l’enseignement est devenu un métier précaire, pédagogiquement, matériellement, institutionnellement, psychologiquement, et même idéologiquement, comme si la connaissance elle-même était devenue une valeur impossible sur le long terme, périmée.

Cet homme parlait presque pour lui-même, mais à la faveur d’un petit silence j’ai tout de même pu en placer une : « Dans ces conditions… Comment ne sombrez-vous pas tous dans le cynisme, ou bien dans l’aigreur, ou la dépression, ou l’alcoolisme ? Comment arrivez-vous encore à enseigner ? Pourquoi continuez-vous à venir au boulot le matin ? » Il m’a regardé comme s’il réalisait que j’étais là et m’a répondu sur le ton de l’évidence que l’on répète sempiternellement mais gentiment au cancre : « Mais… Pour les enfants. Je suis là pour les enfants. Il nous faut recommencer, chaque année, chaque rentrée, parce que ce sont de nouveaux enfants, qu’ils se moquent bien des directives ministérielles au-dessus de leur tête, qu’ils se moquent bien de nos affres, et qu’il faut faire quelque chose avec eux, ici et maintenant. »

J’éprouve, derechef, un immense respect pour le corps enseignant. Les blagues anti-profs ne me font pas beaucoup rire, je les trouve en ce moment, toutes proportions gardées, aussi spirituelles qu’une blague antisémite pendant l’Occupation.

L’éducation, j’en suis de plus en plus convaincu, est l’enjeu politique numéro un, puisqu’elle applique et concrétise l’idée qu’une société se fait de son propre avenir. Mais peut-être faut-il être de gauche pour placer ainsi l’éducation en tête des priorités ? (Clivage gauche-droite expliqué aux enfants : traditionnellement, pour la construction de l’individu-citoyen, la gauche croit à l’éducation et la droite à l’héritage.) L’an prochain, nous élisons un président. J’éplucherai attentivement les programmes en matière d’éducation des uns et des autres, pour vérifier si oui ou non certains candidats sont de gauche. Et pour commencer, je lis dans l’actualité un grand progrès en arrière toute ! La nouveauté propre à redresser la France est le retour dans les programmes scolaires de la leçon de morale. Hon-hon… Je note… Un tel « progrès » ressemble davantage à un héritage qu’à une éducation, non ?

… et me cherchez sans retard l’ami qui soigne et guérit la folie qui m’accompagne

06/08/2011 6 commentaires

Zdoïng ! Zdoïng ! Le destin est monté sur ressort. Contrebalançant l’article précédent, empreint de morosité et de désabusion (néologisme popularisé par Nino Ferrer, il en avait le droit, il en est mort), c’est dans l’euphorie et la grande excitation que je klaxonne aujourd’hui une grande nouvelle, genre « once in a lifetime », et en avant vers de nouvelles aventures. Vous allez faire un beau voyage, me lirait une voyante dans son cristal. Où l’on retrouve notre héros, riant et trépignant, occupé à boucler ses valises.

Je m’apprête à passer quatre mois en résidence d’écriture, quatre mois d’oasis au beau milieu du CV, quatre mois de concentration offerte en parenthèse magique, quatre mois à ne rien penser qu’à mes œuvres, tout un automne de lâchons le mot le grand mot le plus grand de tous le seul qui vaille, quatre mois de liberté. Et ceci se passera très exactement à Troyes, à compter du premier septembre prochain. Toujours riant, toujours trépignant, je me suis rendu à la gare en sautillant pour acquérir un abonnement SNCF (selon le perpétuellement spirituel Jean-Pierre Blanpain, je prépare mon cheval pour l’insidieuse invasion de Troie) et j’ai même eu l’autre jour envie de m’acheter des chaussures neuves, envie saugrenue qui m’advient pour la première fois de ma vie, c’est dire le niveau inédit de mon excitation nerveuse, l’état second carrément, hi hi hi j’en rougis, des chaussures neuves je ne me reconnais plus, je frise l’hystérie amoureuse, imaginez j’ai rendez-vous.

Jusqu’alors, Troyes, où je n’ai jamais eu l’honneur de mettre les chaussures, ne m’avait guère évoqué que le champagne (chic chic, euphorie excitation bonne nouvelle), François Baroin (oh, non, zut, attention à la rechute, morosité, désabusion) et également mon camarade Jean-Philippe Blondel, qui est de Troyes puisqu’il faut bien être de quelque part, je suis bien de Grenoble et ne m’en vante point (ahah, j’avais écrit « ne m’en vente », mon dévoué webmestre m’a signalé la coquille, le vent déjà m’emporte c’est l’explication), je n’ai pas fait exprès, ni mieux ni pire, on trouve partout ici comme là de quoi s’exciter l’euphorie et se désabusionner la morosité. Car tout dépend du seul humain, seul critère qui vaille. Or cela est avéré, on trouve de l’humain à Troyes, et du chaleureux, et du charmant, accueillant, délicieux, toute ma gratitude s’envole d’ores et déjà vers l’équipe de l’association « Lecture et loisirs » qui m‘invite et prépare le terrain. C’est pourquoi je ne redoute point l’acclimatation : le crétin des Alpes se fera Crétin de Troyes. Un grand merci aussi chapeau en l’air, à Nicolas Bianco-Levrin, illustrateur et cinéaste débordant d’activités comme de générosité, précédent occupant des lieux et qui a pris l’initiative, par pur souci d’émulation, de passage de relai de l’euphorie et concentration, de me contacter afin de me présenter l’endroit, dans tous ses détails y compris le mode d‘emploi du radiateur.

Ne reste plus qu’à être à la hauteur de cette chance exceptionnelle, de cette confiance que l’on me témoigne : écrire. Des nouvelles ici même très bientôt. En attendant l’Aube, déposez-moi au manoir… et me cherchez sans retard l’ami qui soigne et guérit la folie qui m’accompagne et jamais ne m’a trahi : Champagne-Ardenne.

Ma vie de VRP

29/10/2010 5 commentaires

La situation du voyageur de commerce – je parle de ceux qui sont au plus bas de l’échelle, qui font du porte-à-porte – m’apparaît toujours comme étant la plus terrible de toutes. C’est en général un dernier boulot, celui qu’on se décide à faire quand on n’a plus d’autre recours. Mais l’aspect terrible de ce travail, c’est surtout qu’il oblige celui qui le fait à en passer par le mensonge fonctionnel qui, en général, est réservé aux patrons. Ordinairement c’est le patron qui vante sa camelote, et non l’ouvrier. Les ouvriers ont le droit de se taire. Le voyageur de commerce ne l’a pas : il est tenu d’imiter le patron, de se dégrader.

Marguerite Duras, Nathalie Granger

Récapitulation.

La Mèche, sixième ouvrage distribué par le Fond du Tiroir, est aussi par divers aspects son premier : premier en littérature jeunesse, premier potentiellement « grand public », premier gros tirage (un peu plus de 1000 exemplaires, chiffre pour nous pharaonique), premier à consentir l’effort de se rendre visible aux yeux des professionnels de la profession (via Dilicom et Electre), premier à avoir fait l’objet d’un service de presse – voyez un peu à quelles compromissions nous étions résolus, premier à avoir entraîné le paiement de droits d’auteur (à Philippe Coudray, qui le mérite bien)…

Pour toutes ces raisons, j’eusse espéré que la Mèche devînt en outre le premier ouvrage du Fond du Tiroir à se vendre – espérer du commerce au fin Fond du tiroir ? c’était tenter le diable à coup d’oxymorons. Et le diable en retour s’est bien moqué de moi. Car hélas, vous (oui, vous, là, vous-mêmes, vague et inconséquente deuxième personne du pluriel), ne vous êtes pas bousculés pour commander ce beau livre, ni auprès de votre libraire ordinaire (puisqu’il semble que cela fonctionne) ni au Tiroir directement. Les ventes sont restées dérisoires au point que je renonce pudiquement à donner les chiffres, y compris lorsque j’ai entrepris une campagne promotionnelle exorbitante offrant un second livre pour toute Mèche achetée, que me resterait-il à proposer après cela, vous voulez ma chemise aussi ? Je vous préviens, elle est pleine de sueur. Désormais une pyramide (comme je disais : « pharaonique ») de cartons débordant de Mèches encombre mon garage du sol au plafond et m’écorche le moral à chaque fois que je trébuche en tentant d’atteindre mon congélateur.

Bref : si je veux retrouver l’usage de mon congélateur, et si incidemment je ne veux pas sombrer dans le découragement ni renoncer à tout avenir éditorial pour le Fond du Tiroir, je n’ai pas le choix, je dois tenter d’écouler quelques Mèches.

Un blog, souvenons-nous de l’étymologie, est un journal intime, s’pas ? Voici une page arrachée à mon journal, une tranche de vie, mon quotidien tout neuf de VRP. Je joue au vendeur-représentant-placier comme le garçon de café de Sartre joue au garçon de café. Mais cela m’amuse moins que lui, je le crains.

L’autre vendredi, je me lève à l’heure des hommes de bonne volonté, je boucle ma petite valise, je trouve une station-service pour faire le plein (par les temps qui courent, voilà déjà une aventure), et j’entreprends une expérience de diffusion grandeur nature. J’ai pour cela sélectionné sur la carte de France la ville de Ch***, préfecture de la S***, que je connais un peu. Je me suis appliqué au préalable à un minutieux travail de repérage, j’ai noté les coordonnées de cinq librairies susceptibles d’être intéressées par ma production, éliminant impitoyablement toute librairie non indépendante et inféodée à une chaîne nationale. Je prélève une brique de la pyramide… J’en prends combien, de ces Mèches petit capital ? Allez, 30 exemplaires, pour 5 librairies c’est un peu optimiste, 6 chacun, ah bah on verra bien, c’est le principe et le bon sens, en fin de journée mieux vaut en ramener qu’en manquer.

– Librairie A. Je commence volontairement ma tournée par celle qui est, dans mon souvenir, la plus grande librairie de Ch***. Je cherche le rayon jeunesse, je trouve une libraire plongée dans une une pile de nouveautés qu’elle trie devant son ordinateur. Je me plante devant elle, ma valise à la main. Je me racle la gorge. Elle lève les yeux sur moi.
« Je peux vous aider ?
– Bonjour, mon nom est Fabrice vigne, j’écris des livres, auto-publiés pour une part d’entre eux, je suis là précisément pour vous présenter un livre que je viens de publier…
– Ah. » (« Ah » sec et las.)
Son œil sur moi a changé du tout au tout depuis qu’elle sait que je ne suis pas client. Toute la condescendance du monde, plus une masse d’agacement. La leçon est rude, mais il me la fallait : les représentants de commerce ne sont pas les bienvenus, surtout les auto-publiés, cette bande de fâcheux, qui surgissent comme un cheveu au milieu d’un jeu de quille.  Personne ne m’attend. Personne n’attend ma Mèche. Circulez, monsieur, vous voyez bien qu’on travaille, ici. Qu’est-ce que j’espérais ? Quelles illusions me restait-il à perdre ? Ah, il m’en restera toujours.
Dans une moue, la dame saisit du bout des doigts mon objet d’art en 1000 exemplaires dont 30 dans une valise, et feuillette pendant que je bredouille ma présentation. Elle hoche, tord la bouche, « Et combien vous vendez ça ? 12 euros ? Hé, ben ! C’est cher ! Bon, écoutez, je ne peux pas le prendre comme ça. Repassez demain, ou plutôt la semaine prochaine.
– C’est que… je ne suis là que pour la journée. Pourriez-vous décider aujourd’hui, s’il vous plaît ?
– Ah. (Même « Ah » que précédemment.) Il faut que j’en parle à mon responsable, et que j’essaye de le lire, votre livre. Repassez à 14h30, d’accord ? » Je n’ai pas vraiment le choix, je repasserai. Je crois même que je quitte le magasin en disant « merci », je me trouve rien con. Bilan : zéro livre placé, mais un exemplaire reste dans la place en garde à vue. À tout à l’heure.

– Librairie B. Je respire une grande goulée, c’est reparti. « Bonjour, mon nom est Fabrice vigne, je viens vous blablabla… » Sourire gêné de la libraire. Elle prend la Mèche que je lui tends. Je fabouille mon petit argumentaire pendant qu’elle lit. Elle lit vraiment, celle-ci, elle ne feuillette pas. Alors c’est long. Je me tais, et le silence est sacrément lourd. Elle tourne une page. Elle sourit toujours. Elle finit par parler en refermant très délicatement l’objet. « Je ne vois pas bien à quel public cela s’adresse. Quand on voit la couverture, on se dit que c’est pour les tout petits, et puis quand on essaye de lire, c’est très dense, c’est pour les grands…
– Euh, oui, eh bien disons qu’il faut déjà savoir bien lire. C’est le seul pré-requis, à part bien sûr ne plus croire au Père Noël.
– Ah, bon. (Silence. Je suis censé faire quelque chose ?) Non, je crois que je n’ai pas le public pour ça. J’ai quelques albums pour petits, et quelques romans pour ados, mais ça c’est vraiment trop… intermédiaire ». Elle me rend le livre. Elle sourit toujours, toujours vaguement gêné. Je remballe, referme ma valise, salue aimablement, couleuvre dans la gorge. Quand j’ai la poignée de la porte dans la main, elle ajoute : « Bonne chance, hein ! » Ouais, ouais. Bilan : encore zéro.

– Librairie C. Une feuille scotchée sur la porte close.  » Fermeture pour la journée ». Zut, j’y tenais à celle-là, elle m’était sympathique, elle avait un joli nom. En plus, de bons livres dans la vitrine. (J’apprendrais un peu plus tard que la fermeture était due à un accident : le libraire a traversé une vitre avec sa main, et s’est fait hospitaliser.) Dans ta face, les aléas du métier de VRP. Parfois, on n’a même pas l’occasion de se faire envoyer sur les roses. Bilan : toujours zéro.

– Librairie D. Je regarde la devanture, je soupire, je pousse la porte, gling-gling, la libraire se retourne, grand sourire : « Tiens ? Bonjour, Fabrice Vigne… » Elle me reconnaît. Je ne crois pas avoir beaucoup de vanité, pourtant être spontanément identifié me soulage, j’ai le cœur tout réchauffé, éperdu de reconnaissance par cet accueil-ci après l’embarras manifeste des autres. Merci ! Enfin une librairie où je ne suis pas accueilli comme un chien dans un bol de soupe. J’aurais dû m’en douter : cette librairie-ci, je l’avais cochée comme faisant partie du réseau Sorcières, et dans ce milieu-là, on lit les livres, on a une idée des auteurs. Ça me revient maintenant, cette libraire est moi nous sommes déjà rencontrés, sur des stands de salon, la glace est brisée, on va gagner du temps, « Oui, alors donc, comme vous le savez peut-être, ou pas, je publie aussi des livres dans une petite structure associative, le Fond du tiroir, et justement je suis là pour ça, regardez-moi cette Mèche comme elle est jolie…
– Ah, ça, c’est bien vrai, très jolie. Eh bien écoutez, oui, bien sûr, ça m’intéresse, je vais vous en prendre !
– Vrai ? Vous êtes bien sûre ? » Pour un peu je l’embrasserais, mais c’est parce que je débute dans le métier, ça ne se fait pas sauter au cou de celui qui vous achète quelque chose, c’est un client, on n’embrasse pas son client. Combien va-t-elle m’en prendre ? Dix ? Vingt ? Elle va vouloir tout le stock peut-être, les trente ? ça va pas être possible, j’en ai laissé un entre les mains de la librairie A…
– je vous en prends deux. En dépôt. »
Deux. Okay. Bien sûr. Deux. C’est le métier qui rentre.

– Librairie E, et dernière. Celle-ci, spécialisée jeunesse, n’a ouvert qu’il y a huit jours. Je jette un œil à l’intérieur. J’espère qu’elle aura un peu de temps à me consacrer, malgré  l’inauguration récente ? J’entre, broum-broum, gling-gling, bonjour-mon-nom-est-Fabrice-Vigne… Oui, elle me réserve un bon accueil, elle a de la curiosité pour moi, je n’espère que ça, je ne demande rien de plus, un peu de curiosité, elle m’est offerte forcément par des librairies jeunes et petites… Sitôt ouvert, son échoppe a traversé une semaine de chaos, elle me raconte, des débordements de manifs devant sa vitrine, des incendies, des passants réfugiés (car la ville de Ch***, sous ses dehors sages et bourgeois, a été le cadre de plusieurs émeutes, et dans la rue perpendiculaire à cette nouvelle librairie, j’ai constaté le bitume noirci de suie et de plastique, les rigoles jonchées de vis de poubelles fondues, et de goupilles de flashball). La dame a de l’énergie, et du courage, il en faut, ouvrir une librairie quand on y pense, c’est encore plus absurde que d’éditer un livre et chercher à le fourguer. Bref, elle est aimable, et accepte de me prendre des exemplaires. Trois. En dépôt. Ah, merci. C’est le record, pour le moment.

– Librairie A, bouclage de boucle : retour au point de départ. La libraire m’avait donné rendez vous à 14h30. J’y suis dès 14h20, je feuillette des livres… Elle n’est pas là à 14h30. Ni à 14h40. À 14h50, je m’enquière auprès d’une autre  employée : « Dites, votre collègue du rayon Jeunesse, elle m’avait dit de repasser, elle n’est toujours pas là…
– Ah, bon ? Eh, oui, elle est partie plus tard que prévue, elle avait à faire, je ne sais pas quand elle doit revenir…
– Hmmm… Et alors, je fais quoi ?
– Je ne sais pas quoi vous dire.
– Ah. » Cette fois c’est moi qui dit « Ah », le « Ah » fatigué, résigné, contagieux. J’attends encore, dix minutes de mieux, à 15h elle n’est pas apparue. J’essaye de retrouver l’exemplaire de ma Mèche sur son bureau, je fouille, il a été recouvert par cinq autres bouquins. Je le range soigneusement dans ma valise. « Excusez-moi, je dois partir, à présent. Si jamais elle vous demande de mes nouvelles, ce qui est improbable au fond, vous pourrez lui dire que, ce matin, elle ne s’est pas montrée très enthousiaste à mon endroit, et qu’elle aurait pu tout simplement me dire « non », je n’aurais pas perdu une demi-heure à l’attendre. Au revoir. »

Le bilan n’est, euphémisme, guère encourageant. Je rentre chez moi avec 25 exemplaires dans ma valise, cinq dépôts, zéro vente ferme. Je rumine, sur l’autoroute du retour, la solitude du VRP de fond (du Tiroir), calculant machinalement mes frais d’essence et de péage. Que faut-il faire, à présent ? Espérer un dégât des eaux dans mon garage pour me débarrasser de cette foutue pyramide ? Non, soyons déraisonnable : je dois poursuivre, vaillamment, et proposer mes livres, dire qu’ils existent.

Cette semaine, je suis en villégiature, à P***, plus grande ville encore, qui se trouve être la capitale de la F***, et qui contient un nombre de librairies tout à fait stupéfiant. J’ai bouclé ma valise, j’ai acheté un carnet de tickets de métro. Au boulot.

Revenu de tout, enchanté

05/05/2009 5 commentaires

I’m back on the escabeau ! Je reviens, de tout presque, de ceci, de cela, de quoi occuper le voyage et le retour, enchanté, mon nom est Fabrice Vigne.

Quelques nouvelles en passant… oh vraiment en passant… l’écho seulement de mes va-et-vient, au coup de vent et en images, enchantements.


1) Oui, je suis revenu enchanté de la Réunion.


Alors là, eh ben, c'est moi, je suis en train de marcher dans l'enclos du Piton de la Fournaise, ah là là qu'est-ce que c'était beau et saisissant, les marques blanches au sol c'est pour ne pas perdre sa route au beau milieu du volcan. Diapositive suivante, s'il vous plait.

Voyager, c’est beau, il n’y a pas mieux. Ah, si j’avais quatre dromadaires ! Je ne ferais rien d’autre en ma vie. Voyager permet de vérifier viscéralement ces trois essentielles vérités :
A – Les êtres humains présentent, sur la surface de la terre, une diversité tout à fait remarquable.
B – Les êtres humains sont, au fond, les mêmes partout.
C – Les fruits exotiques gagnent à être dégustés sur place.

J’ai passé une petite dizaine de jours sur l’île de la Réunion, rencontrant des êtres humains et dégustant des fruits exotiques, certes aux frais de la princesse, mais sans regarder à la tâche. J’étais attendu, les rencontres se sont déroulées dans d’excellentes conditions, nous avons bien travaillé. Au retour j’ai rédigé une sorte de compte-rendu à l’attention de la structure commanditaire, la Maison des écrivains. Je suppose que ce document n’a rien de confidentiel ? Donc il est consultable ici, si vous voulez un peu vous rendre compte, comme son nom l’indique. Et , vous trouverez la version des faits par le collège qui m’accueillait. Vous verrez, nous sommes à peu près d’équerre.


2) Oui, je suis revenu enchanté de la fête de Villeurbanne.


L'ascenseur ne vient pas ?

La fête du livre de Villeurbanne est un bel événement, que je vous recommande. Il s’y passe toujours de fort curieuses choses. En particulier, je reste saisi par ma rencontre avec les Souffleurs, commando poétique, à qui, si je tenais ce blog avec sérieux et assiduité, je consacrerais un long article, où j’essaierais de me hisser à sa hauteur, pour donner des frissons aux lecteurs de passage. Au lieu de quoi… Bah, tout le monde n’a pas la grâce…

Je n’allais pas à Villeurbanne seulement pour rencontrer, mais également pour être rencontré : Christophe Sacchettini et moi-même avons donné là deux représentations mémorables de notre spectacle musical adapté des Giètes. À la première séance étaient conviés quelques pensionnaires de maisons de retraite. Cette audience était un peu troublante, comme si des figurants de notre histoire étaient dans la salle… Une vieille dame toute racornie au premier rang a passé le temps de la lecture à dire, d’une voix qui couvrait presque la mienne, « Mais il va pas bientôt se calmer ? Ah non, tu vois, il continue, il continue… » C’était drôle si l’on veut, un peu dur de se concentrer…

La photo ci-dessus est extraite d’une série que vous pouvez télécharger dans son intégralité, série prise par la dégourdie et malicieuse Pauline Fénéon, agent dormant du Fond du Tiroir, merci encore à elle, et à tout le monde là-bas.

Les deux représentations données au Centre culturel de Villeurbanne, outre la spécificité de leur public, étaient les premières que nous donnions avec sonorisation. Je craignais initialement que les micros ne portassent atteinte à ma liberté de mouvement et de voix… en réalité, non seulement n’ont-ils rien gâché, mais ils ont permis une surprenante gamme de reliefs, des nuances supplémentaires. En outre, les deux sessions ont pu être enregistrées, et la bande est désormais entre les mains d’un éditeur de CD, allez savoir, peut-être publierons-nous un de ces jours Les Giètes, l’album. Curieux destin que celui de ce livre, né dans une photo, réincarné dans une musique… Et ce n’est pas fini. La preuve :


3) Oui, je vais aller voir la pièce de théâtre adaptée des Giètes et j’espère que j’en reviendrai enchanté.


Un moustachu, un barbu (Trois pelés, un tondu)

L’adaptation théâtrale des mêmes Giètes, écrite et co-interprétée par Angéla Sauvage-Sanna, sera donnée sous le titre  Marx, Flaubert… et les icônes au Carré 30 de Lyon du 7 au 17 mai prochains. Quant à moi, je serai dans la salle le vendredi 8. Je suis très impatient de voir le résultat, même si, de toute façon, je me dis que la version scénique des Giètes, la première, la vraie, c’est Christophe et moi (cf. ci-dessus). Cette arrogance ne m’empêche en rien de dire « merci » à Angéla pour son travail sur mes phrases, et « merde », bien fraternellement, aux comédiens pour la première.


4 ) Oui, je suis revenu en chantant de la quarantaine.


Une ruelle sur le trajet entre mon hôtel et le collège Terre-Sainte

Je ne veux pas dire par là que j’ai choppé la grippe mexicaine, mais que j’ai attrapé 40 ans, il y a quelques jours. Sans me vanter, cette borne, ce pic au mitan du Flux ne m’a fait ni chaud ni froid. Sans doute parce que j’avais bien préparé le terrain au moyen du livre précité.

Et juste à ce moment-là, comme par hasard, car il suffit de se mettre à lire pour tomber comme par hasard sur certains mots plutôt que d’autres, j’ai lu ceci :

« Hein ? Qu’en dites-vous ? Le temps vient assez vite où l’on ne vit plus que pour durer. C’est un peu bête. On vieillit. On se donne des airs de sagesse, on bavarde, on raconte, on cite, on juge, on se répète, certains enseignent, on poursuit son bonhomme de chemin. On lit. Tenez, regardez ma petite bibliothèque. Je me suis même mis au Nouveau roman, pour ne pas me rouiller tout à fait. » (Louis Guilloux, la Confrontation, 1967)

(spéciale dédicace à Christophe S. pour la dernière partie de cette citation.)

L’amusant cliché ci-dessus me montre, sans grand rapport avec le plat du jour, visitant en plein égocentrisme la ruelle Joseph Vigne de Saint-Pierre de la Réunion. Le bout du monde pour rencontrer son frère, c’est correct… Je me suis renseigné tant que j’ai pu, ici et là sur l’île… Qui était ce Joseph ? Que fit-il de si digne ? Qu’a-t-il vécu et quand ? Personne ne sait, voilà le sel. Sic transit gloria mundi, comme je dis toujours.

Au plaisir !

Saint-Paul-Trois-Histoires

02/02/2009 8 commentaires

Simple et subtil : signé Sara

Je rentre fourbu et bienheureux de mes cinq jours à Saint-Paul-Trois-Châteaux. Lors de ma première participation à SP3C, en 2006, j’avais conclu qu’il s’agissait du meilleur salon du livre du monde. Or j’avais une solide expérience qui autorisait les comparaisons : des salons du livres, j’en avais déjà faits au moins deux. SP3C m’a réinvité en 2009, et je suis ravi de constater qu’il s’agit toujours du meilleur salon du monde. Or je peux en parler avec autorité, car entre temps mon expérience n’a fait que croître : des salons, aujourd’hui, sans me vanter, j’en ai faits au moins huit.

SP3C a trouvé la formule magique, l’équilibre parfait. L’équilibre entre la fête et le sérieux (ah, être pris au sérieux, pour un écrivain « jeunesse », ça n’a pas de prix), entre les agapes où l’on est reçu comme un prince et les débats où l’on peut vraiment s’exprimer sur son travail (les gens écoutent ! c’est dingue !), entre les rencontres scolaires et les retrouvailles professionnelles, entre le commerce et l’échange l’humain (car l’on est en droit de coller une tarte à quiconque déclare ou seulement pense que l’un est réductible à l’autre), entre le cerveau et le cœur. Comme le dit Susie Morgenstern (ma voisine de stand –  j’avais du bol) : « Dans le milieu de la littérature jeunesse, lorsqu’on entend pour la première fois un auteur dire « Je suis invité à Saint-Paul-Trois-Châteaux », on répond : « C’est où ? »… Mais ensuite, une fois que l’on sait, on répond : « Veinard ! »

J’ai vécu ces jours auprès de personnes que j’aime et/ou que j’admire (et que même, parfois, je connais), Jeanne Benameur, Philippe-Jean Catinchi, Mathis, Sara, Susie Morgenstern, Kochka, Jean-Philippe Blondel, Bruno Heitz, Hubert Ben Kemoun, Lucie Land… et au fin tréfonds des choses et des illusions et des ambitions et des alouettes littéraires, je ne sache pas qu’il y ait mieux à espérer d’un salon ou de la vie, que de passer un peu de temps en compagnie de personnes que l’on aime et/ou que l’on admire (et que même, parfois, l’on connaît).

Pour remercier Saint-Paul depuis mon Tiroir en chambre d’écho, ci-dessous trois histoires que j’en ai retirées, en échange de celles que j’y ai laissées : élémentaire échantillon d’émotions advenues, sur place et à emporter. J’aurais pu en choisir trois autres, je n’avais que l’embarras, mais ce sont ces trois-là.

Un récit qu’on m’a offert ; un conte que j’ai choppé au vol ; et un morceau de vie qui m’est tombé sur le coin de la figure.

Première histoire

Le premier matin, après la nuit dans l’hôtel où je dormais assez mal (seule occasion dans ma vie de dormir jamais dans un hôtel quatre étoiles, et je dors mal ! quel snob je fais !) je pénètre chiffonné dans la salle du petit déjeuner. Je m’assoies à la table de Kochka, que j’ai déjà rencontrée ailleurs, qui me touche beaucoup par sa douceur et sa fragilité. Nous bavardons. Au fil du bavardage, surviennent des paroles tout sauf anodines : elle me parle de l’un de ses enfants, autiste. Les anecdotes qu’elle me tend me bouleversent par surprise. Celle-ci :

« Quand Mathieu était petit, il n’y avait que le bruit de la pluie qui le calmait. Alors, dans les moments de stress, il faisait la pluie : il attrapait tout ce qui lui tombait sous la main, le jetait en l’air, et le regardait tomber. Il le faisait très souvent dans sa classe. Sa maîtresse a fini par trouver comment réagir : elle a confectionné un « costume de ramasseur de pluie », ciré jaune et chapeau, qu’elle a attribué tour à tour aux élèves. Le ramasseur de pluie était chargé de tout remettre en ordre après l’averse… »

J’ai traversé toute la journée en résonance de ce récit du matin, qui m’avait donné le la. Tous les contacts humains qui ont suivi ont vibré à l’aune de cette exemplaire délicatesse. Y compris la grève nationale qui commençait de gronder, et les manifs partout dont nous entendions l’écho : savoir qu’une maîtresse aussi géniale existe, reprendre espoir grâce à elle dans le genre humain, et regarder le gouvernement laminer l’Education Nationale ?

Merci Kochka.

Deuxième histoire

L’un des invités de SP3C était le conteur libanais Jihad Darwiche. J’ai assisté au spectacle qu’il donnait en duo avec sa fille. Je me suis laissé bercer par leurs deux jolies voix, mais j’avoue que je n’ai pas reçu semblablement chacun de leurs contes, j’ai bien souvent décroché au cours de la soirée. J’ai retenu au moins, et je retiendrai longtemps je l’espère, cette histoire-ci, tellement simple et tellement sage :

Il était une fois un vieux derviche que tous ses disciples révéraient pour son calme, son détachement, et sa sérénité. Il ne haussait pas la voix, ne semblait jamais inquiet, et endurait les joies et les malheurs avec la même patience, comme s’il pesait de très haut, de très loin, l’importance et la futilité des choses et des existences.

Une famine survint, qui fit de nombreux morts ; le derviche resta serein. Un séisme survint, qui dévasta le pays ; le derviche resta serein. La guerre survint, qui déchira les hommes et les peuples ; le derviche resta serein.

Ses disciples interloqués cherchaient à pénétrer son secret : « Comment fais-tu, ô maître, pour conserver ton calme en toutes circonstances ? » Le derviche répondit : « Je puise mon calme dans ce qu’il y a entre les pages du Saint Coran ».

Les disciples, très impressionnés, tentèrent d’appliquer cette leçon à leur propre vie. Ils lirent et relirent leur Saint Coran, jusqu’à le savoir par cœur. Mais le jour où survint une nouvelle famine, un nouveau séisme ou une nouvelle guerre, cette leçon s’évanouit instantanément et les disciples s’abandonnèrent aux affres, aux angoisses, à la lutte, au désespoir. Le secret du derviche, qui demeurait inébranlable, leur échappait. Lisait-il le Saint Coran mieux que les autres mortels ?

Le jour où le sage derviche mourut, très vieux, très calme, et très serein, ses disciples le pleurèrent à chaudes larmes. Ils lui rendirent hommage, et voulurent, pour son enterrement, lire quelques pages du Saint Coran. Il s’emparèrent du Coran du derviche, l’ouvrirent, et il s’en échappa une fleur séchée, qu’autrefois sa bien-aimée lui avait offerte.

Merci Jihad.

Troisième histoire

Jeudi après-midi, la classe de CM2 que je rencontrais se trouvait à Malataverne, un village à 30 kms de Saint-Paul. La rencontre était consacrée à La Mèche, fait exceptionnel étant donné que ce livre est introuvable (la classe avait travaillé sur tirages papiers du PDF…), et cela me faisait grand plaisir, j’étais drôle, volubile, énergique, énergétique.
Fin de la séance, 16h30, sonnerie, heure des mamans, brouhaha… Une petite fille enjouée, épanouie, se lève pendant que les autres rangent leurs affaires, elle vient me voir et me dit : « Au fait, c’est moi qui vous remmène à Saint-Paul en voiture…
– Ah bon ? Tu as le permis ?
– Meuh non, c’est ma maman… (et elle rit). »
Je sors avec elle sur le trottoir. Sa mère est bien là. Elle pleure, consolée par des amies.
Je suis emmerdé. Je ne sais comment réagir. Je n’arrive pas à poser de questions, sinon un plat et décalé : « Ça va ?
– Qu’est-ce qu’il y a, maman ? Pourquoi tu pleures ?
– C’est rien, c’est rien… Alors, ça s’est bien passé avec l’auteur ?
– Oui mais quoi ? Qu’est-ce qu’il y a, maman ? C’est mamie, c’est ça ?
– Mais non, mais non, c’est rien, je te dirai… alors, ça va ? »
On s’installe dans la voiture, moi côté passager, la petite à l’arrière. La mère retient ses larmes. Chacun de nous attache sa ceinture.
« Mais dis-moi, maman ! C’est mamie ? Hein, c’est mamie ?
– Je te dirai. Alors cette rencontre ? Tu es contente ?
– Voui ! »
Je discute avec la gamine pour faire diversion.
« Dis-moi Harmony, est-ce qu’au moins, tu l’avais repéré, le message caché, dans la Mèche ?
– Ben non…
– Alors voilà : regarde, il est là.
– Wouah ! C’est drôlement bien ! La maîtresse l’avait même pas vu ! J’ai le droit de le dire à tout le monde ?
– Tu fais comme tu veux, Harmony. Le sujet de ce livre, c’est que quand on grandit, on est capable d’apprendre des choses. Après, on devient responsable de ces choses. Tu es grande, Harmony ! Débrouille-toi !
– D’accord… Je vais réfléchir… »
Et la mère, pendant ce temps, pleure au volant. Les larmes ont pris le dessus. Elle fixe la route. Je lui glisse : « Bon courage », j’ai envie de pleurer avec elle, à la place je ris avec la petite fille, c’est peut-être ce que j’ai de mieux à faire.
« Je crois comprendre que je tombe mal… Si vous ne vous sentiez pas de faire le voyage, vous auriez peut-être pu vous faire remplacer ?
– Non, non, je m’étais engagée à vous ramener, je le fais… Si le salon du livre tient debout, c’est grâce aux 80 bénévoles comme moi. Il faut savoir ce qu’on veut. Si personne ne se bouge, on ne fait plus rien pour les enfants. C’est important, les livres. »

Merci. Voilà. C’est important. Il faut bien que quelqu’un se bouge. Vive Saint-Paul-Trois-Châteaux, vivent les bénévoles, et les livres. Salut, bonne route et fraternité.

Voyages d’hiver

20/01/2009 3 commentaires

C'est joli aussi, le bleu.

Voici mes dates de tournée cet hiver.

  • Mardi 27 janvier : lycée Récamier à Lyon (classes de seconde et première autour de TS et des Giètes) puis, à 17h, rencontre dans la librairie L’Etourdi de Saint-Paul, 4 rue Octavio Mey, Lyon – ultime rencontre subventionnée Rhône-Alpes dans le cadre du PRAL.
  • Du mercredi 28 janvier au dimanche 1er février : Fête du livre jeunesse de Saint-Paul-Trois-Centrales-Nucléaires (hé, je blague, hein ! sans rire, je suis fou de joie de retourner à Saint-Paul-Trois-Châteaux ! J’adore Saint-Paul-Trois-Châteaux ! je n’oublierai pas mes capsules d’iode !), avec notamment au programme :
  1. une tripotée de rencontres scolaires du CM2 à la 3e,
  2. Mercredi 28, 16h30 : portrait de votre serviteur dans l’espace débat du salon ; 20h : lectures de textes de ma bonne marraine Jeanne Benameur (en compagnie de Bernard Friot).
  3. Jeudi 29 (jour de grève nationale ! donc programme sous réserve), 10h45 : intervention dans le cadre des journées professionnelles, sur le thème Ce qui nourrit la création littéraire (Le thème global du salon, cette année, étant « Se nourrir pour grandir »), en compagnie de la même Jeanne B. et de Hubert Ben Kemoun.
  4. Dimanche 1er février, 16h : partez pas, il en reste ! Le salon de Sain-Paul n’est pas encore terminé ! Christophe Sacchettini et moi-même donnerons notre pestacle musical adapté des Giètes.
  • Jeudi 5 février 18h30 : lecture d’ABC Mademoiselle avec Marilyne Mangione, à la bibliothèque du centre ville de Grenoble, à l’occasion de la sortie de ce livre échappé du Tiroir, dont je vous recauserai, évidemment. Cette lecture-ci, contrairement à celles sus-évoquées, me flanque un trac terrible, je ne sais pas encore comment on va faire… Une seule chose est sûre : les belles gravures de Marilyne, à l’origine de ce texte, seront exposées à la bibliothèque du 3 au 28 février…
  • Mercredi 18/jeudi 19 février : variation sur les Giètes, toujours avec Christophe, lors d’un stage de musiques improvisées en Ardèche. Je ne sais pas au juste où ça se passe, il faudrait que je prenne du souci…
  • Mardi 3 mars : rencontre à la bibliothèque Malraux de Saint-Martin d’Hères.
  • Samedi 7 mars : « les Giètes, the musical », en version spectacle d’appartement, toujours à Grenoble. Renseignements auprès de l’hôtesse : demander Rachel au 04 76 42 56 31/06 79 46 96 95.
  • Lundi 23 au jeudi 26 Mars, pas à proprement une tournée, mais largement aussi bien : un voyage d’étude à la foire internationale du livre de jeunesse de Bologne. Chic !
  • Week-end du 28-29 mars : le FdT aura son stand sur le Printemps du livre de Grenoble.
  • Lundi 30 mars : rencontres au lycée Albert Thomas (Roanne).
  • Mardi 31 mars : rencontres au lycée Mounier (Grenoble), avec l’après-midi exécution des Giètes Musicales avec Christophe et ses instruments.
  • Samedi 4 avril 20h30, à Charavines : Giètes again lues et musiquées par Christophe et mézigue, à l’invitation de l’association « De bouche à oreille« . Ce sera peut-être l’ultime représentation (à moins bien sûr que quelqu’un nous le réclame expressément et poliment) de ce spectacle qui aura tourné un an, c’est pas mal.
  • et on arrête là parce qu’on sera déjà sorti de l’hiver.

Et si c’est le vrai Voyage d’hiver que vous cherchiez, rendez-vous plutôt ici.

Ou éventuellement .