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La nuit m’a dit (Troyes épisode 28)

Encore un rêve de théâtre, cette nuit. Je suis en retard, je dois rejoindre (pour y jouer ou pour assister à un spectacle ?) une salle que je ne trouve pas, et je traverse divers couloirs, escaliers, salles de bal, restaurants, de plus en plus chic, avec lustres, dorures, miroirs immenses et laquais en livrées. D’étage en étage, je sens que plus j’approche du but, moins je suis à ma place, les têtes des laquais pivotent lentement à mon passage pour me flinguer du regard. J’en vois même un qui, ostensiblement, condamne derrière lui un passage au moyen d’un cordon de soie qu’il noue, puis se retourne vers moi, les bras croisés dans le dos, pour me jeter un petit sourire de mépris. Lorsqu’enfin je parviens au sommet du bâtiment, une sorte de penthouse où un petit orchestre de chambre joue pour quelques tables de gens costumés, je réalise que la salle elle-même est encore loin. Il me faudra marcher encore longtemps, la perspective d’arriver à l’heure s’amenuise à chaque pas. Je me mets à courir, inquiet de ce que que je parviendrais à destination, en plus de mon retard, débraillé et en sueur. Je cours, et le décor change. Je traverse à présent un sentier de rase campagne, avec un champ de terre grasse et nue, fraîchement retournée, à ma droite, et un bidonville fait de caravanes et cahutes clairsemées à ma gauche. Je cours dans la boue sous un soleil de plomb et crois apercevoir mon but à l’horizon, il me semble que cette fois le théâtre est à portée de ma main. En bordure du bidonville, à une dizaine de mètres de moi, je distingue du coin de l’oeil une grappe d’individus mal fagotés, mal rasés, des hommes surtout et quelques femmes, plus jeunes, assis sur des chaises en plastique, fumant. Un, puis deux, puis cinq, puis tous, ils se lèvent soudain à mon passage, ils se donnent des coups de coude, me désignent du doigt, se mettent à m’applaudir. Ils rient, sifflent, et comme si j’étais un échappé du peloton crient mon nom dans leurs mains en pavillon pour m’encourager. Mais ils le prononcent mal, le scandent en deux syllabes, j’entends : « Vigue ! Né ! Vigue ! Né ! » Tant pis pour leur mauvais accent, je ne sais pas d’où ils me connaissent ni de quel pays ils viennent, me prennent-ils pour quelqu’un d’autre ? Peu importe, leur clameur me galvanise comme si elle était pour moi, me chauffe le coeur, que le malentendu me profite et me fasse avancer, je leur souris, je redouble le pas empli de gratitude.

  1. Laetitia
    28/09/2011 à 14:25 | #1

    Je poursuis mes lectures, à moins que ce ne soient elles qui me poursuivent…

    Lundi, je recevais un inconnu.

    Cela faisait déjà une semaine que cette maudite épaule était immobilisée, que les mots se bousculaient à l’intérieur de mon crâne, à mon grand désespoir, que j’étais inactive et inutile, qu’il m’était difficile de trouver des occupations qui satisfassent pleinement ma boulimie active…je vous ai déjà raconté tout ceci.

    Et voici lundi et sa visite attendue. Il est très étrange de rencontrer pour la première fois quelqu’un avec qui on n’a échangé que deux ou trois mots par courrier électronique.

    C’est troublant. J’étais troublée.

    Et excitée.

    Comme ces personnes âgées qui attendent un visiteur, mettent un peu de poudre de rose sur leurs joues fanées, une goutte de parfum, un joli chignon, le thé et les madeleines. Tout est prêt longtemps à l’avance. Ensuite, c’est l’attente. Elle fut courte heureusement.

    Monsieur Vigne est arrivé. J’avais bien sûr lu avec grande attention le journal qu’il tenait depuis son arrivée à Troyes en tant qu’auteur en résidence. J’avais pris des notes: tiens il faudra que je lui parle des cinémas, de cette pièce de théâtre à voir, de tel ou tel lieu à visiter, du projet artistique de la classe de ma fille dont un élément majeur est la mise en scène de « L’augmentation » de Perec, de la Maison du Patrimoine, des concerts intéressants, de tant de choses et d’autres.

    -C’est drôle, il ne me paraissait pas si grand!-

    Nous avons discuté. Beaucoup.J’ai beaucoup, beaucoup parlé. J’ai même eu peur de lui avoir provoqué quelque migraine.

    Ce flot continu d’informations…mon débit désordonné et aléatoire…J’avais préparé tant de choses, de peur de ne rien avoir à dire…

    16h15, c’est l’heure! Je dois aller cueillir mon petit avant-dernier à la sortie de l’école. A bientôt! Oui, oui, tu peux prendre ce bouquin (bon courage!). A bientôt. Merci.

    23h00 ou plus…je vais me coucher, prends mon bouquin, lis quelques pages, et m’arrête à ces lignes:

    « Et maintenant je compris aussi le caractère éruptif, le jaillissement fanatique de ses discours au milieu des étudiants: c’était son être qui s’épanchait soudain après des journées passées à accumuler; toutes les pensées qu’il portait en lui, muettes, se précipitaient avec cette fougue que les cavaliers appellent si joliment chez les chevaux la ruée vers l’écurie; elles rompaient impétueusement la clôture du silence, dans cette chasse à courre verbale. » Stefan Zweig. La Confusion des Sentiments.

    Le fleuve s’écoulait à présent en toute quiétude et son doux clapotis m’emporta vers une nuit sans rêve…

    PS: concert afro-jazz au Bistrot vendredi soir à Ste Savine!

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