Trois jours, sans rire
On est bien avancés maintenant.
Que faire ?
De l’art.
Ouf.
L’art est ce pas de côté qui permet de ne pas succomber trop vite ni trop complaisamment au réel, de mieux le sentir dans sa main sur sa peau et dans ses yeux ce foutu réel, au lieu de seulement se faire avoir par lui.
On n’est pas à sa merci ! On n’est pas sa chose, il est la nôtre, merde !
Et même : MONSIEUR Merde. Tiens il nous avait manqué, celui-ci. On est content de revoir monsieur Merde chier très littéralement dans les bégonias.
Car je sors du cinéma. J’ai vu cela. J’ai vu les bégonias et le réel transfiguré. J’ai vu les 41 minutes et 19 secondes de C’est pas moi, dénégation enfantine et moyen métrage de Leos Carax.
Ouf, pas de panique, en tout cas un peu moins de panique grâce au pas de côté : l’art est toujours là, la mise à distance, l’archi-intime et l’archi-universel en tresse plutôt qu’en détresse.
Carax nous parle de lui, de son histoire et de celle du cinéma et de celle de l’Europe, histoire commune vieille d’un siècle mais il nous semble que le film nous parle d’aujourd’hui, car le tour de magie opère encore, et oui, et ouf, l’illusion que ce film a été fait ce matin en « réaction » .
Film work-in-progress (ce sont les premiers mots qu’on lit sur l’écran), film patchwork, film installation, film happening, film sans mode d’emploi et puis quoi encore puisque ce ne sont que des images, film intemporel et c’est justement en cela qu’il donne cette impression si vive d’actualité, film de montage, de bric, de broc et d’amour, film de fantômes comme n’importe quel film (digne de ce nom), film quête-de-beauté comme n’importe quel film (digne de ce nom), film ludique quoique tragique, film godardien quoique caraxoïde, « C’est pas moi » recycle toute la filmographie de son auteur, jusques et y compris dans la scène post-générique où Annette joue le rôle de Denis Lavant, mais toujours sur du Bowie.
Dans une scène que je suppose tirée de Holly Motors (2012) (mais je n’irai pas vérifier), un présentateur télé alerte ses spectateurs sur un étrange phénomène : plus personne en France n’a ri depuis trois jours.
TROIS JOURS ? Sérieux ? Mais oui, c’est bien ça, je recompte sur mes doigts, nous sommes mercredi jour des sorties au cinéma, trois jours depuis dimanche soir. Comment l’a-t-il su, comment le sait-il depuis peut-être 2012 (mais je n’irai pas vérifier). L’art a raison et c’est à ça qu’on le reconnait.
Et puis comme une menace certaines figures de l’extrême-droite défilent vers le premier tiers du film, elles tendent le bras en parade, elles aussi sont intemporelles, quoique certaines rient depuis trois jours, et sont créditées dans le générique de fin comme « Têtes de salauds » .
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