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Bachotage

Oh, non ! Que m’arrive-t-il ? J’opine du bonnet en lisant une tribune du Figaro ! Un dimanche d’élection, en plus ! Suis-je devenu un vieux con, sans m’en rendre compte, comme tous les vieux cons ? L’auteur du texte ci-dessous est ex-adjoint au maire de Versailles et député européen LR, a priori pas spécialement un type avec qui j’aimerais boire des coups, pourtant je trouve plutôt sensé ce qu’il raconte sur l’état de l’Éducation Nationale et sur la perte programmée de sens et de valeur du bac en particulier, des diplômes et de l’enseignement en général, et en fin de compte du rapport au savoir.
Au fond le dépassement du clivage gauche/droite est ici tout naturel puisque la gauche est loin d’être innocente dans le délabrement à long terme de l’éducation nationale (simultané à celui de la santé).
Au passage je relève dans la tribune ces fragments : « Adapter l’évaluation aux disparités locales était le moyen le plus efficace pour achever de casser un thermomètre gênant (…) un lycée à la carte (…) archipel complexe de parcours individuels (…) » et j’y entrevois un terrifiant concentré de l’esprit du temps, à savoir la mise à mort de l’universalisme et de l’idée même de bien commun qui, en termes de savoir, s’appelait « culture générale », au profit du relativisme, de la balkanisation cognitive façon réseaux sociaux, des « cultures » remplaçant la « culture », voire des « accommodements raisonnables », et en fin de compte du rouleau compresseur néo-libéral qui a besoin non de citoyens mais de consommateurs. Résultat : en 50 ans la part de bacheliers dans une génération est passée de 20% à 80% mais la part d’illettrés n’a pas baissé pour autant, au contraire, révélant assez que l’objectif politique était bien le bac-fétiche et non l’accès au savoir ! Qu’un citoyen sache lire et écrire n’a pas tellement d’importance, après tout c’est son choix et il faut le respecter, du moment qu’il a le droit de consommer et de signer les formulaires de souscription à des crédits pour relancer l’économie. Ce que, d’ailleurs, plaide le Figaro dans toutes ses autres pages. Ouf, me voilà rassuré, je ne suis pas près d’approuver le Figaro EN GÉNÉRAL, je vais pouvoir sortir de chez moi et aller voter.
Bon courage à tous les jeunes gens qui passent le bac ces jours-ci… Bon courage pour après, je veux dire…
F.V.

«Pourquoi l’enseignement secondaire continue à se dégrader de façon spectaculaire»
TRIBUNE – Enseignant de profession, le député européen François-Xavier Bellamy porte sur l’état de l’école un jugement aussi sombre que précis.
Par François-Xavier Bellamy
FigaroVox, le 16/06/2021
Malgré cette année chaotique, certains rituels semblent immuables, dont l’épreuve de philosophie qui ouvre aujourd’hui le bal du baccalauréat pour des centaines de milliers d’élèves. Mais que reste-t-il vraiment du bac? Disons-le: ce diplôme national est aujourd’hui une étoile morte ; et cette situation n’est que le symptôme de l’effondrement silencieux, mais bien réel, qui touche le système éducatif.
Depuis longtemps déjà, ce qui constitue encore le premier grade universitaire a été peu à peu discrédité par une double évolution: le projet d’amener 80 % d’une classe d’âge au bac a été poursuivi avec constance depuis 1985 – jusque-là, seuls trois jeunes français sur dix décrochaient ce diplôme. Mais, simultanément, le niveau général des élèves français ne cessait de baisser, comme l’attestent aujourd’hui toutes les études internationales: la dernière enquête Timms a montré que la France se classait dernière en Europe pour l’enseignement des mathématiques. Ces lacunes majeures dans la transmission des savoirs les plus fondamentaux sont confirmées par les statistiques du ministère elle-même ; et les chiffres de la journée défense et citoyenneté publiés pour 2020 montrent que 22 % des jeunes majeurs en France ont de lourdes difficultés de lecture. Il n’est plus du tout garanti qu’un bachelier sache, par exemple, lire et écrire correctement le français.
« Le baccalauréat est devenu un mensonge d’État. »
La situation n’a aucune chance de s’améliorer. La réforme du bac menée par Jean-Michel Blanquer en 2018 lui a porté le coup de grâce: cet examen incarnait une certaine idée de la méritocratie – mêmes épreuves, le même jour, avec les mêmes critères de notation et la même organisation de jury -, le ministre y a incorporé une part importante de contrôle continu, effectué dans chaque classe, et des épreuves par lycée, lui retirant de fait son caractère d’examen national. Dans un système éducatif devenu le plus inégalitaire de l’OCDE, adapter l’évaluation aux disparités locales étaitle moyen le plus efficace pour achever de casser un thermomètre gênant.
Le baccalauréat est devenu un mensonge d’État ; et les universités sont contraintes d’assumer cette fiction: puisqu’elles sont les seules formationsà ne pouvoir refuser un bachelier, elles reçoivent les milliers d’élèves titulaires d’un diplôme qui ne garantit plus rien, surtout pas leur capacité à poursuivre des études. Sur les plus de 50 000 étudiants qui s’inscrivent en droit chaque année, moins de la moitié réussissent leur première année. Tel est le résultat de ce bac devenu fiction: un immense gâchis, sur le plan académique – car l’université est emportée vers le fond par le naufrage de l’enseignement primaire et secondaire -, mais aussi gâchis budgétaire, et, le plus important, humain: comment les jeunes privés des moyens d’accomplir leurs talents par des connaissances essentielles, qui n’ont pour tout bagage qu’un diplôme dévalué, pourraient-ils ne pas en vouloir aux institutions qui leur ont menti? Comment des professeurs qui s’engagent, malgré toutes les difficultés, dans l’aventure pédagogique, peuvent-ils ne pas être écœurés en étant assignés au rôle de rouages muets dans ce qui devient désormais une immense fiction collective?
Car la crise touche le quotidien de l’enseignement, et non pas seulement l’examen final: derrière cette réforme du bac, il y avait une réforme du lycée, dont les conséquences sont majeures. Le principe est simple: supprimer les filières existantes, en réduisant drastiquementles disciplines qui en constituaient le tronc commun, pour les remplacer par un lycée à la carte composé d’une addition d’options. On peut arrêter complètement les mathématiques dès la fin de seconde si l’on ne retient pas cette option. Le nouveau lycée prend le parti de la spécialisation précoce au détriment de la culture générale, alors qu’elle n’a jamais été aussi nécessaire que dans ce monde en mutation rapide – où il est tellement vain, d’ailleurs, d’imposer aux élèves de choisir une spécialité dès l’âge de 14 ou 15 ans. Fondé sur cette exigence intenable, le nouveau lycée ressemble à un archipel complexe de parcours individuels et remplacela structure des classes en une multitude de groupes redessinés au gré des options. Il isole toujours plus les adolescents, privant les plus fragiles du lien avec une classe, qui constituait souvent le dernier point d’ancrage pour éviter le décrochage. Seule efficacité vérifiable de cette réforme incompréhensible : elle aura fait disparaître, comme par enchantement, des millions d’heures de cours par an. L’alliance de l’idéologie des compétences et d’une logique budgétaire inavouée, résultat d’un manque de courage plus que de lucidité, aura fini d’achever le bac et de fragiliser considérablement tout l’édifice du lycée.
Ces mêmes causes ont manifestement inspiré une autre rupture majeure que Jean-Michel Blanquer a récemment imposée par arrêté, dans l’indifférence générale – hormis celle des premiers concernés: la réforme du concours de l’enseignement, le Capes, doit s’appliquer à partir de la rentrée. Jusque-là, dans chaque matière, les deux oraux du Capes étaient consacrés à la discipline dans laquelle le candidat se présentait. Désormais, l’un des deux sera remplacé par un «entretien de motivation», devant des jurys où pourront d’ailleurs figurer des personnes n’ayant jamais enseigné. Là encore, l’importance accordée au savoir recule: on recrutera un professeur d’anglais sur une seule demi-heure d’oral de langue. En revanche, fait inédit, on évaluera le candidat sur sa conformité avec les attendus du moment du point de vue des «valeurs» et du discours…La France était agnostique avec ses futurs professeurs, pourvu qu’ils atteignent l’excellence dans leurs disciplines ; désormais, il leur faudra passer par le processus managérial de l’entretien de motivation – comme si celui qui persiste à vouloir enseigner, malgré la faiblesse des salaires, l’aberration de la gestion des carrières et la multiplication des difficultés pédagogiques, avait besoin de prouver sa motivation… La seule chose que doit avoir à prouver un futur professeur, c’est son savoir! Charge au ministère de former ses enseignants, de les accompagner, de les soutenir et de garantir leur impartialité dans l’exigence de la transmission.
C’est ici l’exact inverse qui se produit : en mobilisant des candidats pour dispenser six heures d’enseignement par semaine pendant leur année de préparation des concours, la réforme confiera des classes à des étudiants qui n’auront encore jamais été évalués en tant que professeurs – y compris donc à ceux qui ensuite n’arriveront pas à décrocher les concours. Là encore, l’idéologie qui préfère l’expérience pratique au savoir fait bon ménage avec une logique d’économies bien médiocre: des candidats devront préparer les concours en travaillant sans contrat pour quelques centaines d’euros mensuels, prenant en charge des heures normalement effectuées par des professeurs titulaires.
Le gouvernement actuel n’est pas responsable de la crise profonde que traverse l’école ; l’origine en est plus lointaine. Mais, après quatre années d’exercice du pouvoir, il faut bien reconnaître que rien n’aura été fait pour reconstruire un système éducatif en souffrance. C’est pourtant l’enjeu majeur qui décidera de l’avenir de notre pays. Tout commence par là. Nous le devons aux professeurs qui se dévouent à la tâche malgré la défiance partout répandue et aux élèves, bien sûr, qui ont le droit de recevoir ce qui nous a été transmis pour accomplir leurs facultés et offrir au monde à venir ce qu’ils ont de meilleur à faire naître. Pour cela, il faut des connaissances, et non des diplômes que notre faillite collective a fini par priver de sens.

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