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La maladie vient des étrangers (c’est même à ça qu’on la reconnaît)

17/03/2020 un commentaire

Nous avons tous quelque part dans notre arbre généalogique un arrière-grand oncle parti à la guerre de 14 et revenu avec une gueule cassée ou des poumons moutardés ou pas revenu du tout mais avec une médaille. Enfin je dis ça j’en sais rien, je dis ça parce que moi j’en ai un, il se prénommait Henri, j’ai sa médaille et son diplôme posthume dans un cadre, sans me vanter ça m’inscrit dans l’Histoire, n’est-ce pas. Nous avons tous quelque part dans notre arbre généalogique une arrière-grand-mère qui a choppé la grippe espagnole. Enfin je dis ça j’en sais rien, je dis ça parce que moi j’en ai une. Elle se prénommait Maria. Elle a attrapé la grippe dite espagnole au moment où cette maladie était à la mode, en 1919, et qu’elle était enceinte. Sa fille (ma grand-mère) est née prématurée à cause de la maladie, à sept mois et deux kilos, et a bien failli y passer. La légende familiale dit que c’est le lait de brebis qui l’a sauvée, puisque sa mère ne pouvait plus l’allaiter.

La grippe espagnole (1918-1919) est, de toute l’histoire humaine, le plus grand fléau viral international (avec la peste noire du XIVe siècle). Elle a tué entre 28 et 50 millions de personnes (dont 240 000 en France), fourchette imprécise qui dans tous les cas coiffe au poteau la Première Guerre Mondiale (je lui mets des majuscules en plus à cette salope) qui, juste avant, fut certes longue et massacrante et ne m’a pas tout-à-fait déçu mais n’a fait en comptant tout bien, même les soldats inconnus, que 18,6 millions de morts.

Là où les choses deviennent comme toujours intéressantes, c’est lorsqu’on s’interroge sur le sens des mots qui passent par nos bouches comme des postillons toxiques. En quoi cette grippe était-elle espagnole ? Est-elle née en Espagne ? Est-ce en Espagne qu’elle a fait le plus grand nombre de morts ? Pas du tout. Cette grippe-là, selon les hypothèses, serait née aux États-Unis ou en Indochine (colonie française) et a été importée en Europe par la guerre ; les pays les plus touchés sont, sans surprise, les plus peuplés (la Chine et l’Inde, déjà à l’époque). Alors quoi ?

En 1918 la Première Grande Salope battait son plein, foire internationale au suicide obligeant les malheureux paysans-bidasses des quatre coins du globe (c’est amusant aussi cette expression, un globe avec des coins, bref pardon c’est pas le sujet) à quitter leur bled natal, par exemple l’Indochine ou le Texas, pour le front européen. Puis de rentrer estropiés et donc de faire transiter dans leur épiderme la Grippe fatale et d’en faire profiter tout leur village. La grippe est devenue aussi mondiale que la guerre, l’une dommage collatéral de l’autre. Mais, comme on sait, la première victime de la guerre est la vérité (phrase merveilleuse attribuée à Kipling et applicable à n’importe quelle guerre même celle de Macron, Nous sommes en mensonge, Nous sommes en mensonge…), et en conséquence l’existence du virus mortel a été cachée par les pays belligérants afin ne pas décourager leurs vaillants martyrs pour la Nation. La grande muette a parfaitement joué son rôle ancestral de censeur et de storyteller. Grippe ? Quelle grippe ? Vous avez vu une grippe, vous ? Je n’ai vu que des héros qui ont offert leur poitrine à la mitraille de l’ennemi, disait le Ministère de la Guerre en pinçant les lèvres comme la grenouille à grande bouche quand elle demande Y’en a beaucoup par ici ?

Mais l’Espagne, elle, n’était pas en guerre. Ce qui fait qu’en Espagne, on en parlait, de la maladie. Les autres pays regardait l’Espagne en fronçant les yeux de réprobation : que dites-vous, il y aurait une maladie mortelle chez les Espingouins ? C’est sûrement parce que ces bouffeurs de paella ne sont pas comme nous, ils sont faibles génétiquement et sans doute dégénérés moralement. Fi, heureusement, pas de ça chez nous, ici nous avons le bon air, et la meilleure armée, et Dieu en plus, c’est dire si nous sommes les plus forts, allez c’est parti les gars on retourne au front hop hop.

Pourquoi je vous raconte ça en ces temps de maladie mondiale dommage collatéral de la mondialisation ? Parce que j’ai lu que Donald Trump, abruti en chef, vient d’affirmer son soutien à toutes les courageuses compagnies américaines (notamment aéronavales) qui sauront lutter contre le « virus chinois » . Il va peut-être construire un mur ?

Ceci dit, pas de quoi pavoiser en France, pays de tradition xénophobe toujours prompt à chercher un bouc émissaire à sang impur : il paraît que le racisme anti-chinois, autrefois plutôt bonhomme façon Balkany et son ami « Grain-de-riz » progresse en flèche et que l’insulte « Sale Chinois » connaît une vogue sans précédent.