Archive

Archives pour 07/2019

Fat come back

15/07/2019 Aucun commentaire

420 000.

C’est peut-être une broutille pour vous mais pour moi ça veut dire : beaucoup.

Je n’étais jamais parvenu jusque là. Le roman sur lequel je travaille en ce moment vient de dépasser en trombe les 420 000 signes, et il en manque, et il en vient. Lorsque je l’ai commencé il y a deux ans et demi, je croyais que ce serait une petite blague. Finalement c’est une blague énorme, plus vaste que tout ce que j’ai écrit jusqu’ici.

Même Reconnaissances de dettes, ample livre, mon plus gros à ce jour mais qui n’est pas un roman, tirait sa révérence à 360 000 signes.

Et là, 420 000. Quatre-cent-vingt-mille ! Croyez bien que je suis le premier surpris. Deux ans et demi c’est très long mais c’est parce que sur la moitié de ce laps le livre est « presque fini » . Depuis il enfle, il enfle, il ne manque pas grand chose mais toujours un peu ici ou là, me viennent pour les personnages des bouffées de tendresse ou des rires ou des sanglots ou une anecdote à leur sujet qui mérite d’être racontée à tout prix alors eh ben oui ça enfle. Surtout vers la fin. Quand je le proposerai à un éditeur il faudra sûrement parlementer sur ce qu’il faut couper mais je ne peux pas penser à cela maintenant, faut finir d’abord.

Il s’intitule Ainsi parlait Nanabozo. Vous pouvez en entrevoir une idée en « demandant en ami » sur Zuckerbergland le dénommé Bozo Trickster. Je connais ce jeune homme, il ne vous refusera pas.

Curiosa

11/07/2019 Aucun commentaire

Chronique inactuelle ! Je vous parle d’un film, mais d’un film que vous ne pouvez voir, du moins pas ces jours-ci. Sitôt apparu en salles en avril dernier, sitôt disparu, snobé par la critique, passé inaperçu du public, que j’ai vu à l’arrache dans une salle déserte, et qui n’est pas encore édité en DVD : Curiosa de Lou Jeunet, film sur Pierre Louÿs et Marie de Régnier.

Si je vous en parle, ce n’est pas en raison de son actualité, qui est nulle, mais de la mienne.

Il se trouve que je prépare depuis près de trois ans le spectacle le plus osé, le plus bizarre, le plus excentrique, le plus casse-gueule de toute ma vie sur scène : une adaptation du roman pornographique Trois filles de leur mère de Pierre Louÿs, l’un de mes livres préférés toutes catégories confondues. Ce projet démentiel, monté grâce à la participation de deux autres cinglés (Stéphanie Bois, qui incarne génialement les cinq personnages féminins de l’histoire, et Christophe Sacchettini qui enveloppe nos ébats de musique autant que de silence, à bonne distance), parvient enfin à maturité et dispose désormais d’une date de création : il sera présenté aux premiers spectateurs cobayes et, espérons-le, un minimum bienveillants le vendredi 18 octobre 2019, à Grenoble. L’entrée sera strictement interdite aux moins de 18 ans. Si vous avez plus de 18 ans et si vous êtes d’ores et déjà titillé, contactez-moi, je vous préciserai l’endroit, pertinemment confidentiel et à jauge intime. J’ai un trac fou mais, heureusement, le temps d’en reparler.

Plein de curiosité pour Curiosa je me suis précipité en avril, à peu près seul, pour voir sur écran les amours reconstituées de l’auteur de Trois filles de leur mère et de Marie de Régnier, qui fut la grande passion sentimentale et sexuelle de sa vie, l’inspiratrice et dédicataire d’une bonne partie de son œuvre. Qui fut en outre le modèle de l’une des Trois filles de leur mère. Comme on le sait, comme on peut s’en étonner pourtant, la frénésie sexuelle de ce roman trouve bel et bien son origine dans la vie réelle de Louÿs et les personnages ont des modèles : Louÿs fréquentait les trois sœurs Heredia, Marie, Louise, et Hélène. Métamorphosées par sa plume, fantasmées, rajeunies, romancées, ces trois filles d’écrivain sont devenues trois filles de pute, Charlotte, Ricette et Lili.

Pour vous la faire courte : le film n’est pas mal du tout. Mais, comme je le pressentais, notre spectacle à nous sera vachement mieux.

Pour vous la faire longue : le film n’est pas dénué des conventions et défauts intrinsèques du genre biopic (que j’ai tenté d’énoncer ici à propos de Bohemian Rhapsody), il lui manque un peu d’aspérités, un vrai point de vue, et surtout une vraie crudité et voilà qui constitue tout de même un comble étant donné le matériau d’origine… mais c’était joué d’avance. Comment la réalisatrice eût-elle pu faire mieux sans tomber dans la pornographie ? La description anatomique et attendrie d’un conduit vaginal, ses dimensions, ses couleurs et ses parfums, peut faire l’objet d’une belle page littéraire, peut même faire l’objet de poésie, d’encre sur papier. Louÿs l’a démontré (enfin, démontrer n’est pas le mot juste puisqu’il n’écrivait ses textes pornographiques que pour lui-même, compulsion privée sans la moindre intention de publication). Mais comment inventer un équivalent au cinéma, cet art qui montre ? Je tâche depuis trois ans de trouver un équivalent scénique, en dosant au millimètre ce que je montre.

L’avantage de cette limite du cinéma, c’est que faute de pornographie le film devient une histoire d’amour, or cet aspect là est on-ne-peut-plus pertinent. J’insiste sur un point qui fera peut-être ricaner les imbéciles : si j’ai voulu jouer ce roman sur scène c’est que selon moi Trois Filles de leur Mère est avant tout une histoire d’amour, forte, libre, originale, affranchie, blasphématoire, fulgurante et tragique. Une dévorante passion sexuelle est forcément, au moins un peu, une histoire d’amour (et réciproquement). Essayez, vous verrez.

Le personnage de Pierre Louÿs joue à un moment donné le dandy cynique dans le seul but de provoquer un ami tout aussi moustachu et élégant que lui. Il lui déclare avec un fin sourire quelque chose comme « L’amour ? Mais ça n’existe pas, ça n’est qu’un assouvissement des besoins » . Moi qui ai lu ses livres, je ne suis pas dupe, c’est de sa part pure posture, et au fond pure trouille de parler d’amour, donc de choses profondes, au premier venu. Pierre est empêtré dans les mêmes contradictions et ambivalences que le narrateur anonyme des Trois filles, à qui il faut tout un roman pour avouer in extremis « avec la gaucherie sentimentale de mes vingt ans je n’eus d’amour pour ces quatre putains qu’une heure après leur départ » .

Reste que la réalisatrice s’en sort avec les honneurs, surtout si l’on compare avec les désastreuses rencontres passées entre Louÿs et le cinéma – reste-t-il un seul cinéphile déviant prêt à avouer en 2019 son envie de voir Bilitis de David Hamilton, Aphrodite de Robert Fuest (avec Valérie Kaprisky) ou même La Femme et le Pantin de Duvivier (avec Bardot) ? Cet obscur objet du désir de Bunuel, à la limite, pour son indépassable bizarrerie d’avoir confié le rôle principal à deux actrices alternées…

Les images de Curiosa sont belles, ses couleurs chaudes, ses cadres soignés, ses acteurs excellents. Surtout les actrices. Exactement comme dans les Trois filles, les personnages féminins sont plus intéressants, plus nuancés, plus contrastés et plus changeants que les hommes, monolithes phalliques. Du reste la plupart des postes clefs du film (la réalisatrice, la première assistante, la scénariste, la monteuse…) sont aux mains de femmes. L’incarnation de Marie (sublime et intense Noémie Merlant, qui vole la vedette à tout le monde, à commencer par Niels Schneider/Pierre Louÿs, forcément pâle figure) m’a même donné envie de lire sa propre version des faits, son roman L’inconstante qu’elle avait publié dès 1903 (Trois filles de leur mère paraîtra à titre posthume en 1926) sous le pseudonyme masculin Gérard d’Houville alors que j’avoue humblement que je n’en avais pas eu l’envie jusque là, la version de l’homme Louÿs me suffisait, vas-y, fais-toi plaisir, tu peux me huer, balance ton porc je dirai rien.

Seule faute de goût que j’ai repérée face au film : m’ont totalement échappé le sens et la nécessité de sa tonitruante bande originale techno (même compositeur que 120 battements par minutes, Arnaud Rebotini), je n’avais nullement besoin de cet anachronisme pour trouver les personnages « modernes » . Cette musique est aussi incongrue que si l’un des protagonistes en costume consultait soudain son smartphone.

Les allusions aux Trois filles sont extrêmement nombreuses, depuis la toute première scène (derrière un miroir sans tain, Pierre, voyeur et photographe, regarde minauder les trois sœurs Heredia et c’est comme si on le voyait écrire dans sa tête le premier jet – drôle de métaphore), jusqu’aux pures et simples citations (« Les jeunes filles ont bien des excuses », phrase merveilleuse qui conclut le livre) et pour quiconque connaît le roman les rouages de la transposition de la biographie en fiction deviennent limpides. Pour autant je ne peux pas dire que ce film ne m’aura rien appris. Il m’a permis de saisir une dimension qui m’avait un peu échappé jusqu’à présent. Pourquoi Louÿs a-t-il fait de quatre bourgeoises de son milieu quatre prostituées de papier ? Parce qu’il existe des passerelles entre ces deux conditions féminines, la bourgeoise et la pute, autres que celles du fantasme. Le film débute par un mariage. Un mariage sans amour, convenu, pour un motif économique : la plus jeune sœur Heredia sacrifie son hymen pour une dot qui sauvera papa. La sexualité des jeunes filles est donc ici comme là une affaire de commerce, d’arrangement, le pucelage est un petit capital, dans la bourgeoisie tout autant qu’au bordel. D’où les analogies, transpositions et allusions de type « Non seulement tu suces, mais tu parles comme une jeune fille à marier ».

Ce roman serait, en plus du reste, politique ? Quel livre, mes amis, quel livre ! À côté le film est juste pas mal et c’est déjà bien.

Bonus : ne manquons pas cette belle image du Tampographe Sardon, L’orgasme à travers les âges : 1925, qui est peut-être un hommage puisque 1925 est l’année de disparition de Louÿs.