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Quand on arrive en ville

10/06/2019 Aucun commentaire

Juin ! Fraises cerises et melons ! Sakura au Japon, printemps au balcon. Fin de saison, conclusions, restitutions, derniers flonflons, derniers bastions.

Aussi, saison à pousser la chanson. D’humeur à rimailler, les vers me sortent de partout comme disait Léopold dans Uranus. J’ai écrit quelques chansons, dont une. Une enregistrée, mixée, bientôt clipée, encore en chantier, encore en secret, je ne peux pas en parler, mais je suis excité comme un grenadier parce que je l’ai créée avec des gens fort doués.

Le roman idem : toujours pas achevé alors j’en parle même pas. 

Quoi d’autre qui serait terminé, dont on pourrait causer ? Voyons, la saison d’ateliers d’écriture 18-19 sur le thème Autoportrait en ville avec les écrivants adultes handicapés du SAMSAH de Chambéry : ça c’est fait, plutôt très-très bien fait, et même « restitué » devant un public clairsemé au beau milieu du Festival du Premier Roman qui se tenait bien loin de là, au moins 500 mètres, autant dire un autre monde (notre atelier est une activité socio-culturelle, le Festival est un événement culturel, les deux naturellement se mélangent comme l’huile et l’eau).

Flashback : je me souviens en 2004 lorsque j’étais invité par le festival du premier roman pour mon premier roman, déjà l’on me proposait, l’on me sollicitait, vous ne voudriez pas faire un atelier d’écriture chez nous ? Plein de morgue je baissais la main en direction du caquet des fâcheux, je répondais fi, jamais de la vie, pour qui m’avez-vous pris… Je manquais d’expérience, et aussi d’un peu de générosité. J’étais trop content et flatté qu’on m’accueille dans le culturel pour m’abaisser au socio-cul, je dégoisais trop volontiers sur mon roman pour perdre du temps à faire écrire en atelier un vain peuple qui ne se serait même pas intéressé à mon chef d’œuvre. Quinze ans plus tard j’ai sensiblement changé mon fusil d’épaule : ce que j’ai compris, c’est que faire dans le socio-cul n’était pas sans noblesse ni sans intérêt. Ce que je crois fermement, c’est qu’animer un atelier d’écriture, contrairement à écrire un livre, c’est une technique, c’est une méthode qui s’apprend puis s’enseigne, qui se transmet, pour tout dire c’est un métier. Métier plus noble que d’autres et que je ne rechigne pas à exercer, puisqu’il faut bien gagner sa vie honnêtement si l’on veut par ailleurs écrire des livres sans se préoccuper de leur succès commercial.

Bref – bravo à tous les participants de cet atelier-ci, les piliers comme les fugaces, j’ai été ravi de vous rencontrer et d’exercer le métier en votre compagnie. Je pense à vous et c’est très sincèrement que je vous ai préfacés :

Psychogéographie

En 1955, l’Internationale Situationniste invente le très utile concept de « psychogéographie ». Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce concept ne relève ni de la psychologie, ni de la géographie. Au lieu de cela la psychogéographie est une pure rêverie poétique, qui étudie les liens entre les environnements (essentiellement urbains) et les émotions et comportements de chacun. C’est ainsi que les situationnistes ont établi de très belles, subjectives et farfelues « cartes psychogéographiques » des villes qu’ils habitaient, œuvres d’art beaucoup plus pertinentes selon eux que les vulgaires plans distribués par les Offices du Tourisme, qui se contentent platement de donner les noms des rues.

En 2018, à l’invitation de Lectures Plurielles, j’ai animé un cycle d’ateliers d’écriture auprès des écrivants volontaires du SAMSAH de Chambéry. Le thème choisi était « autoportrait en ville ». J’ai multiplié les approches, les amorces, les jeux, les contraintes, pour tourner autour de ce thème inépuisable pour l’écriture de fantaisie aussi bien que pour l’intimité autobiographique : que fais-je en ville, que fait la ville en moi ? Qui suis-je pour elle, qu’est-elle pour moi ?

En somme, durant toutes ces séances, qu’avons-nous fait tous ensemble ? De la psychogéographie.

Et c’était passionnant. En dépit des différences propres à chacun, différences d’expériences, de motivations, d’outils, d’envies, de limites, tous les écrivants ont joué le jeu. J’avoue avoir été épaté par leur réactivité, leur imagination, leur sensibilité, par leurs émotions aussi bien que par leur humour, par leurs inventions autant que par leur façon de convoquer leurs souvenirs.

Les textes que vous allez lire ici composent un autoportrait collectif et psychogéographique : nous, tous ensemble, à Chambéry, dans les rues, dans les immeubles, sur les places et dans les carrefours. Souriez ! Vous vous y reconnaitrez peut-être aussi.

Fabrice Vigne