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Archives pour 09/2012

Beau comme le déclic d’un cran d’arrêt

17/09/2012 Aucun commentaire

Double tranchant est sous presse. Il mesure 22 cms sur 30, il pèse un peu moins de 300 grammes, il est imprimé en bichromie, sous une couverture à rabats, il est doté d’un n° d’ISBN tel qu’on en voit peut (rendez-vous compte : 978-2-9531876-7-0), il coûte 17 euros… Que dire de mieux ? J’ajouterais bien qu’il est très beau, mais je me rends compte que je me répète, « beau » est sans aucun doute le mot que j’emploie le plus souvent pour décrire les livres du Fond du Tiroir.

Double Tranchant est une nouvelle coutelière et illustrée de main de maître par Jean-Pierre Blanpain, au moyen de linogravures rehaussées d’une seule couleur, mais quelle couleur, celle de la violence et celle du progrès, celle du sang et celle des émotions, celle du Double et du Tranchant. Depuis près d’un an, recevoir par mail les linos gravées par JPB en préparation de ce livre est un immense bonheur. Il en a dessiné 17 en tout, soir 17 variations graphiques sur les couteaux, et je croyais qu’il en avait terminé. Mais non : il a décidé de se fendre d’une 18e lino, au sujet autobiographique (JPB himself en train de découper ses linos), qui n’apparaîtra pas dans le bouquin, mais sera tirée à part et fera l’objet d’une estampe numérotée et signée que nous glisserons exclusivement dans les exemplaires réservés aux souscripteurs, c’est-à-dire ceux dont les commandes nous seront parvenues avant le dévoilement officiel de l’ouvrage, le 15 octobre.

Vous savez ce qu’il vous reste à faire : télécharger et imprimer sans plus attendre le bon de commande. Il est drôlement beau, ce bon de commande. Ah, zut, et voilà, je l’ai dit, c’est comme ça, je dis beau, je parle beau, je fais beau, je vise beau, je vous trouve très beau également.

Vocations contrariées

08/09/2012 Aucun commentaire

J’ai passé l’essentiel de la journée d’hier à m’exciter le bourrichon entre le bureau de la graphiste (grand merci à elle, au fait, déesse ex-machina) qui a accepté au pied levé de prendre en charge le prochain livre du Fond du tiroir, Double tranchant, et les locaux de l’un des imprimeurs à qui nous avons demandé un devis pour ce même ouvrage, tout cela en compagnie de JPB. Eh, bien, quelle bonne journée j’ai passée ! Le soir je suis rentré chez moi d’une humeur excellente, rayonnant cette euphorie que je connais mais que j’avais un peu perdue de vue cette année, cette joie d’accomplir. J’ai l’honneur de vous informer que je sous-signé maniaco-dépressif, me trouve à cette heure-ci tout en haut de la grande roue – rendez-vous en bas.

J’aime toujours autant faire des livres, ouf. Le moteur est relancé. J’aime l’opération magique qui consiste à donner une forme physique à une cosa mentale. Passer des heures à remettre sur l’ouvrage, traquer la petite bête, inventer la mise en page, agencer les mots, les textes, trouver du sens dans les polices et les couleurs, jouer du colophon, choisir le grammage du papier, caresser un bouffant plutôt qu’un couché, mettre le nez dans les machines, renifler les encres, s’assourdir des rotatives, comparer les mérites du numérique et de l’offset, bricoler la couverture, ajouter des rabats à la dernière seconde juste parce que c’est plus beau… Même sortir la calculette, évaluer le prix de revient et le laps escompté pour atteindre le seuil de rentabilité (l’an 2040, en gros), ne me rebute pas. Ah, comme j’adore ça. (Un seul aspect du métier me semble outrepasser mes compétences : vendre les livre.)

Je crois, je me vante, et pourquoi ne me vanterai-je pas, que j’aurais fait un pas-trop-mauvais éditeur. On rencontre parfois, dans ce milieu, certain cliché selon lequel les éditeurs seraient peu ou prou des auteurs rentrés, des écrivains frustrés qui compenseraient leur œuvre avortée en publiant celle des autres, moyen de biais d’imprimer malgré tout leur nom sur une couverture. C’est possible, avéré peut-être dans certains cas, je ne préjuge pas. Tout ce que je puis dire, c’est mon sentiment d’occuper une position strictement inverse : éditeur rentré, peut-être bien que j’écris des livres uniquement pour les réaliser. Do it yourself, et on en recause, quand vous saurez la griserie que c’est.

La vocation, « la voix qu’on entend », l’appel, le désir sinon d’embrasser une carrière, au moins de suivre une voie, accomplir pour s’accomplir, en voilà un sujet brûlant, d’ailleurs c’est la rentrée des classes. Qu’est-ce que tu vas faire quand tu seras grand ? À quoi rêvent les jeunes filles, les jeunes gens ? Je ne sais pas au juste, je constate seulement ce qu’on essaye de leur vendre comme vocation en kit, en toc, et j’en suis consterné. Chaque fois que je tombe en ligne sur cette pub de merde, ou l’une de ses nombreuses variantes, où une accorte pétasse maquillée de frais, en tailleur gris ou sous-pull gris aussi, tous crocs dehors, me dit « Toi aussi tu peux devenir trader » , et d’abord j’ai horreur qu’on me tutoie, je suis écœuré, effondré, effrayé. Or c’est souvent, ne serait-ce que sur ce site du « quotidien de référence » , grand thermomètre et petit manipulateur des opinions. Je lis ce quotidien quotidiennement, je suis donc effaré au jour le jour par ce cynisme, comme si je lisais un autre message en-dessous, subliminal, « Toi aussi tu peux devenir trafiquant de drogue/tueur à gages/marchand d’esclaves », toi aussi tu peux te goinfrer, t’en mettre plein les fouilles plein le bide plein le pif, toi aussi tu peux enculer le monde juste avant le déluge. Le jour où la vie en société sera à nouveau possible, voire voluptueuse, on rêvera devant des réclames qui laissent entrevoir la perspective de faire autre chose que du fric,  « Toi aussi tu peux devenir musicien / agriculteur bio / infirmier / archéologue / éducateur spécialisé / astrophysicien /  cuisinier / ostéopathe / professeur d’histoire-géo / assistant(e) social / projectionniste / jongleur sur monocycle / sage-femme / fleuriste / compagnon du devoir / bibliothécaire / coutelier / chômeur décomplexé épanoui et amoureux /  éditeur. »

Il ne faudrait pas que cette rêverie mine ma belle humeur. J’ai un livre à sortir. La souscription ici même dans quelques jours.

Bipenne

01/09/2012 un commentaire

Prière de trancher
Incipit à l’exposition Double tranchant

Médiathèque de Troyes, 15 octobre-31 décembre 2012
Inauguration pendant le 26e salon du livre jeunesse, 18-22 octobre

Premier temps : la lame.
J’ai bénéficié durant l’automne 2011, il y a un an tout juste, d’une résidence d’écriture à Troyes. La bibliothèque de la Maison de l’Outil et de la Pensée Ouvrière est rapidement devenue l’un des endroits de la ville où j’ai pris l’habitude de m’installer pour travailler. Sans doute, mon éphémère situation de « résident », solitaire, concentré, préoccupé par la simple beauté du geste cent fois remise sur le métier, me prédisposait à aimer cet endroit dédié au geste artisanal, autrement dit au génie humain. C’est donc ici qu’est né un texte, Double tranchant, monologue d’un coutelier, rêverie sur l’artisanat autant que sur le rôle symbolique des couteaux dans l’histoire des hommes.
Créer un couteau, c’est créer de la culture, et réciproquement : ce qui n’était qu’une intuition a été confirmé par l’étymologie. « Couteau » et « culture » sont cousins, tous deux issus du verbe latin colere, cultiver, via le coutre, partie tranchante du soc de la charrue.

Deuxième temps : le manche.
Le texte s’est ensuite incarné dans les illustrations de Jean-Pierre Blanpain, partenaire de jeu idéal. Lui-même perpétuel et malicieux artisan, il a décidé que « la forme rejoindrait le fond » et qu’il produirait les images « en les coupant », c’est-à-dire qu’il a opté pour la technique de la linogravure. Sa magnifique série de linos noir et rouge tantôt colle au texte, et tantôt s’en éloigne, ne retenant que la légende dorée ou noire des couteaux (Charlotte Corday, l’un des motifs de sa série, est une marotte qui lui est personnelle, elle n’apparaît pas dans mon texte.)

Troisième temps : les rivets, pour faire tenir ensemble le manche et la lame.
Textes et dessins ont été confiés à un dernier cercle d’artisans, le Centre de création pour l’enfance de Tinqueux. J’ai hâte de revenir à Troyes pour découvrir cette exposition. Si j’ai le temps, j’irai aussi faire un tour à la Maison de l’Outil.

Fabrice Vigne, septembre 2012