Quand faut y aller
On se dit : « Pas la peine ». On se dit même pire : « À quoi bon ». On se dit : « Ah, bah, c’est trop vain, c’est trop facile, l’indignation… c’est éculé… et puis politiquement correct ».
On se dit : « Pourquoi irai-je m’exprimer sur ces triviales, pénibles mais contingentes questions d’actualité ? Mon blog t’façons est lu par quatre personnes plus un tondu qui se débrouilleront par eux-mêmes pour s’indigner sur ces sujets, je leur fais confiance pour trouver le chemin et s’échanger des pétitions, personne n’a besoin de moi, oh non, personne n’a besoin d’un cri d’orfraie au fond du tiroir… ».
Ouais, ouais. On se dit tout ça, et du coup on garde tout à l’intérieur. On ne dit rien. On laisse faire. On laisse dire. Personne n’a besoin que je m’exprime sur ce sujet, voilà qui est indéniable. Sauf peut-être moi-même. Alors j’y vais quand même. Je le pousse, mon coup-de-gueule-politiquement-correct que je croyais ne pas devoir pousser. Ils continuent bien, ceux d’en face. Quand faut y aller.
Le gouvernement français, complètement déboussolé, trouve judicieux de s’interroger maintenant sur l’Identité Nationale, et dans le même temps envisage de supprimer l’histoire dans certaines filières d’enseignement (ah bon parce que l’histoire ce n’est pas ce qui forge l’identité d’une nation ?…), démantèle froidement les services publics (ah bon au temps pour moi parce que alors les services publics ce n’est pas ?…), ne craint pas de couper les vivres des musées nationaux (ah bon alors pardon moi qui croyais que la culture ?…), ni de flinguer l’économie des communes (ah ben ça alors j’en reviens pas moi qui aurais pourtant juré que les collectivités locales ?…) etc.
Ces incohérences manifestes cachent un grossier calcul politique. Sarkozy a été élu, notamment, en neutralisant stratégiquement le Front National. Il a peur de perdre aujourd’hui la main électorale, puisque Le Pen père et fille reprennent du poil de la bête immonde. Ainsi, c’est à ça qu’il sert, et seulement à ça je crois bien(1), le grand débat Polichinelle sur l’identité nationale (cf. le site officiel) : un bon gros appel du pied aux électeurs du Front du même nom, « coucou, je suis là mon ami de souche, laisse tomber ces losers de Le Pen, ils n’auront jamais le pouvoir, moi je l’ai, je le garde, et tu vois je pense comme toi… On va pas se laisser bouffer toi et moi pas vrai ? »
De là, cet accident, ce lapsus, cet inconscient politique qui parle : les déclarations ahurissantes mais décomplexées de M. André Valentin, maire UMP de Gussainville (Meuse), élu du peuple, qui s’exprime au micro parce que nous avons décidé qu’il avait le droit de s’exprimer à notre place, c’est le principe de la démocratie représentative. « Je pense qu’il est plus qu’utile, qu’il est même indispensable, qu’il est temps qu’on réagisse, parce qu’on va se faire bouffer (…) Par qui ? Par quoi ? Y en a déjà dix millions, hein. Il faut bien réfléchir. Dix millions que l’on paie à rien foutre. »
Il se trouve, pour tout vous dire, que je n’ai pas seulement un grand-père italien. J’ai aussi un frère iranien – ce sont des choses qui arrivent. Mon frère me dit en soupirant : « Que veux-tu, c’est ainsi, la France est raciste ». Je soupire avec lui. Mais attends, attends… Répète, pour voir ? bingo ! « La France est raciste », tout est dit ! En une seule phrase ! Ne cherchez plus ! Débat clos ! Ça va en faire des éconocroques aux contribuables ! On l’a trouvée ! on l’a identifiée l’Identité de cette grande et belle nation, c’était tout simple, on avait le nez dedans. L’Identité nationale, « ce n’est pas dangereux, c’est nécessaire », selon Sarkozy. C’est sympa. C’est même sexy, tiens. C’est tellement glamour de s’assumer enfin ! C’est moderne !
C’est moderne depuis toujours. L’Identité Nationale, ça a commencé il y a bien longtemps, une sale manie, archaïque au possible, l’Identité nationale ça vient du cerveau réptilien, l’instinct du territoire : ici je suis chez moi, un vieux réflexe leitmotiv avéré par l’Histoire, c’était par exemple Cro-Magnon qui défonçait la gueule de Néandertal à coup de massue parce décidément y’en avait trop dans la vallée, non c’est vrai un seul ça va, c’est quand ils sont trop que ça va plus, on va pas se laisser bouffer merde. Ensuite, les néandertaliens ont totalement disparu, bon débarras. Les Cro-Magnons se sont retrouvés entre eux, et se sont forgé une chouette identité rien que pour eux. Mais en se regardant bizarrement d’une tribu à l’autre…
J’ai envie de vomir. Je vomis. Je m’étouffe dans mon vomi. Je ne suis qu’un blogueur de plus, qui a été choqué dans ses fibres, dans sa putain d’ « identité » par ces propos d’un raciste moderne, je ne suis qu’un citoyen qui pense que le racisme, c’est mal, qui se désespère de devoir le dire encore, et qui ajoute pour le principe, vraiment pour le principe, pour faire avancer le débat, son billet-indigné-politiquement-correct, qui l’ajoute à des centaines d’autres, allez, faites suivre, faites tourner, laissons pas faire. Eh, bien, dites-moi, ça en fait du vomi. L’Identité nationale, ça pue.
(1) – À la réflexion, j’entrevois un second enjeu stratégique caché derrière le soutien mordicus de Sarkozy à Besson et à son ministère : Sarkozy est peut-être soulagé de lire dans les sondages que Besson est encore plus détesté que lui. Le méchant de l’histoire, dans les esprits des téléspectateurs, c’est celui-ci et non celui-là. Good cop/bad cop routine. En outre, un ministre aussi honni, c’est un fusible à faire sauter un jour de déprime.
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