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La valise à la main (Troyes, épisode 1)

01/09/2011 4 commentaires

Je me lève, je me gratte, j’ouvre les volets, il pleut. Je pense, « tiens, un temps de rentrée. »

Et je file à la gare, dans le jour naissant. Mais le train ne part pas. Sur les rails aussi il a plu, en masse. Des coulées de boue ont interrompu le trafic, mon TGV est arrivé avec trois heures de retard. J’ai donc lu La carte et le territoire de  Houellebecq pendant trois heures, je trouve spécialement judicieux de lire Houellebecq durant les heures de retard de la SNCF, comme s’il avait été inventé pour ça exactement.

Houellebecq me fait rire. J’ai cessé de le prendre tout-à-fait au sérieux depuis que j’ai repéré ses tics, comme on fait en classe d’un prof. Son tic le plus flagrant est me semble-t-il de multiplier les tournures qui amoindrissent systématiquement ce qu’il est en train de dire, relativisant en continu son discours, comme quelqu’un qui regarde ailleurs pendant qu’il vous serre la main. Surtout quand il assène une idée générale : pas une page, parfois pas une phrase, qui ne soit minée par son « pratiquement », « plus ou moins », « en quelque sorte », « globalement », « la plupart du temps », « un peu », « généralement », « en réalité » (deux occurrences dans le même paragraphe page 89), « vaguement », « malgré tout », etc. L’insistance de ces croche-pattes rhétoriques produit un style ironique que l’on pourrait qualifier de déballonné (l’usage aussi des italiques joue chez lui ce rôle de dénégation obscurément veule du discours prononcé), presque toujours très amusant. Exemple : « Jed était familier des principaux dogmes de la foi catholique – alors que ses contemporains en savaient en général un peu moins sur la vie de Jésus que sur celle de Spiderman. » Admirer le double salto qui le fait juxtaposer d’un seul souffle « en général » et « un peu moins ».

N’importe, Houellebecq me fait rire. Et en général, ce qu’il dit reste intéressant malgré l’ironie, ou à cause d’elle. (Auto-)Portrait de l’artiste au travail, en quelque sorte en-résidence : « Pendant presque six mois Jed sortit très peu de chez lui, sinon pour une promenade quotidienne à l’hypermarché Casino du boulevard Vincent-Auriol (…) il se rendit compte qu’il n’avait pas prononcé une parole depuis presque un mois, à part le « non » qu’il répétait tous les jours à la caissière (rarement la même, il est vrai) qui lui demandait s’il avait la carte Club Casino. » Puis, quelques chapitres plus tard, la scène se passe à présent en Irlande: « Bien qu’on soit dimanche, le centre commercial voisin était ouvert ; il acheta une bouteille de whisky local, la caissière qui s’appelait Magda lui demanda s’il avait la carte de fidélité Dunnes Store. »

Okay, je ferme le bouquin, j’entre en gare de Troyes.

Je descends du train avec armes et bagages. Amélie et Michèle m’attendent, m’accueillent, me fêtent. Première provision de sourires. Ma valise roule. Pas d’armes, en fait, dans mes bagages. Essentiellement des livres. Mais aussi un petit pot pour faire pousser des trèfles (spéciale dédicace à Cathy Karle). Et je pense, tout droit sur le quai, à l’un des plus beaux livres jamais écrits sur les migrants, Là où vont nos pères de Shaun Tan. Livre d’ailleurs non écrit, à proprement parler, seulement dessiné, puisqu’il est muet. Parce que quand on arrive, on se tait et on regarde. Je parle juste un peu, des coulées de boue. Houellebecq je le tais, je le garde pour le blog.

Je prends mes quartiers. Je suis chez moi, d’une certaine manière. Je suis tout excité. À demain.

Plouf (Troyes, épisode zéro)

31/08/2011 2 commentaires

Comme annoncé, c’est demain que je plonge dans le grand bain. Je suis l’hôte de l’association Lecture et loisirs de Troyes pour quatre mois de résidence, de septembre à décembre 2011.  Résolution à la hauteur de cet exceptionnel bouleversement de mon train-train : je m’engage à utiliser, pour la première fois, le présent blog comme un vrai journal quotidien. Chaque jour de la résidence, je publierai une note, pas forcément longue, fragment d’éphéméride, écho de ce que j’aurai accompli dans la journée, ne serait-ce que pour vérifier que j’accomplis quelque chose. Total sur un peu plus d’une saison : au moins une centaine de feuillets au vent, en direct de l’expérience et du cobaye résident, traces de vie en moi et alentour.

Je salue à nouveau le très stimulant Nicolas Bianco-Levrin qui m’a obligeamment confié le journal dessiné qu’il tenait alors qu’il était l’hôte de cette même résidence. La lecture de ce document de travail a provoqué par émulation la formule quotidienne de mon blog.

En attendant (je compte les minutes), je virtualise, je m’y crois à donf, je surfe à Troyes sur mon écran, je m’anticipe à coups de street-view, je vérifie sur Mappy la distance de ma résidence à la médiathèque municipale (420 mètres, okay, je survivrai), à la gare, à la piscine. Oui, c’est important aussi, la piscine. Plouf, vous dis-je. (Une pensée ici pour Jean-Marc Mathis qui m’a raconté un jour ne jamais se laisser inviter en région par un salon du livre, une école, une galerie ou autre sans se munir de son maillot de bain. Vous voyez le genre d’anecdotes palpitantes qui risque de nourrir Fond du Tiroir matin, journal du soir.)

Lorsqu’on prie Google d’ouvrir le tiroir « résident » de sa mémoire de plastique, l’ooooracle dégorge en vrac :

Resident Evil ;
Statut de résident fiscal ;
Qui n’a jamais hésité sur l’orthographe, Résident ou Résidant ? ;
Obtenir sa carte de résident français ;
The Residents news official weblog ;
Fiche métier : le pharmacien résident délivre à un établissement hospitalier des médicaments, à usage humain ou vétérinaire, qu’il prépare lui même ou qu’il se procure auprès de grossistes-répartiteurs ;
Devenir résident suisse : forfait fiscal et compte bancaire ;
Résidents de la République (Bashung) ;
le Synthes Resident Program est destiné à soutenir la formation en traumatologie, en chirurgie du rachis et en chirurgie cranio-maxillo-faciale ;
« Crécy avait été résident en plusieurs cours d’Allemagne dont il connaissait parfaitement le droit public » [Saint-simon, Mémoires complets et authentiques du duc de Saint-Simon] ;
« Des marchands d’hommes et des mouchards, tels sont les résidents de cet ignoble quartier » (Honoré de Balzac, Œuvres div., t. 1, 1830, p. 568).

Début prometteur. Vive les Residents. À demain.

… et me cherchez sans retard l’ami qui soigne et guérit la folie qui m’accompagne

06/08/2011 6 commentaires

Zdoïng ! Zdoïng ! Le destin est monté sur ressort. Contrebalançant l’article précédent, empreint de morosité et de désabusion (néologisme popularisé par Nino Ferrer, il en avait le droit, il en est mort), c’est dans l’euphorie et la grande excitation que je klaxonne aujourd’hui une grande nouvelle, genre « once in a lifetime », et en avant vers de nouvelles aventures. Vous allez faire un beau voyage, me lirait une voyante dans son cristal. Où l’on retrouve notre héros, riant et trépignant, occupé à boucler ses valises.

Je m’apprête à passer quatre mois en résidence d’écriture, quatre mois d’oasis au beau milieu du CV, quatre mois de concentration offerte en parenthèse magique, quatre mois à ne rien penser qu’à mes œuvres, tout un automne de lâchons le mot le grand mot le plus grand de tous le seul qui vaille, quatre mois de liberté. Et ceci se passera très exactement à Troyes, à compter du premier septembre prochain. Toujours riant, toujours trépignant, je me suis rendu à la gare en sautillant pour acquérir un abonnement SNCF (selon le perpétuellement spirituel Jean-Pierre Blanpain, je prépare mon cheval pour l’insidieuse invasion de Troie) et j’ai même eu l’autre jour envie de m’acheter des chaussures neuves, envie saugrenue qui m’advient pour la première fois de ma vie, c’est dire le niveau inédit de mon excitation nerveuse, l’état second carrément, hi hi hi j’en rougis, des chaussures neuves je ne me reconnais plus, je frise l’hystérie amoureuse, imaginez j’ai rendez-vous.

Jusqu’alors, Troyes, où je n’ai jamais eu l’honneur de mettre les chaussures, ne m’avait guère évoqué que le champagne (chic chic, euphorie excitation bonne nouvelle), François Baroin (oh, non, zut, attention à la rechute, morosité, désabusion) et également mon camarade Jean-Philippe Blondel, qui est de Troyes puisqu’il faut bien être de quelque part, je suis bien de Grenoble et ne m’en vante point (ahah, j’avais écrit « ne m’en vente », mon dévoué webmestre m’a signalé la coquille, le vent déjà m’emporte c’est l’explication), je n’ai pas fait exprès, ni mieux ni pire, on trouve partout ici comme là de quoi s’exciter l’euphorie et se désabusionner la morosité. Car tout dépend du seul humain, seul critère qui vaille. Or cela est avéré, on trouve de l’humain à Troyes, et du chaleureux, et du charmant, accueillant, délicieux, toute ma gratitude s’envole d’ores et déjà vers l’équipe de l’association « Lecture et loisirs » qui m‘invite et prépare le terrain. C’est pourquoi je ne redoute point l’acclimatation : le crétin des Alpes se fera Crétin de Troyes. Un grand merci aussi chapeau en l’air, à Nicolas Bianco-Levrin, illustrateur et cinéaste débordant d’activités comme de générosité, précédent occupant des lieux et qui a pris l’initiative, par pur souci d’émulation, de passage de relai de l’euphorie et concentration, de me contacter afin de me présenter l’endroit, dans tous ses détails y compris le mode d‘emploi du radiateur.

Ne reste plus qu’à être à la hauteur de cette chance exceptionnelle, de cette confiance que l’on me témoigne : écrire. Des nouvelles ici même très bientôt. En attendant l’Aube, déposez-moi au manoir… et me cherchez sans retard l’ami qui soigne et guérit la folie qui m’accompagne et jamais ne m’a trahi : Champagne-Ardenne.