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Avoir raison avec un complotiste plutôt que tort avec qui ?

Le complotisme est un point de vue plutôt qu’un contenu.
Un réflexe plutôt qu’un savoir.
Une forme plutôt qu’un fond, et c’est pourquoi il est si facile à caricaturer.
Mais une pensée, tout de même, non dénuée de sophistication.
Je reste fasciné par la pensée complotiste, admiratif des trésors d’imagination qu’elle déploie… du moins aussi longtemps que je fais abstraction des effets concrets des fantasmes produits, qui peuvent être mortels (tel complotisme justifie une guerre, tel autre une vengeance, une complaisance pour le totalitarisme, l’invasion d’un pays ou du Capitole… le plus souvent, il justifie seulement une inaction coupable).

Si bien que, hobby plus ou moins pervers, je continue de laisser traîner mes doigts et mes yeux dans l’intarissable prose complotiste, et j’avoue que parfois j’opine du bonnet devant une phrase, une idée, qui me paraît juste (le complotisme empile par nature le juste et le faux).
Jusqu’où peut-on être d’accord avec un complotiste sans le devenir soi-même ?

Exemple : j’approuve sans réserve la sentence, que je viens de relever dans une revue cheloue : « Il est important de pouvoir souligner partout que la dénonciation du “complotisme” sert d’abord à décourager la réflexion et la recherche d’information. »
C’est parfaitement exact. Cependant, je m’empresse d’ajouter que la logique complotiste AUSSI, si pleine de biais, « décourage la réflexion et la recherche d’information » puisque les idées préconçues lui servent de socle à toute démarche d’argumentation. Un partout. Non : zéro partout.

Pendant ce temps, le manuel burlesque La Théorie de la Compote, édité par l’Atelier du Poisson Soluble, est toujours en vente en librairie au prix dérisoire et fatalement symbolique de 9 euros.


Addendum juillet 2025

C’est toujours aussi marrant, le complotisme.
Il semble que le premier à avoir conceptualisé la théorie du complot, ses tenants et ses délires, est Karl Popper (1902-1994) dans La société ouverte et ses ennemis, tome 2 (1945, première traduction française 1979) :

Il existe une thèse, que j’appellerai la thèse du complot, selon laquelle il suffirait, pour expliquer un phénomène social, de découvrir ceux qui ont intérêt à ce qu’il se produise. Elle part de l’idée erronée que tout ce qui se passe dans une société, guerre, chômage, pénurie, pauvreté, etc., résulte directement des desseins d’individus ou de groupes puissants. Idée très répandue et fort ancienne, dont découle l’historicisme ; c’est, sous sa forme moderne, la sécularisation des superstitions religieuses. Les dieux d’Homère, dont les complots expliquent la guerre de Troie, y sont remplacés par les monopoles, les capitalistes ou les impérialistes.

J’aime particulièrement l’intuition de la parenté entre ces deux phénomènes imaginaires majeurs que sont la pensée du complot et le sentiment religieux : dans les deux cas, la quête de sens, a priori noble, se résout et se contente d’un rapport causal mécanique (tout s’explique grâce aux dieux ou aux puissances occultes).

Ce qui est très marrant, c’est que ce postulat brillant se trouve, si du moins on a le courage d’aller l’y chercher au lieu de s’en tenir à une citation de seconde main, dans un livre qui est lui-même très complotiste puisqu’il entend dénoncer le complot marxisto-nazi s’opposant à la société que Popper appelle ouverte (et qu’on appelle aujourd’hui libérale). En somme selon Popper la pensée complotiste est à proscrire parce qu’elle est l’outil d’un complot mondial. C’est çui qui dit qui y est.
Ah, non, on n’a jamais fini de se marrer avec le complotisme.

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